Die Flamme, ou Montmartre tel qu'il était nommé en France et dans les pays anglo-saxons, est le dernier film Allemand de Lubitsch, qui est en partance pour les Etats-Unis, où il fera la merveilleuse carrière que l'on sait. Je suis toujours un peu mitigé sur la partie Européenne de la filmographie du metteur en scène, en raison d'une trop grande versatilité, ce qui pourtant devrait être un avantage. Dans le cas de Lubitsch, qui nous a habitué grâce à ses comédies Américaines à sa fameuse "touch", qui consistait en une utilisation géniale du regard pour faire passer les situations à travers de menus détails mis en exergue, les films Allemands tournaient souvent, succès et savoir-faire oblige, autour de sombres épopées qui se prêtent mal, justement, à l'intimisme de sa mise en scène.
Difficile du reste de juger ce film, un conte de marivaudages cruels dans lequel Alfred Abel joue manifestement le rôle d'un tentateur et Pol Negri une femme qui tente de faire oublier une mauvaise réputation: il en reste peu de choses... La version restaurée par la cinémathèque de Münich est réduite à une seule bobine, et concerne la confrontation entre les trois principaux protagonistes: Yvette (Pola Negri), prostituée amoureuse qui est prête à se sacrifier pour ne pas entraîner dans sa chute l'homme qu'elle aime; Gaston (Alfred Abel), le manipulateur qui la menace, et Adolph (Hermann Thimig), l'homme de la belle société qui revient vers la femme qu'il aime. Ce dernier étant un peu à part, l'extrait est surtout consacré à un conflit ouvert entre Pola Negri, femme forte comme Lubitsch les aimait, et Abel, en diable au sourire charmeur...
En espérant qu'un jour on puisse voir enfin le film sinon dans son entier, en tout cas dans une continuité plus décente: dans ce drame en costumes qui se joue dans des intérieurs Parisiens, il me semble que j'ai vu plus de Lubitsch que dans tout Das Weib des Pharao, qui lui a fait l'objet d'une reconstitution spectaculaire...
Dans le petit royaume de Karlsburg, le jeune prince héritier Karl Heinrich (Philippe de Lacy) arrive chez son oncle le roi Karl VI (Gustav Von Seyffertitz). Malgré la présence du Dr Jüttner, un précepteur qui lui sert de père de substitution, et un ami en même temps qu'un éducateur (Jean Hersholt), la vie est rude pour le jeune prince, qui n'a pas la possibilité ni de sortir, ni d'avoir d'authentiques amis de son âge... Devenu adulte (Ramon Novarro), il doit partir pour l'université de Heidelberg, où il compte bien rattraper le temps perdu en faisant le plein de plaisir et d'amitiés. En compagnie du Dr Jüttner, le jeune prince va y trouver un bonheur immense, mais fugace, surtout dans les bras de la belle Kathi (Norma Shearer)... Fugace car le prince insouciant va vite être rattrapé par l'annonce de la maladie du Roi, et bien entendu par la raison d'état... Comment dans ces circonstances donner sa pleine mesure à ce qui n'apparaîtra jamais aux yeux de la cour, que comme une amourette sans importance?
On pense évidemment à Erich Von Stroheim, et ce n'est pas un hasard; dans l'esprit d'Irving Thalberg, maître d'oeuvre du projet pour la MGM, ce film devait suivre The merry widow entre les mains du metteur en scène de Greed. Mais celui-ci, qui souhaitait écrire et réaliser ses films à sa guise, a quitté le studio, avec fracas, en fin 1925. Lubitsch, qui venait de remplir un contrat de cinq films pour la Warner, n'était que le quatrième choix pour le jeune producteur, ce dernier ayant considéré faire venir E. A. Dupont, auréolé du succès de Variétés, ou confier le travail au vétéran John Stuart Robertson. Si Lubitsch est arrivé sur le tard sur un projet qui avait déjà pris vie sans lui, il y a suffisamment insufflé de lui-même: le ton pour commencer, mélange savant de mélodrame et de comédie, et le contraste saisissant entre les décors un rien grandioses de conte de fées, et le talent du metteur en scène pour nous intéresser à un détail, à un geste, et comme le ferait remarquer Mary Pickford, à une porte...
