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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 19:07

Hitchcock disait, lorsqu'on lui demandait quelle était l'histoire parfaite pour le cinéma, que la meilleur façon de commencer était "boy meets girl". Avec ce film, Lubitsch ose boys meet girl.... George, un peintre sans le sou, et son copain Tom, un dramaturge jamais publié, rencontrent dans un train Gilda, une jeune femme en partance pour Paris. elle est mieux lotie qu'eux, bien qu'elle soit également artiste: elle travaille pour Max Plunkett, le publicitaire. Tout ce petit monde débarque dans la capitale, et vit alors une étrange histoire d'amours, puisque Gilda aime Tom et George, et elle trompe Tom avec George et George avec Tom. Jusqu'au jour ou les trois décident de mettre carte sur table, et de se concentrer sur le travail, à l'écart du sexe! Avec l'abstinence, Gilda devient selon sa propre formule "mère des arts", et aide ses compagnons d'infortune à percer. Le prremier à réussir, c'est Tom; mais lorsqu'il doit partir pour Londres, afin de donner toute sa chance à une pièce qui va triompher, l'inévitable arrive: George et Gilda sont seuls...

 

D'une pièce de Noel Coward certainement brillante, que je n'ai pas vue, Ernst Lubitsch a réussi, tout en maintenant avec la complicité du scénariste Ben Hecht la cohésion de la pièce initiale, à faire un film rigoureux, essentel, à la fois drôle et franchement impertinent, dans lequel toutes les possibilités de combinaison des alliances sont évoquées. Y compris, sous-entendue à la fin, un ménage à trois tumultueux... En pleine époque pré-code, c'est-à-dire avant le renforcement de le censure dans le cinéma Américain, le metteur en scène jongle avec les situations inconvenantes et les sous-entendus brillament amenés. On a d'abord la conversation au cours de laquelle Gilda avoue à ses deux amis qu'elle les a tous les deux trompés avec l'autre, avant de se décider pour un "gentleman's agreement". Puis cette situation au cours de laquelle Tom laisse ses deux amis seuls, et Gilda après une embrassade soudaine va sur un lit, se couche et dit doucement à tom: "We had a gentleman's agreement, but unfortunately, I'm no gentleman..." elle prend donc la responsibilité de la situation, mais ensuite, c'est l'arrivée de Tom à Paris qui va inverser la situation... Après la fuite de Gilda aux Etats-Unis, ou elle se marie avec Max Plunkett, on les voit tous deux, depuis la rue, à l'intérieur d'un magason de literie, venir mesurer un lit pour deux. Cette petite scène muette est très éloquente, d'autant qu'on la voit avant d'entendre parler du mariage. La fuite avec Max est pour Gilda une initiative visant à préserver l'amitié de ses deux amants, mais elle n'est pas sans contrepartie! Enfin, la fin est la aussi très claire: s'ils évoquent à nouveau le "gentleman's agreement", cette situation basée sur un accord mutuel qui implique qu'aucun des trois ne tente de revenir à une situation amoureuse, Tom et Gilda, puis Gilda et tom viennent d'échanger des baisers sans la moindre équivoque...

 

Lubitsch sera toujours le maitre du non dit, c'est une évidence, mais c'est aussi un champion du non-montré. Un gag de ce film admirable me reste à l'esprit: lorsque Tom et George se rendent chez Max et Gilda, dans le but de récupérer leur amie mais certainement aussi pour mettre un joyeux bazar dans la vie rangée du trop tiède M. Plunkett (Le grand edward Everett Horton, rien de moins), un nom revient sans cesse: M. Egelbauer est en effet l'invité d'honneur de la soirée organisée cette nuit-là chez les Plunkett, et c'est un industriel courtisé par Max, qui souhaite que sa femme soit aussi veule que lui. Sans dire un mot, on voit donc les deux amis se rendre au salon, alors que M. Egelbauer est en train de chanter d'une voix de baryton, et sans qu'on les suive, on entend tout à coup les deux hommes l'imiter en chantant son nom. Dans le vacarme qui s'ensuit, la caméra ne bouge toujours pas, et c'est depuis l'entrée que nous assistons à ce qui se passe, sans rien voir... Mais nous pouvons tout imaginer: Lubitsch partageait avec d'autres (Wellman, notamment) un sens de la mise ne scène si puissant qu'il pouvait se priver avec bonheur de la scène à faire! Ajoutons que George, c'est Gary Cooper, Tom Fredric March, et que Miriam Hopkins, alors en pleine gloire méritée, prête son joli minois propice aux arrières-pensées les moins religieuses à la belle Gilda. Elle compose un personnage étonnant et moderne de femme qui prend deux hommes sous son aile, et qui assume sans aucune honte ce qu'elle reconnait comme un trait plutôt masculin, le fait d'aimer deux hommes à égalité, sans envie de choisir... sans qu'on puisse la blâmer: Fredric March et Gary Cooper, quand même!!

