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Un tueur (Michael Fassbender, jamais nommé), rigoureux, méthodique et très très froid, est en passe d'effectuer une mission, mais elle dégénère: alors qu'à Paris, il allait atteindre un homme qui se trouve dans l'hôtel en face (dans une suite luxueuse), il atteint la prostituée avec laquelle ce dernier passait la soirée. Il échappe à la police, grâce à son sang-froid et sa préparation et s'en retourne chez lui, en République Dominicaine, où il constate que son domicile a été saccagé et sa petite amie agressée. Devinant qu'il s'agit de la rétribution de son ratage, il se lance dans une chasse aux responsables, tout en essayant bien sûr d'échapper à la chasse à l'homme dont il est l'objet...
Froid, donc, calculé, millimétré, le film est presque une synthèse d ela méthode Fincher, dans laquelle on sent le poids du contrôle du metteur en scène, mais aussi la cohérence de ses choix. Un point de vue permanent, rendu aussi lucide, précis et sensoriellement réduit à l'essentiel que possible, se déroule sous nos yeux. Le tout début du film, qui détaille de façon apparemment anecdotique les gestes de préparation, physique principalement, et la curiosité froide du tueur qui s'installe sur les lieux de son crime en exerçant son oeil à capter le moindre détail des alentours, nous renseigne en fait sur cet aspect. Tout ce qu'on verra ensuite durant les 119 minutes du film ressort donc de ce point de vue, celui d'un homme voué intégralement à ce "métier" qu'il exerce avec des principes directeurs à la rigidité parfois contrariée: respecter le plan; anticiper, pas d'improvisation; ne faire confiance à personne; ne mèner que le combat pour lequel on est payé... Bien sûr il pourra toujours prétendre qu'il n'y a rien de personnel, mais en l'occurrence, ce qu'il doit faire dans ce film, c'est quasiment tout le contraire; il est forcé à improviser, à réagir à l'imprévu et à se défendre, alors que ce n'est pas dans son éthique habituellement!
Il en ressortirait même un certain humour à froid, d'autant que la bande son nous habitue très vite à évoluer dans la pensée du bonhomme. Ainsi les plans qui le voient observer la rue au départ nous donnent-ils cette habitude: on le voit se placer à la fenêtre, la voix off nous explique qu'il aime la musique; le plan suivant nous montre ce qu'il aperçoit de la rue, accompagné par la musique des Smiths (le groupe préféré du tueur, qu'il écoute en permanence) qu'il a choisi de lancer sur son portable; le retour au plan initial nous prive soudain de la musique, et seuls les plans qui nous montrent ce qu'il voit, dans la séquence, seront ainsi dotés de musique: une façon directe, pédagogique dans sa simplicité, de nous indiquer sans faille que nous sommes désormais captés dans son point de vue. De même choisit-il, à l'instar de Hitchcock dans Rear window, de ne jamais franchir l'espace qui sépare le tueur de sa victime dans la brillante séquence du meurtre raté. On ne verra l'autre côté donc la chambre d'hôtel, que de son point de vue...
Le jeu sur le regard devient donc, dans un film qui et réalisé par un maître de ce genre de technique, le principal vecteur du geste et de la narration; un regard qui surprendra une fois de plus le spectateur non initié par sa précision, sa froideur, sa rigueur, et parfois son arbitraire. Je pense qu'il faut une fois de plus s'attendre à des commentaires sur la misogynie du réalisateur, puisqu'il nous montre le parcours d'un homme dans son métier, un métier qui exclut toute amitié, et a priori toute communication avec qui que ce soit. Les femmes y sont respectivement: une victime collatérale imprévue (la prostituée); un obstacle à éliminer (une secrétaire); une cible (Tilda Swinton!) et enfin une petite amie, victime collatérale mais de ses ennemis cette fois, et dont la présence à l'écran est tellement réduite qu'elle en devient un prétexte formel à sa vengeance... Du coup la froideur sera inévitablement reprochée au metteur en scène, comme elle peut l'être aussi occasionnelement à d'autres: Mann, Kubrick, Cronenberg voire Lynch parfois en ont tous fait les frais. Et on le sait depuis The game et The Panic Room, chez Fincher la froideur, qu'il adopte le plus souvent pour des raisons morales sur ses films (à plus forte raison quand, comme ici, dans Se7en et dans Zodiac, il est question de serial-killing) a aussi un corollaire inattendu: l'humour... Un humour froid, distancié, profondément noir, mais qui tansparaît parfois lors des irruptions de l'imprévu dans la route toute tracée d'un tueur qui a cru tout pouvoir contrôler.