Et surtout, il a su s'intéresser à ses personnages et leurs relations: l'amitié quasi filiale de Jüttner pour Karl Heinrich, et la relation d'irrésistible passion de Kathi et du jeune prince, entre bouffées de gaminerie friponne, et conscience aiguë des réalités de leur rang respectif: une scène me revient en mémoire: la nuit, les deux jeunes gens se voient, et Karl court après Kathi, à la fois en jeu et afin de l'embrasser, ce que la prudente jeune femme ne souhaite pas: ils sont filmés de côtés, et la caméra les suit dans un travelling latéral, qui les voit passer derrière une rangée d'arbres, jusqu'à ce que la caméra dépasse un gros arbre, mais de derrière le tronc, les deux amoureux n'émergent que tardivement: la preuve qu'un metteur en scène aussi distinctif que Lubitsch pouvait malgré tout continuer à garder son style distinctif, y compris au sein de la MGM.
Cela étant dit, le film reste avant tout un véhicule pour le studio, pour le savoir-faire MGM et pour ses stars. Mais Lubitsch, s'attaquant à une thématique qui l'intéresse (le passage difficile à l'âge adulte, la frustration née des classes sociales, et un portrait formidable de jeune femme plus adulte que son amant, qui est celle qui remettra le jeune prince devenu roi, dans le droit chemin d'une succession difficile mais nécessaire), et continuant à montrer son talent en matière de point de vue: la façon dont Karl Heinrich découvre, devenu roi, qu'aucun de ses camarades étudiants ne lui témoignera jamais plus qu'un respect froid et protocolaire, par exemple, est traitée du point de vue de Novarro, sans qu'il soit possible pour le public d'en vouloir à ces sujets zélés... Et il y a Jean Hersholt, génial acteur trop méconnu, qui joue ici l'un des deux rôles les plus importants de sa vie.
Retrouvant le scénariste Hans Kräly, son complice des années Allemandes, et bien sûr l'immense acteur Emil Jannings avec lequel il a tourné maintes fois avant de venir en Californie, Ernst Lubitsch a signé avec The Patriot un film que beaucoup parmi ceux qui ont eu la chance de le voir estiment être un chef d'oeuvre. Dans un premier temps, c'est Dmitri Buchowetski qui devait réaliser le film, mais Lubitsch, qui entamait une collaboration plus que fructueuse avec la Paramount, a finalement été appelé à la rescousse...
L'intrigue concernait le Tsar Paul (Jannings), un monarque en bout de course, qui n'accordait sa confiance qu'à un seul homme, son ami le Comte Pahlen (Lewis Stone). Mais celui-ci, pris entre son affection pour son ami et la raison d'état, jugeant le roi fou et criminel, entreprend de le trahir dans les règles...
On a particulièrement dit du bien de la mise en scène de Lubitsch, qui avait été éloigné des grosses productions depuis Rosita, et s'est plu à jouer avec les ombres avec talent, et à adopter un jeu de caméra mobile. En témoignent aujourd'hui les seules trois minutes de la bande-annonce, seule trace du film avec les photos de plateau, qui nous promet un spectacle fabuleux, que nous ne verrons sans doute jamais plus... Pas plus qu'une copie intégrale de Die Flamme ou quoi que ce soit de Kiss me again...
Voilà un film bien encombrant... Comme du reste pouvaient l'être, chacun à sa façon, les superproductions de Lubitsch Madame Du Barry, Sumurun ou Ann Boleyn. Chacun de ces quatre films comporte bien sûr, à sa façon, une méditation sur le rapport paradoxal des femmes au pouvoir, et une importante manipulation des foules par le metteur en scène. On murmure que celui-ci, particulièrement, était pour Lubitsch l'occasion de montrer aux studios Américains ce qu'il savait faire. particulièrement à la Paramount, qui a investi beaucoup de sous dans l'affaire...
