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8 mai 2024 3 08 /05 /mai /2024 10:18

Crédité "Francis Coppola" (un aveu de modestie, après la tendance au grandiose?), ce film fait partie du purgatoire de son auteur... Réputé intouchable et génial après ses quatre coups d'éclat des années 70, le metteur en scène a affiché un profil bas dans les années 80 en exécutant de nombreuses oeuvres de commande, histoire de sauver sinon son studio (coulé par l'échec commercial de One from the heart), du moins sa carrière... Il y est d'ailleurs parvenu, même si parfois il est descendu très bas: de sinistre mémoire, il est le réalisateur de Jack, en 1996...

Pourtant, même s'il n'en était pas du tout à l'origine, ce film brille d'un éclat particulier. C'est un de ces films inclassables, finalement, qui semble bénéficier de ses défauts même. Et il semble qu'il s'y soit retrouvé un peu... C'est pourtant un projet qui ne part pas sous les meilleurs auspices: la réalisation devait être assurée par quelqu'un d'autre (Penny Masrhall), et le rôle principal tenu par une autre actrice, en l'occurrence Debra Winger. Finalement, ce sera Kathleen Turner, encore auréolée de quelques sucès non négligeables, et avant sa descente aux enfers.

Peggy Sue Bodell (Kathleen Turner), 40 ans, se rend à une fête organisée par son ancien lycée: c'est une période incertaine, car elle est obnubilée par son divorce d'avec Charlie (Nicolas Cage); ils se sont mariés très tôt, elle avait 19 ans... La soirée se déroule de façon positive, jusqu'à l'arrivée de Charlie: la panique s'empare de Peggy Sue, et quand elle est élue reine de la soirée, elle fait un malaise.

Elle se réveille en 1960, dans un lit d'hôpital: Peggy Sue Kelcher, 18 ans, vient de faire une prise de sang. Le problème c'est que dans sa tête elle vient des années 80, et que ce retour en arrière n'est pas simple ni à comprendre, ni à supporter...

C'est inclassable: bien sûr, le sujet comme le script invitaient la comédie (légère et fantastique, bien dans la manière du film des années 80, donc), et Coppola et ses acteurs ont joué cette carte à fond, en particulier dans les déclages inévitables d'une personne d'un certain âge, qui est dans la peau d'une personne plus jeune. Ainsi quand Peggy Sue, arrivée chez ses parents, boit de l'alcool pour se remettre les idées en place, ou quand elle explique à son prof de maths qu'elle sait, par expérience,  que l'algèbre ne lui servira à rien dans sa vie future... La comédie se double d'un degré d'acceptation particulièrement élevé de l'absurdité de la situation, Peggy Sue réussissant assez rapidement à reprendre le dessus, et à pragmatiquement s'adapter.

Le fantastique ne sera évidemment pas expliqué, puisque d'une part ça ne sert à rien, et d'autre part ce n'est évidemment pas le sujet. Mais il y a quelques non-sequiturs malgré tout, comme cette cérémonie étrange à laquelle son grand-père (l'un des rares qu'elle ait mis dans la confidence de sa vraie situation) 'a conviée, pour plus ou moins lui restituer son époque. Mais l'essentiel du film est évidemment dans l'introspection, la nostalgie, le questionnement du rapport affectif à l'autre, et la possibilité illusiore de pouvoir refaire sa vie. Le film, après tout, s'appelle, inspiré par la chanson de Buddy Holly, Peggy Sue Got Married, et non Peggy Sue Got Divorced... C'est dans un parcours mental qui va lui permettre de reconstituer le puzzle de son mariage avec Charlie, que la clé du film réside. Tout repred sa place dans une scène de 1960,quand Charlie lui avoue son amour et qu'il y a échange de bijou... Un bon vieux mariage de substitution, comme dans les films sentimentaux de Frank Borzage. L'étrange situation de Peggy Sue est peut-être assez facile à accepter, parce qu'il lui permet un exercice de nostalgie grandeur nature... Comme à Coppola et son public, qu vont se retrouver devant l'Amérique de 1960: ses voitures (Sherwood Green, Candy Apple Red, Lake Placid Blue... Les nuanciers de l'époque), sa musique, sa télévision...

Le "voyage dans le temps" permet aussi de goûter à l'interdit, comme cette rencontre qui n'avait pas eu lieu dans le passé de Peggy Sue, avec un beatnik de son lycée, qui lui faisait secrètement envie dans la réalité... Mais tout, au final, renvoie à l'idée que pour Peggy, c'est Charlie, et pour Charlie, c'est Peggy. Pourtant, dans le prologue (années 80), de nombreuses allusions à d'autres possibilités se retrouvent évoquées, comme ce personnage de Richard, qui était un élève brillant (donc la bête noire) et qui a réussi au-delà de toute espérance. Et si Peggy Sue refaisait sa vie avec lui? Le lien entre les comportements des personnages dans les années 80 et dans les années 60 est aussi un ingrédient de la comédie, mais un facteur malin d'identification des personnages... Et l'un des aspects les plus faux du film: on voit bien que les personnages sont incarnés par des acteurs trop jeunes dans le prologue pour être quadragénaires, et trop vieux dans les années 60 pour être des lycéens. Mais on les reconnait sans problèmes... 

