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9 mai 2024 4 09 /05 /mai /2024 20:02

Sorti en février 1918, c'est un cas d'école: un film de guerre, certes patriotique et réalisé puis sorti alors même que les conflits faisaient rage, c'est donc assurément l'un des premiers films d'un genre nouveau, ceux qui depuis ls Etats-Unis, observaient les combats sur les fronts Européens, et dans des intrigues plus ou moins mélodramatiques, opposaient d'un côté les alliés, principalement les Américains bien entendu, et de l'autre les Allemands... Un genre à part entière, dont font partie des films comme Hearts of the world de Griffith, The hearts of humanity d'Allen Holubar, mais aussi sorti plus tardivement, The four horsemen of the Apocalypse, de Rex Ingram. Tous ces films ont en commun une vision férocement binaire, dans laquelle les Allemands sont présentés comme des monstres... 

Ici, le point de vue est celui d'une famille Américaine, dont le fils est parti se battre parce que l'attraction et le glamour des marines l'avaient attiré... Les parents, inquiets, voient partir un garçon immature, qui ne croit pas en Dieu, et a une attitude de dédain pour les classes qu'il considère comme inférieures. C'est lui, le non-croyant du titre... Mais le front, nous dit un intertitre, c'est la forge dans laquelle on va tester un homme... Sur le front en Belgique, il va se conduire en héros, constater que la fraternité ignore les classes, et apprendre à croire en des valeurs plus importantes que celles qui l'ont jusqu'à présent motivé...

En même temps, nous verrons dans le film les exactions de certains officiers Allemands, dont Erich Von Stroheim dans son premier rôle du genre: un sadique, attaché à son décorum, et qui exige d'un peloton d'exécution réticent et dégoûté l'assassinat pur et simple d'une grand-mère et de son petit-fils... Quand le héros se réveille sur un lit d'hôpital, et constate que le lit à côté de lui est occupé par un Allemand, il s'emporte... avant de constater que le soldat n'est finalement qu'un homme blessé qui a peur de la mort. D'ailleurs, dans le prologue du film, le jardinier d'origine Allemande, qui vient d'apprendre la mort de son fils sur le front, est confronté par la mère du héros.

Bref: ce film tranche particulièrement sur l'absurde sentiment cocardier et chauvin des autres films de la même période. Il est riche, et jamis excessivement démonstratif. Le metteur en scène (qui n'est pas n'importe qui, même s'il a parfois été amené à tourner n'importe quoi, c'est le paradoxe du système des studios) s'est même plu à utiliser de façon innovante le montage ultra-rapide lors de la scène de l'exécution mentionnée plus haut. Gance n'a pourtant tourné ni j'accuse, ni La roue, dont les sorties Américaines seront relativement condidentielles, de toute façon. Ce film de grande qualité, avec bien sûr un esprit exalté, bien typique d'un film de la décennie qui a vu les sorties de Civilization, Intolerance et Joan the Woman, est sans doute le dernier film sorti par Edison, qui s'est lassé de faire du cinéma.

 

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29 juillet 2023 6 29 /07 /juillet /2023 15:46

Peu de temps après la première guerre mondiale, trois escrocs faux-monnayeurs (Maude George, Mae Busch, Erich Von Stroheim) tentent d’escroquer un couple Américain en villégiature à Monaco (Rudolph Christans, Patti Dupont), mais les appétits insatiables en termes d’argent et de sexe de l’un d’entre eux, le comte (?) Karamzin (Stroheim), font joyeusement capoter toute l’affaire qui se termine dans le drame, le conflit et, en ce qui le concerne, les égouts...

 

Billy Wilder appelait « Petits cailloux » ces petites touches qu’il saupoudrait sur le développement d’un film dans le but d’amener le spectateur vers une certaine direction. Le nom est bien sûr une référence au Petit Poucet. Si aujourd'hui c’est, à l’imitation de Wilder, de Hitchcock et des autres classiques une tendance établie de nombreux films, le premier à raffiner systématiquement le recours à ces balises de sens aura justement été Stroheim.

 

Certes, avant lui Griffith s’inscrivait dans la durée, dans la résonance, mais basait le rapport entre son public et ces petites indications sur les personnages sur des intertitres: un exemple, dans Orphans of the Storm: la première vision de Jacques Sans-Oubli, futur juge qui condamnera Lillian Gish à mort, s’accompagne d’une mention sans ambiguïté : « Les Orphelines allaient souvent le rencontrer sur leur route ». Ainsi éclairci, le chemin ne posait plus de problème au public.

 

DeMille se reposait aussi beaucoup sur les intertitres pour faire passer les transitions les plus hardies. ...Notamment ses fantasmes orgiaques! Avec Stroheim, on assiste à la première tentative de faire passer ces jalons psychologiques dont l’accumulation provoque du sens par l’image seule; et c’est avec Foolish Wives que cette petite révolution prend effet… Rappelons à toutes fins utiles que le film n’est plus que l’ombre de lui-même et que la plupart de ces petites touches ont disparu, jugées redondantes par les monteurs qui ont été chargés de donner au film une durée exploitable.

 

Mais il en reste: la plus évidente de ces pistes de petits cailloux, c’est l’anecdote du soldat manchot, vu trois fois par Patti Dupont, l’actrice principale: les deux premières fois, il reste de marbre lorsqu'elle perd un manteau, et ne le ramasse pas, à l’indignation généralisée. A la fin elle réalise qu’il a perdu ses deux bras et qu’il est l’un des officiers qui ont permis la victoire des alliés. D'autres touches sont ainsi perdues: il faut dire que Foolish Wives a sérieusement subi des dégradations qui l’ont rendu méconnaissable. J'y reviens plus bas...


Le premier problème a été que ce film a bénéficié d’une publicité basée sur un malentendu : un panneau géant, changé chaque jour, annonçait de façon fantaisiste les sommes englouties lors du tournage, bâtissant du même coup une réputation fort dépensière à son auteur, ce qui allait servir à la fin à lui retirer son film des mains. Il est vrai que Stroheim, encouragé au départ par Laemmle, ne parvenait pas à trouver un point de chute à son grand œuvre. Et c’est donc lors des prises de vues d’une scène cruciale que le tournage s’est arrêté. A la décharge de Thalberg, qui prit la décision, il convient de rappeler que le cinéma Américain était dans la tourmente, suite à divers scandales, en ces années 1921-1922… Stroheim et ses excès faisaient du coup plus peur. Et Irving Thalberg avait justement été engagé par Laemmle pour tempérer ses extravagances...


D'autres problèmes tout aussi gênants se manifestèrent: l’acteur Rudolph Christians est mort, aux deux tiers du tournage et la décision de ne pas le remplacer a conduit Stroheim à des bricolages divers et généralement visibles qui ternissent certaines scènes, et bien sûr les audaces voulues par Stroheim se sont révélées excessives. Dans sa version de 10 bobines, telle qu’elle est (plus ou moins) reconstituée aujourd'hui, Foolish Wives est splendide, mais incomplet: ce ne sera évidemment pas la dernière fois dans la carrière du metteur en scène. Mais compte tenu de ce qui manque, l’absence d’une version plus conforme aux désirs de Stroheim est une tragédie.


La dimension romanesque était dans l’air du temps : Gance finissait La Roue, dont on a pu récemment redécouvrir une impressionnante version en quatre épisodes, qui totalise plus de sept heures… La version de Foolish Wives voulue par Stroheim outrepassait les 5 heures, et on comprend les réticences de la Universal dans la mesure où un tel film s'avérerait inexploitable, mais l’auteur avait inscrit la durée dans ses procédés narratifs, montrant l’évolution de tous ses personnages, montrant leur quotidien (Rituels, bien sûr, habitudes, environnement, mode de vie: qu’on songe dans les images qui restent aux contrastes entre l’hôtel luxueux mais sobre des Américains, la délirante Villa Amoroso, et le bouge du faux monnayeur Ventucci interprété par Cesare Gravina) et inscrivant le spectateur dans cette évolution plutôt que de leur proposer la solution vite fait bien fait par un intertitre.

 

Parmi les évolutions disparues bien connues aujourd’hui, il y a la fameuse fausse couche subie par le personnage de la jeune épouse, joué par Miss Dupont. Cette anecdote éclaire a posteriori son comportement, et donne un tournant d’autant plus dramatique aux événements. Un aspect disparu aujourd’hui a eu une conséquence inattendue: les trois escrocs joués par Stroheim, Maude George et Mae Busch semblent former un trio dont l’intimité sexuelle ne fait aucun doute: il couche avec les deux, pense-t-on. En réalité, seule Maude George partage ses faveurs avec ses deux associés, ce qui crée des tensions, et justifie certains regards de Busch au début du film. On le voit, ce sont les monteurs de la Universal qui ont fait de Karamzin un vilain fripon, pas Stroheim… Quoique ce dernier a créé le personnage de Maruschka: la bonne, qui a fauté avec l’escroc, est interprétée par Dale Fuller pour sa première collaboration avec l'acteur-metteur en scène. Dans la version longue, elle aussi était enceinte, apportant un contrepoint du type qu’affectionnait Stroheim, et que ses producteurs adoraient charcuter: voir à ce sujet Greed.