En Egypte, le Pharaon Amenes (Emil Jannings) désire cimenter une alliance avec le roi Samlak d'Ethiopie (Paul Wegener); pour ce faire, il accepte d'épouser la fille (Lyda Salmonova) de ce dernier. Mais alors que les éthiopiens sont en route, se produit un événement qui sera lourd de conséquences: un Egyptien (Harry Liedtke) a volé une esclave Grecque (Dagny Servaes). Ce qui aurait pu être insignifiant va en réalité décider du destin tragique de la couronne Egyptienne, et de la mort de la plupart des personnages...
Décors imposants, foules menées de main de maître, et acteurs de premier plan au jeu lourd et ampoulé, vaguement héritier de l'expressionnisme théâtral: avec Wegener et Lubitsch qui se battent en essayant d'en faire systématiquement plus que l'autre, l'intérêt très relatif de ce gros spectacle tend à s'effriter au fur et à mesure. Le fait que le film n'est survécu que dans des copies fragmentaires n'arrange ni la continuité, ni la compréhension... Mais Lubitsch, qui signera ensuite un seul film en Allemagne (Die Flamme, aujourd'hui perdu), gagnera son ticket pour les studios Californiens.
Si ça n'est pas une bonne nouvelle, alors c'est à désespérer.
Commençons par deux évidences: d'une part, ce film de 1932, le dernier des musicals Paramount réalisés par Lubitsch, est un remake de The marriage circle, qui transpose l'adaptation d'une pièce de Lothar Schmidt dans l'esprit d'une opérette; d'autre part, The marriage circle est un chef d'oeuvre dont le remake ne s'imposait pas. Mais une nouvelle "opérette" de Lubitsch avec Maurice Chevalier et Jeanette McDonald? Et en prime un auto-remake d'un de ses propres films par le grand Lubitsch? On ne va certainement pas faire la fine bouche...
Le docteur Bertier (Maurice Chevalier) et Madame (Jeanette McDonald) s'aiment: la preuve, les policiers de Paris les surprennent dans les bras l'un de l'autre dans un parc de la capitale, enlacés dans une embrassade gourmande et nocturne... Tellement occupés qu'on ne les croit absolument pas mariés. Mais ce mariage idyllique va être soumis à rude épreuve: la meilleure amie de Colette, Mitzi Olivier (Geneviève Tobin), véritable croqueuse d'hommes certifiée, vient en effet de déménager de Lausanne avec le professeur son mari (Roland Young), et si elle se réjouit de retrouver son amie Colette, elle va rencontrer le docteur Bertier avec le plus grand intérêt... Ce que ce dernier va d'ailleurs sentir passer, mais pas forcément à son corps défendant.
Le prologue installe le style du film avec autorité: un mélange permanent entre comédie parlante, scènes chantées, et musique accompagnée de récitatifs rimés, qui permettent à tout un chacun de participer à la comédie musicale, sans pour autant prendre le risque du ridicule, et aux chanteurs chevronnés d'intégrer la musique à la mise en scène, de façon fluide. Bref, c'est le style établi par Lubitsch depuis Love Parade en 1929. Et le ton est résolument égrillard, c'est le moins qu'on puisse dire. D'une certaine façon, One hour with you complète ou plutôt prolonge The marriage circle, avec un certain nombre de scènes qui permettent à Lubitsch d'aller un peu plus loin dans l'audace. Deux scènes, l'une est célèbre, montrent bien cet aspect du film: lorsque Adolph (Charlie Ruggles), le soupirant éternel de Colette lui téléphone pour annoncer sa venue à la soirée qu'elle organise, déguisé en Roméo, il a la surprise d'entendre son amie lui dire que ce n'est pas un bal costumé... Reprochant à son domestique de l'avoir induit en erreur, il s'entend rétorquer par celui-ci qu'il avait envie de le voir en collants... L'autre scène "nouvelle" est celle où, durant la soirée, Bertier et Mitzi se retrouvent seuls à l'extérieur, avec une métaphore insistante représentée par un petit jeu autour du noeud papillon: Bertier ne sait pas le nouer, et Mitzi passe son temps à le lui défaire, ce qui les oblige à passer du temps, intimement enlacés, Mitzi concentrant son attention sur la nécessaire satisfaction de Bertier...
