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2 novembre 2023 4 02 /11 /novembre /2023 11:50

Au départ, finalement, c'est simple: Michel (René Lefèvre) et Prosper (Jean-Louis Allibert) vivent dans le même appartement, sont fauchés, mais couvrent la chose en étant par alternance le domestique de l'autre! Michel est artiste, donc il est fauché... La petite qui vit en face de lui, Béatrice (Annabella) se considère sa fiancée et n'apprécie pas le ballet des modèles dans l'appartement de l'élu de son coeur. Mais les deux hommes ont acheté chacun leur billet de loterie, et... Michel a gagné. Il lui suffit de retrouver le ticket gagnant, qu'il a laissé dans son veston, pour pouvoir d'une part apaiser la colère des créanciers, et d'autre part fuir la pauvreté une bonne fois pour toutes... Oui, mais où donc est le veston? chez Béatrice? Non, car elle a laissé un fuyard, le père La Tulipe, "l'emprunter"; le vêtement va passer de main en main, et Prosper t Michel, désormais concurrents, vont avoir le plus grand mal à le récupérer...

Il y a du principe burlesque de haute noblesse ici, comme ces situations à la noix dont les studios Hal Roach, ou les films indépendants de Lloyd, tiraient leur saveur: un mélange savant entre la logique implacable d'une situation (la richesse dépend du fait de trouver ou non un veston) et toutes les ramifications (de nombreux personnages cherchent l'objet) et conséquences inévitables liées à l'environnement (les créanciers et autres voisins, sans parler d'un chauffeur de taxi qui voit son compteur s'affoler sans que personne de songe à pouvoir le payer)... Une situation donc totalement logique, lisible par tous, dans laquelle la loufoquerie va pouvoir se développer d'une façon allègre. Clair sait faire, il a été le metteur en scène d'Entr'acte, Un chapeau de paille d'Italie et Les deux timides, après tout! Mais cette fois, il suit la logique du nouveau médium qu'est le cinéma sonore, et traite la chose sous la forme d'une opérette... 

On est devant un classique, mais aussi un chef d'oeuvre formel, dans lequel rien ne rate sa cible, et le metteur en scène-écrivain, qui aura tendance plus tard à gâcher ses films sur la fin (Les belles de nuit, par exemple, finit par irriter), est ici en contrôle d'une production qui pourrait être comparée sans aucun effort à du Lubitsch... Parfaitement servi par des comédiens totalement investis (on reconnaît des habitués, entre Paul Ollivier, Raymond Cordy en chauffeur de taxi, par exemple), une musique de George Van Parys, et la photo superbe, subtil mélange entre les intérieurs de l'avant-garde muette, et les décors génériques des comédies Américaines, désormais tournées dans le cadre des studios. C'est un des plus grands films de son auteur, une opérette inattendue qui ne se prend jamais excessivement au sérieux, et souvent d'un comique irrésistible. Le metteur en scène n'oublie jamais le cinéma, cet art muet dont il vient, et auquel il renvoie aussi souvent que possible en traitant les images et la musiques séparément, ou en montrant dans une scène délicieuse René Lefèvre et Annabella dans les coulisses d'un théâtre, réagissant en muet à la chanson qu'ils entendent, et nous aussi...

 

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Published by François Massarelli - dans René Clair Comédie musicale
15 février 2023 3 15 /02 /février /2023 23:26

Dans un monde habité uniquement par les Afro-Américains, semble-t-il, nous suivons les tribulations d'un couple dont toute la communauté parle: Petunia (Ethel Waters), adorée de tous, a fort à faire avec son bon à rien de mari, Little Joe (Eddie Rochester Anderson): celui-là n'a pas son pareil pour mentir, tricher, fuguer, fricoter et surtout, surtout, risquer l'argent du ménage (gagné par sa sainte épouse) au jeu... Quand le film commence il est supposé s'être racheté, mais pendant l'office religieux, il disparaît, plus ou moins contraint et forcé par des voyous qui  font miroiter un jeu gagnant d'avance... Quand Petunia le récupère, au cabaret de Jim Henry, il vient d'être blessé dans une partie de dés qui a mal tourné...

Petunia le ramène chez elle, mais là, le cas de Joe est sur la balance: quand il mourra, obtiendra-t-il l'enfer, qu'il semble mériter, ou le paradis comme le réclame en prières Petunia, qui affirme que son Joe la rend heureuse? Le film va s'évertuer à nous donner une réponse en montrant les coups tordus tentés par Lucifer Jr (Rex Ingram), le damné qui souhaite sérieusement remplacer son père...