 

Outre cette tentation de montrer en longueur les évolutions et développements de ses personnages, le film est important dans la façon dont il prolonge un thème inhérent à toute l'oeuvre de Stroheim, et que ses films "Européens" montrent particulièrement bien... surtout ses films "Viennois" et assimilés (The Merry-go-round, The Merry Widow, The wedding march, mais aussi Queen Kelly) et Blind husbands, son premier long: la corruption des classes établies de longue date, nobles, bourgeois, lignées royales et impériales, tous gangrénés par le mensonge, les apparences, la fausseté de lignées douteuses.. C'est particulièrement rai quand on considère les trois escrocs qui prétendent tant et si bien être comte, comtesse, voire princesse, qu'on finirait par croire qu'eux aussi se laissent prendre au piège. Mais au vu du pedigree de la plupart des héros du metteur en scène, dans ses autres films, peut-être cette corruption est-elle simplement la marque de ces gens de la "bonne société", et peut-être sont-ils en dépit de leur malhonnêteté, d'authentique extraction noble, après tout: l'un n'empêche pas l'autre. Néanmoins, ironiquement la principale activité qui est la leur reste d'écouler de la fausse monnaie.

 

Autre thème qui revient comme un écho à Blind husbands (les deux titres d'ailleurs se répondent sans ambiguité): Karamzin, le faux comte, est un homme obsédé de sa masculinité, qui prend du sang de beouf au petit déjeuner, et reste incapable de voir passer une femme sans vouloir l'ajouter à son tableau de chasse, et il se distingue fortement de Mr Hughes, qui s'adresse à son épouse alors qu'il porte un pyjama très moyennement sophistiqué; un homme dont la simplicité et l'aspect direct, franc du collier, passe pour un temps pour un manque total de classe... Mais la masculinité dans la version de Serge Karamzin est non seulement d'une fausseté évidente, elle souffre aussi du fait que le brave "comte " est en fait aux ordres des deux femmes qu'il accompagne...

 

Enfin, un autre thème récurrent chez l'auteur de Greed reste la proximité traumatisante de la guerre, qui changeait la donne dans le régime Viennois de The merry-go-round: dans le Monte-Carlo de Stroheim, la guerre est omniprésente, par les séquelles qu'elle a laissées derrière elle. Les soldats estropiés, les enfants qui jouent, la présence d'un casque Allemand notamment sur la tête d'un gamin (dont on pourrait se demander comment il se l'est procuré, après tout, Monte-Carlo état quand même bien lointain du front) rappellent que le conflit qui a mis fin à l'ancien monde est encore dans toutes les mémoires... Comme un rappel du fait que le monde qui a vu naître un Karamzin, ou un Lieutenant Von Steuben (Blind Husbands) est désormais totalement détruit... Le feu de la guerre a tout emporté, tout comme les illusions véhiculées par Karamzin disparaîtront dans un incendie qu'il aura lui même indirectement causé en jouant... avec le feu.

 

Dans la version disponible, le film est beau, fort, élégant, souvent révolutionnaire... mais tout cet aspect de roman fleuve, cette accumulation de détails et ces touches cruciales (le biographe Richard Koszarski le dit bien: rien n’est gratuit chez Stroheim) ont disparu.


Temps fort, le premier grand film de son auteur, il apporte comme les autres beaucoup: outre la dimension romanesque évoquée plus haut, on voit ici l’auteur intégrer des nouveaux procédés narratifs, mais aussi s’intéresser à la technique: Foolish Wives est le premier film Américain majeur tourné sur pellicule panchromatique, qui restitue les nuances avec plus de fidélité. Stroheim continue à faire jouer ses acteurs comme il l’a fait dès Blind Husbands: à l’économie, réservant le maquillage pour ses actrices.

 

A ce propos, si Patricia Dupont est désespérément fade, quel bonheur de voir les deux comédiennes du film perdu Devil’s passkey refaire une apparition: leur jeu acide complète admirablement le séducteur faux-jeton et éclaire efficacement le thème traité par Stroheim de l’attraction des apparences. Un aspect important enfin de la mise en scène de Stroheim est évident ici: la façon dont il utilise les foules, les figurants dans les scènes de rue; y compris les scènes plus intimes (La rencontre entre Stroheim et Dupont sur le balcon à l’hôtel, par exemple) dans lesquelles il place dans le champ des vitres ou miroirs sur lesquelles se reflètent des armées de figurants affairés, tous aussi authentiques les uns que les autres. S’il souhaitait montrer à quel point le faux peut être séduisant et donc dangereux, il savait de quoi il parlait: son Monte-Carlo (Ses casinos, ses riches, ses… marais.) est tellement plus beau que le vrai.

 

Il l'est aujourd'hui d'autant plus que la restauration achevée en 2020 montre aujourd'hui, au moins, ce nous reste du film (pas d'ajout de séquence, il ne faut pas trop en demander) dans toute l'ironique beauté voulue par son metteur en scène, qui tant qu'à montrer la laideur et la corruption de ces braves gens, souhaitait le faireavec style: les couleurs (teintes, virages et pochoirs) qui illuminent les séquences de nuit, mais aussi la superbe séquence d'incendie, sont magnifiquement restituées dans cette version restaurée pour le festival du cinéma muet de San Francisco...

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1922 **
20 juillet 2023 4 20 /07 /juillet /2023 07:46

Un petit pensionnat, peu de temps avant une guerre (la première guerre mondiale?); dans la petite vie tranquille de l'établissement, trois gosses se démarquent: ils se retrouvent la nuit, et ont constitué une société secrète, les Chiche-Capons: Beaume (Serge Grave), Macroy (Marcel Mouloudji), et Sorgues (Jean Claudio). Leur but: planifier, organiser et ffectuer un voyage aux Etats-Unis, les trois ensemble ou pas du tout. 

La vie de l'école est bien réglée, avec ses professeurs, tous des forts caractères, surtout Planet, l'insomniaque (Jacques Derives, auquel tout le monde demande, tous les matins s'il a bien dormi); Lemel (Michel Simon), l'alcoolique; celui-ci est particulièrement méfiant à l'égard de Walter (Eric Von Stroheim), la plus récente recrue du corps professoral, un prof de langues... mais surtout un étranger.

A l'issue d'une réunion des Chiche-Capons, Sorgue aperçoit un homme mystérieux (Robert Le Vigan) qui apparaît et disparaît. Il tente d'en parler aux autres, mais personne ne souhaite apporter le moindre crédit à ce qu'il raconte... Mais après un cours de M. Walter dont il se fait exclure, Sorgue disparaît... Puis c'est au tour de Macroy. Après un esclandre, Lemel, qui recevait parfois la visite du mystérieux inconnu, tombe et trouve la mort. Quel est donc le mystère du collège de St-Agil?

L'aventure avec un grand A, la vraie... Les trois gamins (qui à peine réunis en conciliabule nocturne, allument une Gauloise, et prêtent serment devant un squelette de cours de Sciences Naturelles - il s'appelle Martin) semblent prêts à la vivre, telle qu'on la vivait dans l'entre-deux-guerres dans les romans pour ados. C'est d'un de ces romans policiers pour jeunes gens que ce film a été adapté, une oeuvre de Pierre Véry, spécialiste de ce genre léger... 

Le mystère qui agite la pension est d'autant plus étrange, qu'il s'agit d'un collège modèle, après tout. Pas forcément select, voire franchement miteux, on n'a pas l'impression qu'il puisse être comparé, d'une part à l'école de Zéro de conduite, d'autre part à celle des Diaboliques... Les turpitudes des adultes y sont sans doute mise en valeur par le point de vue des enfants... et ces gamins qui font le pacte de partir à New York, tous les trois ou pas du tout, ont soif d'aventure mais aussi d'absolu.

Christian-Jaque a parfaitement su trouver la mise en scène la plus adéquate pour son film, l'un de ses meilleurs. Un point de vue constamment à hauteur d'enfant, mais avec toujours un temps d'avance; un dosage savant et délicat du mystère ou des mystères (que cache Walter? qui est l'homme de la nuit? que sont devenus les deux disparus?)... Il accomplit un miracle dans son découpage mais aussi dans chaque plan, depuis l'ouverture à la Hitchcock, sur une maquette du collège, jusqu'à l'utilisation subtile de l'éclairage... Et la caméra fluide, sûre de ce qu'elle a à montrer, n'a pas son pareil pour traquer chez les gamins le sens de la fascination, de l'inquiétude, de l'aventure, quoi... Par des acteurs juvéniles dégourdis parfaitement assistés d'adultes plus que compétents... Du plaisir, donc.

 

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Published by François Massarelli - dans Christian-Jaque Erich Von Stroheim
2 juillet 2022 6 02 /07 /juillet /2022 00:08

 

Une fois l’affaire Greed consommée, Stroheim qui avait commis ce film invendable restait sur les bras de la MGM. On peut imaginer plusieurs raisons pour lui confier un nouveau film comme celui qui lui fut attribué. La première raison, c’était peut-être de l’amadouer, de lui faire comprendre qu’il n’était pas indigne de la famille Metro-Goldwyn-Mayer, et qu’on l’estimait toujours, la preuve, on lui demandait de faire un gros film. Il n’avait à ce stade qu’un seul véritable échec commercial à son actif, et les dirigeants estimaient que le matériau, avec ses gros sabots Austro-Hongrois, lui convenait à merveille. Une deuxième raison réside dans le fait que les gens de la firme, qui prétendront apprendre à Buster Keaton comment on fait une comédie (En 1928) se sont efforcés de choisir pour Stroheim le véhicule qui leur semblait le plus proche de son cinéma, tout en recherchant une type de film qui ne fâche pas trop les familles: un ersatz, donc. La troisième, c’est que Mae Murray, grande vedette bientôt lessivée de la MGM, s’était entichée de l’opérette et voulait la faire par tous les moyens, et Thalberg imaginait qu’avec Stroheim face à elle, le réalisateur tempèrerait de son autorité les caprices de la star, et que l’actrice remettrait le démiurge en place. Mauvais calcul, doublement… mais passons.


