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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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14 juillet 2019 7 14 /07 /juillet /2019 16:48

De la comédie? Assurément: Henry Van Cleve (Don Ameche), septuagénaire, vient de décéder, et se rend donc à ce qu'il considère un rendez-vous inévitable: auprès de l'hôte (Laird Cregar) de l'endroit où il est sûr qu'il va lui falloir passer l'éternité. Après tout, n'est-ce-pas là qu'on lui a toujours prédit qu'il finirait? Devant son interlocuteur qui manifestement ne s'attendait pas à le voir, Henry raconte l'histoire de sa vie: aucun crime, dit-il, mais un festival permanent de délits... En fait de vie, c'est surtout de sentiments qu'il s'agit; car né dans une excellente famille de New York, Henry n'a pas besoin de travailler. Et il a pris très tôt l'habitude de s'occuper... On s'occupe comme on peut, et la passion de Henry, ce sont les femmes.

Oui, c'est de la comédie, d'un genre supérieur, même! Lubitsch profite des soixante-dix années de vie de Henry Van Cleve pour nous détailler le temps de vie moyen d'un homme. Qu'il ait choisi un gros feignant de bourgeois importe peu, car dans le cadre de son film, comment ne pas succomber au charme subtil de Henry Van Cleve? Mais le propos du film, de toute façon, n'est pas social: ici, il s'agit de voir si la vue vaut la peine... D'où un changement subtil dans le déroulement du film; en effet, la première partie est riche en scènes de comédie pure, qui sont bien évidemment du pur Lubitsch: subtil, toujours bien équilibré entre visuel et sonore, avec un dialogue superbe de Samson Raphaelson. Le metteur en scène a d'ailleurs eu tendance à s'approprier le script, notamment en changeant le personnage principal, dont le scénariste voulait faire un actif: pas le Henry Van Cleve du film, qui est un jouisseur, et je le répète, n'a absolument jamais travaillé de sa vie!

Alors le film en progressant, suit les années qui s'accumulent, et devient grave. Les gens importants de la vie de Van Cleve partent les uns à la suite des autres, bien sûr, et à chaque fois c'est traité verbalement. Le passage des années s'effectue, et on constate l'absence de quelqu'un. Une fois, une seule, un décès comptera vraiment plus qu'un autre: celui de Martha, l'épouse de Henry (Gene Tierney), qui nous est annoncé sur un plan où le couple, fatigué, danse: ce sera la dernière fois. Un écho à cette mort nous est donné dans une scène très belle, où Henry Van Cleve négocie avec son bon à tout de fils pour avoir accès à une jeune compagnie pour tromper son ennui. Il prend un livre, et... se trouve avec un ouvrage que nous avons déjà vu, et qui fait écho au personnage de Martha: toujours cette faculté étonnante, pour le metteur en scène, de pouvoir nous éclairer en un seul plan sur ce qui se passe vraiment, en l'occurrence ici l'absence cruelle de l'être aimé...

Et donc le film, derrière ses oripeaux de comédie subtile, située à ce tournant du siècle d'une Amérique prude, est en réalité un bilan de la vie d'un homme à travers celles qu'il a aimées, et ne pouvait pas être plus grave qu'il ne l'est. Tout en restant une comédie, bien entendu... Franchement, je pense que ce film, dans la distribution duquel on profitera, en plus, de Charles Coburn (le grand-père Van Cleve, le seul à soutenir le héros), Eugene Pallette (le père de Martha), Louis Calhern (le père) et la formidable Marjorie Main (la mère de Martha) n'a que pas ou peu de défaut. Même Gene Tierney, il est vrai réduite à un personnage qui est vu à travers le filtre de la nostalgie, s'en tire bien... Heaven can wait était en tout cas le premier acte d'un changement de direction pour Lubitsch désormais cinquantenaire. Quel dommage qu'il n'ait pas pu continuer... C'est aussi, et c'est notable, son tout premier film en couleurs. Il n'y en aura qu'un seul autre...

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Comédie Criterion
4 juillet 2019 4 04 /07 /juillet /2019 07:32

Avant d'aborder un des films mal-aimés de Ernst Lubitsch, il convient de rappeler le destin de Kiss me again, une comédie réalisée durant son contrat avec Warner dans les années 20, la période qui a dessiné les contours du style définitif du grand réalisateur: Kiss me again, sorti en 1926, est aux dernières nouvelles un film perdu... Cette adaptation d'une pièce de Victorien Sardou, avec l'acteur Monte Blue. Parmi les ingrédients du film qui mobilisent l'intérêt du cinéphile, on note une participation de Clara Bow juste avant son entrée à la Paramount: celle qui allait être au générique du pesant Children of divorce, avait donc aussi participé à une comédie sur le même sujet... Qu'on ne peut hélas pas voir.