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Pre-code Criterion Edward Everett Horton
15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 10:44

La maison Matuschek est une boutique de Budapest ou il fait manifestement bon travailler. Alfred Kralik (james Stewart) y est le bras droit du patron, Hugo Matuschek (Frank Morgan), depuis longtemps, quand arrive une jeune femme qui souhaite se faire embaucher, Klara Novak (Margaret Sullavan); celle-ci et Kralik ne s'entendent pas et sont assez souvent engagés dans des conflits d'ego. Paralèlement, ils écrivent l'un et l'autre à des inconnus, tombant rapidement amoureux de leur correspondant respectif qu'ils n'ont jamais rencontré... bien sur, Klara et Alfred sont destinés à se rendre compte un jour qu'ils sont ces correspondants mystérieux. En plus de ces aventures sentimentales, on voit la vie au jour le jour de la maison Matuschek, ses employés, ses petits tracas, ses ventes miraculeuses...

Je ne laisserai à ce sujet aucune ambiguité: je considère ce film comme l'un des plus beaux jamais réalisés... Une boutique en Hongrie en 1940, il y a la une inévitable symbolique, mais la vie telle qu'elle se déroule sous nos yeux n'a apparemment pas de rapports avec la tourmente alors en cours dans l'Europe de 1940. Le monde qui est dépeint dans ce beau film est une sorte de bulle préservée, dans laquelle chaque être est respecté, a droit à s'exprimer. L'humanité affleure de chaque échange, et le sentiment est que le pire des dangers pour Matuschek et compagnie, c'est cet insupportable vadas, l'employé séducteur (Joseph Schildkraut) qui a profité tant et si bien des largesse de son patron qu'il couche avec l'épouse de celui-ci, et avec la complicité de me Matuschek, lui éponge le portefeuille... n'empêche, aussi risible cette menace sit-elle, elle est prise avec le plus grand sérieux par Hugo Matuschek, qui soupçonne Kralik et va jusqu'à licencier celui-ci à cause de ces soupçons infondés. mais apprennant la vérité le vieil homme tente de se suicider. Les autres employés font alors corps autour de leur patron, et Kralik est réembauché, et enfin portyé à un poste de plus haute responsabilité. C'est cette humanité qui est en danger, en 1940, en Europe. Saisie dans son quotidien, avec la plus grande des tendresses, elle ne demande qu'à être préservée, c'est pourquoi il lui sied tant d'être contée dans une histoire aussi intemporelle.

L'histoire d'amour entre Klara et Alfred Kralik (Il me semble logique d'appeler la jeune femme Klara, mais je peine à écrire un simple "Alfred" ici; personne, il me semble, n'appelle James Stewart Alfred dans le film, comme s'il avait trop longtemps été M. Kralik...) est l'une des plus belles qui soient, d'abord parce que Lubitsch a sans aucune difficulté la complicité du public, auquel il révèle sans efforts le pot-aux-roses; ensuite, parce qu'il a choisi des acteurs qu'on n'a pas envie de ne pas suivre, dans leur troisième film ensemble. La capacité de Stewart à passer d'employé modèle un rien pompeux à amoureux transi d'une inconnue sasn tomber dans le ridicule, la métamorphose permanentede Margaret Sullavan de bourrique qui aime tant à se payer la tête de son supérieur Kralik, en une jeune femme secrètement amoureuse d'un idéal, sans tomber dans la mièvrerie, sont pour Lubitsch des atouts de poids. Le metteur en scène sait plus que tout autre faire oublier la mise en scène, par un travail extraordinaire sur les acteurs, dans lequel tout compte: texte, diction, rythme, expression... Bref, un travail de direction hors-pair, de mise en scène ultra-précise qui bien entendu ne se remarque jamais. Et le tout baigne dans une atmosphère constamment entre micro-tragique et comédie tendre: l'un des plus beaux films de Ernst Lubitsch, et l'une des plus belles comédies de tous les temps.

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch
7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 17:00

Une fois arrivé aux Etats-Unis, Lubitsch a vite découvert que son style de comédie allait devoir évoluer, d'autant que sa première production Rosita, avec Mary Pickford a été dans l'ensemble une expérience mal vécue par tous les protagonistes. Les films qu'il a réalisés pour la Warner entre 1924 et 1926 constituent donc les premiers éléments de ce qu'on a appelé la "Lubitsch touch", un nouveau style, inspiré de films plus sophistiqués, et qui vont vite être parmi ce qu'il y a de meilleur. Cette comédie en est un exemple parfait. Interprété par le fidèle Monte Blue, déjà au générique de The marriage circle, il retrouve dans So this is Paris Patsy Ruth Miller, André (George) Bérenger et Lilyan Tashman; quatre protagonistes, c'est qu'à l'origine, le film était une pièce de théâtre... Sous le titre Le réveillon, la pièce était une production vaguement boulevardière de Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Hans Kräly, le collaborateur de Lubitsch a conservé le cadre Parisien, et les deux complices se sont efforcés non seulement de conserver les intérieurs (aucune scène en extérieur donc), mais aussi de souligner la nature théâtrale du matériel en poussant Monte Blue à utiliser son beau visage mobile pour faire des clins d'oeil au public. Parallèlement, Lubitsch va se livrer à un étonnant numéro de cinéma pré-sonore en filmant d'une façon très moderne un bal délirant, avec démonstration hallucinante de charleston... 

