
Hitchcock disait, lorsqu'on lui demandait quelle était l'histoire parfaite pour le cinéma, que la meilleur façon de commencer était "boy meets girl". Avec ce film, Lubitsch ose boys meet girl.... George, un peintre sans le sou, et son copain Tom, un dramaturge jamais publié, rencontrent dans un train Gilda, une jeune femme en partance pour Paris. elle est mieux lotie qu'eux, bien qu'elle soit également artiste: elle travaille pour Max Plunkett, le publicitaire. Tout ce petit monde débarque dans la capitale, et vit alors une étrange histoire d'amours, puisque Gilda aime Tom et George, et elle trompe Tom avec George et George avec Tom. Jusqu'au jour ou les trois décident de mettre carte sur table, et de se concentrer sur le travail, à l'écart du sexe! Avec l'abstinence, Gilda devient selon sa propre formule "mère des arts", et aide ses compagnons d'infortune à percer. Le prremier à réussir, c'est Tom; mais lorsqu'il doit partir pour Londres, afin de donner toute sa chance à une pièce qui va triompher, l'inévitable arrive: George et Gilda sont seuls...
D'une pièce de Noel Coward certainement brillante, que je n'ai pas vue, Ernst Lubitsch a réussi, tout en maintenant avec la complicité du scénariste Ben Hecht la cohésion de la pièce initiale, à faire un film rigoureux, essentel, à la fois drôle et franchement impertinent, dans lequel toutes les possibilités de combinaison des alliances sont évoquées. Y compris, sous-entendue à la fin, un ménage à trois tumultueux... En pleine époque pré-code, c'est-à-dire avant le renforcement de le censure dans le cinéma Américain, le metteur en scène jongle avec les situations inconvenantes et les sous-entendus brillament amenés. On a d'abord la conversation au cours de laquelle Gilda avoue à ses deux amis qu'elle les a tous les deux trompés avec l'autre, avant de se décider pour un "gentleman's agreement". Puis cette situation au cours de laquelle Tom laisse ses deux amis seuls, et Gilda après une embrassade soudaine va sur un lit, se couche et dit doucement à tom: "We had a gentleman's agreement, but unfortunately, I'm no gentleman..." elle prend donc la responsibilité de la situation, mais ensuite, c'est l'arrivée de Tom à Paris qui va inverser la situation... Après la fuite de Gilda aux Etats-Unis, ou elle se marie avec Max Plunkett, on les voit tous deux, depuis la rue, à l'intérieur d'un magason de literie, venir mesurer un lit pour deux. Cette petite scène muette est très éloquente, d'autant qu'on la voit avant d'entendre parler du mariage. La fuite avec Max est pour Gilda une initiative visant à préserver l'amitié de ses deux amants, mais elle n'est pas sans contrepartie! Enfin, la fin est la aussi très claire: s'ils évoquent à nouveau le "gentleman's agreement", cette situation basée sur un accord mutuel qui implique qu'aucun des trois ne tente de revenir à une situation amoureuse, Tom et Gilda, puis Gilda et tom viennent d'échanger des baisers sans la moindre équivoque...
Lubitsch sera toujours le maitre du non dit, c'est une évidence, mais c'est aussi un champion du non-montré. Un gag de ce film admirable me reste à l'esprit: lorsque Tom et George se rendent chez Max et Gilda, dans le but de récupérer leur amie mais certainement aussi pour mettre un joyeux bazar dans la vie rangée du trop tiède M. Plunkett (Le grand edward Everett Horton, rien de moins), un nom revient sans cesse: M. Egelbauer est en effet l'invité d'honneur de la soirée organisée cette nuit-là chez les Plunkett, et c'est un industriel courtisé par Max, qui souhaite que sa femme soit aussi veule que lui. Sans dire un mot, on voit donc les deux amis se rendre au salon, alors que M. Egelbauer est en train de chanter d'une voix de baryton, et sans qu'on les suive, on entend tout à coup les deux hommes l'imiter en chantant son nom. Dans le vacarme qui s'ensuit, la caméra ne bouge toujours pas, et c'est depuis l'entrée que nous assistons à ce qui se passe, sans rien voir... Mais nous pouvons tout imaginer: Lubitsch partageait avec d'autres (Wellman, notamment) un sens de la mise ne scène si puissant qu'il pouvait se priver avec bonheur de la scène à faire! Ajoutons que George, c'est Gary Cooper, Tom Fredric March, et que Miriam Hopkins, alors en pleine gloire méritée, prête son joli minois propice aux arrières-pensées les moins religieuses à la belle Gilda. Elle compose un personnage étonnant et moderne de femme qui prend deux hommes sous son aile, et qui assume sans aucune honte ce qu'elle reconnait comme un trait plutôt masculin, le fait d'aimer deux hommes à égalité, sans envie de choisir... sans qu'on puisse la blâmer: Fredric March et Gary Cooper, quand même!!
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