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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 16:18

Le Paradis du titre? D'abord, Venise: on le visite, Lubitsch oblige, en commençant, hum, par les coulisses. Un tas d'ordure est véhiculé... vers une gondole. Typiquement, le metteur en scène qui aurait pu se contenter d'un plan de la lagune, et d'un élégant titre, n'a pas pu s'empêcher d'être inventif. Puis la majeure partie du film se situe dans un autre Paradis, à Paris, dans la très haute société.

Le "trouble" du titre, quant à lui, est soit le fait que dans la haute société, il y a des gens qui ne sont pas forcément de la plus grande honnêteté, car ils ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche, comme on dit... Alors ils volent la cuillère. Ou alors, ce fameux "trouble" pourrait tout aussi bien être l'amour, ce sentiment intempestif qui arrive comme un cheveu sur la soupe et gâche tout en faisant intervenir les sentiments là où on n'en a pas besoin... 

A Venise, un voleur-escroc internationalement connu, Gaston Monescu (Herbert Marshall), rencontre Lily (Miriam Hopkins), une voleuse qui a un certain talent. Comme ils se volent mutuellement avec une adresse qui les stupéfie mutuellement, ils savent qu'ils sont faits l'un pour l'autre, et s'associent. Monescu vient justement de voler un homme d'affaires dans sa chambre d'hôtel, le Parisien François Filiba (Edward Everett Horton). 

Le couple, des années plus tard, se rend à Paris, attiré par les bijoux de la belle Madame Colet, héritière des parfums Colet et Cie. Durant un opéra, c'est un jeu d'enfant pour Monescu de voler un sac orné de diamants, appartenant à la charmante veuve (Kay Francis), d'autant que celle-ci est flanquée de deux prétendants aussi ridicules qu'inutiles: le Major (Charlie Ruggles), et son ennemi juré se disputent les faveurs de Mariette Colet. Lennemi en question n'est autre qu'un certain... François Filiba. 

Mais une fois le sac volé, Monescu apprend que sa propriétaire donnera une récompense de 20000 Francs à qui le lui rendra. Sous le nom d'emprunt de Gaston La Valle, il va lui rendre l'objet, empocher la prime, et... devenir son secrétaire. Et plus, si affinités.

Après cinq films parlants, dont quatre comédies musicales, Lubitsch s'attaque enfin à une comédie sentimentale, qui reprend un thème déjà très présent dans certains de ses films, notamment The student prince (1927) et The smiling lieutenant (1931): la barrière des classes. Le triangle formé ici par La voleuse, le voleur aux manières de dandy, et la bourgeoise, aussi raffinée et adorable soit-elle, nous rappelle que certaines barrières sont infranchissables, et qu'il est inévitable, quel que soit le désir de l'un comme de l'autre, que Gaston "La Valle" et Mariette Colet finissent leurs vies ensemble... Mais en attendant de faire ce constat, ils auront pu rêver un peu.

Et puis Lubitsch creuse d'autres pistes, bien sur, continuant de s'intéresser aux coulisses, avec ce Gaston la Valle qui s'y entend si bien à tirer les ficelles, ou ce garçon si obligeant qu'il prend des notes quand la requête d'un client de l'hôtel est malgré tout indicible. Et enfin, dans ce film en forme de vitrine de tout son génie, Lubitsch joue avec l'identité, ses faux-semblants, le pouvoir d'un nom aussi: Colet "and Company", comme on se plaît souvent à le souligner! Il nous dresse en 82 minutes une histoire qui a tout pour tourner au sublime et au tragique (après tout, mme Colet et M. La Valle vont si bien ensemble, quel dommage que ce soit impossible), et qui devient tout bonnement une sublime comédie sentimentale. Mais la mélancolie qui s'installe ici reviendra de façon insistante dans l'oeuvre de Lubitsch, de Angel à Heaven can wait, en passant par The shop around the corner.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Ernst Lubitsch Pre-code Criterion Edward Everett Horton
13 août 2017 7 13 /08 /août /2017 18:13

A Vienne, le Lieutenant Niki (Maurice Chevalier)est toujours prêt. Pour son empereur, bien sur, mais aussi pour les dames, qui se bousculent au portillon! C'en est au point où quand un de ses collègues (Charlie Ruggles) le consulte pour que Niki lui donne son avis sur une jeune violoniste, Franzi  (Claudette Colbert), c'est finalement Niki qui se retrouve au bras de la jeune femme. Il en néglige d'ailleurs bien vite toutes les autres. Jusqu'à un drame: lors de l'arrivée du Roi Adolph XV (George Barbier) d'un royaume quelconque, en compagnie de sa fille Anna (Miriam Hopkins), Niki qui n'a que Franzi dans son champ de vision sourit béatement, ce que la jeune femme pincée prend pour une moquerie. pour réparer ce qui menace de devenir un incident diplomatique, Niki se sacrifie et prétend avoir été sous le charme d'Anna...

Oui, Miriam Hopkins en jeune femme pincée... Ca surprend, mais elle le fait très bien. Le film est la troisième production parlante-et-chantante de Lubitsch pour la Paramount, et cette fois Jeanette McDonald n'est pas présente. Les deux actrices en vedette ne sont, ni l'une ni l'autre, des chanteuses, et ça s'entend... d'où une tendance à mettre les ritournelles en veilleuse. On ne s'en plaindra pas, après tout: ce n'est pas ce qu'on vient chercher dans un Lubitsch, enfin!

...Et c'est justement délicieux. L'histoire, on peut assez facilement le constater, pourrait largement déboucher sur de la mélancolie, car après tout il y est question de rang social, et de trois niveaux qui ne peuvent cohabiter: la Princesse, le lieutenant et la violoniste... Le lieutenant étant d'extraction noble, le mariage avec la princesse devient possible. Il peut en revanche facilement fricoter avec Franzi (Voire prendre des petits déjeuners avec elle) mais ne pourra l'épouser: elle le sait d'ailleurs très bien... Mais si le film nous raconte d'une certaine façon la prise au piège du séducteur, et le renvoi à l'égout de la jeune musicienne, il le fait avec le style si léger du Lubitsch "Viennois"... bien que ce dernier soit Berlinois! Et les scènes d'anthologie sont nombreuses...

