Dans un journal, on cherche à réaliser un reportage sur une réunion de dames de la haute société, et surtout sur une jeune femme, un parti très en vue. La tâche qui est assignée à Eddie, le zélé photographe maison, est ardue, car la maîtresse de maison (Josephine Crowell), tutrice de la jeune femme, est totalement hostile à toute publicité...
A la fin des années , Edward Everett Horton, qui n'avait pas réussi à s'imposer malgré l'indéniable qualité de son travail et un talent évident, s'est vu proposer une deuxième chance pour briller dans la comédie muette: un contrat avec Paramount, qui prévoyait de le placer en vedette de courts métrages de deux bobines, sous la bannière de Hollywood pictures. Retrouvés aujourd'hui grâce à l'insistance de Ben Model pour les sortir des coffres de la bibliothèque du Congrès, ces films présentent un comédien doué, unique en son genre, bien que dans une mouvance très proche d'un Harold Lloyd (en moins athlétique, forcément) et Charley Chase (en bien moins culotté!). Et pour cause: le producteur jamais crédité de ces courts était Harold Lloyd lui-même, qui maintenait son équipe (Jay Howe, Walter Lundin...) au travail pendant qu'il préparait méticuleusement ses longs métrages. Rien d'étonnant à ce que ces petits films aient un sérieux air de famille avec l'univers de Lloyd et d'Hal Roach.
On s'attendrait à ne regarder ces films que par curiosité, en y cherchant ce qui les rattache à Lloyd... Surprise: Horton, qui paie en permanence de sa personne, n'est pas que le futur comédien à la voix si distinctive et à l'hésitation si orale. Il est aussi un grand comédien visuel, inventif et attachant. Ici, il se déguise en femme pour le meilleur et le meilleur, et contrairement à d'autres (Langdon, Chaplin) il a même un privilège final: He gets the girl.
Helen Brown, une jeune psychiatre (Natalie Wood), vient de sortir un livre à succès: Sex and the single girl, dans lequel elle éclaire la nouvelle donne des rapports maritaux, et comme le dit une expression vue dans le film, 'pré-maritaux'. Ce sont les années 60, et le livre est un énorme succès... Du coup la jeune femme est dans l'actualité et devient la cible de la presse à scandales: en particulier, le magazine Stop, dont le propriétaire (Edward Everett Horton) est très fier d'avoir fait un infâme torchon, publie une série d'articles pour douter de la véracité de ses recherches et lancer l'hypothèse qu'elle serait vierge. Pour Bob Weston (Tony Curtis), principal reporter du magazine, la mission est simple: la séduire et prouver au monde qu'elle n'a pas la moindre idée de ce qu'elle raconte... Pour l'approcher, il va trouver un stratagème, inspiré par les difficultés de couple de ses voisins (Lauren Bacall et Henry Fonda)...
Bon, je pense que vous aurez remarqué les noms des acteurs. Ca fait presque trop beau pour être vrai, et pourtant c'est la réalité. Vous pouvez d'ailleurs ajouter, pour faire bonne mesure, Mel Ferrer dans un rôle secondaire! Quine utilise par ailleurs la publicité autour d'un livre authentique, dont il a fallu acheter les droits d'adaptation avant de se lancer dans une comédie dont le propos principal est de railler la psychiatrie au féminin et la sexualité vue par une jeune femme, on peut donc se demander légitimement ce que le vrai Dr Brown a bien pu penser du film!
Trois axes de comédie, essentiellement, ici; d'un côté, bien sûr, le film se situe dans la droite ligne de la "nouvelle donne" des années 60 durant lesquelles le cinéma mondial va patiemment attaquer la censure et de plus en plus aborder avec la franchise voulue tous les sujets. Sans nul doute, en 1964, le film était scabreux. Aujourd'hui... beaucoup moins, même si la scène durant laquelle Tony Curtis et Natalie Wood, uniquement (dés)habillés de peignoirs (dont un très révélateur, celui de Curtis bien entendu), se tirlipotent à qui-mieux-mieux dans une semi-pénombre, interpelle forcément un peu... ensuite, le film fait sans doute appel à Edward Everett Horton afin de rappeler deux courants de la comédie: durant l'époque pré-code, il a participé à quelques films formidables pour Lubitsch; ensuite, la screwball comedy dans le prolongement du cinéma Américain, a souvent fait appel à lui aussi. Quine semble s'inspirer dans divers aspects de son film, de ces deux courants.