Si c’était un geste de bonne volonté de la firme, cela ne serait pas pris comme tel par le metteur en scène, mais celui-ci allait s’acquitter malgré tout de la tache, dans un tournage émaillé de problèmes en tous genres, en particulier entre les deux principaux protagonistes déjà cités, mais aussi entre Stroheim et l’autre star, John Gilbert, ou encore entre Stroheim et Thalberg. Celui-ci a en effet licencié Stroheim une deuxième fois (rappelons que la première fois, c'était à la Universal), pour le remplacer par Monta Bell qui ne put tourner un mètre de pellicule suite à une grève des techniciens, et de John Gilbert en soutien à leur réalisateur...

 

Pour cette fois-ci, c’est Stroheim qui a fini le film, puis il a quitté la MGM, désormais cinéaste maudit pour l’éternité, avec un nouveau énorme succès à son actif… Bref, la routine.


Notre héros n’aimait pas ce film, qui lui avait été imposé. Je pense que si on lui avait imposé de faire le film de son choix, d'en écrire le scénario, de faire un remake de Greed avec le final cut spécifié sur son contrat, la tête de Thalberg en prime, il n’aurait pas aimé: Stroheim devait vouloir faire quelque chose à 100% pour le respecter: son art était à ce prix. De plus, on lui imposait de tourner avec des vedettes, et même une star. Il ne l’avait jamais fait et ne souhaitait pas le faire, c’était donc pour lui une nouvelle compromission inacceptable… Les historiens sont généralement critiques sur ce film, Sadoul en tête: s’il reconnaît que le film est meilleur que l’opérette, il l’accuse d’avoir été bâclé. Denis Marion le considère comme « le moins bon » des films de Stroheim. Qu’en est-il ?

Le scénario de l’adaptation par Stroheim a tout fait pour désopérettiser l’œuvre, en lui donnant de la substance mélodramatique. Du reste, souhaitant au départ interpréter le Prince Danilo de Monteblanco, Stroheim devait en faire moins un sympathique fripon qu’un Steuben ou un Karamzin auquel on offre une sorte de rédemption, mais Thalberg en décidera autrement : sachant qu’il lui serait difficile de licencier le metteur en scène et la star, dans un tournage qui s’annonçait orageux, il a imposé à Stroheim d’utiliser John Gilbert, le jeune premier qui n’en finit pas de monter, ce qui obligera l’auteur à réécrire le rôle, le scindant en deux: Danilo (Gilbert) est le sympathique neveu du roi, coureur mais foncièrement gentil, alors que Mirko (Roy D’Arcy) est l’ignoble prince héritier, coucheur, hypocrite, sadique et portant monocle. Mae Murray joue Sally O’Hara, la jeune danseuse devenue à son arrivée à Monteblanco la femme convoitée par les deux princes et le baron Sadoja (Tully Marshall), un vieil infirme libidineux, fétichiste du pied, dont les millions sont le principal soutien de la couronne. C’est à ce dernier que Sally O’Hara se marie lorsque une machination de la famille Royale empêche Danilo de convoler en justes noces avec elle, et la nuit de noce tourne au drame, lorsque Sadoja s’écroule, tué sur le coup par un arrêt du cœur au vu des petits petons fripons de sa jeune épousée. devenue la « veuve joyeuse », elle est l’objet de toutes les attentions, et quelqu’un doit l’épouser afin que les millions ne s’envolent pas pour l’étranger. La partie tourne à l’affrontement entre Mirko et Danilo…

Servi par les moyens de la MGM, Stroheim donne à son film une allure et un style particulièrement luxueux, et son sens du détail fait ici merveille, notamment dans les scènes d’ouverture, qui sont d’autant plus intéressantes qu’elles y ont été maintenues en intégralité: Stroheim savait exposer un film, et son art classique en ce sens est profondément délectable ici: les premières images nous montrent une sortie de messe à Monteblanco, le couple royal d’abord (George Fawcett et Josephine Crowell, absolument pas glamour !), puis le Baron sur ses béquilles. Ensuite, il nous emmène voir l’arrivée de l’armée, en manœuvres, dans une auberge typique en pleine montagne, où la voiture de Mirko s’arrête, puis Mirko en descend, pestant contre l’auberge qu’il déteste au premier coup d’œil, et s’insurgeant de voir des cochons s’ébrouer dans la fange. Il manque de marcher dans une flaque de boue, l’évite avec force manières, puis on passe à l’arrivée de Danilo, dans sa voiture en plein examen de cartes postales cochonnes, qui s’arrête, rit en voyant et l’auberge et les cochons, puis marche sans que cela le dérange vraiment dans la boue, en devisant gaiement avec ses lieutenants… La boue resservira, lorsque vers la fin lors d’un enterrement Mirko évite de marcher dans une flaque, mais un accident l’y précipitera malgré tout. Les "petits cailloux" chers au réalisateurs (des balises de sens disséminées dans l'histoire et qui en rafermissent la continuité), laissés sur place malgré la prise en main du montage final par la MGM, offrent une (petite) revanche à Stroheim, qui est ici, qu’il l’ait admis ou non, dans son élément. D'ailleurs, le résultat n’est pas du tout un film familial, dans lequel on couche, on ment, boit, trahit, brutalise et flingue sans vergogne; on y jure presque, lorsque le roi dit à Danilo: "Si tu crois que l'on se marie avec toutes les filles que l'on...". Ca n’a pas non plus grand-chose à voir avec Lubitsch, mais c’est un film souvent défoulant par son décalage et ses excès, tout comme pour sa mise en scène qui donne à voir de nouvelles tendances en matière de perversion : lorsque Danilo tente de séduire Sally dans une chambre privée, seul (Si ce n’est cet étrange couple de musiciens nus et aveuglés par des foulards qui restent sur le lit durant les (d)ébats), Mirko se trouve dans la même maison, avec une foule de gens qui s’adonnent à une superbe orgie stroheimienne: on y déverse du Champagne sur des dames, on y lance des oreillers crevés, on y tape sur des infirmes, etc… Le baron Sadoja, (Marshall est un nouveau venu qui n’a pas dit son dernier mot, on le reverra dans Queen Kelly) permet le recours au fétichisme, qui apparaît dans la scène du théâtre: chacun avec des jumelles, dans la même loge, Mirko regarde les seins de Sally, Danilo son visage et Sadoja ses pieds. Une scène vaudra à Stroheim la colère de Thalberg: voyant des pieds (Feet, mais on dit aussi footage) de pellicule imprimés avec des dizaines de pires de chaussures différentes, Thalberg demande une explication à Stroheim. Celui-ci lui explique que cette collection appartient au baron, qui a un "foot fetish". Mais Thalberg lui aurait rétorqué : « You have a footage fetish! » ; une anecdote qui montre bien la méfiance de Thalberg, qui surveillait le tournage de très près, mais aussi les rapports de défiance entre les deux hommes. La scène incriminée a disparu du montage final.


Le film, visuellement, est caractéristique de Stroheim: la création de Monteblanco en fait un pays purement imaginaire, mais dont les détails (Alphabet cyrillique, uniformes, etc…) en font un pays plausible même si il est caricatural. De plus, le réalisateur a pour la deuxième fois, après Greed, eu recours au Technicolor (La scène finale) mais les copies en circulation n’en disposent hélas pas. Encore une des obsessions de Stroheim, la couleur était toujours pour lui l’occasion de souligner l’exceptionnel, pas un motif réaliste: dans Greed, le seul moment en couleur naturelles était quasiment l’unique moment de félicité du film, et la couleur était utilisée (dans les montages de Stroheim, en tout cas) pour mettre les objets jaunes et dorés en valeur. On retrouve le Technicolor avec The Wedding march, dont les scènes en couleur ont été préservées. Ici, la scène du mariage a été rehaussée par ce moyen, mais les négatifs couleurs ont sans doute été décomposés…

Une version "fausse", la fin du film colorisée à la façon du technicolor deux bandes, circule sur internet. C'est très beau, mais c'est un faux... Voir la photo tout en bas de cet article.

Ni franchement génial, ni mauvais, parfaitement distrayant, il faut voir ce film, étrange rencontre d’un studio tout-puissant, d’un producteur souhaitant tout contrôler, et d’un réalisateur démiurge. Il faut supporter l’insupportable Mae Murray, il faut une grande dose de second degré pour apprécier Roy D’Arcy, mais John Gilbert est plaisant et Stroheim ne s’y est pas trompé, lui qui après avoir essayé d’asseoir son autorité sur le jeune acteur par des vexations et des humiliations diverses, s’est retrouvé sommé de s’expliquer par un Gilbert pas décontenancé. les deux hommes sont devenus amis, et quoi d’étonnant, quand on sait leur parcours à la MGM et la façon dont leur trajectoire s’est brisée?

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1925 *
8 août 2021 7 08 /08 /août /2021 09:48

Dans un music-hall, le ventriloque Gabbo n'arrive plus à retenir son égocentrisme et manifeste à l'égard de Mary, son assistante, une froideur et une méchanceté de tous les instants. Le couple se disloque et Mary s'éloigne... Deux ans plus tard, ils partagent la vedette d'une revue: Gabbo s'est rendu compte de son erreur et tente de la faire revenir vers lui, mais Mary est mariée à son partenaire, et souhaiterait trouver le moyen de le dire à celui qui continue, malgré leur histoire commune si compliquée, à la fasciner...

A côté de cette intrigue, il y a Otto: la poupée articulée de Gabbo, en effet, est la raison pour laquelle le film a souvent été mis un peu à tort et à travers dans la case fantastique. Le rapport entre le ventriloque et sa marionnette est impressionnant et pose forcément des questions au spectateur: quand il est seul dans sa loge, Gabbo lui parle et Otto lui prodigue généralement des conseils. Quand Mary s'en va, Otto lui témoigne la sympathie que Gabo lui refuse. Et quand elle est définitivement partie, Otto devient, plus que jamais, le confident de l'artiste. Un artiste qui est détesté par tous ceux qui l'approchent: ses voisins dans les coulisses se moquent de lui, et les danseuses et chorus-girls 'apprécient pas sa morgue et se moquent de son côté hautain... Seul contre tous, Gabbo adopte une position de repli, parlant toujours plus à Otto sans se rendre compte qu'il devient peu à peu complètement fou...