Un film comme celui-ci serait-il possible aujourd'hui? ...Et pourquoi pas? Mais pas par un Minnelli, encore moins par un studio aussi frileux que l'était la MGM de l'époque! On ne va pourtant pas se plaindre de ce que cette comédie musicale, montée à Broadway par des blancs mais entièrement interprétée par des noirs, ait été confiée à un réalisateur comme Minnelli, on va simplement se plaindre d'un système qui à l'époque empêchait totalement un Afro-Américain de diriger une telle production... 

Je pense que, premier film oblige, c'était une mission confiée par le studio à Minnelli, qui avait d'autres ambitions (son premier film vraiment personnel serait le troisième, Meet me in St Louis): mais il a eu l'intelligence de faire son boulot d'une façon plus qu'irréprochable, en croyant au film, et en fournissant au casting, et à la production un cachet et une classe inimitable. On retrouve son goût, son sens esthétique, le souffle du chorégraphe cinématographique qu'il a toujours été, et il a su laisser les artistes donner le meilleur d'eux-mêmes: et quels artistes! Ethel Waters est fabuleuse, et Anderson fidèle à lui-même... Lena Horne, en tentatrice ("Georgia Brown", certainement very sweet), Rex Ingram en diable magouilleur, jusqu'à Louis Armstrong en vieux démon qui a roulé sa bosse (et sa trompette)... Et n'oublions pas l cerise sur le gâteau, la présence (d'ailleurs soulignée dans les dialogues) de Duke Ellington, qui interprète un Going up d'anthologie, avec des interventions cruciales de Ray Nance (violon), Al Sears (sax ténor) et Lawrence Brown (trombone)!

Certes, le scénario, à l'instar de la pièce, laisse le champ libre à tout un paquet de clichés, parmi lesquels on retrouvera un parler assez folklorique, des offices religieux bruyants, et un "little Joe" dont la passion pour les dés va de pair avec une certaine fainéantise, tout un univers de clichés et de stéréotypes, mais qui sont véhiculés par les acteurs eux-mêmes... Et Minnelli a tenu à associer des leaders noirs et la NAACP à son film. Alors aujourd'hui, certes, cette comédie musicale ne se ferait pas, ou se ferait différemment. Mais on ne va ni la dénigrer ni la brûler, on va se contenter d'y prendre du plaisir, parce que nom d'un petit bonhomme, c'est un classique, un vrai!

 

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Published by François Massarelli - dans Vincente Minnelli Comédie musicale
14 février 2023 2 14 /02 /février /2023 23:26

Dans un hôtel en bord de mer, en Bretagne, un spectacle de magie va mettre le feu aux poudres, la direction dans l'embarras et un couple aux abois! Car Marta (Judith Chemla), la femme du très jaloux et très étouffant Charles (Denis Podalydès), a décidé de participer à ce tour vieux comme le monde, celui de faire disparaître une dame pendant qu'elle est dans une boîte (sarcophage, ou tout autre ustensile du genre)... Mais si elle a décidé de participer, c'est bien pour vraiment foutre le camp. Comme le mari est sous le choc, on lui fait croire que le tour n'est pas fini...

Bon, j'ai décidé de ranger ce film dans le genre de la comédie musicale, mais d'une part, justement, la musique (que Noémie Lvovsky a confié au groupe Feu! Chatterton) a tendance à désamorcer la comédie, et d'autre part la musique et la danse, je sais qu'on est tous supposés chanter sous la douche e savoir danser, mais... comme moi, la plupart des acteurs de ce film ne savent pas. Et l'irritation qui en découle n'adoucit pas, non plus, l'humeur du spectateur!

Bref, c'est raté, dans les grandes largeurs, et malgré le talent, et un texte de base dont Noémie Lvovsky a décidé qu'il méritait bien de se faire triturer un peu, on s'ennuie ferme, un comble pour une comédie bucolique et musicale en costume, qui louche un coup vers Shakespeare (les comédies féériques) et un coup vers Molière (Podalydès est un de ces bourgeois si faciles à duper, mais je vois en lui beaucoup plus un homme devenu fou par la trahison de l'amour, ce qui inspire pitié sinon respect), et ne décolle jamais.