Mais cet aspect finit par cristalliser le côté symbolique du film, situé dans un espace mental, celui d'une personn coincée entre ses désirs passés, et sa morosité ambiante. Il lui faut bien un peu de magie... et ça passera par deux ou trois choses, une robe magique qui fait le lien entre les deux époques, ou encore une idée culinaire de la grand-mère, bonne fée du film. Par contre, Nicolas Cage, neveu du metteur en scène, est ridicule de A jusqu'à Z, qu'il soit le Charlie quadragénaire (maquillage outrancier, comportement qui lui donne plus un côté vieux sexagénaire louche), ou en Charlie de 18 ans... 

Mais cette comédie nostalgique était dans l'air, puisqu'une année auparavant, Robert Zemeckis avait embarqué Marty McFly dans le passé de ses parents. La comparaison est déloyale, mais ce film de "Francis Coppola" est, disons, un sympathique bonbon de nostalgie qui se laisse regarder.

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola
30 octobre 2019 3 30 /10 /octobre /2019 09:14

Et donc, Coppola et l'auteur du roman The Godfather, Mario Puzo, se sont lancés des années après, dans la confection d'un troisième film... Qu'ils envisageaient d'appeler The death of Michael Corleone. Comme on s'en doute, le titre final est une imposition du studio, qui savait que le film se vendrait sans aucun problème en se rattachant à la saga initiale. D'ailleurs, il y a fort à parier que le film soit plus sanglant dans ses coulisses et l'histoire de son tournage, que dans l'intrigue même, et ce n'est pas rien!

C'est que Coppola, en 1990, est l'homme de plus d'échecs que de succès. One from the heart et Cotton Club l'ont rincé, et les quelques films qui ont marché ne l'ont pas suffisamment remis sur pied. Et surtout, la Paramount est très attachée aux deux films de 1972 et 1974, ne l'oublions pas... Sans parler du fait que ce retour à la saga était probablement d'abord motivée par des raisons, disons, financières... 

Tout ceci étant dit, le film est loin d'être une catastrophe, et possède ses grands moments. Et surtout, la critique la plus souvent émise à son propos est à mon sens injustifiée, sans parler du fait qu'elle est scandaleuse: j'y reviendrai plus loin...

Imitant la structure des deux premiers films, ce troisième volet part d'une célébration (un mariage en 1972, une communion en 1974, maintenant c'est une distinction religieuse qui échoit à Michael Corleone), avant de s'intéresser au business des Corleone, tout en nous montrant les rapports, affiliations et autres affections des uns et des autres... Et la motivation pour Michael Corleone est triple: faire avancer les affaires de la famille Corleone, la faire évoluer vers la légitimité, et se retirer afin de profiter de la vie et de sa famille...

Et c'est l'un des points forts du film: on a rarement vu Al Pacino aussi enjoué que dans les premières scènes, ou que dans l'espièglerie qu'il manifeste à l'égard de son ex-femme dans des scènes Siciliennes, qui sont presque de la comédie romantique, mais mâtinée d'une solide dose de nostalgie. Comme les précédents films, Coppola a tout fait pour marquer ce troisième volet de l'empreinte Sicilienne, au point d'y adopter une fois de plus une mise en scène "à l'Italienne"... 

On trouve dans le film les mêmes qualités que dans les précédents, en somme, ce mélange permanent entre crime, gangsters, coups d'éclat, et vie quotidienne, sous une forme présentable (on se rend rarement dans la chambre à coucher dans ces trois films, vous avez remarqué?): un soap opera, ou un opéra de la violence? Justement, Coppol souligne cet aspect de ses trois films, en ayant recours dramatiquement à une représentation de La Cavalleria Rusticana, qui va d'ailleurs souligner de nombreux aspects du film, et servir de soutient à l'habituel feu d'artifice de violence et de mort qui clôt l'intrigue des trois films...

Et c'est là que ça ne marche plus: si j'accepte volontiers de considérer la montée en puissance de Connie (Talia Shire) et Vincent Mancini (Andy Garcia) qui illustre le fait que, quelles que soient les envies de légitimité de Michael Corleone, il sera forcé de laisser la famille rester ce qu'elle est, si j'accueille même avec enthousiasme la présence de Mary Corleone dans le film, je pense que cette fois, à trop charger la barque (financièrement, stratégiquement, politiquement et religieusement), Coppola a raté son arrière-plan historique. Basé cette fois sur le flou qui entoure la mort de Jean Paul Ier, pape d'un mois, le rappel des affaires tourne à l'accident industriel, et ça se voit trop pour qu'on ne puisse s'en préoccuper... 

Venons-en à Mary: parce que Winona Ryder n'avait pas pu prendre le rôle, la fille de Corleone a été confiée à Sofia Coppola, qui a été obligée d'abandonner ses études, pour faire plaisir à son père. A la sortie du film, on s'est déchaîné sur elle, d'une façon proprement odieuse, que Coppola n'a toujours pas digéré... Et Sofia non plus, sans doute. C'est à se demander ce qu'on lui reprochait, dans la mesure où elle joue un rôle proche d'elle, et qu'elle le fait avec fragilité et émotion, sans jamais forcer, avec un mélange de timidité et d'effronterie. Elle est plus que touchante, je la trouve totalement authentique. Elle donne à Al Pacino la force de pousser son rôle de père, mais aussi la douleur de la perte au-delà du raisonnable, sans que ce soit jamais excessif (on connait la tendance de Pacino à en faire trop pourtant). Bref, elle sauve un aspect du film qui est essentiel, à savoir le lien le plus fort de Michael Corleone à son humanité...

Et du même coup elle sous-tend le film dans ce qu'il a de plus important: une méditation mi-ironique, mi-tragique, sur la fin d'un homme à l'heure où il avait cru enfin commencer à vivre. Rien que ça, ça justifie quand même un film qui donne par ailleurs le sentiment gênant d'être de trop.