De son côté, Mary écoute Otto, car elle sait qu'il exprime le côté positif de son propriétaire. Quand elle dit adieu à Gabbo, c'est à Otto qu'elle le dit. Du coup, le doute est permis, et ni Cruze ni Stroheim ne nous diront jamais clairement si Otto est doué de vie ou si c'est tout simplement une histoire, littéralement, de fou. La solution s'impose de toute façon d'elle-même, le personnage de Gabbo étant, comme un Svengali malchanceux, totalement fascinant... Un mélange de folie, donc, mais aussi d'une pudeur malvenue, celle d'un personnage qui s'enferme dans un amour impossible...

Il fallait, pour un tel personnage, un monstre sacré comme Stroheim. Celui-ci est royal, jouant de son accent et de sa raideur comme rarement... Il semble apprécier le fait d'utiliser enfin sa voix, d'ailleurs: c'est son premier film parlant, et il réussit brillamment le test... Le personnage a sans doute bénéficié de ses idées, et on trouve des touches personnelles dans son costume et son maquillage: en plus de l'aspect cérémonial de son costume de scène (une veste blanche impeccable, une culotte de velours noir avec des as jusqu'aux genoux, et une paire de chaussure à la dernière mode du XVIIIe siècle), il a ajouté des médailles sur lesquelles nous ne saurons rien, et qui ajoutent un peu plus à la dimension mythique et passée du personnage: il a vécu, et il ne sait pas lui-même qu'il est en bout de course... Comme pour confirmer ce dernier point, la cicatrice de l'acteur, située sur le front, au-dessus de l'oeil droit, est accentuée par le maquillage et justifie une fois de plus de manière éclatante la présence d'un monocle...

Betty Compson est formidable, et il est dommage qu'elle n'ait pas pu prolonger cette carrière de premier plan... Ici, elle est doublée aussi bien pour les scènes chantées que pour la danse. Car c'est la particularité, mais aussi la malédiction, de ce film: c'est aussi une comédie musicale... Typique de 1929, c'est à dire qu'on y considère le spectacle comme devant être à l'imitation de ce qui se passait à New York chez Ziegfeld: des danseuses habillées de mousseline, qui marchait en rythme, accumulées de tableau en tableau. Une spirale de mauvais goût au goût artistique réduit à néant... Ces scènes était rehaussées de couleurs dans la version originale disparue, mais en noir et blanc, elles sont des tentations coupables de zapper, malgré l'extravagance des moyens mis en oeuvre: des mises en scènes délirantes (l'un de ces numéros montre les danseurs et danseuses évoluer sur une toile d'araignée...) et les clins d'oeil à la permissivité de Ziegfeld (les statues nues et vivantes, maquillées de blanc). Ces scènes ont probablement joué pour la bouche à oreille du film, mais aujourd'hui elles l'alourdissent considérablement.

Ce qui est aujourd'hui considéré comme un classique, paradoxalement, n'a pas eu une très belle carrière en salles. C'était un pari risqué pour Cruze, et il a payé le prix: après un ou deux films indépendants voire tournés pour des compagnies de seconde zone (Republic ou Tiffany, par exemple), et quelques productions occasionnelles pour Universal ou Paramount, la carrière de l'ambitieux metteur en scène de The covered wagon et Old ironsides était finie...

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Pre-code Musical James Cruze
30 avril 2021 5 30 /04 /avril /2021 08:52

Pour un premier film, BLIND HUSBANDS est sacrément réussi. Le titre (Maris aveugles) n’est pas de Stroheim lui-même. Selon sa propre version, le cinéaste a essayé d’imposer à la Universal le titre The Pinnacle, mais Carl Laemmle, le patron de la petite firme, a refusé, ayant peur de la confusion avec le jeu (Pinochle). Les crédits sur certaine copies signalent la provenance comme étant The Pinnacle, a play by Erich Stroheim : une pièce très probablement fictive, mais dont la mention permet juste au réalisateur d’apposer son titre de prédilection au film, même d’une manière détournée.


Qu’un producteur comme Laemmle ait accepté de donner sa chance à un réalisateur débutant sur un film d’un genre somme toute sophistiqué reste étonnant, 89 ans après. On se perd en conjectures, et ma théorie, partagée sans doute avec beaucoup, est que Stroheim, qui n’était pas trop gourmand pour avoir le droit de faire un premier film, représentait un pari pas si risqué, et l’opportunité d’une publicité basée sur un acteur d’emblée fascinant, un investissement rentable a priori. De plus, le menu de Blind husbands promettait du sexe et de la sophistication…


L’histoire est celle d’un couple Américain, Les Armstrong, interprétés par Francellia Billington et Sam de Grasse, en villégiature à Cortina d’Empezzo, en même temps qu’un officier Germanique, Erich Von Steuben. Celui-ci tente de séduire la jeune femme, qui résiste. Une autre partie de l’intrigue nous montre Sepp (Gibson Gowland), un guide autrefois sauvé par le Docteur Armstrong, qui va s’acquitter de sa dette en sauvant sa vie.


Le métier dont fait preuve Stroheim est impressionnante; il maîtrise le sens du découpage, et va traiter le drame et le mélodrame en vrai révolutionnaire: Non seulement il donne au triangle amoureux une nouvelle forme (un quasi rectangle amoureux, en fait) mais il utilise virtuellement TOUTES les facettes de ses personnages, les rend complexes, riches et de chair. Ceux-ci ne sont plus seulement cernés d'une phrase, mais atteignent une vérité inédite, sans qu’il y ait nécessairement besoin de tous expliquer par des sous-titres: le style de Stroheim, bien que déjà verbeux dans ses intertitres (Son défaut le plus gênant aujourd'hui, et une manie quasi littéraire) aime à valoriser le détail, en lui donnant du sens. Il se sert des rituels (Notamment militaires, dans l'habillage et le déshabillage et les petits détails de la toilette: fixe-chaussettes, résilles, caleçons...), traditions et manies des personnages, et bien sûr il va plus loin que de demander à ses petits rôles de faire de la figuration : un couple de second rôles en lune de miel va participer au drame à la fin du film en intégrant une équipe de secours, et les servantes sont campées de façon très différenciées (L’une d’entre elles inaugure le cycle Stroheimien des amours ancillaires, dont se souviendra toute sa carrière durant Renoir). Le triangle amoureux (Et, donc, rectangle) est complété par Sepp (Gibson Gowland), qui s’interpose de façon très efficace entre Steuben et la jeune femme. Sepp et le docteur font front commun, mais le plus intéressant est le coté rendez-vous manqué: éconduit par la jeune femme, le lieutenant, menacé de mort par le mari persuadé d’être trahi, va malgré tout prétendre l’avoir séduite: le mari, lui ayant promis la vie sauve si il mentait, ne le tuera pas. Cette logique sardonique colore tout le film d’un parfum assez capiteux : on peut bien sûr admirer la puissance du jeu de Stroheim, parfait en ignoble séducteur-matamore, qui prétend tout au long du film maîtriser l’alpinisme, mais finit l’ascension sur les genoux, essoufflé, et titubant. Sam de Grasse a été sciemment utilisé pour son manque de relief, et parce qu’aussi sympathique soit-il, on comprend la tentation potentielle d’aller voir ailleurs… Y compris vers un Steuben, une contrefaçon douteuse. le mensonge et la dissimulation, éternels thèmes Stroheimiens, à la scène comme à la ville.


En plus de sa tentative de complexifier le triangle, Stroheim impose à ses acteurs peu connus un jeu intériorisé, en faisant comme on l’a vu ressortir les rituels, détails vestimentaires, les décors vraisemblables (Bien que tournés en Californie, ce que trahissent les "Alpes" du film). Le réalisateur visionnaire impose à ses acteurs masculins de jouer sans maquillage, une constance de son œuvre… à une exception près. Il en ressort une vérité, un jeu digne qui situent Stroheim plus du coté de Lois Weber ou William de Mille que d'un style histrionique. Mais les actrices ne seront pas toujours aussi bien loties : Il les préfèrera débutantes, ou si possible habituées du burlesque(Maude George, Zasu Pitts, mae Busch, Dale Fuller, Josephine Crowell). Ici, la terne Francellia Billington appartient à la première catégorie.


La réputation de grand méchant cynique dont souffre Stroheim-réalisateur n’est pas compréhensible : certes, il est question ici de coucherie, de tromperie, de vieux couple qui a besoin de retrouver l’amour, mais l’auteur utilise le contrepoint pour démentir toute accusation de méchanceté : le jeune couple en lune de miel, par ailleurs parfaitement défini comme étant gentiment gnan-gnan, va sortir de son cocon à la fin lorsque une expédition de secours se forme, et la jeune femme va assister Mme Armstrong. Sepp, de son coté, consolide son amitié indéfectible mais conseille son ami de mieux aimer sa femme. A la fin, seul le méchant, par ailleurs bien pitoyable de film, meurt, mais il s’appelle Steuben, un terme qui le rapproche de Sterben, l’infinitif de mourir en Allemand. Les références de Stroheim aux Autrichiens, aux Allemands, et aux aristocrates ne sont jamais loin de la mort, de la fin, d’une évocation d’un monde disparu… Foolish wives couve sous Blind husbands.