Citons deux perles: la seule confrontation dans ce film entre Hopkins et Colbert est une merveille. Ce qui aurait du tourner au règlement de comptes (Aussi bien entre les personnages qu'entre les deux actrices, d'ailleurs) se résout en une merveilleuse séquence de complicité féminine. Et il en résultera une métamorphose de Anna, de vieille chrysalide en papillon flambant neuf, qui occasionne un grand moment de slapstick: Chevalier pouvait aussi, en fin, se taire!

Lubitsch cherchait la bonne formule à cette époque: ce film a été suivi d'une oeuvre ambitieuse et douloureuse, Broken Lullaby, puis d'une quatrième comédie musicale (One hour with you) reprenant la trame d'un de ses films muets (The marriage circle), et enfin d'un film qui reprend la même réflexion sur les différences de classe, à nouveau avec Miriam Hopkins: mais en compagnie de Herbert Marshall et de Kay Francis: dans Trouble in paradise, la comédie n'est plus musicale, et la mélancolie ne se cachera plus. Ici, c'est à peine si on y pense...

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Musical Pre-code Ernst Lubitsch Criterion
4 août 2017 5 04 /08 /août /2017 16:23

Dans ce moyen métrage situé au début de sa gloire, Lubitsch explore avec délectation les errements d'un quarteron de personnages qui se déguisent, se mentent et se trompent: un mari volage qui court le guilledou au lieu de répondre à une convocation de la police, un comte coureur de jupons obligé d'aller en prison à sa place, une épouse qui cherche à coincer son époux en se faisant passer pour une autre, et une servante déguisée en dame de la haute qui se paie le luxe de retourner à sa condition au lieu de mener la grande vie avec un bourgeois. Une fois faux semblants, tromperies et situations limites mis de coté, tout retournera dans l'ordre. Tout ceci est un peu rustique, mais on est déjà dans un univers proche de celui qui sera le théâtre de ses films du début des années 30.

Et Lubitsch et Hanns Kraly ont piqué l'intrigue à une opérette: Die Fledermaus (la Chauve-souris), de Richard Strauss. Le ton est résolument à la farce, ont est donc vraiment dans la première vague des films du maître, ceux qui respiraient le bon air des rues Berlinoises, ceux d'avant la Kolossale réputation du metteur en scène qui lui vaudra un ticket pour Hollywood, où il ira transformer à lui tout seul le cinéma... Tout ceci n'empêche pas ses bourgeois Berlinois d'voir un air de famille marqué avec ses héros, qu'ils soient de 1924 (The Marriage Circle) ou de 1932 (One hour with you)... Notons aussi une apparition irrésistible de Emil Jannings en gardien de prison alcoolique.

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Ernst Lubitsch 1917 *
3 août 2017 4 03 /08 /août /2017 16:15

Le titre de ce film (Berceuse interrompue), qui aurait du au départ s'appeler à l'imitation de la pièce de Maurice Rostand dont il est adapté L'homme que j'ai tué (The man I killed) fait allusion au violon, un instrument que pratiquaient l'Allemand Walter Holderlin, et le Français Paul Renard (Phillips Holmes) avant d'être soldats. ce n'est pas le seul lien entre les deux hommes: la vie de Holderlin s'est arrêtée après que Renard l'ait tué. Et comme on ne meurt pas forcément comme ça, tout d'un coup, Renard a assisté à son agonie, et a même aidé le mourant à signer la lettre à sa famille que l'infortuné soldat Allemand était en train d'écrire...

Comment voulez-vous après ça que Renard oublie, ou même accepte la simple responsabilité d'un soldat, comme le prêtre qu'il va consulter le conseille? Il va lui falloir se rendre chez la famille de l'homme qu'il a tué, pour essayer de faire son deuil de son geste. Et justement, la famille du Dr Holderlin (Lionel Barrymore) vit dans le souvenir douloureux de leur fils absent, et ont eux aussi besoin d'accomplir leur deuil. En s'adressant à eux et en n'osant pas donner toute la nature du lien embarrassant qu'il partage avec Walter, Paul va permettre à la famille de vivre mieux. Mais il va le faire avec des risques: la population locale n'est pas prête à l'accueillir, notamment Herr Schultz (Lucien Littlefield), qui avant l'arrivée de ce séduisant Français, avait ses chances auprès de la jeune soeur de Walter (Nancy Carroll)! Et puis Paul est Français... 

Lubitsch joue sur les contrastes dans le début de son film, en montant des images qui nous parlent de la fin de la guerre, et qui montrent la liesse populaire sous un jour sardonique: une parade militaire passe devant des soldats estropiés, des militaires assemblés dans une église, entendent un sermon de paix pendant que Lubitsch cadre leurs sabres bien alignés, des officiers aux dates de péremption passées depuis longtemps célèbrent l'avenir, des gens qui parlent de faire table rase du passé pendant que la caméra nous montre des médailles innombrables sur un uniforme... Le commentaire est cinglant: l'homme est incapable de faire son deuil du passé, et les erreurs qui conduisent à la guerre ne disparaîtront jamais. Dans ce contexte, Paul Renard est d'une grande lucidité: il refuse d'admettre que le port de l'uniforme l'absout de sa part de responsabilité dans la mort de Walter Holderlin. Mais sa quête de la famille du défunt, jusqu'en Allemagne, est surtout pour lui-même. Le piège dans lequel il tombe, et qui lui rend la vie difficile et la faute plus douloureuse encore, c'est qu'il s'attache à cette famille à laquelle il prétend avoir été un ami de Walter de son vivant. C'est seulement à la jeune Elsa qu'il avouera sa faute, et cet aveu le prendra au piège...