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola
26 octobre 2019 6 26 /10 /octobre /2019 18:25

Je suis généralement le premier à m'irriter de ce qu'on puisse exploiter à fond un succès en essayant de multiplier les suites, surtout quand on manifeste aussi peu d'imagination en confectionnant des titres qui se contentent d'ajouter un numéro au titre du premier film, ce que même le George Lucas de 1980 n'a pas osé faire! Mais voilà, quand on obtient un chef d'oeuvre, que voulez-vous...

Le film reprend donc les affaires là où s'était arrêté le premier, mais avec un gros changement: certes, nous apprenons ce qui arrive à la famille Corleone sous la conduite de Michael (Al Pacino), en particulier dans le cadre d'une enquête sénatoriale qui les met sérieusement en danger, mais nous avons aussi le privilège de remonter aux sources du clan, à des événements survenus en Sicile en 1901, qui ont obligé le petit Vito Andolini à quitter les lieux précipitamment et à s'embarquer pour les Etats-Unis, où il est devenu le "Don" Vito Corleone...

Rarement un décrochage temporel n'aura eu autant d'impact dramatique au cinéma, que le parcours établi ainsi sur ces trois heures et vingt minutes par Coppola, entre le père Vito, et le fils Michael. Sachant que dans ce film, ce sont à la fois la "famille" et la morale qui sont en jeu, le parallèle valait le détour, et il permet mieux que dans le premier film à mon sens de mettre en lumière la notion de rêve Américain portée à la fois par Vito, et par Michael...

L'envie de légitimité est comme dans le premier film, un moteur essentiel des motivations de Michael plus que de Vito, mais on sait que le vieux Parrain souhaitait effectivement que son fils prenne ses affaires en main pour les rendre, presque par magie, honnêtes. On voit d'ailleurs les efforts déployés ici pour tenter la chance dans cette direction, mais l'ironie particulière du film fait que tout nous est expliqué par un sénateur odieux, qui insulte Michael en le traitant de "Graisseux" (toujours cette attitude hautaine du W.AS.P. à l'égard de tout ce qui est méditerranéen...), et contre toute attente demande littéralement sa part du gâteau! Si Michael compte sur le Rêve Américain pour redonner des couleurs de légitimité à ses affaires, nous dit Coppola, il est mal parti!

Et puis il y a la famille, bien entendu, et pas forcément au sens large. Comme dans le film précédent, ce qui nous est conté, est un drame, rendu d'autant plus cruel que les affections des uns et des autres ont changé. Michael en devenant "parrain" a pris des décisions et des engagements qui ne sont pas du goût de chacun, et certains s'éloignent, d'autres fuient, et enfin d'aucuns trahissent. Et au final, le poids de certaines décisions fait que Michael, plus puissant que jamais, est aussi plus seul que jamais: c'est une tragédie familiale à l'ancienne que nous conte Francis Ford Coppola, derrière ce destin d'une famille pas si Sicilienne que ça... 

Et le metteur en scène adopte de nouveau le même type de mise en scène pour ce deuxième volet, et insiste sur la violence sournoise de cette saga familiale épique, en montrant plus que jamais que les plus tendres embrassades peuvent parfois mener à la mort: chaque poignée de main, chaque baiser, chaque compliment sera généralement suivi d'une mort atroce... Pour le bien de la famille, naturellement.

Et je m'en voudrais de ne pas mentionner que la partie consacrée aux années 1901 à 1919 est la plus formidable dans le film, avec un rôle d'autant plus impressionnant pour Robert de Niro qu'il s'exprime quasiment tout du long dans une langue qu'il ne parlait pas à l'époque. 

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola Cannoli
24 octobre 2019 4 24 /10 /octobre /2019 18:34

C'est un film qui paraît tellement évident aujourd'hui, et dont les suites (deux au total) ont tendance à se confondre avec lui, de la même manière qu'aujourd'hui les jeunes avaleurs de pixels croient sincèrement citer Star Wars quand ils risquent un "Luke, I am your father"... The Godfather a pourtant débarqué un beau jour dans un monde sinon hostile, en tout cas pas vraiment préparé à accueillir un opéra consacré à la mafia sur environ trois heures... Et de la part d'un metteur en scène-producteur qui était prêt à manger le monde, mais qui était loin d'avoir le budget: bref, sous surveillance de la Paramount... Mais pourtant Coppola a non seulement fait merveille avec ce film inespéré, il a aussi à sa façon contribué à révolutionner le point de vue du spectateur, inauguré un genre qui est très solide, et changé à tout jamais la compréhension qu'on peut avoir du monde de la pègre... 

Pas besoin de résumer l'histoire: la famille Corleone, installée, vit dans une relative tranquillité son assise sur les autres familles italiennes du territoire Américain. Mais le refus du vieux Don Vito de se lancer dans la confection et le trafic de drogues va encourager les autres parrains à tout faire pour le pousser dehors: traîtrises, exécutions, mariages et baptêmes, voilà comment on pourrait tenter de résumer ces trois heures qui content 8 années, à peines indiquées: car Coppola joue sur les tripes et entend faire passer son récit du côté du mythe donc une fois assumé le point de départ comme étant au lendemain de la seconde guerre mondiale, les repères manquent. Tout au plus peut-on constater que tel couple, par exemple, voit ses enfants grandir...