...Mais c'est long, excessif et pour tout dire assez décevant. Fonda et Bacall sont gâchés, Natalie Wood en fait tellement qu'elle en fait nécessairement trop. Curtis, lui, est dans son élément, réussissant comme il le fait si bien dans Some like it hot à rester lui-même tout en pratiquant avec assiduité une solide dose d'auto-dérision. Il découle d'ailleurs un gag de ce rappel du film de Wilder: on confond constamment Bob Weston avec... Jack Lemmon. Un final burlesque (lui aussi trop long) avec course-poursuites absurdes réussit presque à sauver le film, mais il reste que Quine a quand même probablement visé les féministes, dans une comédie qui ressemble souvent à un coup bas...
Laura Seton (Mary Astor) va se marier avec Johnny Case (Robert Ames). Elle est une jeune héritière, qui vit dans une gigantesque demeure, où toute la famille est installée: le père (un magnat à succès de la finance), et ses trois enfants. Outre Laura, il y a aussi Linda (Ann Harding) et Ned (William Holden, mais pas le même!). Autant Laura est à l'image de son père, hautaine et coincée (elle croit dur comme fer qu'elle va posséder son mari, et que se marier avec lui va le hausser à son niveau à elle), autant Ned, qui aurait du mal à cacher son alcoolisme, et Linda sont humains et pétris de fantaisie. Du reste, Linda ne perd pas de temps avant de constater qu'elle en pince sérieusement pour Johnny, qui de son côté a du mal à accepter la façon dont les deux Seton qui mènent tout le monde par le bout du nez, semblent s'occuper de son avenir sans lui demander son avis...
C'était une pièce à succès, dont l'adaptation la plus célèbre n'est pas ce film: il s'agit de l'adaptation par George Cukor, en 1938, réalisée pour la Columbia (ici, c'est un film tardif réalisé pour Pathé peu de temps avant que sa branche Aéricaine ne périclite). On s'attendrait à ce que Edward Griffith se contente de filmer platement les scènes, il n'en fait rien, anticipant parfois le cinéma d'un Capra avec l'utilisation de caméras multiples pour permettre aux acteurs de continuer à délivrer un texte comme au théâtre, tout en rendant possible un montage plus élaboré: un bon point, donc... Pour le reste, on voit venir l'idylle entre Hardin et Ames avec une bonne demi-heure d'avance, et Griffith donne à Mary Astor la scène inévitable de ces années pré-code, à savoir une séquence en déshabillé vaporeux...
Soyons indulgents envers un film qui a manifestement survécu contre vents et marées, et qui montre souvent des signes de décomposition qui ne trompent pas... Sans compter que le film bénéficie du jeu étrange mais toujours inspiré de Ann Harding, injustement oubliée (mais pas de tout le monde!), et s'illumine lorsque apparaît le grand Edward Everett Horton; justement, c'est le seul acteur présent dans les deux versions, et dans le même rôle par-dessus le marché!
Ceci est le premier film tourné par Lubitsch depuis The merry widow qu'il avait livré à la MGM en 1934, au moment du renforcement du code de production. Le metteur en scène avait supervisé pour la Paramount la production de Desire (1936), de Frank Borzage, qui portait partiellement sa marque, et dont on peut légitimement penser qu'il avait espéré le tourner... Mais Angel sera son film de retour, et il a la fâcheuse réputation d'être un film à part, voire un film raté, pour le grand réalisateur, au contraire de ses trois films suivants. C'est dommage car c'est tout sauf mérité...
Dans Angel, une femme rencontre un homme: Maria (Marlene Dietrich), une mystérieuse jeune femme venue d'on ne sait trop où, débarque à Paris et se réfugie chez une grande-duchesse, dans le but de s'encanailler. Au même moment arrive Tony Halton (Melvyn Douglas), un playboy à la recherche de bon temps. Il se trouvent, s'aiment, se séparent. Aucun des deux ne sait rien de l'autre, si ce n'est que Tony a décidé de baptiser celle dont il ignore le nom Angel...
Revenue à Londres, Maria retrouve son mari Sir Frederick (Herbert Marshall) qui décidément n'a pas de temps à lui consacrer: il est diplomate, et parcourt le monde dans le but d'empêcher la guerre. Mais un jour il rencontre un ancien compagnon d'armes: Tony Halton. Il l'invite chez lui...