Le style de Lubitsch n'est pas que tourné vers la comédie, et c'est dans ce film que l'on peut le plus s'en apercevoir: si le film n'est pas exempt de ces petites notations narquoises qui font le sel et le bonheur de ses films, le metteur en scène les a limités au monde parallèle des domestiques et des gens extérieurs à la famille: ce n'est pas un hasard s'il a confié le rôle de la gouvernante des Holderlin à Zasu Pitts, et si Lucien Littlefield et William Orlamond sont parmi les acteurs qui interprètent les voisins qui rouspètent de l'attention donnée par la famille de Walter à un Français... Mais les personnages principaux, quant à eux, vivent un drame, et les deux styles de jeu que Lubitsch leur impose (intense pour Holmes, qui en fait vraiment un peu trop, et dignement triste, et assez lent, pour les Holderlin) créent l'impression d'un choc, d'une incompatibilité qui me semble un peu gênante, parce que pas forcément voulue: c'est là que réside le relatif échec du film. 

Qu'il ait été un flop commercial, que le jeu des acteurs le plombe, n'empêche pas ce film d'avoir ses beautés. Quant à ses intentions, dans la mesure où Lubitsch entendait asséner une bonne fois pour toutes qu'un homme est un homme, qu'un Walter Holderlin et un Paul Renard se valent, et qu'il devrait être VRAIMENT interdit de tuer, y compris quand c'est votre gouvernement qui commande... c'est probablement naïf? Tant pis. Mais le film a sans doute d'autant plus décontenancé qu'il prend de fait largement le point de vue des Allemands. 

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch
2 août 2017 3 02 /08 /août /2017 17:59

Un milliardaire impétueux et excentrique qui va mourir bientôt fait poireauter son entourage avec des revirements constants par rapport au testament qu'il entend laisser. Il ne veut ni le laisser à ses employés qu'il déteste, ni à sa famille qui n'attend rien d'autre que son décès pour faire main basse sur le pactole! Il choisit, tant qu'il est à peu près sain d'esprit, et encore en capacité de le faire lui-même, d'adresser dix chèques, chacun d'un million de Dollars, à huit personnes prises au hasard... Chaque segment du film racontera ainsi le devenir de chaque chèque.

Les sept metteurs en scène se répartissent les portions de la façon suivante: Taurog est en charge du prologue et de l'épilogue, les autres films ayant été tournés indépendamment. Roberts et McLeod ont chacun deux segments à leur charge, et Lubitsch, Humberstone, Cruze et Seiter ont tous un sketch. Le ton est globalement à la comédie, sauf pour l'histoire de Cruze, qui est atroce, et (volontairement ou non?) dramatique: un condamné à mort reçoit le chèque et ne parvient pas à digérer la nouvelle. Certaines des vignettes tombent dans la comédie sans grâce, comme l'histoire de William Seiter avec W.C. Fields: un couple de forains dépensent leurs millions en voitures à casser, et c'est épouvantablement répétitif. J'ai un faible pour les deux premiers sketchs, l'un tourné par McLeod avec Charlie Ruggles en employé timoré d'une boutique de porcelaine qui est en plus étouffé par son épouse acariâtre, et l'autre tourné par Roberts, avec Wynne Gibson en prostituée surbookée qui va avoir une idée très précise de ce que son million lui permet d'acheter...

Et puis il y a Lubitsch: c'est intéressant de constater que ce film lui est souvent attribué en entier, alors qu'il en a réalisé le segment le plus court, mais aussi le plus fort et le plus percutant. Il l'a aussi écrit et en a confié l'interprétation à Charles Laughton... C'est une merveille. 

Pour le reste, aucun des metteurs en scène n'arrive à sa cheville, bien sur, donc il ne faut pas s'attendre à du grandiose. Juste à un film malin qui se saisit, en 1932, d'une préoccupation réelle, qui n'a rien à voir finalement avec le rêve Américain, mais plus avec l'idée de survivre, car comme chacun sait après 1929 les temps sont durs. Et le film nous montre l'Amérique (Blanche, il ne faut pas trop en demander), dans sa relative diversité sociale: on pourra juger que ce film nous montre une belle brochette d'égoïstes. On pourra aussi se dire que cette comédie tape gentiment là où ça fait toujours mal, tout en ayant le bon goût de vouloir faire rire...

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Published by François Massarelli - dans Comédie Ernst Lubitsch Pre-code James Cruze William Seiter
31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 09:43

Comment commencer? Le film choisit justement de surprendre, d'autant qu'on est en 1942: la guerre, après tout, bat son plein... Et alors que commence l'intrigue, à Varsovie en 1939, on trouve Hitler. Qui se promène, tranquillement, sous les yeux des passants. Mais on nous l'explique très vite: c'est un acteur, qui vient de s'engueuler avec l'auteur d'une pièce sur l'actualité brûlante, intitulée Gestapo! On contestait sa ressemblance avec le Fuhrer, et il a choisi de prouver que ses collègues avaient tort en faisant quelques pas dans la rue...

...Mais une petite fille qui vient lui demander un autographe lui a prouvé qu'il n'était pas si ressemblant que ça.

Le ton est donné: c'est une comédie, mais les événements qui se déroulent autour des acteurs du Théâtre Polski n'ont rien de drôle. Les comédiens qui jouent au théâtre vont aussi jouer leur vie, mais s'ils vivent pour le théâtre, il n'en reste pas moins que beaucoup d'entre eux sont d'abominables cabotins. Et si le mot n'est jamais prononcé dans le film, Lubitsch et le scénariste Edwin Justus Mayer ne cachent jamais que la plupart de ces acteurs sont juifs. De Greenberg (Felix Bressart) qui rêve de jouer Shylock et en connaît le monologue du Marchand de Venise par coeur, à cette merveilleuse contorsion autour du mot "ham", qui désigne bien sur le jambon (donc un plat qu'un Juif qui respecte sa religion ne mangera pas), mais aussi un cabotin, en Anglais dans le texte (Un acteur à un autre: ce que tu es, je ne le mangerais pas!)... 

Les deux vedettes de la troupe sont M. et Mme Tura, respectivement Jack Benny (Joseph) et Carole Lombard (Maria). Leur relation est bien sur amoureuse, mais ce sont d'abord et avant tout des gens de spectacle, donc ils sont, quoi qu'on en dise, en concurrence permanente pour le devant de la scène. Et Mme Tura apprécie les compliments, de sorte que, sans pour autant tromper son mari, elle laisse un jour entrer un bel officier (Robert Stack) dans sa loge pendant que son mari interprète le monologue de Hamlet...