Ce qui est aussi passé du côté du mythe avec ce film, c'est la collection fabuleuse de personnages et de scènes: la famille Corleone avec son père tout-puissant, si énorme qu'il en a presque tué toute velléité à le suivre ou toute efficacité de ses héritiers... Santino (James Caan) totalement impulsif et prompt à se jeter dans tous les pièges qui lui sont tendus; Fredo (John Cazale), pétri d'insécurités, et diminué par les qualités de ses frères; Constanza (Talia Shire), condamnée à se marier à un crétin, et protégée ar son grand frère à tel point qu'on finit par se poser des questions; et enfin, deux héritiers qui tranchent sur cette collection, ceux par qui la famille Corleone entend devenir un jour légitime: Tom Hagen, l'enfant trouvé (Robert Duvall), avocat fin et conseiller rigoureux, et Michael Corleone (Al Pacino), la brebis galeuse: il entend bien devenir autre chose qu'un gangster, et a tout fait pour s'éloigner des "affaires" de la famille, avec la bénédiction de son père. En toute logique dramatique, c'est ce dernier qui héritera du flambeau, des ambitions de légitimité... et de toutes les casseroles et de toutes les méthodes douteuses... 

Contrairement à sa géniale suite, ce premier volet prend le parti d'être strictement chronologique, et profite donc de la situation pour adopter un souffle épique qui lui sied bien. Mais ce n'est pas pour autant du David Lean, car Coppola entend bien y développer ses conceptions personnelles d'un cinéma qui a parfois recours à la guérilla, aussi bien à New York qu'en Sicile (pour une série de séquences à la grande beauté); le style de Coppola se nourrit de l'efficacité de Roger Corman (quand on improvise une scène de tuerie à un péage avec des litres d'hémoglobine, et d'ambitions artistiques qui sont relayées par le décorateur Dean Tavoularis et le chef-opérateur Gordon Willis. Le film s'est tourné dans un New York qui tient lieu de décors naturels, mais Tavoularis a eu le génie de toujours transcender les problèmes inévitables liés au fait de tourner 1946 en 1971... 

Et de fait, le résultat triche avec la vérité: si on cherche le vrai visage du crime organisé de la deuxième moitié du vingtième siècle, il est probable qu'on le trouvera chez Scorsese, en particulier dans Mean Streets ou dans Goodfellas. Ces riches Italiens qui ordonnent l mort d'un ennemi ou d'un ami d'un claquement de doigts, ressemblent sans doute beaucoup plus à Paul Sorvino en jogging et en claquettes, qu'à Marlon Brando en smoking et dans un bureau poli à la fumée de cigare! Et pourtant l'idée est géniale car elle alimente le sentiment d'une irrésistible tragédie familiale en cours d'exécution, telle que la famille la vit, et non telle qu'elle est réellement. En 1972, on a plus besoin de justifier les actions des "héros" par la morale, et le film va contribuer à faire définitivement accepter ce nouvel état de fait, qui permettra au cinéma d'explorer avec tant de bonheur de nouveaux territoire moraux. 

Et le tout passe par une structure prenante, des scènes d'anthologie, et une idée qui fera son chemin, au point de revenir dans chacune des suites: les meurtres, certes nombreux, sont accompagnés de plans a posteriori, qui s'attardent sur les corps et les lieux, comme un décompte macabre et éminemment moral, une façon de nous rappeler à qui nous avons à faire...

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola Cannoli
21 novembre 2018 3 21 /11 /novembre /2018 16:57

Harry Caul (Gene Hackman)  écoute: c'est son métier; il est agent de surveillance, ou poseur de micros, si vous préférez! Le côté immoral de la chose n'a jamais été sa préoccupation, ou du moins il ne l'a jamais montré. Nous apprenons lors d'une rencontre avec des collègues (une convention de "plombiers", en quelque sorte!) pourtant qu'il aurait été par ses activités, à l'origine d'un meurtre, mais bien sûr, il n'est pas légalement coupable: la culpabilité dans ce métier, c'est l'affaire du client.

Pourtant, Harry, qui souffre de ses propres principes (aucune trace de son passé, aucun lien qui puisse remonter à lui, et une vie affective qui prend l'au de toute part. Pas d'abonnement au téléphone... Il a même dû fuir sa ville, New York, pour se relocaliser à San Francisco), est sur une affaire qui le gêne, sans qu'il puisse réellement savoir pourquoi: un couple manifestement adultère, dont le mari trompé l'a payé pour en savoir plus... Harry et ses collègues font un beau travail, mais Harry entend sur les bandes l'homme et la femme dire clairement qu'ils sont en danger de mort. Doit-il remettre les bandes, et se rendre de nouveau responsable d'un nouveau meurtre, ou doit-il faire quelque chose pour empêcher l'irréparable? 

...Et faire quoi, du reste?

Voilà, c'est la toile de fond d'un des films les plus étonnants, et rigoureux, de son auteur; une oeuvre coincée entre deux géants qu'on ne présente plus (The Godfather et The Godfather Part II), et dont les épices secrètes ne se dégustent pas dans le baroque. The conversation est un film lent, à la chronologie paradoxale, et dans lequel la souffrance du personnage principal se partage presque. Comme tant d'autres personnages de Coppola, Harry Caul qui est entouré de tant de collègues sans le moindre scrupule (à commencer par Stan, l'insouciant incarné par John Cazale) semble en venir à une crise identitaire telle qu'il ne peut plus avancer. 