Théâtre:

M. et Mme Giraud sont mariés et heureux. Quoique... Mme Giraud (Patsy Ruth Miller) lit des romans à l'eau de rose dont les finals pleins de sentiments gluants la laissent toute émoustillée. Alors lorsque le voisin (George Bérenger), qui est danseur, se retrouve à demi nu en face, il y a de quoi s'émouvoir... Monsieur Giraud (Monte Blue) va y mettre bon ordre, du moins le croit-il, car une fois en face, il découvre que la voisine, donc, Mme Lallé, l'épouse du danseur, est une ancienne petite amie (Lilyan Tashman). De son coté, M. Lallé ne va pas tarder à découvrir que Mme Giraud est fort intéressante... Donc, on est en plein boulevard, et tout le monde ne va pas tarder à se désirer, se donner des rendez-vous, se tromper, se mentir...

Désir:

Bien sûr, en 1926, le cinéma n'a pas encore fait le tour des expressions directes et visuelles du désir, mais le film regorge d'allusions qui sont d'autant plus intéressantes, qu'elles sont en pleine lumière, la mise en scène rigoureuse de Lubitsch étant en pleine ligne claire, il n'y a que peu d'ambiguïté... Donc, Mme Giraud prise de suée après la fin de son roman, qui aperçoit l'exotique voisin, ou encore le regard égrillard de Monte Blue éméché, la tête tournée par toutes les jambes mises à nu devant lui, ou bien sûr la canne qui sert de prétexte, au début, à M. Lallé pour venir voir la belle Mme Giraud. Cette même canne, substitut phallique, lui sert à attirer l'attention de la belle voisine lorsque celle-ci est perdue dans sa rêverie en écoutant la radio.

Tromperie:

La franchise de Lubitsch ici est à des degrés divers; si elle désire effectivement dépasser le confort un brin ennuyeux de sa situation conjugale, Mme Giraud ne cédera jamais aux avances de M. Lallé. M. Giraud, en revanche, attiré dans un piège par Mme Lallé, ne va pas révéler lé vérité à son épouse, et va s'empêtrer dans des mensonges plus gros les uns que les autres. Quant aux Lallé, ce sont des chauds lapins, prèts à tout pour tromper leurs conjoints... on retrouve donc cette graduation dans la tromperie de The Marriage circle, qui permettait à Lubitsch d'éviter de trop prêter le flanc à la censure, gardant les héros un peu plus propres que les personnages secondaires. Néanmoins, on notera que Monte Blue va plus loin que dans le film précédent...

 Mensonge:

Tout le film suit la logique boulevardière, avec des mensonges organisés entre certains couples: M. Giraud ment à Mme, en ne lui révélant jamais qu'il a développé une amitié interlope avec Mme Lallé, ni qu'il a été arrêté par un policier en se rendant à un rendez-vous avec la voisine, et non au chevet d'un malade mourant. M. Lallé est supposé se rendre dans un sanatorium pour se faire soigner à la fin, alors qu'il va en prison à la place de M. Giraud, et ce pour trois jours. Du coup, son épouse n'a pas besoin de lui mentir avant de partir prendre du bon temps avec un joyeux luron rencontré au hasard d'un bal... Enfin, Mme Giraud en veut à son mari, mais ne lui révélera pas qu'elle était avec le voisin lorsque lui-même était au bal avec Mme Lallé...

 Cinéma pré-sonore:

La séquence est justement célèbre, et constitue une exception dans le cinéma Américain, généralement très peu perméable aux prouesses de montage, et aux séquences visuelles détachées du fil narratif d'une film: alors que Mme Giraud reste à la maison, croyant que son mari est parti purger sa peine de prison, elle écoute la radio, et on nous donne à voir un charleston endiablé, de plus en plus délirant, avec surimpressions, et un montage furieux. Occasionnellement, on y aperçoit Monte Blue et Lilyan Tashman, mais c'est très accessoire. La séquence semble à elle toute seule résumer et illustrer l'esprit "jazz" des années 20, le coté déluré, et la consommation frénétique de plaisirs, d'alcool (encouragée par la prohibition, de fait): en 6 minutes, Lubitsch qui ne se livrera que rarement à ce genre de digression a donc capturé l'essence d'une décennie.

Comme les autres Warner de Lubitsch que j'ai pu voir, on est face à un film superbe, absolument indispensable, distrayant, drôle, impertinent, qui a sa place au sein de l'oeuvre merveilleuse de l'un des plus grands cinéastes Américains de tous les temps, et qu'importe qu'il soit Berlinois.

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Muet Comédie 1926 **