Ce film est le remake de Kiss me again, réalisé par Lubitsch, et produit par lui, pour le compte de Sol Lesser... Et si on ne peut juger Kiss me again sur pièces, au moins celui-ci est disponible. Trop même: il est dans le domaine public, ce qui veut dire qu'on a accès à des copies dans un état lamentable...

Jill Baker (Merle Oberon), mariée depuis six ans, a un problème, qui la pousse à aller voir un psychanalyste: à cause de son mariage, qui devient routinier, elle est prise de crises intempestives et incontrôlables de hoquet... Lors d'une de ses visites chez le spécialiste, elle rencontre un personnage particulier, le pianiste Alexander Sebastian (Burgess Meredith), dont elle devient assez vite proche, au point de l'inviter quand son mari, un assureur, invite une délégation de matelassiers Hongrois pour discuter d'une fusion importante... Le mari (Melvyn Douglas) assiste, impuissant, à la glissade vers l'adultère. Il prend les choses en mains et décide de divorcer...

Le divorce, justement, Lubitsch connaissait, et ça n'avait pas été une comédie. D'où peut-être cette envie de revenir à un scénario déjà tourné, et d'après ce qui se raconte, assez peu réactualisé. Dans un premier temps, le personnage central est l'épouse, mais la dernière partie du film se concentre surtout sur Melvyn Douglas. C'est un des soucis: difficile dans ces conditions de s'attacher à l'un ou l'autre. Je suis mitigé sur le trio initial, c'est vrai qu'ils sont compétents, mais d'une part je ne pense pas que Merle Oberon soit dans son élément, d'autre part Burgess Meredith a du mal à être autrement qu'antipathique! Mais ne nous méprenons pas: il y a des scènes formidables, des purs moments de grâce comme seul Lubitsch ou son disciple avoué Billy Wilder pouvaient en prodiguer: une scène de dîner (avec l'apparition de Sig Rumann) avec les Hongrois, dans lequel une simple expression en langue Hongroise change complètement l'ambiance, une autre scène chez l'avocat des Baker, durant laquelle ça tourne à la loufoquerie pure et simple. Et sinon, Melvyn Douglas a une réplique qui nous rappelle, préoccupation inévitable de Lubitsch en 1941, que le monde est en guerre: s'adressant à lui-même, il lâche un "Heil Baker!" assorti d'un salut nazi, qui trouvera un écho sardonique dans To be or not to be l'année suivante...

Voilà ce qui concerne cette petite comédie finalement bien de son époque, qui ne paie pas de mine, mais qu'on peut quand même savourer, à sa juste place, à condition bien sûr de trouver une bonne copie. Et ça, ce n'est pas gagné!

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Ernst Lubitsch
30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 13:42

C'est avec ce film que Lubitsch va prendre congé de la Paramount où depuis 1928, et à deux exceptions près (Eternal Love en 1929 et The merry Widow en 1934) il a dirigé des films importants tout en étant souvent considéré de façon plus ou moins officieuse comme le directeur général du studio... Un studio où à n'en pas douter il devait faire grincer quelques dents chez les DeMille et consorts. Mais peu importe: les années 30 n(ont été qu'une suite de films brillants pour lui, et il a imposé sa marque, et quasiment créé un genre à lui tout seul, repris avec bonheur par d'autres, en non des moindres... Car à sa suite, Hawks, Preston Sturges et Mitchell Leisen ont offert leurs variations de la Screwball comedy, et bientôt Billy Wilder suivra.

Puisqu'on en parle, justement, c'est un moment important aussi dans la carrière de ce dernier puisqu'avec ce film, il commence à travailler pour celui dont il prendra plus ou moins la suite. Remake d'un film de Sam Wood en 1923, adaptation d'une pièce Française, Bluebeard's eighth wife est aussi un script de Charles Brackett et Billy Wilder, et c'est le premier d'une longue lignée, dans laquelle suivront Midnight, Ninotchka et Ball of fire, puis bien sûr les propres films de Wilder. Tout ça pour dire qu'on est un peu face à un important passage de relais...