Et c'est là que se situe le premier sens de cet extrait Shakespearien: Lubitsch détourne l'un des moments de théâtre les plus emblématiques qui soient, l'un des passages obligés les plus sacrés de tous les temps... pour en faire un signe de vaudeville, un gag qui plus est récurrent! Et comme M. Tura est particulièrement imbu de lui-même, l'effet comique de ce jeune officier qui se lève au moment où Tura est supposé briller de mille feux, est parfait.

Ce qui nous amène au deuxième sens de ce To be or not to be, qui symbolise à la fois le théâtre dans son quotidien (la guerre menace, la pièce Gestapo est donc annulée, et les acteurs se rabattent sur Hamlet), mais aussi le théâtre comme carrière prestigieuse, avec ses aspirations à la grandeur (Arrivé en Grande-Bretagne, Tura a un désir secret: jouer Hamlet au pays de Shakespeare!). Une aspiration qu'on retrouve chez tous ces acteurs: Bronski (Tom Dugan) qui jouait Hitler au débit du film, aspire à faire autre chose que de la figuration, comme Greenberg et son désir de jouer Shylock. Parce qu'il souhaite occuper le terrain, Rawitch (Lionel Atwill) en rajoute des tonnes, au grand désespoir de ses partenaires... En Anglais, quand un acteur sur-joue, on dit qu'il "mâche le décor" (To chew the scenery). A ce niveau, Rawitch est insatiable... Et pourtant, comme le dit Erhardt,le colonel nazi (Sig Ruman), Joseph Tura a fait à Shakespeare ce que les nazis font à la Pologne... Bref, tous ces acteurs ne sont probablement pas les meilleurs du monde. Ce qui ne les empêche pas de trouver le rôle de leur vie.

Et c'est là qu'on en arrive au troisième sens du titre et de cette allusion à cette sacrée scène: Être ou ne pas être, donc... pour un acteur, c'est une question de métier! Il s'agit de devenir un autre, mais à quel moment l'autre prend-il le pouvoir sur vous? Jamais si on est en contrôle, c'est ce qui va faire que dans ce film les déguisements, les imitations, les usurpations d'identité vont devenir monnaie courante. Et celui qui n'a pas pu jouer Hitler sur une scène de théâtre, va le jouer dans la vraie vie... Ce n'est pas pour rien que la sortie de ce film dans la France d'après-guerre s'est faite sous le titre "Jeux dangereux". Car ces gens risquent leur vie... et plus encore. Et si l'art imite la vie, Lubitsch nous montre souvent à quel point la vie imite l'art.

Lubitsch, je le disais plus haut, n'a pas laissé dans son film le mot "Juif" apparaître une seule fois. Non que ce soit interdit, après tout Chaplin l'a placé sans arrêt dans son script de The great dictator. C'était plutôt un petit arrangement demandé par des producteurs, dont beaucoup étaient eux-mêmes Juifs, et qui souhaitaient ne pas mettre en avant cette identité. Mais le choix de contourner cette règle non-écrite devient ici un facteur de réelle inventivité, sans parler de l'humour des jeux de mots, et du fait que ce qui aurait du être drôle, devient parfois poignant. Ainsi l'acte de bravoure de Greenberg, qui joue Shylock en vrai, sans maquillage, devant un parterre de nazis, et devant Hitler (mais un faix Hitler, bien sur... alors que les nazis sont tous vrais), est-il un acte de résistance, un vrai, un beau.

Et la guerre qui nous est présentée, est l'occasion pour Lubitsch de rappeler qu'il est un metteur en scène qui sait tout faire: des comédies "de portes", comme disait Mary Pickford qui n'avait rien compris, des comédies musicales, des comédies sentimentales... et des séquences dramatiques, et du suspense. Une scène de parachutage dangereux est traitée avec le plus grand respect, et une efficacité maximale. Les "jeux dangereux" d'espionnage auxquels se livrent les acteurs contraints et forcés sont l'occasion de faire monter la tension. Et pourtant les nazis sont incarnés à travers essentiellement trois personnages: le professeur Siletsky (Stanley Ridges), un Polonais collaborateur qui fait un peu d'espionnage, et qui est sans doute le plus menaçant des salopards du film. Mais il ne dure pas très longtemps... Sig Ruman interprète le Colonel Erhardt, le principal représentant des nazis à Varsovie, et Schultz (Henry Victor) est son aide de camp: ce dernier, quoique joué de façon droite et sans aucun artifice par Victor, est le lampiste désigné de son supérieur... Et Erhardt, bien qu'on l'ait surnommé "Concentration camp Erhardt", ce qui le fait lui-même beaucoup rire, reste la principale source de comédie du film! Il est interprété il est vrai par un génie du timing, mais quand même! Lubitsch savait parfaitement ce qu'il faisait, et comme Chaplin, il était déterminé à rappeler que les nazis sont des salauds, oui, mais ce sont aussi des idiots, des vrais.

Et le bonheur, c'est que ces idiots-là, on peut, on a le droit, que dis-je, on a le devoir d'en rire.

Mais ça n'empêchera pas la gravité, et il y a de la gravité dans ce film: comment pourrait-il en être autrement? Comme le dit Shylock/Greenberg: "N’ai-je pas des yeux ? N’ai-je pas des mains, des organes, des sens, des dimensions, des affections, des passions ? Ne sommes-nous pas nourris de la même nourriture, blessés par les mêmes armes, sujets aux mêmes maladies ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ?" Bref, un homme est un homme est un homme. Même ces cons de nazis.

Le rire, le théâtre, le déguisement, mais aussi le refus de la barbarie et le refus de la défaite, la résistance deviennent ici l'essence même de l'humanité. Avec le sourire...

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Ernst Lubitsch Criterion
20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 18:01

Le duc Otto Von Liebenheim (Claud Allister) va se marier, du moins le croit-il: sa fiancée, la belle comtesse Mara (Jeanette McDonald), l'a pourtant habitué à partir sans crier gare, c'est la troisième fois! Il va essayer de la reconquérir, mais la belle s'est installée à Monte-Carlo, ou elle espère naïvement faire une fortune au jeu... Elle va, bien sur, tout perdre. Sauf l'admiration d'un inconnu, Rudolph (Jack Buchanan) qui va essayer de se rendre vite indispensable, en se faisant passer pour un coiffeur aux largesses inattendues, auprès de celle qui n'a pas les moyens d'en engager un...