Maintenant, on peut toujours épiloguer sur le sujet, mais lorsqu'il a appris que les objets utilisés dans son film étaient en réalité les mêmes que ceux utilisés par les plombiers du Watergate, Coppola aurait paraît-il été particulièrement surpris. Je ne sais pas s'il faut le croire, tant la proximité entre la fameuse affaire et le film est claire. Mais le sujet est pourtant tout, sauf politique: ici, il est question de morale. Une morale supérieure, même, qui est celle qui fait vivre un enfer à un arroseur arrosé interprété avec maestria par Gene Hackman. Il est aussi secondé efficacement par un beau casting dans lequel on retrouve Robert Duvall, Frederick Forrest, Terri Garr ou Harrison Ford, des noms bien connus de l'univers du réalisateur, qui tourne ici en famille.

 

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola Noir
16 septembre 2018 7 16 /09 /septembre /2018 08:32

Dans les années 40, Preston Tucker (Jeff Bridges) est un inventeur, l'un de ces braves Américains qui se lèvent avec une idée et se couchent avec une nouvelle invention... Un enthousiaste et un chef de clan aussi, puisque dans sa grande maison du Michigan, il héberge un certain nombre de farfelus dévoués à sa cause. Il souhaite créer un véhicule, une voiture (la "Tucker", bien sûr) qui révolutionnera durablement l'industrie avec un certain nombre d'innovations. Il n'a besoin "que"... du soutien de l'industrie automobile... Le naïf. Il se lance pourtant, trouve un partenaire (Martin Landau), un dirigeant, une usine même: il ne lui manque plus qu'une voiture puisque sa brillante invention n'est pour l'instant que virtuelle...

C'est à un désastre magnifique que nous confie Coppola, qui a un lien personnel fort avec cette histoire, puisque, comme il nous le raconte dans son film, Tucker avait utilisé de façon fort efficace (trop efficace même) la publicité, et des catalogues présentant les mérites de la voiture qui n'existait pas encore, avaient créé pour l'invention un engouement particulièrement fort, et Carmine Coppola était très attiré par le modèle. On voit assez vite que ce qui a attiré le metteur en scène dans cette histoire authentique, c'est la possibilité d"y jouer à être Frank Capra, tout en le faisant avec son style à lui, si caractéristique. Je veux parler de ces dispositifs de mise en scène apparus avec One from the heart: des scènes durant lesquelles il transforme les murs rées du studio en des transitions, passant d'une pièce à l'autre comme on franchit des kilomètres. Des plans qui commencent à un endroit pour finir à un autre. Toute une mise en scène à la fois naïve, maniérée et qui donne parfois le vertige, mais qui nous assure que Coppola s'identifie à cet ingénieur auto-proclamé qui joue avec le gros business en famille. Bref, Coppola se rappelle sans doute le lancement de son propre studio familial, et le désastre financier qui en résulta...

Et en Jeff Bridges, l'éternel optimiste qui se bat contre des moulins à vent, il a trouvé son James Stewart à lui, le sourire, le volontariat, les mots qui ont parfois du mal à sortir de son esprit sans être quelque peu malmenés. C'est un personnage touchant et toujours positif, qui permet au film de loucher vers la comédie en permanence (comme le personnage du mécano-bougon-à-qui-on-ne-la-fait-pas, qui râle tout le temps mais qui fait le boulot, joué par le désormais vieux complice Frederic Forrest. Coppola triche aussi parfois avec la matière cinématographique, accélérant le jeu (c'est volontairement visible) en post-synchronisant le son.

C'est curieux, parfois enthousiasmant, parfois déroutant, pas complètement abouti, et la musique de Joe Jackson, mélange de jazz avec de gros bout de swing des années 40 dedans, et de musique pour percussions, ajoute un peu à la confusion. Mais on garde quand même de Preston Tucker, de son épouse (Joan Allen) et de toute leur famille étrange, un bon souvenir...

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola
9 août 2018 4 09 /08 /août /2018 10:28

Au sujet de ce film, Francis Ford Coppola est très clair: en 1992, il avait des dettes! D'autant qu'une grande partie de son Dracula, qui était d'abord et avant tout un projet de Winona Ryder, a été pilotée par son fils Roman Coppola, crédité aux effets visuels et à la seconde équipe; l'idée, sympathique, défendue par Coppola père, c'était que tout le monde faisant toujours la même chose en matière d'effets spéciaux, il convenait de retourner aux sources du septième art, et de réaliser des truquages optiques, de montage et d'utiliser toutes les ressources permises par une caméra (y compris la vidéo, d'ailleurs). C'est Roman Coppola qui a pris ça en charge, et quand on fait le compte des scènes présentant des effets visuels (Tous réalisés en vrai, sans CGI), on comprend que le père a tout fait pour en faire le moins possible... Sur un film qui lui ressemble malgré tout: un opéra baroque, dans lequel on s'approche au plus près du mal, avec l'option de passer 'de l'autre côté', ou pas. Ca rappelle des souvenirs, non?


Et puis il y a l'hommage vibrant au cinéma fantastique, un domaine que le réalisateur connaissait bien en tant que spectateur: la présence fantomatique de Nosferatu de Murnau est évidente, et en prime, il y a un hommage permanent au cinéma tout court, avec des techniques diverses et variées utilisées tout au long du film. Scènes tournés à l'envers, matte-painting, perspective forcée, maquettes, et... tournage avec une caméra des débuts du siècle. Les Coppola poussent même l'hommage très loin en montrant Gary Oldman et Winona Ryder assister à une représentation de films des premiers temps... Mais pas d'authentiques films, non: il y a beaucoup de petites bandes érotiques à trucs à-dedans, et elles sont là encore réalisées par Roman.