Dans un magasin de la Côte d'Azur, le richissime Américain Michael Brandon (Gary Cooper) vient faire un achat revendicatif: il souhaite en effet acheter une veste de pyjama sans pour autant s'encombrer d'un pantalon qu'il ne mettra de toute façon pas. Il y rencontre la belle Nicole de Loiselle (Claudette Colbert) qui vient justement acheter un pantalon de pyjama pour son papa, un noble désargenté. Le dit père, le Marquis de Loiselle (Edward Everett Horton), est justement en contact avec Brandon, dont il espère le soutien pour une invention. Brandon décide d'épouser la jeune femme, mais il commet deux erreurs: d'une part, il l'a choisie sans vraiment la consulter, ce qui n'est pas (trop) grave puisqu'elle s'avère consentante; mais surtout il a négligé de lui confesser qu'il avait déjà été marié... sept fois, et divorcé six: l'une de ses épouses est décédée. Du coup, Nicole décide de lui mener une vie infernale...

Tout film ressortissant de ce style qu'on appelle la screwball comedy est très dépendant de ses vedettes, et on peut se réjouir du fait que Gary Cooper et Claudette Colbert soient associés. L'actrice a même priorité sur l'acteur au générique, et les deux personnages, deux fortes têtes, sont à égalité. La satire du mariage, émaillée de saillies ironiques à l'égard de l'institution, est datée mais fonctionne toujours aussi bien grâce à la vivacité du script. Mais le film agit aussi en distillant un humour féroce et gonflé, qui multiplie les petits jeux de cache-cache avec le code de bonne conduite édicté par les ligues de décence... Bref, on le savait déjà, mais le film le confirme et promet des beaux jours: on ne peut pas museler Ernst Lubitsch.

Et celui-ci, qui tourne un film souvent pétillant, est à la fête avec cette histoire risquée de mari frustré, au régime affectif sec et qui fait des efforts surhumains pour essayer de conquérir son épouse. Une épouse acquise, mais qui a décidé de faire une affaire de principe de s'imposer à son mari sur ses propres termes... C'est sans doute cet aspect un peu abstrait qui gène les commentateurs du film, qui considèrent souvent le film comme un exercice plaisant mais mineur dans la carrière de Lubitsch. Le fait est qu'on ne s'y ennuie jamais, et que les nombreuses marques de la "touche Lubitsch" s'y succèdent comme à la parade: variations sur un même thème (le pyjama, qui sert à la fois de "petit caillou" en permettant à Brandon de reconnaître Loiselle au premier regard, mais qui sert aussi de cri de ralliement masculin, quand on voit par exemple le patron du magasin sortir de son lit sans pantalon pour répondre au téléphone, sans parler des nombreux quiproquos et "double-entendres" apportés par ces histoires de veste sans pantalon!), situations basées sur la hiérarchie, vieil héritage Berlinois, partagé entre le Berlinois Lubitsch et le Berlinois d'adoption Wilder (Quand un problème touche les sous-fifres du magasin, ils se rendent chez le vice-président, qui dans un plan muet décide illico... d'appeler le président! On retrouve cette montée ironique et fulgurante dans l'échelle sociale, dans le sketch tourné par Lubitsch pour l'anthologie If I had a million), raccourcis cinglants (quand Claudette Colbert échoue à entrer dans la maison de repos où est Michael, un institut tenu par un spécialiste des cas extrêmes et notamment des gens qui se prennent pour des animaux, le père va sonner, et quand l'infirmière l'entend aboyer elle le laisse entrer derechef!) et bien sûr gags essentiellement visuels (ici, une séquence nous montre Michael prendre en exemple les comportements décrits par Shakespeare dans The taming of the shrew, dans une séquence très drôle dont le seul mot sera d'ailleurs "Shakespeare")... Bref: tout y est!

Et l'univers de Lubitsch est en prolongement de celui qu'il  exploré depuis les années 20, avec un personnage secondaire de secrétaire timoré interprété par David Niven: non seulement il est excellent, mais il confirme cette tendance déjà explorée avec bonheur par le metteur en scène dans The marriage circle et dans One hour with you: quand un homme sent qu'il a un rival pour l'affection de sa femme, c'est déjà terrible. Mais si en plus c'est un minable, alors là rien ne va plus! 

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Billy Wilder Comédie Edward Everett Horton
22 mai 2019 3 22 /05 /mai /2019 17:52

On a écrit tellement de bêtises sur Rosita (probablement autant que sur Greed, Citizen Kane et Intolerance) que la légende l'a emporté: un film que sa star aurait détesté, sur lequel elle aurait tant affronté son metteur en scène qu'il en aurait été viré, au point qu'un autre (Raoul Walsh) aurait été convoqué manu militari pour finir le film... Au final, un film raté qui aurait été un tel flop qu'il devenait impossible à quiconque de prononcer le nom de Lubitsch devant Pickford! 