Quiconque a vu le précédent film de Lubitsch, The Love Parade, sera immédiatement en territoire connu: comédie musicale empreinte d'audaces, de délicieux marivaudages et de sous-entendus grivois , les chansons y sont parfaitement intégrées et la comédie n'y est jamais non plus un prétexte au remplissage. Bien sur, on est dans une ère pré-Berkeley (A une ou deux années près), donc pas de chorégraphie au sens strict: juste un incessant balet des corps, des têtes et du reste, pour ces riches oisifs et leurs valets et domestiques, qui se retrouvent dans une situation proche du Monsieur Beaucaire de André Messager: un prince, déguisé en un coiffeur qui prétend être noble... L'occasion pour les acteurs du film, dans le final, de se mesurer à ceux de la pièce...

Comme le film précédent, celui-ci est une réussite, aussi friponne que peut l'être un film de Lubitsch de 1930, et une fois de plus l'auteur se contrefiche des limitations de la caméra, à cette époque ou les plus grands metteurs en scène tendaient à marquer un temps d'arrêt pour apprivoiser le nouveau médium, Lubitsch fait comme il l'a toujours fait: du Lubitsch! Avec ou sans Maurice Chevalier... Mais avec Jack Buchanan, excellent, l'inévitable Jeannette McDonald, et en soubrette décalée, la grande ZaSu Pitts. 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Pré-code Musical Criterion
20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 09:00

L'année 1929, il valait mieux parler, sinon le succès ne pouvait pas être au rendez-vous. Combien de films Américains ont-ils sacrifiés sur l'autel absurde du micro, cette croyance dans le fait que le muet était définitivement révolu? Du reste, peu de films muets d'envergure ont été tournés cette année-là. Dans cette situation d'expédition des derniers films muets, sacrifiés au tout-bavard, Eternal love ne fait pas exception: généralement considéré comme étant sans le moindre intérêt, et par ailleurs il est vrai qu'il se rattache justement essentiellement au style muet de Lubitsch, plongé dans la routine flamboyante et un peu vide des productions de John Barrymore, des films à l'ancienne, entièrement à la gloire de l'acteur, et tournés selon ses termes.

Et pourtant...

Début du XIXe siècle: dans les Alpes Suisses, une petite communauté montagnarde subit de plein fouet l'occupation Française. A la fin des conflits, la libération est le prétexte d'une célébration durant laquelle tout le village se retrouve à danser et boire. Et Marcus (John Barrymore) en profite pour une fois de plus dire son amour à la belle Ciglia (Camilla Horn), la nièce du prêtre de la paroisse. Il n'est as le seul sur les rangs: Lorenz (Victor Varconi), un utre villageois un peu moins impétueux que lui, est amoureux de la belle. Mais s'il est clair que Ciglia aime Marcus, ce n'est pas au point de céder à ses avances alors qu'il a clairement trop bu. Il rentre donc chez lui, saoul, et ne s'attendait pas à trouver dans sa chambre Pia (Mona Rico), une jeune femme qui le suit partout et qui elle est prête à tout... Y compris, le lendemain, à faire un scandale retentissant: Marcus épouse donc Pia, et Ciglia est promise à Lorenz; le drame couve...

On retrouve ici deux univers: celui de Barrymore y est présent, son impétuosité, le romantisme exacerbé, la flamboyance des sentiments, des actions, du sacrifice et aussi, parfois, l'excès dans le péché! Les clichés qui ont la peau dure, aussi... De son côté, Lubitsch apporte sa science de la mise en scène des liens invisibles entre les êtres, son savoir-faire pour représenter la foule et son idéologie, et bien sur un ton décalé, qui passe par une observation pointilleuse et un sens du détail consommé. Et cerise sur le gâteau, Lubistch a réalisé en 1920, dans les montagnes enneigées du Tyrol, Romeo und Julia im Schnee, une autre histoire d'amour, mais qui était elle traitée beaucoup plus sur le ton de la comédie. C'est d'ailleurs l'une des clés de l'oubli flagrant dans lequel ce film tardif est tombé: ce n'est pas une comédie, mais bien un film ouvertement sentimental, dont la noirceur rejoint l'âpreté souvent associée au lointain souvenir du film perdu The patriot, réalisé l'année précédente par Lubitsch. et juste avant, le metteur en scène avait tourné pour la MGM The student prince, qui faisait évoluer la comédie sentimentale vers le drame... Or ce n'est pas l'image de lubitsch aux Etats-unis; peut-être le metteur en scène a =-t-il aussi peu gouté cet exercice de style?

...En ce cas ça ne se voit pas beaucoup, car s'il a bien fait le travail qui lui était demandé et utilisé son savoir-faire pour tourner des séquences lyriques de LA star Barrymore en montagnard fier, dans les décors absolument magnifiques de l'Alberta, des scènes d'avalanche et des scènes de foule impeccables, ce qui a le plus motivé Lubitsch dans ce film, c'est bien sur l'intime, le fonctionnement visuel d'une communauté en proie à la suspicion et au ragot; il lui fat peu d'images pour installer dès le début du film cette impression de rejet basé sur la jalousie et la bêtise, de Marcus par la population des braves gens qui jamais ne se mêleront d'autre chose que de ce qui ne les regarde pas!

