Puisant dans les fonds de tiroir du mélodrame, l'homme de spectacle qu'était Porter se fait plaisir en contant une histoire hyper-classique: la fille d'un meunier est séduite par un artiste venu de la ville, et répudiée par son père. Elle en vient à contempler le suicide...
Le film est un concentré de choses qu'on retrouvera chez Griffith, au-delà même d ela "sagesse populaire" (l'un des moteurs même du mélo), qui consiste à assimiler à de la malfaisance tout ce qui vient de la ville... Les metteurs en scène (oui, deux sont crédités à cette époque) ont tenu à placer cette intrigue poussiéreuse dans des décors ruraux qui lui vont bien et atteignent un genre de réalisme (pour l'époque) qu'on retrouvera chez leur illustre successeur...
Pas partout cependant, ils retournent pour le clou du spectacle (la tentative de suicide suivie d'un sauvetage en bonne et due forme) à des toiles peintes, et... ça se voit.
Des employés noirs d'une ferme se servent allègrement dans les réoltes de pastèque. Les fermiers leur mènent une guerre des nerfs...
C'est l'un de ces nombeux films qu'on hésite à qualifier d'ethnographiques, qui montraient chez Edison les Afro-Américains comme étant "l'autre", des gens qu'on ne soupçonnerait pas de venir voir les films dans une salle... Mais quideveitn parfois y avoir accès quand même. C'est assez affligeant, et il serait sans doute intéressant de retourner aux racines du cliché:
Ainsi, au début, on voit des gens, mal habillés, qui rampent pour ne pas être trop visible, et qui se jettent sur les fruits mûrs. On passera sur le fait qu'ils sont animalisés, ce qui serait déjà un motif de fâcherie... Mais leur misère même n'est pas remise en question. Car pour que des gens en soient réduits à voler de la nourriture, il faut quand même rappeler qu'ils ont faim, non? Et le film ensuite se moque de leur peur, provoquée ici par des hommes grimés en squelettes. Mais il y a là aussi des racines historiques: en 1870, le Ku-Klux-Klan menait des actions de terreur dans les populations affranchies des campagnes Sudistes.
Et je ne pense pas qu'il ne s'agissait que de leur faire peur...
Dans un comté rural, une famille est sous surveillance: en effet, le mari impose un enfer à son épouse, en la battant... Les braves voisins, organisés en une société secrète et masquée, vont intervenir pour le punir...
Voilà un film qui fera forcément réfléchir, et forcément tiquer. Car les "white caps" en question ressemblent furieusement à une autre société secrète, certes interdite à cette époque (depuis les années 1870), et probablement oubliée... Mais dans de nombreuses zones rurales en 1905, ce genre de groupe de vigilance de voisinage était relativement fréquent. Dans quelle mesure Porter se rendait-il compte qu'il faisait presque une publicité favorable mais subliminale au KKK?
Porter, touche-à-tout et expérimentateur en chef chez Edison, virtuellement le seul cinéaste de l'entreprise, finalement, avait réussi à produire un indéniable classique avec The great train robbery, il s'est aussi ingénié de façon plus inattendue à en produire un remake... Avec des enfants pour acteurs! Voici donc la version junior du film, qui reproduit des scènes du film dramatique le plus spectaculaire de son auteur, sous sa propre direction, complète avec son train miniature.
C'est, fatalement, anedotique au mieux. Mais ça permet aussi de voir que même dans les mêmes décors, avec le même maître d'oeuvre, la magie n'opère pas deux fois, loin de là...
