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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 16:35

"Thaddeus", c'est Thaddeus Kubaczik, un immigré Polonais (Edmond O'Brien) qui vient d'obtenir la nationalité Polonaise. Au grand désespoir de sa femme Kathi (Narda Onynx), ça ne l'empêche pas de faire un cauchemar récurrent: être réveillé en pleine nuit par des nazis qui viennent l'arrêter... Mais aux Etats-Unis, bien qu'il n'arrive pas à s'y faire, on a plutôt tendance à le laisser tranquille. Jusqu'au jour où il commet une erreur: en croisant une voiture, il la heurte, et a la tentation de prendre la fuite. Mais il se ravise, et la mort dans l'âme, se sentant coupable, il attend la punition. Et il est persuadé qu'elle va être terrible...

Quant au "ticket" dont il est question dans le titre, c'est une convocation en justice. Thaddeus ne risque évidemment pas grand chose, mais comme on s'en doute quand on voit en ouverture du film son cauchemar habituel, le pauvre: c'est tout dans sa tête. Et une scène nous éclaire sur sa difficulté à s'adapter aux conditions plus douce des Etats-Unis: quand un facteur frappe à sa porte, Thaddeus prend peur à la seule vue de l'uniforme...

Le film est naïf, et très direct: aucune ironie ni aucune moquerie à l'égard du personnage... Borzage a manifestement pris au sérieux cette histoire qu'il n'avait pourtant pas choisie pour la série Screen director's playhouse: c'est normalement l'acteur Anglais Ray Milland qui devait s'en charger. Je dois dire que l'idée correspond assez bien au metteur en scène de Little man, what now?, Three comrades et The mortal storm...

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 10:04

Le troisième et dernier des trois films de court métrage réalisés par Frank Borzage dans la série télévisée Screen Director's playhouse est sans doute le plus connu, et la cause en est simple: il a été diffusé en 1993 dans le cadre d'un hommage au metteur en scène au Cinéma de Minuit de France 3, la célèbre émission de Patrick Brion. Cette diffusion était en accompagnement d'une grande rétrospective de la cinémathèque Française... 

Sur la série elle-même, on est partagé: bien sûr, c'était une opportunité pour certains metteurs en scène, voire des acteurs désireux de passer à la mise en scène, que de réaliser un court pour cette émission qui met en valeur la personnalité même du "director"... Mais on ne va pas se mentir: si un Dwan ou un Borzage ont répondu présent à plusieurs reprises dans les années 50 et effectivement réalisé des films, n'était-ce pas essentiellement parce que le programme était une aubaine financière? D'un autre côté, les scripts confiés à Borzage, sans être nécessairement fabuleux, ont au moins l'avantage d'être totalement appropriés à son univers. Particulièrement avec ce petit film...

1917. Elizabeth (Sandy Descher) est une toute jeune Quaker, amenée à prendre le train sur une longue distance. Sa tante Hannah, qui la place dans le wagon, la rappelle à ses obligations de ne surtout pas enfreindre les commandements de sa religion (en gros, elle est supposée respirer, c'est tout. Toute autre activité ou prétention dans le train serait dangereusement futile)... Mais la petite est attirée par un compartiment situé juste à côté de sa place: le célèbre ténor Enrico Caruso (Lofti Mansouri) y est installé pour le voyage. Elle se décide à l'aborder: sa famille écoutant ses disques, ce n'est donc pas un inconnu...

Le film, conté à la première personne par Elizabeth devenue adulte, est uniquement consacré à la rencontre inattendue entre les deux solitudes, celle d'Elizabeth posée et droite dans ses bottes, celle de Caruso qui le pousse à essayer de jouer avec la petite, sans malice aucune. C'est un échange entre deux personnages parfaitement complémentaires, qui vont s'apporter beaucoup. C'est adorable, même si on est quand même loin, très loin des tempêtes émotionnelles qu'on aime à rencontrer chez Frank Borzage...