C'est une épure, un film court et incisif qui va donc droit au but. Le metteur en scène de comédie calme le jeu et exige de tout un chacun un jeu aussi austère que dramatique, y compris pour l'humour: une sorte de froideur, ou une impression de froideur, qui a peut-être gêné, tant il est vrai que les films précédents de Lubitsch (à plus forte raison ceux avec Maurice Chevalier) gardaient toujours un soupçon de folie ou de décalage ouvertement comique. Ici, même les discussions entre les domestiques (qui rejouent la partition de leur employeurs, dans un échange mémorable où Edward Everett Horton fait une fois de plus la preuve éclatante de son génie) sont sous-jouées. Ce qui n'empêche pas l'humour, comme dans cette scène souvent citée en exemple du cinéma de Lubitsch, où les gens de cuisine nous font vivre par procuration le repas compliqué qui a lieu dans l'autre pièce (c'est l'occasion pour Sir Frederick de remettre en contact son épouse et son ami, sans savoir qu'ils ont été amants) en commentant ce qu'ils ont laissé dans leurs assiettes.
N'empêche, ce mélodrame comique, cette comédie en forme de requiem à un amour perdu d'avance, est un grand film, qui trouve dans sa forme unique en son genre une beauté certaine. Lubitsch savait parfaitement ce qu'il faisait en plus, en confrontant Marlene Dietrich (privée, heureusement, de sa chanson contractuelle: ouf!), encore déboussolée d'avoir perdu le soutien de Josef Von Sternberg, d'un côté, et Herbert Marshall, dont l'accent et la voix flegmatique cachent à peine la souffrance qui est la sienne: l'acteur avait perdu sa jambe durant la guerre, et souffrira toute sa vie de complications. Bien qu'unijambiste, il mettait un point d'honneur à jouer aussi souvent que possible debout. Et cette souffrance ajoute à son personnage poignant... Oui, c'est une comédie, mais aucune loi au monde n'impose à la comédie de ne parler que de choses gaies, non?
Tout a une fin... Comme la période dite pre-code, par exemple, qui s'est finie en 1934-1935 lorsque les studios ont été priés de cesser de ruer dans les brancards et de se conformer à un certain nombre de règles édictées par un groupe de pères-et-mères-la-pudeur... Comme par hasard, c'est aussi la période durant laquelle la collaboration légendaire mais probablement un brin vénéneuse entre Sternberg, Dietrich et la Paramount prend fin. Et c'est avec ce film que l'histoire cesse...
Adapté du roman La femme et le pantin de Pierre Louys, déjà adapté deux fois auparavant (et ce ne serait pas la dernière fois), il raconte les amours hautement improbables de Concha Perez (Marlene Detrich), intrigante collectionneuse, et de toute l'Espagne: toreadors, fascistes ou révolutionnaires, militaires ou brigands, tout le monde y passe semble-t-il. La première partie est un peu un passage de relais: Don Pasqual (Lionel Atwill), qui connaît bien la belle, raconte à son ami Antonio (Cesar Romero) ses aventures malheureuses avec celle qui lui a brisé le coeur. Antonio qui était auparavant intrigué, jure qu'il n'essaiera pas de la séduire, mais... se précipite dans ses bras quand même. Les deux hommes iront jusqu'au duel.
C'est un bien étrange film, trop riche sans doute pour être honnête, et dont les coutures sont parfois soulignées par d'évidentes coupes. Pas étonnant dans la mesure où, en cette époque de tentative de coup de frein sur les turpitudes du cinéma, Sternberg n'a pas choisi un matériau très présentable... Il est donc court, et apparaît très concentré. De plus, l'atmosphère semble constamment hésiter entre le mélo baroque à la Morocco, et la comédie, pour laquelle un personnage (irrésistible) a été confié à rien moins que Edward Everett Horton soi-même!
Sternberg (qui avec une certaine ironie s'est débrouillé pour que Lionel Atwill lui ressemble étrangement) signe non seulement la direction mais aussi la photographie, et c'est le point fort du film: son style qui se joue de tout (les décors stylisés et étouffants, les costumes excessivement étranges de Travis Banton pour l'actrice, et bien sûr il maîtrise les éléments: pluie, brume, lumière et ombre. mais cette intrigue dans laquelle Lionel Atwill doit se battre contre Cesar Romero, pour une intrigante qui fait aussi Espagnole que moi je ressemble à un Inuit, et qui par-dessus le marché chante horriblement mal, me laisse froid, mais alors froid... Comme un igloo.
