Les Townsend sont un couple heureux, John (Adolphe Menjou) a plus que réussi, et son épouse Carol (Genevieve Tobin) est très heureuse... même si de plus en plus elle constate qu'ils sont "techniquement mariés" , sans plus: comme elle le dit elle-même, le lit double est devenu deux lits jumeaux, puis dernièrement deux chambres. Elle se dit que ça doit être sa santé et consulte en secret un docteur, ami du couple. Celui-ci lui révèle involontairement que John lui ment: il prétend faire du polo, beaucoup de polo, on ne l'a jamais vu au club...
Eric Schulteis (Edward Everett Horton) est un magnat de la sardine, il est célibataire... c'est le meilleur ami de John depuis toujours, mais il est aussi amoureux fou de Carol. Il ne s'en cache d'ailleurs pas... Celle-ci va l'utiliser pour fouiller un peu dans la vie de son mari.
Et justement, Carol découvre que les secrets de John cachent une aventure avec Charlotte (Mary Astor), sa meileure amie...
Ce petit scénario boulevardier est divisé en deux parties d'environ une demi-heure chacune: j'avoue un faible pour la première dans laquelle Genevieve Tobin mène l'enquête, et son mari par le bout du nez: elle a une verve rare, et il est dommage qu'elle n'ait pas été plus employée pour ses qualités de comédienne. Mais la deuxième partie, plus enlevée, et plus traditionnelle (Portes qui claquent, quiproquos, confrontation...) a ses qualités aussi. Disons qu'elle est plus rythmée, mais que tout y rentre dans l'ordre d'une façon si propre...
Quoi qu'il en soit, on passe du bon temps: vous avez la liste des quatre principaux acteurs plus haut. Ajoutons-y pour faire bonne mesure Guy Kibee et Hugh Herbert: la Warner dans toute sa splendeur...
Ce film qui est le premier des 5 tourné par Lillian Gish pour la MGM entre 1926 et 1928 est aussi un moment intéressant dans l'oeuvre de King Vidor pour cette même firme, situé entre deux films importants, The big parade (1925) et The crowd (1927), si on oublie le (sympathique mais mineur) Bardelys the magnificent (1926), considéré comme une récréation par son metteur en scène. Intéressant, mais certainement pas une pièce maîtresse. Disons qu'il nous éclaire sur la capacité de Vidor à mettre en scène de façon talentueuse un film qu'il n'a pas choisi, et pas vraiment piloté non plus.
De surcroît, il est aussi représentatif de ce que la firme voulait faire à cette époque, après seulement deux ans d'activité: réaliser des films de qualité avec des gens compétents, sur des sujets de qualités, en faisant avancer l'art cinématographique et en plaisant au public: bref, continuer sur la lancée du sublime He, who gets slapped (1924) de Sjöström, le premier film de la MGM. La Bohême est aussi et surtout représentatif du type de films que Lillian Gish avait à coeur de créer, car il est évident tout au long de ce mélodrame que tout le monde, de Vidor à John Gilbert en passant par le directeur de la photographie (Hendrik Sartov, au service de Miss Gish depuis Griffith) et l'ensemble du casting (Renée Adorée, Karl Dane, rescapés de la Grande parade, et choisis expressément par l'actrice après le visionnage privé du film; ou encore Roy d'Arcy, méchant attitré des mélos MGM qui prête son sourire carnassier au "villain" aristocrate) s'est soumis à la volonté de l'actrice. Vidor n'a jamais dit le contraire, La Bohême, c'est Lillian Gish.
Celle-ci ne pouvait qu'être intéressée par ce mélodrame dans lequel la frêle Mimi, tuberculeuse, se tue à la tache, sacrifiant tout à son fiancé, le dramaturge Rodolphe; au moment ou celui-ci atteint le succès, elle meurt, et se dit heureuse. On le sait, Vidor s'est senti incapable de diriger la dernière scène, tellement les préparations physiques de l'actrice la rendait effrayante de maigreur: plutôt que d'avoir recours au maquillage, elle s'est sous-alimentée, et a à peine bu afin d'arriver à jouer la scène de façon réaliste. Vidor a cru qu'elle mourait vraiment, et cette émotion, qu'on est en droit de trouver risible, ce qui n'est pas mon cas, est palpable aujourd'hui. Autre conséquence d'un tel dévouement, la dame n'a eu aucun mal à diriger moralement la production, ensorcelant au passage son réalisateur, et sa co-vedette. Gilbert n'avait pas encore rencontré Garbo...