Bref, même s'il est tout en style, ce n'est pas vraiment une coquille vide. La rigueur avec laquelle Fincher explore le point de vue, en se plaçant ou pas dans l'héritage de ses maîtres (de Hitchcock, donc, à Michael Mann, lui-même responsable d'un film qui s'appelait Thief dans lequel il se plaçait dans la tête d'un voleur cette fois, qui devait faire face lui aussi à la trahison de ses associés), nous rappelle qu'il est sans doute de tous les réalisateurs aujourd'hui celui qui a le plus compris la dimension morale du cinéma, l'art qui place le spectateur au coeur du geste et du choix de ses protagonistes...
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Le premier film de David Fincher est un paradoxe particulièrement intéressant: troisième film d'une franchise à succès, dont les deux metteurs en scène précédents avaient été engagés pour leur faits d'armes respectifs (Le visuellement superbe film The Duellists de Ridley Scott, et la réussite de Terminator malgré son petit budget pour James Cameron), ce nouvel opus a échoué dans les mains d'un metteur en scène débutant, ou du moins qui n'avait jamais réalisé que des clips vidéos et des publicités... Mais Fincher n'était pas le premier choix, loin de là. Renny Harlin, réalisateur de films d'action, devait à l'origine être à la barre (
Mais la sortie d'une version plus longue du film il y a quelques années, a mis en lumière ce qui manquait dans la version courte sortie en 1992, sorte de film à suspense extrêmement bien ficelé, sans beaucoup plus: durant les premières attaques de monstre, un des prisonniers, Golic, se serait persuadé qu'il s'agissait du diable, d'un dragon rédempteur qu'il fallait aider. De simple couleur locale, la religion des hommes de cette planète, devenait un élément moteur du film, et la justification d'un comportement auto-destructeur in fine non seulement pour le détenu Golic, fou et victime du rejet par les autres, mais aussi de la compagnie Weyland-Yutani. Le choix délirant des prisonniers de vénérer un seul dieu, ou dans le cas de Golic un seul diable, finit aussi par annuler toute prétention à la vérité dans le parcours religieux, un acte particulièrement courageux pour un film Américain. Et on peut relier l'histoire de Golic et celle de "John Doe", le meurtrier anonyme de Seven, l'un et l'autre fascinés par le mal jusqu'au sacrifice... Le film porte aussi d'autres traits dont Fincher va devenir coutumier, un aspect glauque qu'on retrouveras Seven et dans The game, une noirceur totale, un univers cloisonné, un refus du compromis habituel sous la forme d'un happy ending de circonstance... Ce réalisateur bien vert, qu'on imaginait aisément contrôler, a réussi à faire avaler à Sigourney Weaver qu'il lui fallait mourir à la fin du film, et qu'elle devait aussi se faire raser la tête: pas mal pour un débutant.
Quoi qu'il en soit, c'est une version de compromis qui sortir en 1992, réduite du tiers environ, et débarrassée de la sous-intrigue de Golic, entre autres. Fincher éjecté, le film subira quelques retouches, mais on peut aujourd'hui en voir les contours dans la "version de travail" plus proches des intentions du réalisateur, avec ses qualités (Un incomparable talent dans l'installation d'une atmosphère, dont on peut penser que les producteurs de Seven s'en souviendront) et ses défauts (Le choix de passer par des effets numériques pas encore totalement au point). Non seulement le film, bien qu'il ait été un échec commercial, m'apparait comme le deuxième meilleur film de toute la saga derrière le premier Alien de Ridley Scott, mais il confirme la naissance d'un grand réalisateur, qui nous a rarement déçu depuis.