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 09:48

La guerre de Corée... Une jeune recrue arrive sur les lieux où se tient le bataillon auquel on l'a affecté. Il est jeune, naïf, pas très rassuré, et tombe assez vite entre les griffes d'un cynique qui a tôt fait de le dissuader d'attendre quoi que ce soit de positif, ou de s'impliquer. Mais il veut savoir, quand on l'envoie en mission: ce n'est pas du mauvais esprit, juste, au contraire, une tendance à être totalement premier degré.

Autour d'un clairon, pris sur un cadavre, une amitié complice et inattendue va se nouer entre le jeune soldat et un sergent, le genre dur et mal apprécié de ses hommes. L'un et l'autre vont se retrouver dans l'instrument et le savoir-faire qu'il commande; et l'un et l'autre vont être profondément changés par ce qui va arriver dans les jours qui suivent, lorsque contre toute attente les hommes vont être galvanisés par la musique du clairon...

C'est une nouvelle histoire de transformation, mais on est assez surpris de voir Borzage, des années après Seventh Heaven, retourner à la guerre qu'il détestait tant. Si en apparence les hommes trouvent une sorte d'accomplissement héroïque et de transcendance par le biais du clairon, c'est bien d'une échappatoire qu'il s'agit. Le clairon ouvre pour les hommes qui en jouent chacun son tour une sorte de fenêtre sur l'avant et l'après de cette guerre dans laquelle ils sont englués. Un nouvel objet magique dans le monde de Borzage, en quelque sorte...

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
17 mai 2017 3 17 /05 /mai /2017 16:43

Les premiers films de Borzage, ceux du moins qui ont été conservés, témoignent de la vitalité de sa vision du western, un genre auquel il souscrit dans tous ses développements (Villes sur la frontière, personnalités entre le bien et le mal, plus versées sur ce dernier, conditions précaires et éveil pionnier d'une conscience civilisatrice), mais auquel il ajoute une part toute personnelle: bien sur, les sentiments y ont leur place. Ce film dont la vedette est la cow-girl Texas Guinan, une actrice qui a tourné brièvement, mais uniquement des westerns, montre bien cet aspect...

Dans la ville de La mesa, située sur la Frontière, il y a bien un shérif, mais celle qui fait la pluie et le beau temps, c'est la patronne de The devil's kitchen, le saloon local. On l'appelle La tigresse, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle mérite son surnom... Mais l'arrivée de deux étrangers va bouleverser la ville, et chambouler sa reine: l'un d'entre eux, un pied-tendre comme on dit, surnommé "Le Bostonien", a été victime sur la route des méfaits du bandit local, "Le collectionneur", et du coup Le Bostonien décide de devenir adjoint au shérif. L'autre étranger, un homme élégant aussitôt surnommé The gent, devient l'amant de La tigresse, et ils échafaudent des plans d'avenir... Mais plus dure sera la chute.

On connaît Borzage en chantre de l'amour fou, celui qui soulève les montagnes, et transforme les hommes. Ici, il s'intéresse à l'amour comme facteur de civilisation, avec son héroïne qui devient de plus en plus 'respectable' au fur et à mesure de sa relation avec l'homme de sa vie. sauf que Borzage va également mettre en scène, plus tard, la tempête d'un amour déçu, et c'est là qu'on voit que pour la compagnie Triangle, Texas Guinan était un eu le pendant féminin des westerns de William Hart... Ca va donc canarder. Et c'est un petit bout de femme qui va sortir les armes.

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Published by François Massarelli - dans Muet Western 1918 Frank Borzage *
3 mai 2017 3 03 /05 /mai /2017 17:32

Le titre de ce film provient d'une réplique, entendue à deux reprises. Sans ambiguïté, il nuos annonce le retour de Frank Borzage dans son domaine, celui des sentiments, dont nous ne doutons pas un seul instant avec un titre pareil qu'ils seront exacerbés... C'est aussi un retour à l'onirisme, de la part de l'auteur d'une poignée de films qui transcendent allègrement les confinements des genres, en affichant des portes de sortie possibles vers le surnaturel dans un certain nombre de films, dont certains sont parmi les plus intéressants de sa filmographie: Humoresque, Seventh heaven, Strange cargo, et Smilin' through...