Et la façon dont Lubitsch utilise la caméra et le montage, les détails et parfois leur absence, pour amener une idée à bon port, est ici au sommet de son art: plusieurs scènes pour se faire plaisir, en fait: dans l'une, on voit le prêtre chez lui, servi par sa bonne qui est triste de le voir soucieux. On la suit jusqu'à la pièce ou est Ciglia, et la bonne est triste de la voir soucieuse également. Une cloche: on a sonné: la bonne va voir, revient et apparaît radieuse à la porte: Ciglia pleine d'espoir attend: mais c'est Lorenz. Quelques instants après sa visite, la cloche de nouveau: la bonne va ouvrir, et Ciglia attend: cette fois, quand la porte de la pièce s'ouvre, on aperçoit juste la main de la bonne qui dépose dans la pièce un fusil. Nous savons à qui appartient ce fusil, et Ciglia aussi. Son visage s'éclaire... pas d'intertitre, même pas une image de Marcus, mais le message est passé. Dans l'autre scène qui me vient à l'esprit, Marcus est rentré chez lui après sa tentative maladroite de séduire Ciglia lors d'un bal costumé, et il est flanqué de Pia. Il se débarrasse d'elle sans le moindre ménagement, avant de rentrer dans sa maison. Quelques instants plus tard, il ressort, inquiet: et si la jeune femme était restée pour tenter d'entrer? Il ne la voit pas, rentre de nouveau dans sa maison. Le dernier plan nous le montre entrant dans sa chambre et déposant ses affaires puis regardant droit devant lui, une expression de surprise au visage; nous ne verrons pas ce qu'il a vu, mais la caméra fait un léger détour sur la droite, et au mur, nous apercevons, accroché à une patère, le masque que portait Pia...

Certes, ces jolies efforts de mise en scène sont au service d'un mélodrame des plus embarrassants, et ces belles images ne sont guère plus que le dernier souffle d'un cinéma muet en pleine agonie. Mais dans un film qui tente, à sa façon, de donner la version de Lubitsch de la mise en scène à la Murnau (C'est flagrant dans la façon de montrer les intérieurs de ces maisons rigoristes de montagnards teigneux), qui une fois posé le style de jeu flamboyant et encombrant de la Star incontestée, permet à des acteurs aussi intéressants que Varconi et Horn (Très probablement dirigés en Allemand, ils sont d'une grande justesse) de briller dans des rôles qui échappent eux aux clichés qui auraient pu les handicaper, il y a beaucoup plus que ces conventions. Que ce ne soit pas le meilleur film de Lubitch, c'est entendu, mais c'est un excellent film de John Barrymore.

Pour finir, une petite pointe d'ironie positive: Mary Pickford, qui avait fait venir Lubitsch aux Etats-Unis en 1923, lui gardait rancune de leur mésentente sur le tournage de Rosita. Elle prétendait des années plus tard que c'était un incapable, qu'il n'était motivé que par la représentation des portes... C'est amusant de constater qu'ici, on a en effet une "mise en scène des portes", dans ces scènes qui savent utiliser les rapports entre les gens et le fonctionnement ancillaire des maisons, pour montrer la vie. Mais c'est sans doute aussi très paradoxal, que ce film muet tardif et si mal vu ait survécu justement grâce à l'appui, du vivant de la star; de... la Fondation Mary Pickford, entièrement dédiée à la préservation et au sauvetage des films muets.

Merci, Mary, grande dame jusqu'au bout.

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Published by François Massarelli - dans Muet Ernst Lubitsch John Barrymore 1929 *
23 décembre 2013 1 23 /12 /décembre /2013 17:54

Il est paradoxal de constater qu'afin de prouver ce qu'il avançait à cette époque (En gros, que la plupart des metteurs en scène du cinéma Américain contemporain étaient des fainéants en matière de mise en route d'une signification qui ne passe que par les images) Ernst Lubitsch ait été chercher, en compagnie de son complice Hans Kräly, la pièce de Wilde. Oscar Wilde, de fait, est le prince de la suggestion par le sous-entendu, mais cela passe chez lui par la verbalisation de l'innuendo plutôt que par sa matérialisation picturale! Mais peu importe, justement, ou mieux: en utilisant le théâtre essentiellement verbal, et en en trouvant la traduction visuelle, Lubitsch affirme avec génie son incroyable style...

http://www.doctormacro.com/Images/Colman,%20Ronald/Annex/Annex%20-%20Colman,%20Ronald%20(Lady%20Windermere's%20Fan)_01.jpg

Lady Windermere file le parfait amour avec son Lord, et doit patiemment ignorer les appels du pied de plus en plus insistants de leur ami Lord Darlington, décidément très amoureux d'elle. Mais celui-ci lui révèle que son mari a déjà vu en secret une mystérieuse intrigante, madame Erlynne. Elle confronte Lord Windermere, dont les dénégations ne la satisfont pas. Il se trouve que Mrs Erlynne est en vérité la mère disparue de l'héroïne, qui a négocié avec le mari les conditions de son retour en société, mais souhaite le faire sans révéler son identité, tant le scandale qui l'a vue disparaître a été important... Les faux-semblants, les frustrations et les amours impossibles vont culminer dans une cascade de quiproquos qui seront lourds de conséquences...

Ce film, comme la pièce qui en est à la source, est un sommet de subtilité, mais aussi une oeuvre noire, qui montre comment le bonheur des uns peut être entièrement dépendant du sacrifice et du malheur des autres... Les scènes montrées par Lubitsch, dont la rigueur légendaire ets ici à son sommet, vont toutes dans le sens de l'inéluctable sacrifice de Mrs Erlynne pour celle qui la méprise, la prend d'ailleurs pour sa rivale, un sacrifice double: social, d'une part, mais aussi affectif puisque jamais la vérité des liens entre les deux femmes ne sera mise au grand jour. Lubitsch se paie aussi avec bonheur la bonne société (Londonienne en théorie, mais comme son modèle le Chaplin de A Woman Of Paris, Lubitsch tape sur toutes les sociétés occidentales avec son film). Les mécanismes d'un ostracisme sont montrés de façon rigoureuse dans une superbe et fort satirique scène aux courses, réglées comme avec un métronome; les trois garces de la bonne société qui manifestent leur désapprobation face à l'arrivée d'une femme qu'elles considèrent comme une intrigante, ont-elles pris le temps d'aviser derrière elles, la tapisserie de grande taille sur laquelle on voit Jésus, représenté dans l'anecdote de la femme adultère?