A la fin du film, les deux gentils couples s’en vont, Sepp pleure de devoir quitter son ami… Cynique, Stroheim ? Un vrai moraliste, oui! On doit le dire, dans ses films, Stroheim n’aime peut-être pas tous ses personnages, mais ceux qu’il apprécie, il a décidé de nous le faire partager…


Le film a remporté un gros succès, qui bénéficiera à tout le monde : Laemmle aura prouvé que la Universal ne fait pas que des petits films de rien du tout, et Stroheim a prouvé qu’il était un metteur en scène. La firme n’était donc pas près de le lâcher…

 

Il existe pour finir deux versions du film, toutes deux disponibles en DVD: la version intégrale sortie en salles en 1920 a disparu de la circulation, et pendant un temps toutes les copies disponibles étaient des variations sur la version ressortie à la fin des années 20, et amputée d'une vingtaine de minutes. C'est l'édition Américaine, par exemple distribuée par Kino. Une autre version, tirée de la même source que la version Américaine d'origine (et donc du négatif original) a été retrouvée en Autriche en 1982: c'est une version plus longue que l'Américaine, mais son montage est différent, beaucoup de plans sont plus longs. A la base pourtant ce sont les mêmes séquences: aucun événement supplémentaire en vue. Les intertitres sont en Allemand et tempèrent la "couleur locale" Autrichienne voulue par Stroheim. Donc c'est une meilleure version en terme de montage strict, mais elle n'est pas "la version initiale" voulue par Stroheim et la Universal en 1919...

 

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1919 *
10 septembre 2020 4 10 /09 /septembre /2020 19:33

On s’attendrait à une adaptation d’un roman noir, voire plus précisément d’un roman Américain, mais non : ce film est basé sur une idée originale de Marcel Achard qui a ensuite contribué à la rédaction d’un script en compagnie de Chenal, assisté de Jacques Companeez et Hans Juttke. Derrière un portrait fascinant de la vie nocturne, on voit en réalité trois mondes qui se côtoient, à travers quelques personnages formidables : le film est réellement fondé sur trois performances : Jany Holt est l’héroïne du film, mais elle affronte le regard d’acier d’un policier génialement interprété par Louis Jouvet et surtout, elle doit rendre un service à Erich Von Stroheim, ce qui lui coûtera cher…

Le professeur Winckler, un artiste de music-hall Américain (Stroheim), retrouve la trace d’un ancien ennemi du temps de sa jeunesse, le gangster Américain Gordon. Il l’abat froidement puis se rend chez une jeune femme pour un alibi : Hélène (Jany Holt) ne comprend pas pourquoi il l’a choisie elle, mais ne crache pas sur l’argent qu’il lui donne. Quand elle se rend à la police pour donner sa déposition, et témoigner sous serment que le mystérieux personnage a bien passé toute la nuit avec elle, elle apprend que c’est d’un meurtre qu’il est soupçonné…

Une autre intrigue va bientôt se greffer sur cette base : l’inspecteur (Jouvet) qui ne croit pas à l’histoire que lui a raconté Hélène et soupçonne qu’elle ne dise pas la vérité sous la menace de Winckler, lui tend un piège, avec un joli cœur (Albert Préjean) qui va jouer le rôle du suspect parfait tout en la séduisant : à elle de réagir et de retourner sa veste quand l’étau se refermera sur un innocent… C’est intéressant mais ce n’est pas la partie la plus importante du film, d’autant que Préjean, incorrigible, fait du Préjean ! Ses techniques de séduction ont bien vieilli…

Mais peu importe : la confrontation entre deux monstres sacrés, Jouvet et Stroheim, est un grand moment, et l’acteur Américain, en dépit de devoir donner les trois quarts de sa performance dans un langage qu’il ne comprend pas, réussit une fois de plus à voler la vedette. Il se sert même à plusieurs reprises de ce handicap pour ajouter de la véracité et mettre l’emphase sur le côté inquiétant du personnage par sa lenteur et son excessive amabilité. Jany Holt est remarquablement bien dirigée, mieux en tout cas que dans le Beethoven de Gance, et son personnage qui navigue en eaux troubles en essayant de ne pas trop se compromettre est constamment intéressant…

Et la mise en scène de Chenal, sous haute influence Américaine, est un modèle de précision et surtout de rythme, par la grâce fluide de son montage, d’ailleurs étonnamment rapide, et la façon dont il utilise les gros plans. Faut-il maintenant voir dans l’univers du professeur Winckler, médium, astrologue et télépathe dont les trucs ne seront jamais dévoilés, la patte de l’ancien metteur en scène Stroheim ? On sait qu’il arrivait souvent avec des idées, parfois saugrenues, qui étaient utilisées à bon escient par les cinéastes : Renoir a reconstruit le personnage de son officier Allemand dans La Grande Illusion grâce à cet apport par exemple. Alors quand on voit Stroheim, en plein rituel d’habillage pour enfiler une robe de chambre qui ressemble à la bure d’un moine inquisiteur, on ne peut s’empêcher de lui attribuer, quand même, une petite partie de la mise en scène… Ce qui n’enlève rien au talent de Chenal, dont c’est, il est vrai, l’un des meilleurs films…

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Pierre Chenal Noir
12 septembre 2011 1 12 /09 /septembre /2011 10:44


Acte I: Walking down Broadway

Walking Down Broadway est donc le nom du film tourné par Stroheim pour la Fox en 1932. Il semble qu’il ne s’agisse pas pour lui d’un film important, mais plutôt d’une de ces marques bizarres de sa bonne volonté, effectuées afin de prouver aux studios que contrairement à la légende, il peut faire ce qu’on attend de lui (The Merry Widow) … ou d’un metteur en scène sous contrat (Walking down Broadway). En choisissant cette histoire urbaine, moderne, située à New York en pleine crise économique (Elle est citée par les personnages), Stroheim ne fait pas vraiment du « Stroheim », mais il se situe dans la ligne des comédies dramatiques de la Fox d’alors, et son film ne détonne pas énormément avec la production moyenne du studio. Il accepte même de tourner avec des jeunes acteurs sous contrat à la Fox, qu’il n’a donc pas formés: James Dunn et Minna Gombell sont en effet des jeunes pousses du studio (Ils ont notamment tous les deux tourné dans Bad Girl, de Borzage). Boots Mallory n’en est pas exactement à son coup d’essai, ayant tourné un ou deux films, mais on constate que c’est la moins expérimentée qui rafle le rôle principal. Quant à Zasu Pitts, on ne la présente plus. Elle a un rôle pivot dans l’intrigue concoctée par Erich Von Stroheim (Telle que racontée par Herman G. Weinberg, dans son Stroheim : a pictorial record of his nine films, Dover books, 1975): Deux provinciales naïves (Mallory, Pitts) débarquent à New York ou elles peinent à se faire des amis, et grâce à l’aide d’une jeune femme installée depuis longtemps (Et qui se prostitue assez ouvertement) elles prennent confiance en elles et sortent afin de rencontrer des hommes. Lors d’une sortie sur Broadway, elles rencontrent deux hommes, joués par James Dunn (Le gentil Jimmy, délicat et timide) et Terence Ray (« Mac », entreprenant, faux-jeton et aux mains baladeuses). Celui-ci jette son dévolu sur Peggy (Mallory), la jolie fille, et Jimmy se retrouve plus ou moins contre son gré coincé avec Millie (Pitts), qui à partir de là fait une fixation sur celui auquel elle se croit liée pour l’éternité. Après une journée à Coney Island, les quatre rentrent chez les filles, ou Mac a un geste déplacé, qui provoque la colère de Peggy. Jimmy vient la consoler, et ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre, réalisant qu’ils sont faits l’un pour l’autre, ce que Millie constate très vite: elle va s’acharner sur le couple, afin de les séparer, mais sans succès. Au moment ou elle réalise qu’elle s’apprêtait à détruire un couple d’amoureux sincères et innocents, qui attendent un enfant et vont se marier, elle décide de se suicider avec le gaz, et provoque l’explosion de la maison. Jimmy, qui vient de rompre avec Peggy suite aux mensonges de Millie, accourt pour sauver sa fiancée, dont il ne sait pas qu’elle est hors de danger, et sauve Millie juste à temps pour l’amener à l’hôpital, ou elle meurt après une confession sincère. 

On le voit, si le couple principal reste les gentils Jimmy et Peggy, qui ont droit à leur romance, leur poésie (ils aiment à ouvrir le vasistas, regarder dehors la tête sous les étoiles), leur destin (Ils attendent un enfant), le rôle joué par Millie est très important, et on le mesure d’autant plus que Stroheim l’a confié à Zasu Pitts. Il va même jusqu’à prendre acte que dans l’esprit du grand public, Pitts est une comédienne, qui a déjà été vue dans des courts chez Roach, mais on a sans doute oublié la Cecilia et la Trina de Stroheim, ainsi que son rôle de mère tragique dans le Lazybones de Borzage. Elle est donc au départ une fantasque excentrique (Au moment de rencontrer les garçons, elle se lance dans une diatribe enthousiaste sur les enterrements, sa passion…) , avant de jouer la vengeance et de devenir une figure tragique: Stroheim avait besoin de distance et de longueur pour faire passer la mutation. De même, là ou les films pré-code de la fox ou de la Warner auraient privilégié un début énergique, avec le plus de mouvement possible, Stroheim installe ses héroïnes à New York, afin de les doter d’une personnalité : il sait que le public aura tôt fait d’assimiler ses personnages à des prostituées si il ne prend pas le temps de montrer le contraire. Enfin, il joue sur un grand nombre de ses petites habitudes, opposant les personnages (Mac / Jimmy, ou le retour de Danilo et Mirko), reposant sur ses petits cailloux (Lorsque Millie prend congé de Peggy, elle prend bien soin d’allumer la lumière, un geste manique annonçant son suicide à la fin du film) et sur ses obsessions : le final permet à Stroheim de ressortir son alerte de pompiers de Foolish Wives. Les femmes sont peintes de façon complexe, avec leurs spécificités, de Millie la fantasque à Peggy la romantique (Oui, mais en cette période Pré-code, on peut être romantique et enceinte…) en passant par la très attachante prostituée Mona qui veille sur ses copines et qui mène moralement tout ce monde.