Bref, ce film qu'il juge lui-même alimentaire (Il avait VRAIMENT des dettes!!), qu'il a tourné en se bouchant le nez, vaut au moins pour son extravagance, son humour distant et son érotisme franc et massif qui encore aujourd'hui, fait rougir... Francis Ford Coppola, mais oui. A croire qu'il n'a pas tourné ces scènes frivoles lui-même. Cette obsession, pourtant, de l'érotisme et du sexe, et du rapport brûlant entre la passion et le sang, est une façon d'ancrer ce film baroque et excessif, à l'âge du SIDA. Une façon un peu gratuite, maladroite, mais séduisante justement par son caractère unique. Quant à Bram Stoker, il a bon dos, car si Coppola assure avoir voulu adapter le romancier Irlandais, il passe son temps et son film à citer Murnau et les dialogues du film de Browning, prononcés par Gary Oldman avec l'accent de Bela Lugosi

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola
10 avril 2017 1 10 /04 /avril /2017 09:23

Rusty James (Matt Dillon) est un voyou, qui profite bien du fait que son frère, qui répond au surnom de The Motorcycle Boy (Mickey Rourke), a quitté la ville. Ou du moins c'est ce qu'il semble, parce que personne ne sait ou il peut bien être. Mais si Rusty James joue au caïd, c'est justement parce qu'il est débarrassé de l'ombre tutélaire de celui auquel on le renvoie tout le temps... Donc, café, gros bras, billard, bagarres, filles et re-bagarres, le programme d'une journée est très rempli. Mais The motorcycle boy n'est pas parti, ou du moins il est revenu, et pire: il veille sur son frère. Et une autre personne veille sur les deux garçons: un policier, qui s'est jurer de coffrer ou de stopper le grand frère dans son élan, quelle que soit la méthode...

C'est une fois de plus un film de Coppola dans lequel il essaie. Il n'en finit pas d'expérimenter, ici avec les angles de prise de vue, les objectifs singuliers, et un materiel léger, le tout en noir et blanc (Avec de rares flashes de couleur). Le film ayant été tourné à Tulsa, Oklahoma, dans des décors "naturels" urbains, le son a été post-synchronisé... à l'italienne, ce qui fait que c'est très mal fait: premier défaut. Les acteurs ne jouent pas, ils en font des tonnes. Deuxième défaut; enfin, mais qu'est ce que c'est ennuyeux!

Aucun intérêt.

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola
12 septembre 2015 6 12 /09 /septembre /2015 18:07

Dans son roman Hearts of darkness, Joseph Conrad imaginait le périple d'un homme parti en chercher un autre, et qui en remontant le fleuve Africain au bout duquel il sait qu'il trouvera M. Kurtz, va découvrir l'horreur de la perte de l'humanité, et mettre sa propre santé mentale en danger de succomber à son tour à la cruauté et à la barbarie. Le livre, paru en 1899, sacrifie bien sûr à l'inévitable racisme ambiant, en décrivant la perte d'humanité de Kurtz comme la contagion d'un lieu barbare, dans lequel vivent des hommes qui pour l'occidental de cette fin de siècle n'a rien d'humain, mais le message, lui, est fascinant, et résonne donc de façon superbe dans le film sur le Vietnam de Francis Ford Coppola. Et à ce sujet, enfonçons le clou, le film n'est ni un pamphlet anti-guerre du Vietnam, ni bien sûr une déclaration d'amour à l'une des plus grosses conneries jamais tentées par les gouvernements Américains successifs (Le film le rappelle, du reste, car comme le dit un protagoniste, si l'intrigue est située après 1968, la source des conflits est à trouver dans les tripatouillages effectués en Indochine sous Truman, lorsque les Américains ont encouragé la création du Viet-Minh)...

Non, si il ne faut pas croire Francis Ford Coppola, spécialiste des formules publicitaires, quand il dit 'Mon film c'est le Vietnam', ce qui ne veut rien dire, il faut rappeler que la genèse du projet, qui était en pleine guerre déjà prévu pour être une adaptation du roman de Conrad, prévoyait une collaboration entre John Milius au scénario, George Lucas à la réalisation et Coppola à la production! Les trois mousquetaires, qui avaient tous échappé à la conscription, voulaient même tourner leur film en plein conflits! Mais au-delà de la présence oecuménique de Coppola, grand showman, Lucas apportait un point de vue sinon gauchiste, en tout cas réfractaire à la guerre et plutôt progressiste, alors que Milius était (Et est toujours) un homme qui se situe très à droite, et leurs opinions respectives sont encore bien présentes dans le film tel qu'il est aujourd'hui...

Avec le capitaine Willard, parti s'enfoncer sur un fleuve en pleine jungle Vietnamienne, pour récupérer (Ou éliminer) le colonel Kurtz, devenu un fou dangereux à cause de cette guerre, le propos se clarifie et permet d'incorporer dans le film une vraie réflexion qui dépasse le simple champ du 'pour' ou 'contre' le conflit, qui n'en finissait pas de gangrener la politique Américaine de la fin des années 60 à la fin de la guerre. on est ici, à suivre le point de vue d'un homme dur, endurci par tous ses échecs et doté d'une mission quasi-suicide, croisant toute l'absurdité des conflits, mais aussi de la survie au jour le jour dans un quotidien sans aucune constante (On y croise des bunnies de Playboy, amenées à grands frais des USA, mais qui se prostituent contre de l'essence afin de pouvoir rentrer chez elles, des Français qui tentent de maintenir leur niveau de vie colonial en rejetant la responsabilité des conflits sur la terre entière, des Vietnamiens aguerris, capables de faire des attentats suicides au milieu d'une attaque de cavalerie aéroportée particulièrement musclée, un colonel fou furieux qui ne bronche pas lorsqu'un obus explose à deux mètres de lui et qui bien sûr charge avec ses hélicoptères au son de Wagner...), et enfin de la façon dont la sauvagerie s'insère, aidée bien sur par la proximité des conflits, par la jungle mais aussi par les drogues qui bouffent le cerveau. Et Willard et 'ses' hommes, le capitaine du bateau "Chief", le cuisinier, l'ado et le surfeur constamment en trip, vont en remontant le fleuve, remonter le temps, croisant les Français coincés dans les années 50 avant d'arriver à Kurtz et sa folie antédiluvienne.