 

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Published by François Massarelli - dans Noémie Lvovsky Comédie musicale
15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 16:56

Il y a trois films en un dans le superbe 42nd street, qui est au passage le premier musical de la Warner dont on a confié les scènes de spectacle à Berkeley: d'abord un film "de spectacle", qui déroule l'argument numéro un de tant de comédies musicales de toutes les époques; on prépare un show, et il est vu sous les angles combinés des répétitions, de la vie des protagonistes, les obscurs et les sans-grade comme les vedettes, dans les joies comme dans les galères. Le personnage qui sert de fil rouge est le metteur en scène/producteur Julian Marsh, interprété par Warner Baxter. Lorsque le film commence, il est au bout du rouleau et a besoin d'argent. Ensuite, il est tyrannique, mais juste, dur mais efficace durant tout le film, et on a l'impression qu'il est sur les genoux... Autour de lui, on assiste aux ballets des chorus girls Ruby Keeler, Ginger Rogers, Una Merkel, des vedettes Bebe Daniels et Dick Powell, ainsi qu'à des histoires impliquant tout un panel de personnages typiques du cinéma de l'époque: un quasi-gigolo (George Brent), un millionnaire-mécène (Guy Kibbee), des hommes de spectacle de toutes obédiences (Ned Sparks, Allen Jenkins)... L'argument a tellement été utilisé, qu'on croirait s'en lasser, mais il n'y arien à faire, la direction d'acteurs nerveuse, le ton résolument à cheval entre un certain réalisme et la comédie, font merveille.

Ensuite, c'est une impressionnante métaphore qu'il nous est donné de voir, d'une Amérique à la recherche d'un certain volontarisme, et dans laquelle un spectacle se crée grâce à tous ceux qui se retroussent les manches. Cette Amérique ne se sortira de la crise que par un effort commun, et Julian Marsh est l'incarnation de cette nécessité. Il est malade, le sait très bien, mais ne peut vivre qu'en accomplissant son art. Et il ne peut absolument pas le faire à moitié. La société qui nous est présentée, symbolisée par la compagnie de Marsh, est égalitaire: lorsque Dorothy (Bebe Daniels) ne peut assurer son rôle, elle est immédiatement remplacée par une novice (Ruby Keeler) qui va porter le show sur ses épaules... grâce à l'effort de chacun. Et lors du finale, le portrait de l'amérique passe par une représentation de la vie urbaine (Un numéro intitulé, justement, 42nd Street), un véritable portrait d'une Amérique qui bouge, faite d'une multitude d'êtres humains de toutes tailles, de toutes origines, lâchés dans une rue reconstruite pour le théâtre. Chacun y jour un rôle, mais la cohésion y est parfaite... un message à peine voilé, qui sera relayé dans les films suivants de la compagnie qui avait pris le train Rooseveltien en marche, mais ne pas le quitter avant longtemps.

Enfin, le plus célébré sans doute des aspects de ce film, 42nd street est typique de cette vague de films WB co-réalisés par Berkeley, dans lesquels la dernière demi-heure laisse la créativité exploser dans tous les coins, en dynamitant les limites du théâtre filmé: si le premier des trois numéros présentés nous est brièvement présenté dans le cadre d'une représentation théâtrale, les deux suivants sont impossibles à réaliser sur scène, et Berkeley, aidé de ses compagnies de chorus girls (Qu'on reconnait d'ailleurs d'un film à l'autre), s'amuse avec la chorégraphie et la géométrie, dans un jeu permanent sur le point de vue et la forme. Et bien sur, le numéro 42nd street est fait de longs plans virtuoses, et possède tellement de figurants, et un tel décor, qu'il est infaisable! Mais c'est un tel bonheur... Le public ne s'y est pas trompé, et le metteur en scène-chorégraphe a mis de la cohérence dans son projet, obtenant la même cohésion pour ses séquences que celle demandée par marsh à sa petite troupe indisciplinée...

Première pierre d'un cinéma Rooseveltien, première oeuvre majeure d'un cinéaste important (Je ne parle pas de Bacon), premier chef d'oeuvre de la comédie musicale qui sortait enfin des carcans médiocres imposés depuis The singing Fool (De... Lloyd Bacon), première pierre donc d'un chemin qui mène à Singing in the rain, excusez du peu... 42nd street est un peu tout ça, en plus d'un spectacle totalement satisfaisant: bref, un film majeur et significatif.

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Published by François Massarelli - dans Comédie musicale Pre-code Busby Berkeley Lloyd Bacon