L'un des films les plus connus de son auteur, mais c'est un paradoxe, car en réalité Capra honorait ainsi une commande, avant de s'engager dans l'armée à sa façon, puisqu'il participera en cinéaste à l'effort de guerre. La Warner avait distribué Meet John Doe, son premier film indépendant après sa longue période à la Columbia. Meet John Doe étant un échec commercial, il est probable que le studio demandait ainsi à son réalisateur star d'un jour, un rattrapage...
La pièce de Joseph Kesselring était dores et déjà un succès énorme, et empêchait la sortie du film avant 1944. Mais le principal enjeu de ce qui ne pouvait qu'être un succès cinématographique à son tour, était de faire du cinéma avec du théâtre. Des ajouts ont été effectués à l'intrigue et au dialogue, principalement au début, pour donner un contexte proche de la screwball comedy: le pointilleux critique dramatique Mortimer Brewster (Cary Grant) va se marier avec Elaine (Priscilla Lane) et avant de partir en lune de miel, il passe chez ses tantes adorées, deux vieilles dames excentriques qui vivent avec l'un des deux frères de Mortimer, Teddy: celui-ci, atteint d'une douce folie, se prend pour Theodore Roosevelt. Chemin faisant, Mortimer va découvrir que les deux coeurs d'or se sont lancées dans une mission: supprimer des pauvres hères isolés pour alléger leur misère. Elles s'apprêtent d'ailleurs à enterrer le douzième à l'arrivée de leur neveu...
Et la cerise sur le gâteau, c'est que le troisième des frères Brewster, Jonathan (celui qui a mal tourné), revient se cacher chez ses tantes, avec deux "amis": le mystérieux "Docteur" Einstein, et un cadavre en plusieurs morceaux. Menaçant et très énervé contre son comparse qui lui a bricolé la tête de Boris Karloff en guise de camouflage, recherché par les polices de tous les Etats-unis après son évasion, Jonathan va semer la pagaille... Et Mortimer qui se rend compte qu'entre ses deux frères et ses deux tantes, il est plutôt servi, n'est pas près de partir en lune de miel...
C'est un festival de rire, de gags et de grands moments de jeu. Ce n'est pas subtil, non, et on voit bien que Cary Grant avait comme mission d'en faire des tonnes, développant avec génie un art de la réaction extrême qui tient autant du cartoon que des traditions de la comédie. Et si Capra est un peu en vacances, à l'écart de son univers, il est évident, d'une part, qu'il a pris sa mission d'adapter une pièce avec sérieux, et ne s'est pas contenté de filmer, loin de là (sa technique est exceptionnelle, et son montage renversant de réussite, créant un tempo et une tension formidable), mais ça ne l'a pas empêché de diriger ses acteurs comme il savait si bien le faire dans ses comédies. Et il est servi! Raymond Massey, Peter Lorre, Jack Carson, James Gleason, Edward Everett Horton, sont tous brillants. Pas de quoi bouder son plaisir: ...Chaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaarge!!
C'est avec ce film que Lubitsch va prendre congé de la Paramount où depuis 1928, et à deux exceptions près (Eternal Love en 1929 et The merry Widow en 1934) il a dirigé des films importants tout en étant souvent considéré de façon plus ou moins officieuse comme le directeur général du studio... Un studio où à n'en pas douter il devait faire grincer quelques dents chez les DeMille et consorts. Mais peu importe: les années 30 n(ont été qu'une suite de films brillants pour lui, et il a imposé sa marque, et quasiment créé un genre à lui tout seul, repris avec bonheur par d'autres, en non des moindres... Car à sa suite, Hawks, Preston Sturges et Mitchell Leisen ont offert leurs variations de la Screwball comedy, et bientôt Billy Wilder suivra.
