/image%2F0994617%2F20231102%2Fob_7e9207_million-le-02.jpg)
Au départ, finalement, c'est simple: Michel (René Lefèvre) et Prosper (Jean-Louis Allibert) vivent dans le même appartement, sont fauchés, mais couvrent la chose en étant par alternance le domestique de l'autre! Michel est artiste, donc il est fauché... La petite qui vit en face de lui, Béatrice (Annabella) se considère sa fiancée et n'apprécie pas le ballet des modèles dans l'appartement de l'élu de son coeur. Mais les deux hommes ont acheté chacun leur billet de loterie, et... Michel a gagné. Il lui suffit de retrouver le ticket gagnant, qu'il a laissé dans son veston, pour pouvoir d'une part apaiser la colère des créanciers, et d'autre part fuir la pauvreté une bonne fois pour toutes... Oui, mais où donc est le veston? chez Béatrice? Non, car elle a laissé un fuyard, le père La Tulipe, "l'emprunter"; le vêtement va passer de main en main, et Prosper t Michel, désormais concurrents, vont avoir le plus grand mal à le récupérer...
Il y a du principe burlesque de haute noblesse ici, comme ces situations à la noix dont les studios Hal Roach, ou les films indépendants de Lloyd, tiraient leur saveur: un mélange savant entre la logique implacable d'une situation (la richesse dépend du fait de trouver ou non un veston) et toutes les ramifications (de nombreux personnages cherchent l'objet) et conséquences inévitables liées à l'environnement (les créanciers et autres voisins, sans parler d'un chauffeur de taxi qui voit son compteur s'affoler sans que personne de songe à pouvoir le payer)... Une situation donc totalement logique, lisible par tous, dans laquelle la loufoquerie va pouvoir se développer d'une façon allègre. Clair sait faire, il a été le metteur en scène d'Entr'acte, Un chapeau de paille d'Italie et Les deux timides, après tout! Mais cette fois, il suit la logique du nouveau médium qu'est le cinéma sonore, et traite la chose sous la forme d'une opérette...
On est devant un classique, mais aussi un chef d'oeuvre formel, dans lequel rien ne rate sa cible, et le metteur en scène-écrivain, qui aura tendance plus tard à gâcher ses films sur la fin (Les belles de nuit, par exemple, finit par irriter), est ici en contrôle d'une production qui pourrait être comparée sans aucun effort à du Lubitsch... Parfaitement servi par des comédiens totalement investis (on reconnaît des habitués, entre Paul Ollivier, Raymond Cordy en chauffeur de taxi, par exemple), une musique de George Van Parys, et la photo superbe, subtil mélange entre les intérieurs de l'avant-garde muette, et les décors génériques des comédies Américaines, désormais tournées dans le cadre des studios. C'est un des plus grands films de son auteur, une opérette inattendue qui ne se prend jamais excessivement au sérieux, et souvent d'un comique irrésistible. Le metteur en scène n'oublie jamais le cinéma, cet art muet dont il vient, et auquel il renvoie aussi souvent que possible en traitant les images et la musiques séparément, ou en montrant dans une scène délicieuse René Lefèvre et Annabella dans les coulisses d'un théâtre, réagissant en muet à la chanson qu'ils entendent, et nous aussi...
/image%2F0994617%2F20231102%2Fob_37b1f3_million-le-03.jpg)