Je pense que si les techniciens et acteur qui ont accompagné Coppola aux Philippines seraient peut-être un peu dur avec moi sur ce sujet, il n'empêche que la décision du producteur de reprendre le film et de le diriger seul était la bonne, car il fallait à un tel film la démesure, le sens quasi-opératique, et le sens génial de l'improvisation dont Coppola dispose à la sortie de ses deux Parrains. Il fallait aussi une vision, qui puisse faire corps avec celle de Willard, et à ce titre, la relation entre Coppola et Sheen est l'un des nombreux facteurs de réussite de ce chef d'oeuvre, que je continue à préférer en version longue car à mon sens, la longueur que d'aucuns jugent excessive rend justice à la folie humaine qui nous est décrite, avec ses nombreuses digressions, qu'elles soient cocasses, douloureuses, ou... ennuyeuses. La scène de la plantation, marquée en particulier par les abominables accents des acteurs, donne en particulier bien le ton. Elle est irritante, mais elle propose à la fois le repos du guerrier, et peut-être le fond du problème, en montrant quasiment les fantômes des coloniaux, qui ont cru devoir s'approprier une terre, et qui vont mourir de la défendre sans véritable raison. Et le film, du haut de ses 3 heures et 16 minutes (Si on omet le générique car le film commence et se termine, selon le voeu de Coppola, sans que jamais il ne soit fait allusion à son titre ou à ceux qui l'ont réalisé...), sans vraie fin et sans vrai début (Avec dès la première minute la chanson des Doors, qui nous assurent que "This is the end"...) ressemble bien à une chef d'oeuvre: démesuré, et si délicieusement imparfait par son inachèvement, ce qui est dans le monde de froideur et d'efficacité technocratique qui est le nôtre un gage de pur génie.

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola Guerre
17 juin 2015 3 17 /06 /juin /2015 07:41

Coppola n'était pas prévu pour réaliser le film, au départ un projet du producteur Robert Evans. Mais devant la montée alarmante du budget, réalisant que ce film ne pourrait se faire raisonnablement que dans les mains d'une personne compétente, il a fini par demander à Coppola de prendre les rênes. C'est cocasse, quand on connait la réputation du metteur en scène considéré comme un dépensier fou par tant de producteurs, mais il était après tout l'un des "script doctors" engagés par Evans pour reprendre le matériau brut de Mario Puzo. Prenant la relève à la dernière minute, Coppola va transformer le film en une production Zoetrope typique, extravagante, coûteuse, mais aussi souvent impressionnante. C'est au son de la musique de Duke Ellington, plus précisément de East St-Louis Toodle-Oo, qui ouvrait toutes les prestations de l'orchestre, que le film commence. Située au beau milieu des années 20, à Harlem, l'intrigue tourne autour du célèbre club, tenu par la pègre et réservé à la clientèle blanche, bien que le spectacle y soit exclusivement noir. Nous y suivons essentiellement deux fils narratifs, qui sont assez peu liés entre eux; d'une part, Dixie Dwyer (Richard Gere), cornettiste blanc, devient plus ou moins homme à tout faire pour un gangster qu'il a sauvé d'un attentat (James Remar), puis tombe amoureux de la maitresse de ce dernier (Diane Lane); d'autre part, le danseur Sandman Williams (Gregory Hines) est engagé au Cotton Club pour y travailler en duo avec son frère (Maurice Hines) déjà dans la place, récolte un succès phénoménal, se sent pousser des ailes, et va tenter de conquérir la belle chanteuse Lila (Lonette McKee). Le tout se déroule sur une toile de fond largement dominée par la guerre entre les gangs, qu'ils soient Irlandais ou Italiens...

La musique, l'intrigue: le film oscille en permanence entre ces deux pôles. La production a compris qu'on ne pourrait faire l'impasse sur Duke Elligton et consorts, et la décision a été prise de recréer au plus près le répertoire des orchestres de l'époque. Les Washingtonians de Duke Ellington ont bien sûr la part belle, et le son des plus belles chansons entendues au Cotton Club leur rend parfaitement hommage: The Mooche, Doin' the new low down ou bien sûr le magnifique Mood indigo, sont reproduits de façon experte sous la responsabilité de John Barry. A cette volonté de recréer la musique, le film ajoute une série d'allusions à la culture de l'époque, à travers un certain nombre de grands noms qui sont aperçus, clients occasionnels du Cotton Club: si la première vedette aperçue est Duke Ellington dans les coulisses du club, on passe ensuite à Gloria Swanson, puis on verra Charles Chaplin ou encore James Cagney (un aspect atténué dans la version longue, curieusement). Avec ces ancrages plus ou moins adroits dans la période, le film devient une chronique des années 20 et 30, dont le passage du temps est parfois appuyé grâce à des montages typiques de la période, mélange de musique et de bouts de films spécifiquement tournés pour l'occasion; le passage du temps, de la prohibition au gangstérisme, du muet vers le parlant, de Duke Ellington premier orchestre résidant, à Cab Calloway, enfin de la prospérité à la crise, est ainsi rendu avec logique et rigueur.