Quand on y pense, il n'y a pas grand chose qui ressemble à Seven, du moins dans ce qui est sorti auparavant; on peut quand même reprendre l'hypothèse (D'ailleurs confirmée par les commentaires audio de Fincher sur certains films) qu'il ait été influencé par Michael Mann et son Manhunter (1986), d'autant que ce dernier film repose sur le lien qui s'établit entre un tueur et un "profiler", celui-ci étant sollicité jusqu'aux limites de l'identification; on peut sans aucun doute attribuer l'existence du script de Seven au grand succès de Silence of the lambs, de Jonathan Demme, qui a remis le thriller au gout du jour en obtenant une inattendue distinction pour un film de ce genre: la statuette de meilleur film aux Academy awards de1991... Si ce n'était pas clair à l'époque de la sortie du film alors que le bleu Fincher était un quasi inconnu, le reste de sa carrière a confirmé que si le metteur en scène s'est acquitté d'un travail exceptionnel, ce qu'on prenait pour une fascination exercée par le mal sur le metteur en scène est une fausse piste. Bien sur, il s'intéresse au mal, mais ce qui frappe aujourd'hui, après avoir vu les films ultérieurs, en particulier The panic room, Zodiac, The social network et The girl with the dragon tattoo, c'est l'étonnante posture morale du metteur en scène. Lui qu'on accuse à tort et à travers de faire dans l'excès de virtuosité, est surtout un champion du placement juste et rigoureux, de la scène parfaitement accomplie, et a su se placer sur un terrain mouvant en sécurité, montrant la fascination exercée par le mal sur des êtres en prise directe avec le crime, mais à bonne distance... Ses films sont d'abord et avant tout des histoires consacrées à des êtres mus autant par une vision morale qu'une obsession savamment contrôlée, ...jusqu'à un certain point de rupture.
Mise en scène, planification, ces mots sont de fait communs au vocabulaire de Fincher et de Doe. On le sait, Seven est un film dur, de par l'inventivité des scénaristes, qui se sont surpassés pour donner à voir une "oeuvre" novatrice de la part du film. C'est sans doute de cette donnée que vient la réputation usurpée de complaisance du metteur en scène. Mais ce qui a vraiment attiré Fincher est ailleurs... On n'a que rarement filmé avec tellement de détresse la noirceur du crime. Le film reste un des plus étouffants et claustrophobes de la carrière de Fincher, avec ses plans de ville ruisselante de pluie, ses petits matins blêmes, et ses conversations autour d'un cadavre à faire vomir. Le rythme, la façon dont le metteur en scène manipule le suspense, et la montée de la tension, tout concourt à faire de Seven une expérience, un voyage un peu hallucinogène, en dépit de l'extrême rigueur narrative. C'est dire si le deuxième long métrage d'un petit génie inconnu a mérité son succès énorme. Il sera aussi beaucoup imité, mais c'est sans importance: il est, de fait, unique.
Pourquoi faire un remake d'un film récent? On peut se poser la question, mais chacun sait que c'est une tendance effectivement, afin de rendre disponibles au public Américain des intrigues qu'ils auront manqué s'ils détestent les films étrangers. Avant de s'en plaindre, rappelons que le doublage est encore pire, et de toute façon il ne s'agit ici nullement de faire le procès de Fincher à ce sujet. En effet, le film Américain a sur son prédécesseur, le film de Niels Arden Oplev, une série d'avantages non négligeables. Et de plus, je ne suis pas sûr que Fincher l'ait vu, ayant d'abord et avant tout réalisé l'adaptation d'un livre. ...Dont il ne sera ici plus question. Il ne sera plus question ici non plus du très médiocre film Suédois, qui ne m'a laissé aucun autre souvenir que celui d'une profonde irritation, et l'impression d'assister à un téléfilm Allemand pour Arte, mais en Suédois, bourré de révolte en carton.
D'une part, Fincher a comme d'habitude fait un travail époustouflant de localisation, s'aménageant l'espace comme il l'avait fait en particulier pour Zodiac. Les deux films possèdent d'ailleurs un trait commun, à travers les obsessions d'un certain nombre de personnages, à commencer par Blomkvist (Daniel Craig). Quoi q'il en soit, la Suède devient ici un véritable paysage de film noir, sans rien perdre en couleur locale, ce qui était, on le verra, important. D'autre part, il a bien évidemment fait comme d'habitude, et on peut lui faire confiance pour cela: là ou bien des remakes Américains de films Européens sont aseptisés, celui-ci est plus dur, plus violent, par le recours à un point de vue aussi peu nihiliste que possible. contrairement à ce qu'on pourrait croire, la colère permanente de Salander est motivée par des sentiments, et le metteur en scène touche au plus près de la violence: criminelle (L'insupportable anecdote du chat), sexuelle (le viol répugnant, filmé par sa victime), et politique (Nostalgie bien implantée du Nazisme). Cela repose sur une caractérisation fantastique de Rooney Mara, qui a énormément donné pour ce film, et sur une réappropriation impressionnante du personnage par le metteur en scène./image%2F0994617%2F20241229%2Fob_91f59f_images.jpg)
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