On ne s'étonnera donc pas que tout au long des 93 minutes ce film soit un festival lillianesque, non seulement par sa présence, mais surtout par son style. Elle a dit, et écrit de plus, qu'elle souhaitait essayer avec ce film des scènes d'amour qui sortent de l'ordinaire, et demandait à Gilbert, avec l'approbation un peu méfiante de Vidor, de ne jamais la toucher, ou de ne s'approcher d'elle qu'à condition de pouvoir placer un obstacle dans le champ (Un arbre, une chaise...), l'idée étant bien sur de créer une dimension de désir palpable sans passer par des poses vulgaires ou des intertitres trop voyant. Après intervention du studio, des scènes plus physiques (Des baisers notamment)seront ajoutées (And I ended up kissing John Gilbert, dira Lillian amusée), mais le but de l'actrice est, à mon sens, atteint: lors de leur batifolages, si les deux acteurs dansent, ils n'en donnent pas moins l'impression de ne jamais concrétiser totalement leur désir, ce que confirme la scène ou Mimi défend (Gentiment mais surement, comme Mae Marsh dans Intolerance) à Rodolphe d'entrer chez elle. Leur seule confrontation totalement physique sera une scène de violence dans laquelle Rodolphe frappe Mimi, puis se rend compte que celle-ci crache du sang, justifiant du même coup les réticences de Mimi de se laisser approcher.
L'apport principal de Vidor, c'est le choix de faire confiance aux acteurs, les impliquant physiquement dans le film, plutôt que de leur demander d'incarner un type, comme il était souvent demandé, en particulier dans un studio aussi compartimenté que la MGM. Gilbert, malgré tout, est un peu gauche, malgré sa sincérité lors de ses scènes en duo avec la diva, durant lesquelles elle l'a laissé la malmener assez sérieusement. Roy D'arcy (Mirko dans La Veuve Joyeuse, Manos Duras dans La Tentatrice) est plus subtil qu'à son habitude, ce qui n'est pas très difficile, il faut le dire... On obtient souvent le même naturel que celui obtenu par Vidor dans les scènes quasi-improvisées de son film précédent. On lui doit aussi d'avoir su tirer parti de la photographie éthérée de Sartov, qui épure les décors au profit des acteurs. Un gros regret par contre, la MGM pratiquait à l'époque une politique de normalisation qui les poussait à imposer la vitesse de 24 i/s, alors que plusieurs scènes en pâtissent (Cette normalisation avait été initiée par les comédies, et les exploitants avaient besoin d'un vitesse standardisée. 24 images permettaient une action plus fluide, et les film plus courts pouvaient permettre plus de représentations); de toute évidence ce film en souffre, notamment les scènes délicates de danse dans les prés, qui virent à la cavalcade...
Quoi qu'il en soit, le film reste un grand moment grâce à la prestation de Lillian Gish, qui habite littéralement le décor, notamment dans la scène où elle tente de rejoindre Rodolphe, et s'accroche à tout ce qui passe à sa portée, alors qu'elle est mourante; le plan ou elle tombe de la voiture qu'elle avait agrippée, et reste quelques instant par terre, en plein vent, donne la pleine mesure de l'engagement physique de la dame; et le fait que les acteurs semblent tous occuper le décor de la même façon confirme qu'elle avait imposé des répétitions de la pantomime à toute l'équipe.
Quant à Vidor, il réussit ici à maintenir de façon convaincante un ensemble cohérent, fluide et convaincant alors que le matériau mélodramatique ne lui convient probablement qu'à moitié, et la thématique pas du tout. C'est certainement aussi, pour lui, une forme de sacrifice... De son coté, Lillian Gish allait confirmer ses promesses avec The Scarlet Letter, dans lequel elle allait à nouveau diriger la production en étroite collaboration avec Victor Sjöström.