Acte II : Hello sister

A la fin, Stroheim peut donc donner à la Fox un film certes long (On parle de 14000 pieds, soit environ deux heures et demie), mais moderne, mouvementé, agrémenté d’ingrédients épicés, avec des personnages pas trop complexes, mais suffisamment riches pour soutenir l’intérêt. Le final cut lui est malgré tout retiré, et Stroheim se désintéresse du projet. Les raisons, encore aujourd’hui sont mal connues, il y a néanmoins deux théories : les luttes d’influence commencées à la Fox au moment de l’éviction de William Fox, considéré comme incontrôlable, et qui fait peur à l’industrie toute entière avec ses coups de poker permanents, ont laissé en la Fox un studio fragile sans vrai capitaine, et les dirigeants se succèdent, et la bagarre fait rage entre Winfield Sheehan et Sol Wurtzel. Sheehan, lors d’une période ou il contrôlait la production, a permis à Stroheim de faire son film, Wurtzel prenant le contrôle va détruire le travail de Sheehan (et donc le film de Stroheim). La deuxième théorie repose dans le fait que c’est un film de Stroheim, et suivant la vision de Weinberg, Eisner ou Langlois, le studio va forcément casser le film. Il me semble que c’est un peu court, d’autant que c’est la Fox qui lui a confié le film, mais c’est la version communément admise. Peut-être faut il prendre en compte la durée du film: rares sont les films de la Fox qui fassent plus de 90 minutes; et pour la majeure partie des petits films (parce que Walking down Broadway est un petit film !) qui sortent à l’époque, on est plus près de 60 minutes que de deux heures… Le film sera coupé (et partiellement re-tourné) afin de le raccourcir d’une part, mais aussi de changer certains aspects: notamment le personnage de Millie qui va devenir moins important. Un nouveau personnage est inventé, un poivrot que personne ne prend au sérieux, et qui ramène du début à la fin du film des quantités impressionnantes de dynamite, permettant à la nouvelle version d’exempter Millie de son destin tragique. C’est désormais Peggy qui risque sa vie dans l’immeuble en flammes et c’est Millie qui dit la vérité à Jimmy, lui permettant d’arriver à temps et de sauver sa fiancée. Les deux amants se pardonneront sur les toits, près des étoiles, au lieu de finir le film à l’hôpital au chevet de leur amie. Le rôle de Mac prend du même coup plus d’envergure, puisqu’il devient le principal responsable de la brouille entre les deux amoureux. Il n’a aucune envergure, et dans la version exploitée, il est difficile de le prendre au sérieux. Le début du film est aussi coupé, on commence dès l'introduction par la fameuse marche dans Broadway après une courte introduction du personnage de poivrot fatal...

Pourtant, un grand nombre de touches Stroheimiennes demeurent, et l’une des plus spectaculaires reste la tentative de viol dans un placard (C’est Mac qui brutalise Peggy), qui débouche sur une confrontation violente entre Mona et Mac, la prostituée volant allègrement au secours de son amie. La prostitution, justement, est traitée avec une franchise, sans que la morale bourgeoise trouve son compte; ce n’est pas Stroheim seul qui veut ça, il suffit de voir les films que la Warner concoctait à l’époque ; mais c’est la preuve qu’une cohabitation est possible dans le système Hollywoodien des années 1930/1934 entre Stroheim, ses producteurs et le public. Le metteur en scène n’est pas venu les mains vides, et a construit son film en y intégrant ses thèmes favoris: c’est de nouveau d’une histoire de femmes qu’il s’agit, je pense l’avoir prouvé; sinon, la peinture de l’Amérique moderne se double d’un intérêt pour les gens les plus modestes, qui nous rappelle que Stroheim verra toujours les Just plain Danilo Petrovitch derrière toutes les altesses sérénissimes: il n’y a pas de richesse ni de réussite phénoménale dans ce New York qui nous est montré. Les décors de la version actuelle, largement retournée, ne brillent pas par leur véracité ou l’abondance de détails chers à Stroheim, mais la pluie lors de la rupture, l’épreuve du feu à laquelle est soumis Jimmy, ou encore les touches festives à l’approche de noël qui sont disséminées dans le décor New Yorkais, nous renvoient droit à l’univers du symboliste qu’était le metteur en scène.

Pour finir, le titre qui avait été choisi par Stroheim fait écho à la première séquence durant laquelle Mona suggère à ses deux copines de marcher sur Broadway, elles seront sures de trouver des hommes, ce qui enfonce le clou quant à l’identité de la prostituée, mais qui montre l’importance de situer l’histoire en un lieu suffisamment chargé en sens (Les paillettes, mais aussi la vie fourmillante de la grande ville). Le titre finalement choisi pour la version finale renvoie à une phrase prononcée par Mac au retour de Coney Island lorsqu’il aperçoit Mona. D’une part, c’est une phrase courante du parler familier, d’autre part, c’est une allusion du titre au personnage de prostituée, ce qui tend à prouver que décidément ce n’est pas toujours Stroheim qui a mis en valeur le graveleux dans ses films, et que ce n'est sans doute pas pour des raisons morales que son oeuvre a été mutilée, massacrée, anéantie.

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Pre-code
25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 10:32


Après The Wedding March et ses déboires, et alors même que la question de la deuxième partie soit réglée, Stroheim reçoit une nouvelle proposition, qui va un temps faire croire que le réalisateur n’est pas totalement lessivé. Gloria Swanson, désormais indépendante après sa gloire à la Paramount, vient de triompher dans un film qui avait tout pour faire scandale, Sadie Thompson : une intrigue de sexe et de sueur, un prêtre tenté par la chair, un couple d’acteurs anatomiquement configurés (Swanson et le réalisateur, Raoul Walsh), et un décor d’îles moites. Sous la bannière de la United Artists, Gloria est prête à relancer la machine, et qui mieux que Erich Von Stroheim pour enchérir plus avant sur le scandale. Vrai, lorsque la UA a publié ses sorties programmées pour l’automne-hiver 1928/29, The swamp y figure en troisième position, et il est bien spécifié que Stroheim en sera le réalisateur. Celui-ci est bien sur l’auteur, et si la présence d’une star comme Swanson est une compromission, c’est pour l’instant la seule: le script, épique, est approuvé.

The Swamp, rebaptisé Queen Kelly, concerne à nouveau un petit royaume d’opérette, dans lequel la reine folle s’apprête à convoler en justes noces avec son prince favori. Celui-ci, surnommé Wild Wolfram en raison de ses multiples conquêtes et fréquentations, se sent en vérité prisonnier de cet arrangement, et lorsqu’il rencontre la jeune et jolie pensionnaire d’un couvent voisin (Patricia Kelly), il en tombe illico amoureux. Découvrant l’affaire, la reine fait chasser la jeune fille, qui tente de se suicider, mais sans succès. La reine épouse le prince, et Patricia Kelly apprend en rentrant au couvent que la vieille tante qui paye ses études depuis son enfance est mourante et s’apprête à lui léguer son affaire (Un restaurant ou une maison de danse) dans une poisseuse et lointaine colonie. Kelly s’y rend, est obligé de faire un mariage avec Tully Marshall pour affaires, devient riche et respectée, et lorsque le prince Wolfram, veuf, devient le Roi, il l’appelle à ses cotés.
Les similitudes avec The merry widow sont tellement nombreuses que ça en devient embarrassant. Stroheim a toujours dit le mal qu’il pensait de ce dernier film, mais pourquoi en calquer l’intrigue à ce point? D’autant que les commentaires de Stroheim lui-même sur Queen Kelly, a priori et a posteriori, vont tous dans le même sens: Queen Kelly allait être son chef d’œuvre…

De toutes façons, le film ne se fera pas: commencé en fanfare en novembre 1928, à l’issue d’un casting qui fut long et laborieux, le tournage s’arrête au tiers, en janvier 1929. Swanson elle-même, d’abord subjuguée par son metteur en scène, puis interloquée par sa lenteur et son perfectionnisme excessif, puis horrifiée dira-t-elle par les véritables intentions de l’auteur (Ah bon, ce n’était donc pas une école de danse ?) verra rouge lorsque Stroheim demande à Tully Marshall de lui cracher du jus de tabac dans la main. Honnêtement, peut-on la blâmer?
Un petit retour en arrière s’impose: alors que la production de Sadie Thompson s’est déroulée de façon assez traditionnelle, Queen Kelly a été produit sous la houlette d’un nouveau venu, financier de Boston décidé à faire des affaires à Hollywood, Joseph Kennedy. Devenu l’amant de Gloria Swanson (Quelle famille), Kennedy va laisser l’actrice exercer son autorité morale sur le tournage. Swanson était-elle compétente en la matière? Etait-ce une bonne idée de se lancer si tard dans un film muet ? En tout cas, un grand nombre de choses semblent lui avoir échappé, et la situation dans laquelle elle s’était fourrée avec son financier n’a pas du arranger les choses. De son coté, Stroheim a fait ce qu’on attendait de lui : des tournages longs, harassants, pénibles, pour un résultat certes visuellement magnifique, mais que la censure ne pouvait que rejeter; la scène d’ouverture, avec la Reine qui se réveille, est du pur Stroheim: des plans d’objets nous renseignent sur la vie dissolue de cette reine qui a du champagne à son chevet, des cachets, le Décameron de Boccace et bien sur des statues érotiques partout, dans son palais, mais le coup de Grâce est asséné par Stroheim lorsqu’il nous montre Seena Owen, nue, déambulant d’un pas mal assuré (Elle se lève saoule) au milieu de gardes impassibles. L’actrice a fort peu goûté les journées de tournage dans le plus simple appareil…
Lassée de toutes ces extravagances, Swanson appelle Kennedy et lui ordonne de virer le réalisateur. Kennedy profitera de la débâcle pour jouer un tour de cochon financier à sa maîtresse, mais cela sort du sujet.
Une fois Stroheim viré, Swanson restera longtemps avec le film sur les bras, allant jusqu’à sortir le prologue (Jusqu’au suicide) en y apposant une fin postérieure au licenciement de Stroheim dans laquelle le prince (Walter Byron) se fait hara-kiri devant le corps de son aimée. On ne sait toujours pas qui l’a tournée: le nom de Edmund Goulding est souvent avancé. Cette version ne sera pas montrée aux Etats-Unis, et sortir brièvement en Europe et en Amérique du Sud. Les séquences du marais, avec le fameux mariage, ont été partiellement trouvées (Deux bobines, en fait), et montrent un parallèle intéressant avec le reste du film, mais on se demande, à les visionner, comment il a pu échapper si longtemps à Gloria Swanson qu’il s’agissait d’un bordel… Comme le fait remarquer Richard Koszarki, c’est le genre de lieu dans lequel devait travailler Sadie Thompson.