Puisqu'on en parle, justement, c'est un moment important aussi dans la carrière de ce dernier puisqu'avec ce film, il commence à travailler pour celui dont il prendra plus ou moins la suite. Remake d'un film de Sam Wood en 1923, adaptation d'une pièce Française, Bluebeard's eighth wife est aussi un script de Charles Brackett et Billy Wilder, et c'est le premier d'une longue lignée, dans laquelle suivront Midnight, Ninotchka et Ball of fire, puis bien sûr les propres films de Wilder. Tout ça pour dire qu'on est un peu face à un important passage de relais...
Dans un magasin de la Côte d'Azur, le richissime Américain Michael Brandon (Gary Cooper) vient faire un achat revendicatif: il souhaite en effet acheter une veste de pyjama sans pour autant s'encombrer d'un pantalon qu'il ne mettra de toute façon pas. Il y rencontre la belle Nicole de Loiselle (Claudette Colbert) qui vient justement acheter un pantalon de pyjama pour son papa, un noble désargenté. Le dit père, le Marquis de Loiselle (Edward Everett Horton), est justement en contact avec Brandon, dont il espère le soutien pour une invention. Brandon décide d'épouser la jeune femme, mais il commet deux erreurs: d'une part, il l'a choisie sans vraiment la consulter, ce qui n'est pas (trop) grave puisqu'elle s'avère consentante; mais surtout il a négligé de lui confesser qu'il avait déjà été marié... sept fois, et divorcé six: l'une de ses épouses est décédée. Du coup, Nicole décide de lui mener une vie infernale...
Tout film ressortissant de ce style qu'on appelle la screwball comedy est très dépendant de ses vedettes, et on peut se réjouir du fait que Gary Cooper et Claudette Colbert soient associés. L'actrice a même priorité sur l'acteur au générique, et les deux personnages, deux fortes têtes, sont à égalité. La satire du mariage, émaillée de saillies ironiques à l'égard de l'institution, est datée mais fonctionne toujours aussi bien grâce à la vivacité du script. Mais le film agit aussi en distillant un humour féroce et gonflé, qui multiplie les petits jeux de cache-cache avec le code de bonne conduite édicté par les ligues de décence... Bref, on le savait déjà, mais le film le confirme et promet des beaux jours: on ne peut pas museler Ernst Lubitsch.
Et celui-ci, qui tourne un film souvent pétillant, est à la fête avec cette histoire risquée de mari frustré, au régime affectif sec et qui fait des efforts surhumains pour essayer de conquérir son épouse. Une épouse acquise, mais qui a décidé de faire une affaire de principe de s'imposer à son mari sur ses propres termes... C'est sans doute cet aspect un peu abstrait qui gène les commentateurs du film, qui considèrent souvent le film comme un exercice plaisant mais mineur dans la carrière de Lubitsch. Le fait est qu'on ne s'y ennuie jamais, et que les nombreuses marques de la "touche Lubitsch" s'y succèdent comme à la parade: variations sur un même thème (le pyjama, qui sert à la fois de "petit caillou" en permettant à Brandon de reconnaître Loiselle au premier regard, mais qui sert aussi de cri de ralliement masculin, quand on voit par exemple le patron du magasin sortir de son lit sans pantalon pour répondre au téléphone, sans parler des nombreux quiproquos et "double-entendres" apportés par ces histoires de veste sans pantalon!), situations basées sur la hiérarchie, vieil héritage Berlinois, partagé entre le Berlinois Lubitsch et le Berlinois d'adoption Wilder (Quand un problème touche les sous-fifres du magasin, ils se rendent chez le vice-président, qui dans un plan muet décide illico... d'appeler le président! On retrouve cette montée ironique et fulgurante dans l'échelle sociale, dans le sketch tourné par Lubitsch pour l'anthologie If I had a million), raccourcis cinglants (quand Claudette Colbert échoue à entrer dans la maison de repos où est Michael, un institut tenu par un spécialiste des cas extrêmes et notamment des gens qui se prennent pour des animaux, le père va sonner, et quand l'infirmière l'entend aboyer elle le laisse entrer derechef!) et bien sûr gags essentiellement visuels (ici, une séquence nous montre Michael prendre en exemple les comportements décrits par Shakespeare dans The taming of the shrew, dans une séquence très drôle dont le seul mot sera d'ailleurs "Shakespeare")... Bref: tout y est!