Mais le film a changé le ton de l'histoire originale, aussi, pour des raisons semble-t-il personnelles: Lubitsch, qui devait être seulement le superviseur de la production, a changé en cours de route de fonction, remplaçant au pied levé George Cukor (qui le lui reprochera toute sa vie), afin de relever un peu la sauce, parce qu'il trouvait les premiers efforts de Cukor insuffisants (Et accessoirement parce que Chevalier ne le supportait pas). Et Lubitsch, justement, sortait d'un divorce particulièrement compliqué... Donc le metteur en scène a tout fait pour teinter ses marivaudages, finalement assez flous dans le film muet de 1924 (A-t-il, ou n'a-t-il pas?) de réalisme. Ici, bien qu'il s'en défende, tout concourt à nous faire penser que le Docteur Bertier a bien été infidèle... Et l'image du couple idyllique du début (et du premier film) en prend, quand même, un sacré coup...
Ce merveilleux film est, après Rosita (1923), le deuxième film de Lubitsch aux Etats-Unis, et plus que tout autre, c'est la fondation même de son style des années à venir, de cette fameuse "Lubitsch touch" que l'on sort comme ça sans crier gare dès qu'on parle du talentueux réalisateur... Une fondation paradoxale, pour un metteur en scène qui est quand même à l'ouvrage depuis 1914, ce qui fait de lui un vétéran en ces jeunes années du cinéma. On le verra, il y a une continuité réelle entre le Lubitsch Allemand, et les comédies sophistiquées qui seront désormais sa marque de fabrique. Une continuité, oui, mais aussi une cassure...
Mizzi Stock (Marie Prevost) s'échappe de son foyer, où elle vit avec un professeur de mari (Adolphe Menjou) qui se désole de la voir le négliger. C'est qu'elle souhaite ardemment un peu de romance, alors quand elle se trouve partager un taxi, par erreur, avec le docteur Franz Braun (Monte Blue), spécialiste des maladies nerveuses (parmi lesquelles en ce début de siècle le corps médical compte l'hystérie, qui fait d'ailleurs l'objet de beaucoup d'attention. C'est un détail qui pourrait s'avérer significatif), elle jette son dévolu sur lui.
Sauf que ça n'arrange pas les affaires de Franz Braun: il est d'autant plus gêné que la belle n'est pas vilaine! Mais voilà, Franz est amoureux, et Madame Braun (Florence Vidor) le lui rend bien. Le comique, c'est que Mizzi, lors de cette fatale rencontre en taxi, se rend chez sa meilleure amie... Charlotte Braun. Celle-ci, qui vivait un mariage jusqu'alors sans ombre ni tache, va par la seule grâce de la visite de sa meilleure amie voir le spectre du doute s'installer, ce qui débouchera sur une situation des plus absurdes: se méfiant de toutes les femmes et de toutes les occasions qui pourraient s'offrir à son mari, Charlotte va confier certaines responsabilités à Mizzi, mettant sans le savoir Franz au coeur de toutes les tentations...
Deux autres intrigues sous-tendent cette adaptation brillante par Paul Bern de la pièce Rien qu'un rêve de Lothar Schmidt: d'un côté, le fit que le professeur Stock ait engagé un détective (Harry Myers) pour coincer son épouse et se fendre d'un triomphal divorce; de l'autre, le collaborateur de toujours de Franz, Gustav (Creighton Hale), est amoureux de la belle Charlotte, et l mini-crise traversée par le couple va lui donner des occasions de tenter sa chance, mais... ce sera généralement lamentable.
The marriage circle est à l'intersection de trois influences: la comédie sophistiquée de Cecil B. DeMille (ce dernier étant parti vers de nouvelles directions en 1924) a sans doute eu un effet significatif; mais l'élégance d'un cinéma d'auteur, moins porté sur la comédie, et qui se retrouve aussi bien derrière les fabuleux films de Lois Weber (The blot) que dans les oeuvres de Chaplin (A woman of Paris, bien sûr) seront déterminants aussi. Enfin, il ne faut pas négliger ce que Lubitsch a développé en Allemagne, de comédies farfelues (Die Puppe) en contes grinçants (Ich möchte kein Mann sein): ce sens du détail, du timing, et le savoir-faire inné en matière de dosage... Et le film est notable aussi par son exceptionnelle interprétation: même si l'image cliché souvent véhiculée sur le film muet comme étant forcément mal joué, est la plupart du temps une impression partagée par ceux qui n'en voient jamais, on a rarement atteint une telle sobriété, une telle justesse même dans le jeu d'acteurs aux Etats-Unis...