Du reste, si on lit les commentaires a posteriori de Pickford sur le film et sur le metteur en scène, c'est vrai: elle a en effet pris le film et son auteur en grippe, une fois sa carrière achevée... mais elle a eu tendance à faire d'un film qui ne fut pas un énorme succès, le flop qu'il n'était pas. Et les historiens qui lui ont emboîté le pas ont non seulement contribué (à une époque où il était assez facile de ne pas voir les films dont on parlerait abondamment, dans la mesure où le public ne les verrait pas plus!) à officialiser le film comme étant mauvais, ils ont aussi contribué à sa quasi-disparition. Rosita était virtuellement un film oublié, impossible à voir dans de bonnes conditions depuis des décennies...

C'est Pickford qui a fait venir Lubitsch aux Etats-Unis, une belle idée: si elle ne l'avait pas eue, il est probable que quelqu'un d'autre l'aurait eue... Sinon la face du cinéma Américain eut été changée. Je pense que ce qu'elle voulait était ce cinéma vigoureux, légèrement excentrique, mais au soin remarquable, qui triomphait dans le films les plus spectaculaires du metteur en scène: on ne s'étonnera donc pas trop que Rosita ressemble par certains côté plus aux films Allemands de Lubitsch, qu'à ses futurs films Américains. 

Rosita (Mary Pickford) est une jeune femme qui vit à Séville, pendant le règne d'un roi d'espagne (Holbrook Blinn) aussi dépravé que son épouse (Irene Rich) est juste et vertueuse; la jeune femme chante d'une façon provocatrice des chansons qui attaquent la moralité et la corruption de la cour. Quand elle est arrêtée, alors qu'elle vient de chanter en public devant un inconnu fasciné mais masqué, le roi incognito, le noble Don Diego (George Walsh) prend sa défense et tue un garde: il sera condamné à mort. Mais Rosita, protégée par le roi, va au contraire se voir dotée d'une villa luxueuse... Jusqu'à quel point pourra-t-elle échapper aux implications de sa nouvelle condition? ...Et comment sauver Don Diego, l'homme dont elle est instantanément tombée amoureuse?

Ce qui me frappe, c'est de voir à quel point le film est un confluent: si Rosita existe, c'est non seulement par la volonté conjuguée de sa star et de son metteur en scène, mais aussi par le fait que les collaborateurs les plus prestigieux se sont succédé: Hanns Kräly, venu avec Lubitsch, a apporté sa touche au script, le décorateur William Cameron Menzies (qui s'échauffait pour The thief of Bagdad, et ça se voit!) a partagé son crédit avec un autre import, Svend Gade, le cinéaste-décorateur du Hamlet de Asta Nielsen, et on retrouve sa patte dans la façon dont Lubitsch va composer avec des décors imposants mais qui restent étonnamment, si j'ose dire, à taille humaine! Enfin, Charles Rosher, le chef-opérateur attitré de Mary Pickford au cours des années 20, est déjà en place. 

Le film est intéressant aussi pour son maniement des foules, un point fort de Lubitsch dans tous ses films Allemands à grand spectacle: ici, il s'amuse de l'atmosphère de quasi-orgie permanente dans Séville... Car ce film de Mary Pickford, assez notable, est en effet la première tentative des années 20 de sortir l'actrice de son rôle d'éternelle petite fille, et Lubitsch a pris cette mission à coeur: tout ce qui tourne autour du personnage de Rosita permet à Pickford de jouer d'une façon surprenante, qu'on n'avait que peu vue jusqu'alors: un rôle d'adulte, de femme aimante, et lors d'une scène, il n'est pas très difficile de comprendre que Rosita a passé une nuit d'amour avec Don Diego (pour information, ils se sont mariés entre-temps, rassurez-vous)... Mary Pickford se joue avec génie de la façon dont Lubitsch fait exploser les frontières du drame et de la comédie autour d'elle, comme dans la scène célèbre du panier de fruits...