Outre la parenté douteuse avec The Merry Widow, Queen Kelly souffre sans aucun doute des circonstances dans lesquelles il avait été tourné, et à n’en pas douter, Stroheim fait du Stroheim. Le résultat est selon moi impossible à juger, et si la splendeur visuelle de certaines scènes est admirable, le film en son état se traîne, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il est essentiellement réduit à on prologue. Ni Swanson, ni Byron ne sont convaincants, même si Gloria reste toujours charmante. Elle est bien meilleure en jeune femme farouche qui découvre l’horreur de sa vraie situation à Poto-poto, mais il ne s’agissait peut-être pas d’une composition. Tully Marshall est fidèle à lui-même, et Seena Owen est plutôt convaincante en particulier dans la célèbre scène du fouet. L’obsession érotique est particulièrement mise en valeur par le recours aux statues et l’omniprésence des tableaux grivois dans le palais, et on déborde du réalisme soi-disant cher à Stroheim pour entrer de plain-pied dans un univers plus proche de celui de Sternberg. Et puis à quoi bon ? Le film n’est pas fini.

Reste à reprendre l’énigme: Stroheim se fichait-il du monde lorsqu’il disait que ce film serait son chef d’œuvre? Pour un menteur invétéré comme lui, pourquoi pas? Mais je crois, à la lumière de ce qui reste de son œuvre, que le metteur en scène se mettait, à chaque film, en position de tout recommencer, et chaque film à faire était le plus grand enjeu de sa carrière. Chaque film était le premier, les autres ne servant finalement que de brouillon. Chaque film prenait toute son attention, il ne voyait rien d’autre: la surveillance de plus en plus inquiète d’un Thalberg ; la situation d’un Goldwyn, qui passe d’une confortable indépendance au cadre plus rigide de la MGM; la déferlante du parlant… Tous ces évènements, Stroheim les a ignorés, préférant se concentrer sur ses films, et considérant chaque film comme le premier. A la fin des années 20, et autour de Queen Kelly, je suis persuadé que cet aveuglement finit par tourner à vide. Il lui était sans doute utile d’un certain point de vue, et cela lui a sûrement permis de survivre aux mutilations de ses films, mais cela l’a sans doute aussi constamment desservi: cet artiste exigeant a été l’artisan de sa propre chute, par son intransigeance et son incapacité à doser son génie: chaque film devant prouver l’étendue de son talent, il a tout brûlé. Le résultat est sans appel: après Queen Kelly, plus un seul nouveau film ne créditera son nom au poste de metteur en scène. Il y aura malgré tout des tentatives…

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1929 Gloria Swanson *
24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 13:36

 

Voilà une fois de plus, de la part d'Erich Von Stroheim, un film peu banal, et qui défie toute caractérisation: à la fois pur produit de l'époque des studios, et oeuvre réalisée en tout indépendance par un réalisateur démiurge qui vivait ses dernières semaines de pouvoir sur une industrie qu'il avait contribué à élever, et qui ne savait plus quoi faire pour se débarrasser de lui, c'est un film compliqué en effet à comparer à tout ce qui se faisait en parallèle à la MGM ou la Paramount... Rappelons les épisodes précédents de la carrière du metteur en scène le plus turbulent du cinéma muet Américain: Erich Von Stroheim est entré après quelques succès non négligeables en conflit avec les administrateurs de la Universal, et a trouvé refuge chez des indépendants (Goldwyn) mais a du une fois de plus se battre contre des moulins à vent lors du rachat de ce petit studio par Metro. Après deux films pour la nouvellement constituée MGM, il a pris la poudre d'escampette, déterminé une fois de plus à réaliser comme il le souhaite un film selon son coeur... 

 

Une fois de plus, Stroheim est libre après La Veuve Joyeuse. C’est donc le moment pour lui de tenter à nouveau l’aventure de l’indépendance: il contacte en 1926 Pat Powers, un entrepreneur-producteur passionné d’animation, qui s’est lancé dans un partenariat avec Disney, et qui tente alors d’imposer une système de synchronisation sur disque (Steamboat Willie, de Disney et Ub Iwerks, c’est le procédé Photophone de Powers.) concurrent du Vitaphone de la WB. L’affaire dans laquelle se lance Stroheim ressemble tellement à ce qui s’est passé à la MGM avec Greed que le réalisateur aurait du se méfier de la suite des évènements, mais si Stroheim consultait régulièrement une voyante, il ne semblait pas être très réaliste quant à la tournure que prenaient les choses dans le Hollywood de la fin de la décennie.


L’accord avec Powers portait sur un film dont Stroheim entendait bien garder le final cut: The Wedding March revient 4 ans en arrière, avec des ingrédients et des figures mélodramatiques tirées de The Merry-go-round, à la différence près que cette fois Stroheim s’est imposé dans le rôle principal. Fidèle à son credo de privilégier un jeu naturaliste, il découvre une jeune aspirante artiste, Fay Wray, dont il décide de faire son actrice principale. Elle est issue du milieu du cinéma burlesque et a en particulier fait de courtes apparitions chez Hal Roach...


Bien lui en prendra : celle-ci est excellente, et s’entendra à merveille avec sa co-star et réalisateur : dans l’introduction filmée par Kevin Brownlow pour la présentation sur Channel 4, Fay Wray cache mal son émotion liée à ses souvenirs d’un tournage durant lequel Stroheim a constamment loué son professionalisme et ses capacités. De plus, l’entente entre les deux comédiens, leur complicité, est plus que palpable dans leurs scènes communes. Pour le reste, il se sert de sa stock-company: Dale Fuller et Cesare Gravina, Maude George, Zasu Pitts ou encore Matthew Betz (Aperçu en policier à la fin de Foolish Wives) vont être les interprètes du film.…on peut ajouter à cette liste le fort rondouillard Hughie Mack, déjà vu dans Greed.


L’intrigue du film, dédié par Stroheim «aux amoureux du monde entier», est proche de The Merry-go-round, disais-je, et pour commencer, le film se situe à Vienne en 1914, et confronte deux mondes qui ne devraient pas se rencontrer : le monde de l’aristocratie, incarné par la famille princière des Von Wildeliebe-Rauffenburg : le père (George Fawcett), la mère (Maude George) et leur fils Nickolas (Nicki Von Stroheim), et de l’autre coté, le monde du peuple, incarné par Mitzi (Fay Wray), une jeune femme qui joue de la harpe dans un restaurant, ses parents (Dale Fuller et Cesare Gravina), et Schani, le boucher (Matthew Betz), dont le père (Hughie Mack) voit d’un assez bon œil l’intention de Schani d’épouser Mitzi, voire plus. Mitzi et Nicki se rencontrent, s’aiment, consomment leur amour, mais les parents de Nicki, dans une situation financière désespérée, arrangent son mariage avec Cecelia Schweisser (Zasu Pitts), une plus toute jeune héritière dont le père désespère de jamais la marier: elle est boîteuse, et un peu fantasque, pour ne pas dire idiote.

Stroheim fait de tout cela un conte de fées pour adultes, rarement réaliste, souvent paroxystique, mais dont les 20 premières minutes posent bien le système de jeu de comparaison favorisé par Stroheim dans tous ses films : après quelques intertitres d’exposition, aux prétentions littéraires, puis des vues de Vienne, on assiste, le jour d’une importante procession à laquelle ils doivent participer, au lever de chacun des trois Wildeliebe-Rauffenburg : les parents sont réveillés, elle par une bonne, lui par un valet, mais ont en commun de dormir avec des protections en caoutchouc pour ne pas abimer la coiffure de madame et la moustache de monsieur. Sitôt levés, l’un et l’autre s’agressent volontiers, dans une routine manifestement quotidienne. Premier contraste: s’il est effectivement levé par son valet (Ou une ordonnance, l’homme est en uniforme, et le Prince est un soldat), Nicki reçoit tout de suite la visite d’une bonne, qui lui reproche la présence d’un bas de femme dans ses affaires. Ils se chamaillent… La complicité entre Nicki et la bonne ne fait aucun doute, mais contrairement à Karamzin et sa bonne, l’homme semble ici avoir une tendresse réelle pour la jeune femme. Le Stroheim nouveau est arrivé! Après cette scène, une courte confrontation entre Nicki et chacun de ses deux parents, séparément, permet d’établir assez efficacement, mais par le recours à un dialogue de titres, de nombreux points de l’intrigue: le coté papillon de nuit de Nicki qui demande de l’argent, le mépris dans lequel le père tient son fils, lui suggérant le suicide pour ses sortir des ennuis, puis avouant son manque d’argent; père et mère lui conseillent également de faire un mariage d’intérêt.