Et il y a ces fameux non-dits, et l'art et la manière de contourner les interdictions et les codes moraux. Ces regards, ces gestes; cette scène fabuleuse d'un soudain élan de tendresse entre Monte Blue et Florence Vidor, un câlin qui nous est montré uniquement par un gros plan des deux tasses de café qu'ils consomment au petit déjeuner. Derrière les dites tasses, on voit l'esquisse de gestes, jusqu'à ce que la main ferme de Monte Blue ne pousse purement et simplement les tasses qui semblent-ils, gênent! Le rôle joué comme d'habitude chez Lubitsch par les portes, ascenseurs, lettres, et gens de maison, est déjà bien en place, et si la scène (reprise dans le remake One hour with you, de 1932) du placement des convives d'un repas est justement célébrée, j'aime énormément la dose de développements possibles du film: par exemple, avez-vous remarqué qu'avant de quitter un lieu, Adolphe Menjou a un regard particulièrement gourmand pour la bonne? Donc si l'homme est partagé entre l vengeance de l'homme blessé et le cynisme du bonhomme qui voir arriver l'opportunité facile d'un divorce avantageux, il n'en a pas moins des parts d'ombre...
Et le monde peint par Lubitsch, un monde d'élégance et de sophistication, est quand même sous-tendu par de bien noires idées, et autres immoralités bien ancrées. Quant aux dames, oisives en cette période, elles portent en elles une part d'ombre elles aussi, notamment Mizzi. Si ses tentatives répétées d'obtenir du bon docteur Braun un intérêt qui ne soit pas que professionnel sont notables par leur nombre, il n'en reste pas moins que son obsession pour lui relève de la médecine, ni plus ni moins!
Pour finir, j'en reviens à la filiation entre DeMille et Lubitsch: dans ses comédies de 1918-1920, l'Américain jouait avec les idées "risquées", pour finir par rétablir un équilibre moral acceptable. Ici, d'une part la lassitude des Stock déboucher sur un "changement de mari", pour faire une allusion aux titres des films de DeMille, et non sur un retour à la normale. Mais même chez les Braun, flanqué de l'éternelle cour lamentable de Gustav, on a le sentiment au moment où s'achève le film que l'avenir réserve des aventures bien troublantes, puisque rien n'a été réglé.
Ce film de 1920 raconte la triste destinée de la femme la plus connue de ce bon Henry VIII, de son arrivée à la cour jusqu'à sa séparation en deux tronçons. On pense à Madame Du Barry, qui a d'ailleurs subi la même opération, mais ici, il s'agit moins du portrait d'une intrigante piégée par l'amour, que du portrait d'une amoureuse piégée par l'intrigue.
Le film commence par l'arrivée de Anne Boleyn (Henny Porten) à la cour du roi Henry VIII, alors que celui-ci est en conflit plus ou moins ouvert avec son épouse légitime, la Reine Catherine, bonne Catholique qui refuse de porter la responsabilité de l'absence d'héritier, et qui surtout ne souhaite pas tomber dans le piège d'annulation du mariage que lui tend son mari. Celui-ci est interprété par Emil Jannings, et on ne peut rêver de Henry VIII à la fois plus picaresque, et plus inquiétant. Placée par le roi auprès de Catherine, Anne Boleyn devient de plus en plus intéressante pour le roi, qui n'est pas homme à se retenir. Et l'inévitable arrive: le roi va oeuvrer pour obtenir l'annulation du mariage avec Catherine (Entraînant son excommunication, au passage, et la naissance de l'Eglise Anglicane), et placer Anne Boleyn sur le trône, persuadé qu'il va ainsi avoir un héritier valide, c'est à dire mâle...