Autour d'elle, Holbrook Blinn interprète un roi qui est une insatiable fripouille, donc un rôle fort rigolo à jouer. Il est très Lubitschien, aussi, versant Emil Jannings: pas très éloigné du Henry VIII du film Ann Boleyn (1920), soit un type capable d'aimer avec tendresse la même personne qu'il exécutera deux années plus tard... un rôle de fieffé coquin sympathique, qui va quand même commettre deux trois exactions malfaisantes sans se départir de sa bonne humeur. Ceux qui verront Irene Rich en mère-la-pudeur un peu sèche en seront pour leurs frais à la fin du film, et... George Walsh n'est pas formidable, par contre... C'est amusant quand on apprend que Pickford voulait travailler avec Ramon Novarro, quand on sait que ce dernier a remplacé Walsh dans le rôle de Ben Hur...

Le film n'est pas un chef d'oeuvre, mais un cas intéressant, une sorte de ballon d'essai pour Mary Pickford comme pour Ersnt Lubitsch, qui mélange ici les genres avec maestria, mais se retrouve quand même avec une intrigue finalement assez anecdotique. Restent de belles scènes qui permettent au talent exceptionnel de Mary Pickford de s'exprimer. Mais l'expérience a été de courte durée: l'actrice a vu le succès mitigé du film comme un signe qu'il aurait mieux fallu s'abstenir, et a eu tendance à la fin de sa vie à en blâmer Lubitsch, ce qui est inélégant au possible: je répète que ce n'est pas son plus grand film, mais ce Rosita permet au moins au réalisateur de donner un film qui possède une grande classe. Quant a crédit de Walsh (Raoul, pas George) répété à l'envi par tous les journalistes sous-informés, je pense qu'il faudrait en tracer la source dans le fait qu'en 1923, Walsh était un visiteur fréquent du couple Pickford-Fairbanks, alors qu'il préparait The Thief Of Bagdad avec l'acteur (et incidemment avec William Cameron menzies). Peut-être a-t-il été consulté ça et là, peut-être était-il plus facile de dialoguer avec lui qu'avec Lubitsch, qui ne maîtrisait pas l'Anglais. Peut-être une Mary Pickford âgée a-t-elle souhaité arranger l'histoire en choisissant de donner le beau rôle à un Irlandais, comme elle? ...Ou peut-être que le whisky... Bref. On a enfin une restauration décente de Rosita, et ça, c'est formidable!

 

 

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans 1923 Muet Ernst Lubitsch Mary Pickford **
6 août 2018 1 06 /08 /août /2018 18:32

« Ca fait quinze ans que je me passionne pour votre plan quinquennal », dit le comte d'Algout à Nina Karushova, dans une scène de flirt qui reste surtout célèbre par son dénouement : en effet, à la fin de la scène, le comte atteint son objectif,à savoir faire rire la belle bolchevik. Et comme c'est Greta Garbo, la MGM peut fièrement annoncer dans sa publicité : « Garbo rit ! »

Ninotchka est plus que jamais la rencontre de trois univers, qui chacun atteignent un pic avec le film: Lubitsch a eu des hauts et des bas dans les années 30, et cette fois le succès revient. Il a travaillé pour la deuxième fois avec Charles Brackett et Billy Wilder, et ceux-ci sont très à l'aise : il n'est pas difficile de retrouver l'univers du futur cinéaste de A foreign affair dans ce film, aux dialogues précis. Enfin, la star n'est plus Jeanette McDonald, ou Claudette Colbert, ou Marlene Dietrich, comme à la Paramount. Passé à la MGM, Lubitsch peut travailler avec Greta Garbo, l'énigmatique Suédoise qu'il connait bien pour avoir fréquenté les mêmes cercles d'émigrés de Hollywood qu'elle. Mais pouvait-on imaginer Garbo dans une comédie? A en croire l'insistance de la publicité maison pour le caractère spectaculaire de son rire, il est évident que non !

Et pourtant elle est à l'aise, et s'amuse beaucoup à énoncer d'un ton lugubre les dialogues étincelants, jouant la réaction froide et marmoréenne face à l'enthousiasme de séducteur de Melvyn Douglas : elle est excellente dans ce film... Rappelons l'intrigue : trois envoyés Moscovites sont à Paris à la fin des années 30 ; Buljakoff, Iranoff et Kopalski (Felix Brassart, Sig Ruman et Alexander Granach) doivent en effet négocier la vente de bijoux ayant appartenu à la Grande Duchesse Swana, de la famille Impériale Russe. La vente se passerait sans encombre si la Grande Duchesse en personne (Ina Claire) ne se trouvait à Paris... Et elle n'entend pas laisser passer l'occasion, sans doute pas de récupérer ses bijoux, mais au moins de faire un scandale. Afin de l'aider, elle fait appel au Comte d'Algout, son amant (Melvyn Douglas); de leur côté, les trois Russes reçoivent l'assistance de la rigoriste envoyée spéciale Nina Rakushova, dite Ninotchka (Greta Garbo): cette excellente communiste vient à Paris non seulement pour récupérer les bijoux, mais aussi pour s'assurer que ses trois « camarades » ne se laissent pas trop aller à la douceur de vivre typiquement Parisienne...