Hildy Johnson (Pat O'Brien), reporter extraordinaire, veut se marier... et pour ça, il lui fait cesser d'être un journaliste, surtout qu'il travaille pour Walter Burns (Adolphe Menjou), un patron sans aucun scrupules, qui lui a plus d'une fois fait vendre son âme. Mais le problème, c'est que Burns ne veut pas se résoudre à perdre son meilleur journaliste. Profitant d'une crise inattendue (Un condamné à mort s'est évadé dans des circonstances étonnantes, juste à côté de la salle de presse de la prison), Burns va tout faire pour retenir Johnson qui serait selon lui le meilleur pour rendre compte de l'incident.
Ce film nerveux et désormais mythique est donc la première des trois adaptations de la pièce de Ben Hecht. La place qu'il tient dans l'histoire du cinéma, en comédie exemplaire supposée avoir établi une bonne fois pour toutes que ce n'était pas parce que le cinéma était désormais parlant qu'il devait s'abstenir de bouger, et le ton qui s'est imposé dans tant de films des années 30 consacrées au monde de la presse, contraste quand même avec l'objet qu'on a devant les yeux: un film certes distrayant, certes drôle, mais qui reste confiné, théâtre oblige, même si les efforts pour bouger la caméra, et lui faire transmettre ce frisson du scoop, cette fébrilité et cette frénésie des moments durant lesquels il faut être plus rapide que le concurrent. Et on voit aussi très bien Howard Hughes à la manoeuvre, qui pousse les boutons derrière Milestone, et appuie pour avoir un peu plus de sous-entendus, un peu plus de vulgarité, etc... Le résultat parait souvent excessif, gonflé, et en manque d'un certain raffinement. Pour finir, pourrait-on trouver tant de mérites à Menjou et O'Broen, si Grant et Russell n'étaient à leur tour passés par là 8 ans plus tard? La meilleure version de The front page est celle de Hawks, His Girl Friday. Haut la main.
Il y eut un temps, appelons-le les années 60, durant lequel le cinéma mutait de façon bien étrange. D'une part, le système industriel entier et son fonctionnement était remis en question par des franc-tireurs, dans de nombreux pays, dont certains allaient devenir de nouveaux gourous et changer pour toujours la façon de faire.
D'autre part, les fondations même d'Hollywood vacillaient, attaquées par la décrépitude des studios d'un coté, et la concurrence de la télévision de l'autre.
C'est exactement au milieu de cette pagaille que se situe l'arrivée de ce film, un OVNI comme il en existe peu. Pour bien comprendre l'existence de cette étrange comédie, il faut d'une part considérer la personnalité hors-norme de son réalisateur-producteur: Stanley Kramer est un ambitieux, un accumulateur de projets fous qui tient en son contrôle tous les aspects du film, une sorte de retour aux années 20, avant l'âge des studios donc, à lui tout seul, et un showman qui a compris, à la suite de Cecil B. DeMille mais dans un genre bien remis à jour, que si la qualité des films doit rester importante, si un grand sujet (Peine de mort, les prisons, le racisme, tout y passe) s'impose, il faut aussi et surtout du spectacle. Rien d'illégitime là-dedans...
Mais il va commettre une série d'erreurs fatales.
La comédie Américaine, tradition enviable, dont les plus belles pages sont écrites depuis les années 20, est un monde à part entière, une galaxie même, dont Stanley Kramer a voulu s'approcher, avec une idée folle, à tous les sens du terme: réaliser une comédie si énorme, si spectaculaire, qu'elle éclipserait bientôt toutes les autres... Pour ce faire, il a réuni un casting de comédiens chevronnés, trouvé une idée de scénario, lancé un film avec une équipe de solides techniciens, engagé des armées de cascadeurs.... et trouvé deux gimmicks inattendus, qui vont vendre le film à eux seuls: d'une part, c'est une comédie, on va donc inviter des comédiens à faire des apparitions tout au long du film; ensuite, puisque la télévision est là, et propose déjà de la comédie, pour lui faire concurrence on va donner du grain à moudre au public: le film va durer près de trois heures, façon gros spectacle à la Cinérama... Avec ouverture, entr'acte, conclusion en musique. Le scénario va reposer sur une intrigue autour d'une chasse au trésor en une journée, et le tour est joué... Le résultat donne un film dont le résumé est un texte dans lequel un mot sur deux est un nom entre parenthèses...