Henny Porten compose donc une femme victime de ses sentiments, qui sont au départ partagés entre son affection pour le chevalier Henry Norris, et son dévouement de fait à la couronne. Emil Jannings met tout son poids dans l'interprétation d'un monstre royal, aux appétits phénoménaux; comme d'habitude, Lubitsch passe de marivaudage en drame, et la belle ordonnance de la mise en scène est accompagnée déjà d'un sens de la suggestion... Le style du metteur en scène se raffine avant de devenir la fameuse "Lubitsch Touch". Mais ce film, pas si éloigné de Sumurun dont il partage le mélange parfois osé des genres. D'une certaine façon, Lubitsch pousse le pittoresque autour de Henry VIII et sa cour, jusqu'à en faire une sorte de pendant grotesque de l'histoire, dans lequel la figure tragique de Anne Boleyn, interprétée sans le moindre second degré par une comédienne pas vraiment réputée pour son sens de l'humour, devient une personnalité Shkespearienne: elle s'est approchée du pouvoir, à son corps défendant, a fait ce qu'elle a su devoir faire, mais elle sera finalement punie pour n'avoir été qu'un des passages obligés de la vie du monarque...
Lubitsch ne se contente pas du drame historico-conjugal, il s'intéresse aussi aux rouages, aux comparses qui agissent dans l'ombre, de ce poète à l'amour déçu qui entraîne plus ou moins volontairement la chute de celle qu'il aurait tant voulu séduire, à l'appétit de la dame de compagnie (Aud Egede Nissen) de la Reine, qui attend son tour dans l'ombre. Avec son style « ligne claire », et ses décors luxueux, Lubitsch fait bien plus que de montrer la puissance de l'écran Allemand et de la bourgeonnante UFA (Ce qui restait la finalité principale des superproductions de 1919-1920, Madame DuBarry, Sumurun ou Die Weib Des Pharao) : il installe un univers qui vaut autant pour ses figures de proue, que pour les coulisses. Il saura s'en souvenir en mettant en parallèle les amours des grands de ce monde, et de leurs domestiques, dans les années 30...
Dans un pays Arabe de conte, une troupe de théâtre arrive dans une ville tenue par un Sheik très autoritaire (Paul Wegener). Dans le harem de celui-ci, la favorite Sumurun (Jenny Hasselqvist) tombe amoureuse au premier regard d'un marchand ambulant qui voyage avec les acteurs. Elle obtient du reste du harem de l'aide pour trouver un stratagème afin de faire venir le jeune homme vers elle. Pendant ce temps, une danseuse (Pola Negri) fait tout ce qu'elle peut pour se rapprocher du Sheik, même si elle se garde toujours un amant parmi la troupe: une poire pour la soif... mais le Sheik l'a vue, et la désire. C'est parti pour un chassé-croisé qui finira dans le drame: parmi les acteurs du drame, un bossu (Ernst Lubitsch) qui voit d'un mauvais oeil 'sa' danseuse fricoter avec les autres...
Avec ce film étrange, Lubitsch adopte un décor digne des mille et une nuits, et une narration qui tranche sur ses films précédents. Comme s'il voulait à la foi faire un bilan de toute son activité passée, et créer un style qui lui soit propre, il mêle le grotesque et sa direction d'acteurs qui sait si bien mêler le trivial et le pathos, avec la tragédie Shakespearienne. Il allie le jeu de Paul Wegener, Aud Egede Nissen ou Jenny Hasselqvist d'un côté, avec celui de Pola Negri ou de lui-même. Plus étrange encore, tout en obtenant du drame de ses acteurs de prestige, il pousse plus loin le bouchon du grotesque en jouant comme il le faisait dans La princesse aux huîtres sur l'effet de groupes de personnages, que ce soient les Eunuques, tous similaires, tous habillés de la même façon, ou les femmes du harem menées par Aud Egede Nissen, bien loin de ses rôles pour Lang: mutine et tordue, la jeune femme adopte sans remords aucun le jeu "à la Lubitsch"! Pour retrouver un tel mélange, il faudrait comparer ce film avec l'épisode "Chinois" de Der müde Tod, de Fritz Lang...