Et l'univers de Lubitsch est en prolongement de celui qu'il exploré depuis les années 20, avec un personnage secondaire de secrétaire timoré interprété par David Niven: non seulement il est excellent, mais il confirme cette tendance déjà explorée avec bonheur par le metteur en scène dans The marriage circle et dans One hour with you: quand un homme sent qu'il a un rival pour l'affection de sa femme, c'est déjà terrible. Mais si en plus c'est un minable, alors là rien ne va plus!
La dernière des opérettes de Lubitsch avec Maurice Chevalier et Jeannette MacDonald ne peut pas être considérée comme pre-code stricto sensu, compte tenu de sa date de sortie: en octobre 1934, le code Hays est en pleine application... Pourtant beaucoup d'aspects de cette production MGM la rattachent aux quatre films Paramount sortis entre 1929 et 1932: la présence des deux stars bien sûr, chacun d'entre eux ayant participé à trois des quatre films précédents; l'esprit global de polissonnerie ensuite, la légèreté ambiante et la fameuse "Touche" de Lubitsch...
Le petit royaume de Marshovia a un problème: sa principale richesse est une dame, une veuve richissime (Jeannette MacDonald), mais dont le veuvage a fini par lasser le patriotisme; elle est donc partie chasser ses idées noires à Paris. Le principal coureur de jupons du royaume, le capitaine Danilo (Maurice Chevalier) est donc envoyé en mission afin de ramener la dame, si possible à son bras, afin de garder la fortune de la "veuve joyeuse" à Marshovia. Mais deux imprévus se glissent sur le chemin de cette tentative de normalisation: la belle veuve tombe amoureuse du capitaine, et le capitaine tombe amoureux de la belle veuve. Et dans cette histoire, croyez-moi, c'est un problème...
Le film doit beaucoup, bien sûr, au fait que la MGM ait produit une version célèbre et très différente dans son esprit, sous la direction de Erich Von Stroheim en 1925. Une deuxième preuve, après l'engagement de Lubitsch pour tourner The student Prince in Old Heidelberg en 1927, de l'assimilation du Viennois Stroheim et du Berlinois Lubitsch dans l'esprit des décideurs du studio! Mais The merry widow, version musicale, est pourtant du pur Lubitsch, du début à la fin, si on veut bien fermer les yeux sur les intermèdes dansés qui sont à des années lumières en arrière des prouesses de Busby Berkeley à la Warner.
On se réjouira de voir que Lubitsch a su conserver l'esprit frondeur de son film, en dépit des tentatives d'atténuer la coquinerie de l'ensemble: le fait que Danilo et Sonia par exemple se soient vus avant leur rencontre programmée, et aient manifesté clairement leur envie de se revoir, fait d'eux des amoureux raisonnables au pays de Tonton Louis B. Mayer... Mais c'est contrebalancé par la scène durant laquelle le roi tombe dans ses appartements nez à nez avec Danilo très occupé avec la reine. Celle-ci du reste est interprétée par Una Merkel, une garantie que le ton ne sera pas trop emprunté. On verra aussi Edward Everett Horton: donc si le film reste un cran en dessous des quatre autres musicals cités plus haut, il mérite amplement le coup d'oeil...
Le Paradis du titre? D'abord, Venise: on le visite, Lubitsch oblige, en commençant, hum, par les coulisses. Un tas d'ordure est véhiculé... vers une gondole. Typiquement, le metteur en scène qui aurait pu se contenter d'un plan de la lagune, et d'un élégant titre, n'a pas pu s'empêcher d'être inventif. Puis la majeure partie du film se situe dans un autre Paradis, à Paris, dans la très haute société.
Le "trouble" du titre, quant à lui, est soit le fait que dans la haute société, il y a des gens qui ne sont pas forcément de la plus grande honnêteté, car ils ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche, comme on dit... Alors ils volent la cuillère. Ou alors, ce fameux "trouble" pourrait tout aussi bien être l'amour, ce sentiment intempestif qui arrive comme un cheveu sur la soupe et gâche tout en faisant intervenir les sentiments là où on n'en a pas besoin...
A Venise, un voleur-escroc internationalement connu, Gaston Monescu (Herbert Marshall), rencontre Lily (Miriam Hopkins), une voleuse qui a un certain talent. Comme ils se volent mutuellement avec une adresse qui les stupéfie mutuellement, ils savent qu'ils sont faits l'un pour l'autre, et s'associent. Monescu vient justement de voler un homme d'affaires dans sa chambre d'hôtel, le Parisien François Filiba (Edward Everett Horton).