Avec la deuxième bobine, on passe à la procession proprement dite: celle-ci va aussi apporter son lot d’informations... On y rencontre Mitzi, Schani et leur familles, venus assister à la procession; le montage isole chacun des protagonistes, nous permettant de cerner la personnalité, le rôle de chacun dans l’intrigue à venir, mais aussi les positions respectives de chacun vis-à-vis de la possibilité d’une union entre Schani et Mitzi: la mère de Mitzi pousse dans la direction du rapprochement, son père est (mollement) contre, et le père de Schani a une confiance aveugle en son fils, qui lui-même considère la chose comme acquise; Mitzi, on le voit tout de suite, freine tant qu’elle peut, d’ailleurs, un jeune officier à cheval a capté son attention… Le dialogue muet entre Stroheim et Fay Wray commence ici, et c’est en gestes, regards (Mitzi regarde son bel officier des pieds à la tête, dans une inversion des rôles assez inattendue) que l’histoire d’amour entre ces deux là se scelle.

 

Comme d’habitude avec le réalisateur, le tournage sera un festival d’extravagances en tout genre, sauf que cette fois-ci cela sera sans heurt notable entre le metteur en scène et la production; l’anecdote est célèbre, on peut la rappeler: désireux d’obtenir des séquences d’orgie réalistes, Stroheim fait venir des dames de petite vertu, alimente le plateau en boissons de contrebande et organise une partie fine géante sous le regard des caméras, en prenant bien soin de respecter au mieux les bonnes mœurs lors du montage. Il obtiendra ainsi une séquence qui occupe une grande part d’une bobine, alternée avec une autre séquence décisive, lors de laquelle Nicki et Mitzi vont (Hors champ), faire l’amour. Le parallèle entre l’évidence du stupre dans le bordel et la délicatesse des larmes de Fay Wray à l’issue de cette rencontre charnelle est l’une des touches puissantes de ce film.


Au terme du tournage, le cinéaste monte une version de travail gargantuesque, alors que Powers entre en négociations avec la Paramount en vue d’un arrangement de distribution. A ce moment, Stroheim aurait du voir les nuages noirs s’amonceler dans le ciel…


En 1928, Paramount sort The Wedding March. Afin de sortir les quatre heures de film souhaitées par Stroheim, il sortira sous la forme d’un diptyque, en deux sorties différentes. La première moitié, dont le montage aurait été assuré par Stroheim ET Sternberg, totalise 110 minutes, et est présentée avec des disques Photophone synchronisés. En plus du son synchrone, Stroheim continue ses expérimentations avec Technicolor. Mais l’unique scène qui en bénéficie a une fonction principalement décorative, montrant la procession à la fin de la deuxième bobine, après la rencontre entre les deux amants. Elle permet au moins de relever symboliquement le coté sacré pour Nicki de sa rencontre avec Mitzi. On peut le lire comme cela, mais on peut aussi penser qu’il s’agit pour Stroheim de nourrir son obsession frustrée pour le décorum.

 

Ainsi, l’accord a finalement été trouvé, et cette première moitié est conforme aux volontés du metteur en scène, qui pendant la sortie s’attelle au montage de la deuxième partie… qui lui sera retirée des mains devant les résultats plus que mitigés du film. Sternberg aurait supervisé le montage de la seconde, que les commentateurs ont jugée expéditive et confuse, et qui a été lancée par Paramount comme un nouveau film, The Honeymoon, afin d’attirer les spectateurs qui n’auraient pas vu la première… Deux bobines au début du film résumaient les 14 de la première partie. Mais Stroheim, toujours intransigeant (On se met à sa place), a refusé que le film soit projeté aux Etats-Unis.


...La deuxième partie fait aujourd’hui partie des films perdus, même si une brève rumeur a indiqué qu'il en existerait des fragments en 16mm, ce dont on attend une confirmation.


On peut toujours se consoler en regardant la première partie; ce grand film, dont Stroheim a bien cru que cette fois-ci on le laisserait faire, avant que la deuxième partie tourne à la débâcle, nous permet au moins de voir le montage «à la Stroheim» sous un jour à peu près authentique ; «a peu près», dis-je, car des faits troublants relatés par Lotte Eisner au sujet de la redécouverte par Stroheim de son film dans les années 50 jettent le doute, non seulement sur la paternité du montage de The wedding March (la première partie du dyptique) mais aussi sur Stroheim lui-même et sa façon de gérer ses souvenirs. Néanmoins, ces 109 minutes portent sa marque, depuis l’exposition extrêmement fluide dans laquelle tout fait sens, depuis le réveil jusqu’au claquement des bottes du fils face à son père, depuis la vision de la grimaçante Dale Fuller qui reluque son gendre potentiel d’un œil salace jusqu’au regard direct et mutin de Fay Wray. Du coup, cette exposition se déroule durant 20 bonnes minutes, mais elle est fascinante. Pour le reste, le film ne faillit pas à la tradition, utilisant avec maestria le montage alterné, favorisant le fondu enchainé (Comme plus tard dans Queen Kelly) afin de lier les actions au sein d’une même séquence(ou peut-être afin d’empêcher le remontage ?) ; les séquences lyriques trouvent écho dans les séquences sordides, tout comme les personnages résonnent tous plus ou moins: Nicki arrivant dans l’univers de Mitzi remarque bien les cochons qui s’ébattent, le coté populaire du lieu, mais il se garde d’en dire quoi que ce soit, afin de ne pas froisser Mitzi. Schani, rejoignant Mitzi sous les pommiers afin de la tirer de sa rêverie, ne remarque pas les cochons, et son pas brutal les fait fuir. En deux séquences, deux caractères que tout oppose, si ce n’est que l’un et l’autre sont amoureux de la même femme. Un autre aspect qui éclate au grand jour dans ce montage, c’est le respect de Stroheim pour son spectateur: on sait que le metteur en scène a le goût du détail authentique, et aime à peupler ses décors de fourmillement d’objets, d’artefacts et d’inscriptions censés donner une apparence de vie aussi tangible et crédible que possible. En 1927/28, c’est une norme dans ce genre de film, d’ailleurs largement sous l’influence de Stroheim, mais aussi de Lubitsch ou des grands drames de prestige de la MGM. Mais ces derniers exemples (Flesh and the devil, par exemple) sont tous plus factices que le film de Stroheim, de par la volonté de ce dernier de ne rien traduire, de laisser le décor conter sa propre histoire: tout ce qu’on peut lire dans ce film en tant que publicités, enseignes, etc, est en Allemand, à l’exception d’un entrefilet de journal à la fin. Si j’insiste sur ce détail, ce n’est pas pour admettre que j’ai cru un seul instant qu’il avait été tourné à Vienne, mais c’est parce que le film apparait dans toute la splendeur éclatante, tel que l’a voulu Stroheim. Pour lui, ces détails sont importants, mais n’importe quel exécutif qui aurait mis le nez dans son film aurait certainement arrondi les angles. La cohérence de l’ensemble ne souffre finalement que des questions irrésolues, ces petits riens ou petits cailloux qui trouvaient à n’en pas douter un écho dans la deuxième partie…On peut dire qu’avec l’affaire The Wedding March, le divorce entre Stroheim et les producteurs est consommé; plus un seul film ne sortira sous son nom aux Etats-Unis désormais. Ce qui est plus grave, c’est que le public, désormais, ne lui est plus acquis. le glas de sa carrière approche donc…

Restauration et préservation
Le film est donc, on l’a dit et redit, incomplet. Mais aux yeux de Stroheim, il était quasiment inachevé; après tout, on lui a retiré le montage de la deuxième partie. On est habitué, forcément, à ces coups de gueule d’un Stroheim-artiste qui renie un film parce qu’il n’a pu le mener à bout : The merry-go-round, Greed, The Merry widow et Queen Kelly ont tous subi ce même traitement de sa part. Mais ici, c’est plus grave : lorsqu’à l’invitation d’Henri Langlois il va voir The wedding march, il va obtenir de la Cinémathèque Française la possibilité de reprendre le montage, afin de résoudre des problèmes aperçus lors du visionnage. Il refusera pourtant de revoir la deuxième partie, qui retournera dans les placards de la cinémathèque, où elle brulera en 1957. C’était l’unique copie. Si Stroheim l’avait repris en mains… Lors de cette restauration effectuée par Stroheim avec la complicité de Renée Lichtig, le metteur en scène se plaindra souvent de détails apportés par Sternberg, se plaignant des plans d’animaux qui selon lui polluent la scène d’amour. Sternberg a-t-il vraiment été amené à travailler au montage de ce film? La question reste posée, on sait bien sûr qu’il a contribué au montage de la deuxième partie, mais la plupart des sources attribuent le montage de la première au seul Stroheim. De plus, ces fameux plans d'animaux restent assez dans sa manière... Quoi qu’il en soit, si on a des copies décentes de ce film aujourd’hui, c’est grâce à ce remontage : les versions préservées aux Etats-Unis ne gardent que 90% du film en 35 mm. Par contre, c’est à une copie Américaine qu’on doit la préservation du Technicolor : les séquences couleur n’étaient pas aussi faciles à conserver que les séquences en noir et blanc, et les copies Françaises en étaient privées. On l’aura compris, Kevin Brownlow et Patrick Stanbury se sont livrés à un travail titanesque de puzzle, ce qui ne se voit jamais. et donne sacrément envie d'être revu!

 

 

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1928 Technicolor *