Le résultat est détonnant, novateur, et sans aucun doute pas vraiment abouti. Mais il n'en reste pas moins un film très personnel, et unique en son genre ce qui ne gâche rien. Lubitsch ne se laisse pas attraper par la mode ambiante du "caligarisme", son film est marqué par des éclairages généralement diurnes, peu de travail sur les ombres, à part peut-être lors d'une scène de menace de torture. Et encore, le jeu quasi géométrique des acteurs de second rôle (Les eunuques, les esclaves) tend à souligner le faux d ela situation en permanence... encore une fois, d'une manière bien sur totalement différente des faux décors, des perspectives truquées de Caligari, et du jeu d'un Conrad Veidt! Par contre, Lubitsch, qui s'apprête si je ne m'abuse à dire adieu à sa carrière d'acteur, se paie le luxe d'une ou deux scènes durant lesquelles il pourra à loisir "mâcher le décor", comme le dit l'expression consacrée qui désigne un jeu excessif au théâtre en Anglais!
En pleine montagne, dans un pays qui n'existe pas, une garnison tient bon. On ne sait pas trop ce qu'ils gardent, mais ils gardent vaillamment. Et pourtant il y a un ennemi, coriace et entraîné: une bande de voleurs, menés à la baguette par un personnage haut en couleurs, et accompagné de sa fille Rischka (Pola Negri), qui fait tourner les têtes... en bourrique. Et dans la garnison, on attend l'arrivée d'un nouvel officier, le célèbre Alexis (Paul Heidemann), qui a fait tourner toutes les têtes lui aussi, mais à Berlin: à se venue, on entend bien lui donner en mariage la fille du commandant de la garnison. Mais la rencontre inévitable entre Rischka et Alexis sera, bien sur, explosive...
Ce film combine deux courants de la comédie Lubitschienne Allemande: les films situés en montagne, dans un décor de neige authentique (A la même époque, il réalise Romeo und Julia im Schnee), et la comédie grotesque, à la façon de La poupée ou deLa princesse aux huîtres. Pola Negri se prête joyeusement à cette opérette muette avec bonheur. L'ordonnance légendaire et l'inventivité des décors font mouche une fois de plus dans un film qui évite l'écueil d'une certaine vulgarité en usant avec intelligence de chemins de traverse... et finit par montrer à la société Allemande de l'époque un miroir déformant de ses conventions, à travers le drôle de personnage de Rischka, voleuse espiègle, mais dont le coeur a parfois ses épanchements. Lubisch et Negri réussissent un tour de force: passer du grotesque le plus idiot, au touchant.
Dans une Allemagne de pacotille, un jeune homme doit obligatoirement se marier afin de satisfaire son oncle qui craint de disparaître en ne laissant aucun espoir d'héritier à l'horizon. Comme c'est une irréversible andouille (mais alors, vraiment), il se "marie" avec une poupée grandeur nature. Sauf que chez le fabricant, ce jour-là, un assistant du patron a cassé la poupée promise; afinde gagner du temps, la fille du patron va donc le temps d'une longue journée, "jouer" la poupée, et provoquer beaucoup d'émois...
Le déguisement, sous toutes ses formes, et le jeu à être quelqu'un d'autre, voilà des thèmes Lubitschiens fréquents. Mais ici, le metteur en scène s'amuse à multiplier les niveaux: une femme joue à être une poupée qui joue à être une femme... Tout ça va permettre à un homme effrayé de tout y compris de son ombre, de trouver l'amour, l'âme soeur, voire tout simplement de... devenir un homme.
Et ça permet aussi à une "poupée" grandeur nature, une vraie femme pourtant, de sortir dans le monde pour un voyage initiatique dont elle reste maîtresse, comme Ossi Oswalda menait déjà le jeu dans Ich möchte kein Mann sein...
Et puis, comment ne pas s'émouvoir de voir cette mise en scène qui met délibérément l'accent sur le factice, depuis cette ouverture durant laquelle Lubitsch soi-même plante le décor d'une maison de poupées? Les arbres en carton-pâte, les toiles peintes, tout l'univers du film semble renvoyer à une esthétique liée autant au théâtre qu'à l'enfance, et fait encore mieux ressortir l'ineptie du benêt dont Ossi Oswalda, impeccable comme d'habitude, va inexplicablement tomber amoureuse.