Plus que d'autres, ce film magnifiquement interprété (La palme irait selon moi au rôle difficile de May Mc Avoy en Lady Windermere, et bien sûr à la retenue fabuleuse de Ronald Colman, génial en Lord Darlington), qui ne possède aucun défaut, rigoureux de la première à la dernière image, est une inépuisable source de bonheur cinématographique, l'un des meilleurs films d'un auteur il est vrai surdoué, et peu avare de chefs d'oeuvre...

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Muet 1925 *
6 décembre 2012 4 06 /12 /décembre /2012 18:39

Les films tournés en Allemagne par Ernst Lubitsch entre 1915 et 1922 sont à bien des égards un « tour de chauffe » pour la prestigieuse carrière du metteur en scène aux Etats-Unis. S’ils préfigurent un grand nombre de traits communs à ses films Américains (Un goût assumé pour l’utilisation du vaudeville, une ordonnance maniaque pour la mise en scène et une tendance à la coquinerie), les genres identifiés sont loin de ces comédies douces-amères et de ces films fripons qui feront le sel de son cinéma. On distingue des comédies burlesques avec des personnages inspirés de l’univers Juif et Berlinois dans lequel le metteur en scène évoluait, des comédies grotesques, des comédies « montagnardes » (Dont on retrouvera le pendant « dramatique » dans le film de 1928, Eternal love), et quelques films dramatiques ou d’aventure, à très gros budget. Ces derniers n’auront finalement aucune réelle descendance lors de son passage à Hollywood… Le metteur en scène est vite hautement respecté et sera même un temps assimilé à une sorte de figure tutélaire dans les studios Allemands, un "patron" symbolique. Il bénéficie de sa propre troupe, dans laquelle on trouve des acteurs qui vont être amenés à faire parler d'eux de façon importante, y compris aux Etats-Unis, Jannings et Negri en tête. mais il y a aussi des acteurs moins connus mais qui changent de rôle de film en film: Julius Falkenstein, Victor Janson, Ossi Oswalda...

Voici un petit tour d’horizon de quelques films accessibles, passés à la télévision ou diffusés en DVD depuis quelques années.

 

Als ich tot war (1916)

Dans ce film, Lubitsch joue un homme qui feint d'être mort, pour mieux revenir chez lui, auprès de sa femme que sa belle-mère a monté contre lui. Bien sur, on est un peu dans la Kolossale Rigolade, mais cette histoire de dissimulation, de déguisement dans un cadre boulevardier est malgré tout annonciatrice de biens des films futurs.

 

Schuhpalast Pinkus (1916)

 
L'un des premiers films importants de Lubitsch. Sous la farce évidente, une tendance déjà affirmée à faire peser chaque geste, chaque placement maniaque d'appareil... Et des éléments qui se retrouveront dans The shop around the corner sont ici clairement expérimentés, notamment la façon dont un employé peut s'élever pour peu qu'il manque de scrupules, sans pour autant faire de mal à qui que ce soit. Un juste milieu de la débrouille pour grimper les échelons sociaux... La comédie y est moins germanique (Donc, plus subtile!) que dans ses autres farces contemporaines.

 

Das fidele Gefängnis (1917)
Dans ce moyen métrage situé au début de sa gloire, Lubitsch explore avec délectation les errements d'un quarteron de personnages qui se déguisent, se mentent et se trompent: un mari volage qui court le guilledou au lieu de répondre à une convocation de la police, un comte coureur de jupons obligé d'aller en prison à sa place, une épouse qui cherche à coincer son époux en se faisant passer pour une autre, et une servante déguisée en dame de la haute qui se paie le luxe de retourner à sa condition au lieu de mener la grande vie avec un bourgeois. Une fois faux semblants, tromperies et situations limites mis de coté, tout retournera dans l'ordre. Tout ceci est un peu rustique, mais on est déjà dans un univers proche de celui qui sera le théâtre de ses films du début des années 30.

 

Ich möchte kein Mann sein (1918)

Sur un scénario du déjà fidèle Hanns Kräly, Lubitsch tricote un petit film gonflé, dans lequel il explore la confusion des genres à l'aide d'un petit bout de bonne femme (Ossi Oswalda) qui décide de se déguiser en homme pour sortir en boîte, boire jusqu'à la biture, fumer à en vomir, et draguer sans vergogne... Et se retrouve pintée, dans les bras de son percepteur. Une petite merveille, certes avec un soupçon de l'artillerie lourde déployée par Lubitsch dans ses comédies Allemandes, mais c'est déjà un film riche en possibilités.

 

Die Augen der Mumie Ma (1918)

Alors qu'il devenait lentement mais surement le numéro un du cinéma Allemand, Lubitsch s'essayait à tous les genres, dont un certain exotisme de pacotille. Il y reviendra d'ailleurs (Sumurun, Die Weib Des Pharao), mais ce film ne passe plus, excepté pour certaines séquences triées sur le volet. Le final en particulier, dont l'intérêt relatif est du aux talents conjugués de Jannings et Negri. Pour le reste, il fallait bien faire bouillir la marmite et faire oublier une guerre en voie d'être perdue.

 

Meyer aus Berlin (1918)

Retrouvé dans les années 80, ce film de quatre bobines avec Lubitsch dans le rôle de Meyer, une sorte de double en véritable caricature de lui-même, accuse les défauts de ce genre hérité du vaudeville boulevardier. Paradoxalement, diffusé à la télévision, il a aussi constitué une introduction à Lubitsch pour un grand nombre de néophytes…

 

 

Die Austernprinzessin (1919)

Lubitsch délaisse la comédie burlesque populiste pour une expérience de "comédie grotesque", autour d'une caricature de magnat Américain qui accepte de marier sa fille pour satisfaire un caprice de celle-ci. Mais le grotesque, qui va pousser Lubitsch à expérimenter de façon innovante sur la représentation d'une fiesta délirante (Et qui préfigure son propre film So this is Paris), permet aussi à ce bon Ernst de pousser le bouchon en matière de coquinerie. Bref, c'est délicieux.