Un malfrat tout juste sorti de prison (Jimmy Durante) crashe sa voiture lors d'une poursuite, sur une route de Californie. Sont témoins de ses derniers instants un groupe de personnes, qui roulaient dans quatre voitures différentes (Milton Berle, Mickey Rooney, Sid Caesar, Edie Adams, Ethel Merman, Jonathan Winters, Buddy Hackett, Dorothy Provine). Ils apprennent de la bouche du mourant que celui-ci a enterré dans un parc de Santa Rosita une fortune, et qu'il leur suffit d'aller la collecter: elle est enterrée "sous un grand W". Très vite, les huit protagonistes vont devenir des concurrents afin de mettre la main sur le magot. La police les surveille, sous la direction du capitaine de Santa Rosita, Culpeper (Spencer Tracy), et d'autres personnes viennent s'ajouter au groupe de huit, au hasard des péripéties: Terry thomas, Peter Falk, Eddie Rochester Anderson, etc... De l'ambition, des poursuites en voiture, des cascades...
Après tout, il faut voir grand, et on ne fait pas de cinéma sans vouloir faire que les films qu'on réalise soient bons... Et cette politique de l'excès est en phase avec l'histoire d'un genre dont les meilleurs représentants ont toujours voulu parfaire leur art, aller plus loin donc. Et avec l'apparition des films de Billy Wilder, après ceux de Capra, la comédie est devenue de plus en plus ambitieuse; un genre dont bien des films tournaient deux décennies auparavant autour d'une heure voit désormais des films imposant de plus de deux heures, donc la durée importante de ce nouveau film n'est pas là non plus une idée trop étrange. Quant au "toujours plus" qui consiste à ajouter à l'intrigue des gags liés à l'apparition express de vedettes (Jerry Lewis, Buster Keaton, Les trois Stooges...), c'est là encore de bonne guerre...
Mais de toute façon, le film est raté; parfois drôle, toujours distrayant, mais trop long, ne tenant qu'à un fil ténu qui s'émousse vite, et surtout, gâché par la règle du toujours plus, qui a poussé le réalisateur à demander à ses acteurs un jeu hystérique de la première à la dernière minute. De plus, si c'est effectivement, assez drôle parfois, l'ensemble est dominé par l'impression que toute subtilité psychologique doit être bannie, et me donne le sentiment que Kramer n'a pas compris ce qu'était la comédie. Bien sûr, il y a des moments de grâce ça et là, et des apparitions qui touchent au sublime; d'autres sont juste émouvantes: Keaton, par exemple, qui réussit en quelques secondes à exprimer tout le ressenti de sa présence en déclamant un évident "qu'est-ce que je fais là?" rien qu'avec son corps et ses mouvements gauches... Et puis quelle idée de vouloir refaire Intolerance (Chacun des équipages de témoins de la mort de Durante ayant finalement sa propre histoire, découpée en épisodes reliés par le montage) en comédie? Qui plus est, et là tout le monde est d'accord, tout ça est bien trop long.
Ce film est finalement un signe des temps, une erreur de la nature... Quoique... Il me semble qu'il a eu une descendance: à l'époque, le film de guerre avait un équivalent, avec The longest day. Il y allait avoir How the west was won, bientôt aussi; le film énorme avec pléiade de figurants et "cameos" était de rigueur... Donc à la suite de celui ci, la Fox a décoché son Those magnificent men in their flying machines, et Blake Edwards a réalisé son propre hommage au genre, The great race. Mais en ce qui concerne ce dernier, très réussi, c'est un orfèvre qui l'a fait, un spécialiste.
Hitchcock disait, lorsqu'on lui demandait quelle était l'histoire parfaite pour le cinéma, que la meilleur façon de commencer était "boy meets girl". Avec ce film, Lubitsch ose boys meet girl.... George, un peintre sans le sou, et son copain Tom, un dramaturge jamais publié, rencontrent dans un train Gilda, une jeune femme en partance pour Paris. elle est mieux lotie qu'eux, bien qu'elle soit également artiste: elle travaille pour Max Plunkett, le publicitaire. Tout ce petit monde débarque dans la capitale, et vit alors une étrange histoire d'amours, puisque Gilda aime Tom et George, et elle trompe Tom avec George et George avec Tom. Jusqu'au jour ou les trois décident de mettre carte sur table, et de se concentrer sur le travail, à l'écart du sexe! Avec l'abstinence, Gilda devient selon sa propre formule "mère des arts", et aide ses compagnons d'infortune à percer. Le prremier à réussir, c'est Tom; mais lorsqu'il doit partir pour Londres, afin de donner toute sa chance à une pièce qui va triompher, l'inévitable arrive: George et Gilda sont seuls...