Le script est parfait, et permet à la verve de Brackett et Wilder de faire mouche de bout en bout : d'une part, et notamment dans la première demi-heure, l'installation des trois communistes à Paris, leurs discussions, entre nécessité de garder les principes soviétiques et l'attirance du luxe Parisien, sont savoureuses, et Lubitsch sait demander à ses acteurs de jouer comme une entité à trois têtes! La façon dont ils utilisent la dialectique révolutionnaire pour justifier une suite royale dans un palace, par exemple, est un cas d'école de la comédie. Ensuite, ils créent avec D'Algout un personnage formidable, qui oscille en permanence entre ironie et fascination pour le monde délirant du communisme à la Ninotchka ! Car s'il est un film anticommuniste paradoxal, c'est bien celui-ci: certes, l'idée y est de montrer en riant de bon cœur que l'attrait du capitalisme à la Parisienne est trop fort pour les idéaux socialistes, à plus forte raison quand on est confronté à la liberté et au glamour. Mais derrière la caricature, les scénaristes ne manquent pas une occasion de rappeler les circonstances et les injustices qui ont déclenché la révolution. Et la méchante dans le film reste la grande duchesse Swana, bien plus que le pourtant redoutable commissaire du peuple incarné par rien mois que Bela Lugosi lui-même...

Lubitsch s'amuse donc beaucoup, avec ce film qui partage non seulement le don inné du metteur en scène pour ancrer une idée sans la montrer, sa façon économique de planter les personnages et son sens fabuleux du gag visuel exercé entre précision et sobriété: à tous ces niveaux, c'est un sans faute... Mais le metteur en scène, depuis Angel, sait aussi mettre de la gravité dans ses œuvres, et si elle affleurera toujours beaucoup plus, disons dans Heaven can wait, des films comme The shop around the corner et Ninotchka possèdent aussi un sous-texte dramatique, aussi subtil soit-il; une scène nous rappelle qu'il y a des dangers plus menaçants que ces trois communistes perdus dans la douceur de vivre Parisienne: ne sachant pas qu'ils attendent une femme, les trois compères sont à la gare pour accueillir leur envoyé. Ils pensent l'avoir trouvé quand ils aperçoivent un voyageur brbu à la mine austère, mais se révisent après l'avoir vu faire le salut nazi...

Mais « Garbo rit », et nous aussi : Ninotchka reste une comédie, l'une des plus belles de toute la carrière de Ernst Lubitsch. La rencontre entre Garbo et le metteur en scène restera sans lendemain et l'actrice ne tournera plus qu'un film. Mais ce sera une comédie...

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Greta Garbo Billy Wilder Comédie
8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 16:59

La dernière des opérettes de Lubitsch avec Maurice Chevalier et Jeannette MacDonald ne peut pas être considérée comme pre-code stricto sensu, compte tenu de sa date de sortie: en octobre 1934, le code Hays est en pleine application... Pourtant beaucoup d'aspects de cette production MGM la rattachent aux quatre films Paramount sortis entre 1929 et 1932: la présence des deux stars bien sûr, chacun d'entre eux ayant participé à trois des quatre films précédents; l'esprit global de polissonnerie ensuite, la légèreté ambiante et la fameuse "Touche" de Lubitsch...

Le petit royaume de Marshovia a un problème: sa principale richesse est une dame, une veuve richissime (Jeannette MacDonald), mais dont le veuvage a fini par lasser le patriotisme; elle est donc partie chasser ses idées noires à Paris. Le principal coureur de jupons du royaume, le capitaine Danilo (Maurice Chevalier) est donc envoyé en mission afin de ramener la dame, si possible à son bras, afin de garder la fortune de la "veuve joyeuse" à Marshovia. Mais deux imprévus se glissent sur le chemin de cette tentative de normalisation: la belle veuve tombe amoureuse du capitaine, et le capitaine tombe amoureux de la belle veuve. Et dans cette histoire, croyez-moi, c'est un problème...