Sept périodes de la vie d’un humain, vues à travers des vignettes, très symboliques. Chaque « chapitre » porte un nom qui montre qu’on est vraiment dans une illustration alégorique de l’évolution d’un humain : Infancy, Playmates, Schoolmates, Lovers, The Soldier, The Judge, Second Childhood…
Mais une question demeure : pourquoi tout ça ? La réponse vient à la fin du film, et est très surprenante : à la fin, en effet, une image d’une vieille fille, dont les intertitres demandent quel âge lui attribuer. A l’époque vacharde des Suffragettes, l’image de la vieille fille est d’une méchanceté assez impossible à accepter…
Les personnages d’une série de bande dessinée s’animent sous nos yeux… Porter se saisit d’un phénomène d’édition, d’une publication très populaire; il donne à ses acteurs l’occasion de camper les personnages très caricaturaux d’une famille d’originaux…
Le film s’arrête à cette description, suivie de la vision d’une scène de repas, toute en péripéties… Mais l’essentiel du film et de son intérêt réside dans le choix de présenter la famille à travers des gros plans des protagonistes: l’expressivité du cinéma y éclate sans détours, là où l’intérêt retombe sensiblement dans la vision du repas de famille. La distance de la caméra crée une sorte de vide entre le film et le spectateur…
Continuant dans une veine sociale, Porter tourne une histoire assez étonnante, située dans le monde moderne: deux, en fait, en une. D'une part il nous conte l'histoire d'une femme de la haute société, qui se rend dans un grand magasin au centre de New York, et s'y livre à des vols. Elle est prise sur le fait et arrêtée... Puis il nous montre une femme de la classe ouvrière, qui doit voler pour nourrir sa famille, et qui elle aussi est prise la main dans le sac.
Le film se résout sur le double jugement, la bourgeoise est relâchée et l'autre condamnée à de la prison... Porter questionnaitde façon très frontale les préjugés et les valeurs de la bonne société, en adoptant clairement la politesse du mélodrame, mais sa sincérité n'est absolument pas à mettre en doute.
Un homme sorti de prison se bat pour retrouver sa dignité et sa place dans le monde... Il doit faire face au soupçon de tous ses employeurs potentiels, et la vie n'est pas tendre: son épouse, malade, est sans doute condamnée s'il ne trouve pas de travail... Un jour, il est témoin d'un incident: une petite fille qui n'a pas vu une calèche manque de se faire écraser, mais il lui sauve la vie. Néanmoins, l'hiver venu, il n'a plus qu'une ressource, aller chercher de quoi vivre là où on peut le trouver, et il s'improvise cambrioleur...
C'est en huit "scènes", donc plans, une adaptation d'une pièce de music-hall, mais c'est surtout une réflexion sur la capacité du cinéma à aborder frontalement une cause sociale... Porter utilise en effet l'écran pour son pouvoir d'immersion du spectateur dans une atmosphère qui lui fera vivre par procuration, et il est remarquable qu'il ait si souvent pu aborder des thèmes bien différents de ceux attendus dans le cinéma de l'époque.
Les obsédés de la natalité, dans les années 1900, étaient de deux obédiences: les éugénistes d'un côté, les natalistes de l'autre... Aux uns, qui se taguaient de résoudre les problèmes du monde en choisissant les enfants à naître (ou nés, bien sûr) et aussi de programmer voire de stériliser afin d'influencer la nature, les autres répondaient qu'il fallait faire des enfants "sur une grande échelle", comme aurait dit Michel Debré à une autre époque!
Comme pour répondre au deuxième groupe et en particulier au président Roosevelt, fraîchement réélu, Porter se fend d'un film rigolard, un de ces quasi-cartoons dans lesquels parfois il trouvait le ton d'un dessin de presse... Un père de famille rentre chez lui avec une certaine satisfaction, car son épouse vient de donner naissance à un enfant... mais il déchante, car il y en aura d'autres...
Un gamin a l'idée de déguiser une pompe à eau, qui est située sur le puits de la ferme, en un épouvantail. Mais le fermier, qui est totalement distrait, s'en sert comme une pompe à eau, justement, entraînant une situation embarrassante: en l'actionnant, il mouille le garçon qui s'était caché.
Bon, L'arroseur arrosé est sans doute le degré zéro du gag cinématographique, donc on peut dire sans trop se tromper qu'avec ce film, situé dans des décors à la façon du théâtre, Porter retourne à zéro, donc...