 

Madame Du Barry (1919)
Faire mentir l'histoire? Pas vraiment, Kräly et Lubitsch prennent le contrepied des historiens, justement: leur France qui va de Louis XV en révolution, elle est vue du point de vue d'une femme qui a essayé de ne pas choisir entre l'intérêt (Monter dans l'ascenseur social par le lit s'il le faut, et devenir la maitresse du roi), et la passion (aimer éternellement celui qu'elle a été obligée de laisser sur le bas-côté, quitte à aiguiser son désir de vengeance...).
Si les évènements semblent se précipiter, et si les révolutionnaires ne sont que des pouilleux malappris, c'est que du point de vue de la Du Barry, c'était une réalité.
C'est donc parfois historiquement discutable, mais toujours percutant, avec d'un coté Emil Jannings en Louis XV et Pola Negri en du Barry, et de l'autre le sens hallucinant de la composition, de la lisibilité et du maniement des foules du maitre.

 

 

Die Puppe (1919)

Un jeune homme doit obligatoirement se marier afin de satisfaire son oncle qui craint de disparaitre en ne laissant aucun espoir d'héritier à l'horizon. Comme c'est une irréversible andouille, il se "marie" avec une poupée grandeur nature. Sauf que chez le fabricant, ce jour-là, un assistant du patron a cassé la poupée promise; afin de gagner du temps, la fille du patron va donc le temps d'une longue journée, "jouer" la poupée, et provoquer beaucoup d'émois...
Le déguisement, sous toutes ses formes, et le jeu à être quelqu'un d'autre, voilà des thèmes Lubitschiens fréquents. Mais ici, le metteur en scène s'amuse à multiplier les niveaux: une femme joue à être une poupée qui joue à être une femme... Tout ça va permettre à un homme effrayé de tout y compris de son ombre, de trouver l'amour, l'âme soeur, voire tout simplement de... devenir un homme.
Et puis, comment ne pas s'émouvoir de voir cette mise en scène qui met délibérément l'accent sur le factice, depuis cette ouverture durant laquelle Lubitsch soi-même plante le décor d'une maison de poupées? Les arbres en carton-pâte, les toiles peintes, tout l'univers du film semble renvoyer à une esthétique liée autant au théâtre qu'à l'enfance, et fait encore mieux ressortir l'ineptie du benêt dont Ossi Oswalda, impeccable comme d'habitude, va inexplicablement tomber amoureuse.

 

Kohlhielses Töchter (1920)

Un gros benêt aime Gretel, la deuxième fille de l'aubergiste. Alors il lui demande sa main, mais on lui répond que la première doit d'abord être mariée, et il faut dire qu'elle est gratinée. Alors notre héros n'a comme autre solution que de se marier avec la grande soeur en espérant la lasser suffisamment vite pour pouvoir ensuite épouser la deuxième. Un plan idiot, et qui ne va pas du tout se dérouler comme prévu... Tourné en pleine montagne, ce film joue beaucoup sur la grosse comédie, mais le fait avec tendresse, d'autant que les acteurs qui sur-jouent cette pantalonnade ne sont autres que des sommités, dont Emil Jannings et Henny Porten. Hanns Kräly et Lubitsch continuent à explorer les abords les plus drolatiques de l'amour sous toutes ses formes...

 

Romeo und Julia im Schnee (1920)

Romeo et Juliette dans la neige: Lubitsch transpose Shakespeare dans la montagne Allemande et impose à ses Montaigus et Capulets des comportements un brin rustique. Grosse comédie la encore, mais le sens de l'observation du metteur en scène, et son équipe qui tourne toute seule, rendent bien service à l'ensemble. Un film qui sert de brouillon paradoxal à l'unique film muet dramatique de Lubitsch aux Etats-Unis, Eternal love (1928)

 

Sumurun (1920)

Encore un mélange... Pola Negri est une danseuse, dans une Arabie mythique, qui débarque dans un petit royaume en pleine crise: la favorite du Sheik complote pour se faire remplacer dans le harem, afin de pouvoir filer le parfait amour avec un autre que le dangereux souverain. La danseuse va faire tourner les coeurs, et ça finira mal...... Mais pas pour tout le monde. Les mille et une nuits, ou du moins leur version décorative. D'une part, c'est assez ennuyeux, et tout ce petit monde se prend trop au sérieux; d'autre part, Lubitsch a toujours ce sens aigu de la composition, et accessoirement sait manier les foules comme pas un. Mais au-delà de l'aspect impressionnant de la forme, un film peu convaincant, sinon par l'intrusion occasionnelle de comédie...

 

Ann Boleyn (1920)
La triste destinée de la femme la plus connue de ce bon Henry VIII, de son arrivée à la cour jusqu'à sa séparation en deux tronçons. On pense à Madame Du Barry, qui a d'ailleurs subi la même opération, mais ici, il s'agit moins du portrait d'une intrigante piégée par l'amour, que du portrait d'une amoureuse piégée par l'intrigue. Henny Porten compose donc une femme victime de ses sentiments, et Emil Jannings met tout son poids dans l'interprétation d'un monstre royal, aux appétits phénoménaux; comme d'habitude, Lubitsch mélange adroitement les styles et les tons, passant de marivaudage en drame, et la belle ordonnance de la mise en scène est accompagnée déjà d'un sens de la suggestion... Le style du metteur en scène se raffine avant de devenir la fameuse "Lubitsch Touch".

 

Die Bergkatze (1921)

Ce film combine deux courants de la comédie Lubitschienne Allemande: les films situés en montagne, dans un décor de neige authentique, et la comédie grotesque, à la façon de La poupée ou de La princesse aux huîtres. Pola Negri se prête joyeusement à cette opérette muette avec bonheur. L'ordonnance légendaire et l'inventivité des décors font mouche une fois de plus dans un film qui évite l'écueil d'une certaine vulgarité en usant avec intelligence de chemins de traverse...

 

Das Weib des Pharao (1922)

Avec un Emil Jannings qui tente de faire le spectacle à lui tout seul, ce très gros film de Lubitsch fait plutôt partie des oeuvres spectaculaires du maître, démonstration de force plus que pièce maîtresse. L’intrigue sert de prétexte à des scènes de foule, dans un orientalisme de pacotille qui vient en droite ligne de Sumurun. Mais ce film énorme lui a apporté un ticket pour la Californie, alors réjouissons-nous!

 

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Muet