Le film doit beaucoup, bien sûr, au fait que la MGM ait produit une version célèbre et très différente dans son esprit, sous la direction de Erich Von Stroheim en 1925. Une deuxième preuve, après l'engagement de Lubitsch pour tourner The student Prince in Old Heidelberg en 1927, de l'assimilation du Viennois Stroheim et du Berlinois Lubitsch dans l'esprit des décideurs du studio! Mais The merry widow, version musicale, est pourtant du pur Lubitsch, du début à la fin, si on veut bien fermer les yeux sur les intermèdes dansés qui sont à des années lumières en arrière des prouesses de Busby Berkeley à la Warner.

On se réjouira de voir que Lubitsch a su conserver l'esprit frondeur de son film, en dépit des tentatives d'atténuer la coquinerie de l'ensemble: le fait que Danilo et Sonia par exemple se soient vus avant leur rencontre programmée, et aient manifesté clairement leur envie de se revoir, fait d'eux des amoureux raisonnables au pays de Tonton Louis B. Mayer... Mais c'est contrebalancé par la scène durant laquelle le roi tombe dans ses appartements nez à nez avec Danilo très occupé avec la reine. Celle-ci du reste est interprétée par Una Merkel, une garantie que le ton ne sera pas trop emprunté. On verra aussi Edward Everett Horton: donc si le film reste un cran en dessous des quatre autres musicals cités plus haut, il mérite amplement le coup d'oeil...

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Comédie Musical Edward Everett Horton
6 juillet 2018 5 06 /07 /juillet /2018 16:59

Avec ce film, réalisé d'après un scénario du fidèle Hans Kräly, Ernst Lubitsch s'affranchit de son style de comédie de prédilection, pour aller voir ailleurs, et faire bien mieux que les sempiternelles aventures de Meyer ou Sally: pour commencer, le metteur en scène, qui a pris du galon (cette même année, il a tourné Carmen ou Die Augen der Mummy Ma, les deux avec Pola Negri), ne joue pas dans son film. Et celui-ci concerne une jeune femme, qui va expérimenter avec sa condition de femme, justement...

Lassée d'entendre le monde entier lui demander de faire attention à son éducation, et ne pas fumer, jouer, boire ou jurer, Ossi (Ossi Oswalda) décide de changer de sexe pour un soir, et de se laisser aller complètement. déguisée en homme, elle expérimente la toute-puissance effrontée, et drague sans retenue, des femmes d'abord (qui sont toutes sensibles à son minois, sans jamais voir le pot-aux-roses) et... un homme ensuite, son précepteur en plus. Solidement éméchés l'un et l'autres, ils finissent par se bécoter sans vergogne, et "l'un" ramène même l'autre chez "lui"... Tiens donc!

C'est donc un petit film (trois bobines, soit minutes) dans lequel Ossi Oswalda mène le jeu tambour battant, et le metteur en scène laisse l'ambiguïté planer  sur ses intentions. Le petit jeu du déguisement, chez lui on le sait, est toujours bien plus qu'un petit jeu, et Ossi Oswalda ne fait pas exception à la règle. Mais surtout, Lubitsch prouve que la bienséance (Qui empêche une jeune femme de faire ce qu'on laisse faire à un homme, y compris quand il est saoul comme un cochon) est juste une affaire de point de vue et de circonstances...

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Ernst Lubitsch 1918 **
2 juillet 2018 1 02 /07 /juillet /2018 17:40

Nous suivons la vie de Sally Pinkus (Ernst Lubitsch), depuis son renvoi du lycée, jusqu'à son ascension fulgurante dans le monde de la vente de chaussures pour dames. Aidé par ces dernières, par son culot aussi, il va créer l'imposante enseigne qui porte son nom...


Cette comédie en cinq bobines est l'un des premiers films importants de Lubitsch. Sous la farce évidente et appuyée, on trouve une tendance déjà affirmée à faire peser chaque geste, chaque placement maniaque d'appareil... Et des éléments qui se retrouveront dans The shop around the corner sont ici clairement expérimentés, notamment la façon dont un employé peut s'élever pour peu qu'il manque de scrupules, sans pour autant faire de mal à qui que ce soit. Un juste milieu de la débrouille pour grimper les échelons sociaux, quoi. La comédie y est moins germanique (Donc, plus subtile, hein) que dans ses autres farces contemporaines.

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie 1916 Ernst Lubitsch **
2 juillet 2018 1 02 /07 /juillet /2018 17:31

Les films tournés en Allemagne par Ernst Lubitsch entre 1915 et 1922 sont à bien des égards un « tour de chauffe » pour la prestigieuse carrière du metteur en scène aux Etats-Unis. S’ils préfigurent un grand nombre de traits communs à ses films Américains (Un goût assumé pour l’utilisation du vaudeville, une ordonnance maniaque pour la mise en scène et une tendance à la coquinerie), les genres identifiés sont loin de ces comédies douces-amères et de ces films fripons qui feront le sel de son cinéma. 