Pourtant, The Cotton Club possède une intrigue bien ténue, dont les vignettes se succèdent à une rapidité parfois alarmante: afin de coller à l'évocation culturelle du lieu, la musique se glisse partout. Dixie Dwyer est ainsi l'un des fils rouges; s'il ne sera jamais un gangster, contrairement à son frère Vincent (Nicolas Cage), le personnage joué par Gere va les côtoyer précisément grâce à son talent musical, car comme le modèle du personnage, Bix Beiderbecke, Dixie joue du cornet avec finesse, et du piano aussi. Mais ici s'arrête la comparaison, puisque "Bix", alcoolique, ne survivra pas longtemps aux années 30, alors que Dixie devient lui une vedette à Hollywood. Mais afin d'insister sur le réalisme, la décision a été prise (Par Evans ou Coppola, je ne saurais le dire) de laisser Gere jouer du cornet pour de vrai. Une bonne idée quoi qu'il en soit, qui participe à ce côté "ressenti" de la période, qui est si présent dans le film. Pourtant, si on parle de réalisme, l'évocation du Cotton Club, reconstruit avec adresse en studio, et lieu d'un maelstrom de scènes et d'anecdotes toutes plus pittoresques les unes que les autres, irait plutôt vers une poétisation à outrance, avec des trucs qui soulignent en permanence l'idée d'une narration légendaire: le point de vue, éclaté entre plusieurs protagonistes, le style visuellement très inspiré du cinéma de la fin du muet et des débuts du parlant (Le film - version courte - s'ouvre sur un iris, les éclairages sont très travaillés, jusqu'à cette scène romantique durant laquelle le dos nu de Diane Lane s'orne d'un tatouage inspiré de Man Ray, et la couleur renvoie un peu aux teintes irréelles du Technicolor 2 bandes utilisé entre 1920 et 1935)...

Et ce qui finit par devenir le sujet central du film, c'est bien sur la division raciale paradoxale soulignée par le Cotton Club, vecteur géré par les blancs pour une clientèle blanche, de la musique et de la culture Noire: dans ce film, non seulement les Noirs et les Blancs sont séparés par cette ligne pas si invisible, à la fois ethnique et sociale, mais plus encore: les gens se définissent par rapport à un groupe: mafieux ou pas, tous les protagonistes sont issu d'un groupe précis: "le Hollandais" Schultz, authentique mafieux qui va devenir le protecteur embarrassant de Dwyer, son principal collaborateur Juif, les Irlandais Frenchy, Madden (Propriétaire historique du Cotton Club, interprété avec le génie qui le caractérisait par Bob Hoskins) ou Dwyer, ou encore Bumpy Rhodes (Lawrence Fishburne) le chef de la mafia noire, qui monte de façon irrésistible au fur et à mesure de l'évolution du film. Ainsi, The Cotton Club devient la chronique des années noires, d'une période difficile dans laquelle seul l'art (Danse, musique, même le cinéma) permet de briser la ségrégation; en témoigne le clin d'oeil de "Dixie" devenu une star, qui revient au Club et salue avec chaleur Sandman Williams (Première et unique interaction entre les deux protagonistes d'intrigues différentes dans la version courte, mais la version longue leur crée plus de liens). Ils sont tous deux artistes, et tous deux ont évolué dans les coulisses des drames opératiques de la mafia. Lila, la belle chanteuse café au lait, est d'ailleurs chanceuse, de son propre point de vue, car elle s'est rendue compte que sa couleur lui permet parfois de se faire passer pour blanche, et elle peut, elle seule, évoluer dans la société à tous les niveaux. De leur côté, les deux frères Williams choisissent de jouer le jeu, en devenant strictement de grandes vedettes noires.

Mario Puzo, Coppola, on ne peut pas s'étonner que le spectre du Parrain hante un peu ce film bouillonnant; la façon dont Coppola supprime certains personnages, par exemple, ou la constante représentation de la mafia, qui semble n'avoir aucun quotidien au-delà des visites fréquentes du Cotton Club, des autres boites de nuit,des Speakeasies ou des soirées. La suppression groupée de la bande de Dutch Schultz, par exemple, se déroule sur fond de musique étourdissante, reflet fascinant mais bien sur totalement baroque d'un film qui a décidé de ne pas choisir, entre évocation culturelle magnifiée, et évocation historique. Le film, enfin, ressemble beaucoup à One from the heart, dans le constant mélange entre musique festive, fascination de la période, et intrigue. D'une oeuvre de commande, Coppola qui ne voulait plus rien avoir à faire avec le cinéma grand public, a fait un film très personnel, qui lui ressemble définitivement. Il en a aussi fit un succès, mais pas suffisamment: quatrième sur l'année 1984 au box-office, The Cotton Club aurait du faire bien plus pour rentrer dans ses frais extravagants. Rare aujourd'hui, c'est un témoin de deux époques: les années 20 bien sur, et les années 80 dans toute la splendeur et la décadence de la surenchère cinématographique... La version allongée rendue publique en 2019 prolonge en fait le mystère d'un film qui trahit tellement la fascination d'une période et sa musique pour le metteur en scène, qu'elle en devient le principal sujet...

 

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Published by François Massarelli - dans Francis Coppola