Le couple, des années plus tard, se rend à Paris, attiré par les bijoux de la belle Madame Colet, héritière des parfums Colet et Cie. Durant un opéra, c'est un jeu d'enfant pour Monescu de voler un sac orné de diamants, appartenant à la charmante veuve (Kay Francis), d'autant que celle-ci est flanquée de deux prétendants aussi ridicules qu'inutiles: le Major (Charlie Ruggles), et son ennemi juré se disputent les faveurs de Mariette Colet. Lennemi en question n'est autre qu'un certain... François Filiba.
Mais une fois le sac volé, Monescu apprend que sa propriétaire donnera une récompense de 20000 Francs à qui le lui rendra. Sous le nom d'emprunt de Gaston La Valle, il va lui rendre l'objet, empocher la prime, et... devenir son secrétaire. Et plus, si affinités.
Après cinq films parlants, dont quatre comédies musicales, Lubitsch s'attaque enfin à une comédie sentimentale, qui reprend un thème déjà très présent dans certains de ses films, notamment The student prince (1927) et The smiling lieutenant (1931): la barrière des classes. Le triangle formé ici par La voleuse, le voleur aux manières de dandy, et la bourgeoise, aussi raffinée et adorable soit-elle, nous rappelle que certaines barrières sont infranchissables, et qu'il est inévitable, quel que soit le désir de l'un comme de l'autre, que Gaston "La Valle" et Mariette Colet finissent leurs vies ensemble... Mais en attendant de faire ce constat, ils auront pu rêver un peu.
Et puis Lubitsch creuse d'autres pistes, bien sur, continuant de s'intéresser aux coulisses, avec ce Gaston la Valle qui s'y entend si bien à tirer les ficelles, ou ce garçon si obligeant qu'il prend des notes quand la requête d'un client de l'hôtel est malgré tout indicible. Et enfin, dans ce film en forme de vitrine de tout son génie, Lubitsch joue avec l'identité, ses faux-semblants, le pouvoir d'un nom aussi: Colet "and Company", comme on se plaît souvent à le souligner! Il nous dresse en 82 minutes une histoire qui a tout pour tourner au sublime et au tragique (après tout, mme Colet et M. La Valle vont si bien ensemble, quel dommage que ce soit impossible), et qui devient tout bonnement une sublime comédie sentimentale. Mais la mélancolie qui s'installe ici reviendra de façon insistante dans l'oeuvre de Lubitsch, de Angel à Heaven can wait, en passant par The shop around the corner.
Les Townsend sont un couple heureux, John (Adolphe Menjou) a plus que réussi, et son épouse Carol (Genevieve Tobin) est très heureuse... même si de plus en plus elle constate qu'ils sont "techniquement mariés" , sans plus: comme elle le dit elle-même, le lit double est devenu deux lits jumeaux, puis dernièrement deux chambres. Elle se dit que ça doit être sa santé et consulte en secret un docteur, ami du couple. Celui-ci lui révèle involontairement que John lui ment: il prétend faire du polo, beaucoup de polo, on ne l'a jamais vu au club...
Eric Schulteis (Edward Everett Horton) est un magnat de la sardine, il est célibataire... c'est le meilleur ami de John depuis toujours, mais il est aussi amoureux fou de Carol. Il ne s'en cache d'ailleurs pas... Celle-ci va l'utiliser pour fouiller un peu dans la vie de son mari.
Et justement, Carol découvre que les secrets de John cachent une aventure avec Charlotte (Mary Astor), sa meileure amie...
Ce petit scénario boulevardier est divisé en deux parties d'environ une demi-heure chacune: j'avoue un faible pour la première dans laquelle Genevieve Tobin mène l'enquête, et son mari par le bout du nez: elle a une verve rare, et il est dommage qu'elle n'ait pas été plus employée pour ses qualités de comédienne. Mais la deuxième partie, plus enlevée, et plus traditionnelle (Portes qui claquent, quiproquos, confrontation...) a ses qualités aussi. Disons qu'elle est plus rythmée, mais que tout y rentre dans l'ordre d'une façon si propre...
Quoi qu'il en soit, on passe du bon temps: vous avez la liste des quatre principaux acteurs plus haut. Ajoutons-y pour faire bonne mesure Guy Kibee et Hugh Herbert: la Warner dans toute sa splendeur...