D'une pièce de Noel Coward certainement brillante, que je n'ai pas vue, Ernst Lubitsch a réussi, tout en maintenant avec la complicité du scénariste Ben Hecht la cohésion de la pièce initiale, à faire un film rigoureux, essentel, à la fois drôle et franchement impertinent, dans lequel toutes les possibilités de combinaison des alliances sont évoquées. Y compris, sous-entendue à la fin, un ménage à trois tumultueux... En pleine époque pré-code, c'est-à-dire avant le renforcement de le censure dans le cinéma Américain, le metteur en scène jongle avec les situations inconvenantes et les sous-entendus brillament amenés. On a d'abord la conversation au cours de laquelle Gilda avoue à ses deux amis qu'elle les a tous les deux trompés avec l'autre, avant de se décider pour un "gentleman's agreement". Puis cette situation au cours de laquelle Tom laisse ses deux amis seuls, et Gilda après une embrassade soudaine va sur un lit, se couche et dit doucement à tom: "We had a gentleman's agreement, but unfortunately, I'm no gentleman..." elle prend donc la responsibilité de la situation, mais ensuite, c'est l'arrivée de Tom à Paris qui va inverser la situation... Après la fuite de Gilda aux Etats-Unis, ou elle se marie avec Max Plunkett, on les voit tous deux, depuis la rue, à l'intérieur d'un magason de literie, venir mesurer un lit pour deux. Cette petite scène muette est très éloquente, d'autant qu'on la voit avant d'entendre parler du mariage. La fuite avec Max est pour Gilda une initiative visant à préserver l'amitié de ses deux amants, mais elle n'est pas sans contrepartie! Enfin, la fin est la aussi très claire: s'ils évoquent à nouveau le "gentleman's agreement", cette situation basée sur un accord mutuel qui implique qu'aucun des trois ne tente de revenir à une situation amoureuse, Tom et Gilda, puis Gilda et tom viennent d'échanger des baisers sans la moindre équivoque...
Lubitsch sera toujours le maitre du non dit, c'est une évidence, mais c'est aussi un champion du non-montré. Un gag de ce film admirable me reste à l'esprit: lorsque Tom et George se rendent chez Max et Gilda, dans le but de récupérer leur amie mais certainement aussi pour mettre un joyeux bazar dans la vie rangée du trop tiède M. Plunkett (Le grand edward Everett Horton, rien de moins), un nom revient sans cesse: M. Egelbauer est en effet l'invité d'honneur de la soirée organisée cette nuit-là chez les Plunkett, et c'est un industriel courtisé par Max, qui souhaite que sa femme soit aussi veule que lui. Sans dire un mot, on voit donc les deux amis se rendre au salon, alors que M. Egelbauer est en train de chanter d'une voix de baryton, et sans qu'on les suive, on entend tout à coup les deux hommes l'imiter en chantant son nom. Dans le vacarme qui s'ensuit, la caméra ne bouge toujours pas, et c'est depuis l'entrée que nous assistons à ce qui se passe, sans rien voir... Mais nous pouvons tout imaginer: Lubitsch partageait avec d'autres (Wellman, notamment) un sens de la mise ne scène si puissant qu'il pouvait se priver avec bonheur de la scène à faire! Ajoutons que George, c'est Gary Cooper, Tom Fredric March, et que Miriam Hopkins, alors en pleine gloire méritée, prête son joli minois propice aux arrières-pensées les moins religieuses à la belle Gilda. Elle compose un personnage étonnant et moderne de femme qui prend deux hommes sous son aile, et qui assume sans aucune honte ce qu'elle reconnait comme un trait plutôt masculin, le fait d'aimer deux hommes à égalité, sans envie de choisir... sans qu'on puisse la blâmer: Fredric March et Gary Cooper, quand même!!