On distingue des comédies burlesques avec des personnages inspirés de l’univers Juif et Berlinois dans lequel le metteur en scène évoluait, des comédies grotesques, des comédies « montagnardes » (Dont on retrouvera le pendant « dramatique » dans le film de 1928, Eternal love), et quelques films dramatiques ou d’aventure, à très gros budget. Ces derniers n’auront finalement aucune réelle descendance lors de son passage à Hollywood…

Le plus ancien de ces films qui aient été conservés, sous le titre intrigant de Quand j'étais mort, est une comédie de la première catégorie évoquée. Il en reste trois bobines, dont les deux premières ont des sautes de continuité : Dans ce film, Lubitsch joue un homme qui feint d'être mort, pour mieux revenir chez lui, auprès de sa femme que sa belle-mère a monté contre lui. Bien sûr, on est un peu dans la kolossale rigolade, avec une intrigue totalement invraisemblable, mais cette histoire de dissimulation, de déguisement dans un cadre boulevardier est malgré tout annonciatrice de biens des films futurs. A commencer par le choix de Lubitsch de ne tourner qu'en intérieurs, afin de faire des maisons bourgeoises et des salons fréquentés par ses personnages, le cadre réel de son univers. Comme on le sait, c'est une tendance qu'il gardera longtemps...

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie 1916 Ernst Lubitsch **
2 juillet 2018 1 02 /07 /juillet /2018 17:07

Pour son deuxième film à la Paramount, Lubitsch a une mission délicate: faire oublier quelques échecs ou semi-échecs embarrassants (Eternal love, en particulier, son dernier film muet réalisé en indépendance totale), d'une part; d'autre part intégrer de façon intelligente le médium du cinéma parlant, à l'heure où bien des metteurs en scène du muet voient leur poste remis en question par les studios... Et enfin, relancer sa carrière. Ce sera une triple mission accomplie, assortie du lancement de pas moins de deux stars: Maurice Chevalier, paradoxalement, et Jeannette MacDonald...

Mais tant qu'à faire, le metteur en scène va aussi créer de toutes pièces un nouveau genre, à l'heure où le musical végète d'une façon misérable, de films-revues en fausses comédies musicales qui mélangent numéros de music-hall joués dans l'intrigue, et mélodrame plus ou moins bien fichu: Lubitsch, avec The love parade, va inventer un genre totalement nouveau de film-opérette dans lequel il va intégrer la musique, la chanson et dans une moindre mesure la chorégraphie à la continuité filmique: à l'exception des musicals de la Warner qui vont perdurer avec génie, tout le genre viendra désormais en droite ligne de ce film...

Cette "parade d'amour" raconte donc les aventures coquines de la reine Louise de Sylvania (MacDonald) , qui après tant d'années à hésiter, a enfin trouvé l'âme soeur en la personne du beau comte Alfred (Chevalier), de son patronyme seyant Renard. Mais si l'alchimie entre les deux est indéniable, le prix à payer pour Alfred est trop grand: abandonner sa masculinité afin de devenir le prince consort ne va pas aller sans être compliqué...

N'y cherchons pas un message, juste une série de variations géniales sur le thème de la friponnerie la plus pure; avec ses personnages (auxquels il convient d'ajouter Jacques, le valet joué par Lupino Lane) et sa situation, son monde à deux vitesses (les nobles et les domestiques) qui avancent de concert, et la science du sous-entendu, associée non seulement à la suggestion de l'image, mais aussi au pouvoir du langage, fait absolument merveille.

Sans parler du fait qu'avec Chevalier et MacDonald, n'en déplaise aux détracteurs de l'un et de l'autre, Lubitsch a trouvé deux interprètes fantastiques: Chevalier est doté d'un timing impeccable et d'un talent incroyable pour faire passer tout ce qui n'est pas dit dans les sous-entendus, ce que Wilder saura rappeler dans le brillant Love in the afternoon; et MacDonald n'a pas son pareil pour assumer totalement de jouer un personnage de friponne au désir bien chevillé au corps.

Bref, avec cette Love Parade, Lubitsch effectue sans doute la plus décisive de ses métamorphoses...

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Ernst Lubitsch Musical Pre-code Criterion