
Le dernier film muet de Dupont est situé, comme son nom l'indique, en plein coeur de Londres, dans le milieu du spectacle, continuant de façon évidente la thématique de Variétés (1925) et Moulin Rouge (1928). Aux acrobates du film Allemand, et à la danseuse de son premier film Anglais, il oppose cette fois le patron du night-club le plus en vue de London by night, interprété par Jameson Thomas, et deux femmes toutes deux danseuses, qui se livrent une concurrence sournoise pour le coeur de l'homme précité: Mabel, interprétée par Gilda Gray, et la belle Shosho, ancienne plongeuse de l'établissement promue vedette grâce à la fascination du patron pour elle, interprétée par Anna May Wong. Le film était produit dans cadre de la British International Pictures, dont le but avoué (Dès la dénomination, en fait) était de porter hautes les couleur du cinéma Britannique sur les cinémas du monde entier... D'où la présence dans la production de deux recrues de choix: le metteur en scène, dont le succès de Variété en 1925 (1926 pour le reste de la planète) était encore dans toutes les mémoires, et bien sur Anna May Wong.
Cette dernière n'a jamais eu l'aura qu'elle méritait, en même temps, sa présence presque systématiquement "en contrebande" lui a conféré un statut d'icône underground qu'elle n'aurait sans doute pas eue, si elle avait réellement été mise en valeur par les grands studios, au-delà de son image quasi-permanente de second rôle incarnant de façon fleurie, colorée et souvent raciste, les mystères de l'orient... Dans ce film qui la voit jouer une danseuse parvenue à un niveau de vie inattendu et miraculeux, mais qui semble consciemment pratiquer la promotion canapé, et finira mal, elle n'échappe pas à l'habituelle incarnation de la séduction érotique, mais elle bénéficie d'un rôle plus avantageux que d'habitude, devenant par la grâce d'un meurtre, l'objet littéral du délit: fortement érotisée (En dépit des restrictions particulièrement drastiques imposées par la censure Britannique), convoitée par tous les hommes, Shosho ne pouvait que finir mal. On s'interroge sur la portée réelle du film quand on voit que le crime, les bas-fonds (Ah, Limehouse...), la pauvreté et la pègre sont intimement liées dans le film à la communauté Sino-Britannique, mais on constatera aussi qu'une scène nous montre une boîte de nuit "canaille" de Limehouse dans laquelle, en apparence toutes les ethnies présentes dansent ensemble, et Shosho et son amant et patron semblent être en sécurité... jusqu'à ce que le patron de l'établissement intervienne et sépare un coupe: elle, blanche, a osé danser avec un noir: pas de ça dans mon bar! Ainsi le racisme supposé est-il pointé du doigt...
Du reste, Shosho danseuse parce qu'elle la bien voulu, est après tout une femme de son temps, plus opportuniste que fatale qu'un amant fou de jalousie supprimera, et qui restera bien malgré elle à l'écart de cette bonne société qu'elle avait cru conquérir. Et Dupont, qui filme souvent dans le monde du night-club, n'oublie jamais le Londres populaire, qui envahit chaque plan tourné à l'extérieur des boîtes de nuit chic. Et c'est ce Londres populaire, qui va d'ailleurs dominer le grand cinéma Britannique des années à venir, par les Hitchcock, Asquith, et autres, qui semble ici avoir le dernier mot...
Il y a peu à dire sur l'interprétation, qui souffre après tout d'un mal inévitable: comment peut-on rivaliser avec Anna May Wong? Celle-ci, comme en témoigne la suggestive affiche ci-jointe, qui est fort menteuse puisque jamais la belle Chinoise ne se dénude dans le film, reste l'argument de vente numéro un. Et comme prévu, aussi bien la danseuse Gilda Gray, que l'acteur Jameson Thomas ne seront à la hauteur flamboyante de leur co-star... De même le film est-il, surtout en comparaison de Variétés, assez inégal. Dupont a une science bouillonnante de l'usage de la caméra qui semble se déclencher de manière intermittente, au gré de ses envies. C'est souvent virtuose, parfois brillant, mais le film reste, après tout, un mélodrame... dont le sommet visuel, bien entendu, est une scène de meurtre! Mais le metteur en scène multiplie les plans situés "à côté" de l'action comme s'il anticipait sur le parlant, et ça, ce n'est as banal: par exemple, les rapports entre Wilmot, le patron, et Shosho, ont mal commencé. Il l'a virée de la cuisine parce qu'à cause d'elle et d'une assiette sale, un client (Le tout jeune Charles Laughton) a gâché un numéro. Ils se rencontrent en bas d'un escalier en colimaçon, commencent à discuter... La caméra s'éloigne, et on voit alors un veilleur de nuit, un vieux bonhomme qui les voit, s'arrête, les écoute, et tout à coup manifeste un étonnement. La caméra retourne sur eux, désormais, qui montent l'escalier. La conversation aurait-elle pris un tour coquin? Dans ce genre de réactions des dizaines de figurants et acteurs de petits rôles qui sont si nombreux dans le film, réside finalement tout le prix humain de la production. Coûteuse, certes mais qui a rapporté... Pas mal pour un film muet, qui plus est Britannique, en 1929...