Leopold Goronoff (Leo Dorn) est un maestro, un artiste arrivé, pianiste admiré, chef d'orchestre impétueux et novateur, professeur exigeant... et en prime un être détestable, arrogant, imbu de lui-même et totalement irrationnel. Il doit sélectionner parmi plusieurs candidatures un ou une élève, et en lieu et place des habituels tâcherons du clavier, il découvre une perle rare: une jeune pianiste, fille d'un vieil ami à lui, Friedrich Hassman (Felix Bressart) qui a lui aussi voyage depuis l'Europe pour s'installer aux Etats-Unis, mais n'a pas eu beaucoup de chance. Goronoff se décide à prendre sous son aile Myra Hassman (Catherine McLeod), et à faire d'elle une authentique pianiste de concert. Myra va souffrir, et va développer pour son professeur erratique une authentique passion, mais il va aussi falloir le suivre (Prague, Madrif, Londres, Rio...) au gré de ses caprices, et... servir de pianiste d'ambiance pour ses conquêtes nombreuses. Enfin, va se poser un dilemme: que faire de l'ami George (Bill Carter), le confident, l'ami d'enfance, qui se meurt d'amour pour elle depuis toujours, mais... qui n'est pas Goronoff?

C'est pour la compagnie Republic que Borzage tourne ce film, en relative indépendance. L'idée de Herbert Yates, qui souhaite élever son tout petit studio en utilisant les services de metteurs en scène établis et de stars, est bien sur de confier cette tâche de mise en valeur à Frank Borzage, comme il le demandera à Ford en 1950. Mais Borzage en cette fin des années 40 est envahi par le doute, et va avoir les plus grandes difficultés à terminer ce film, changeant d'avis sur certains acteurs, occasionnant des nombres inquiétants de prises... le metteur en scène retravaille avec la couleur, ce qui n'est pas une première pour lui, mais il a des idées très établies, et en particulier voudrait pouvoir utiliser la palette la plus kitsch possible du procédé! Et il a confié le script à Borden Chase, qui s'en sort bien, mais... sous des dehors de comédie, de chronique artistique, de mélodrame et de film fantastique, I've always loved you est difficile à cerner: une partie des fans du cinéaste le rejette complètement, préférant pour cette époque le noir profond de Moonrise. D'autres vont plus loin en rejetant toute l'oeuvre de Borzage au-delà de The mortal storm. Mais certains ont tant d'affection pour ce film, qu'il leur paraît comme un des chefs d'oeuvres du metteur en scène!

Je pense en effet que c'est un film nuique pour commencer, avec lequel on traite à la fois de passion amoureuse, de passion musicale, et d'une façon jamais vue. Le film suggère un lien inattendu qui se forme entre le maître et l'élève, les condamnant à forcer l'autre à jouer, par le simple fait de décider de se mettre au clavier, à des kilomètres de distance... Mais Borzage le suggère, sans jamais le souligner, permettant à ses personnages de vivre leur étrange expérience. Il savait depuis longtemps donner aux sentiments une coloration sacrée, et ne s'est pas privé ici, rappelant l'importance des serments, des objets de substitution aussi: rejoignant les nombreux personnages du réalisateur qui ont eu un mariage de pacotille en attendant le vrai, George, en voyant partir Myra pour faire le tour du monde avec Goronoff, lui donne une bague qu'il a bricolée. Cette bague nous annonce le lien futur entre les deux, mais servira aussi (Sacrilège!à la jeune femme pour faire croire qu'elle est mariée à son professeur lorsque certaines des maîtresses de celui-ci se feront trop insistantes... Car tout l'enjeu de ce film, n'est pas tant de déterminer si Myra a une authentique passion pour son professeur, c'est plus pour George de faire valoir son amour auprès de sa future épouse... 

Borzage utilise le Technicolor avec une vision très personnelle, poussant souvent es tons autour de la sacralisation de l'acte de représentation musicale. Quand Goronoff reçoit des femmes, impossible pour nous de ne pas voir au fond du champ, la "niche" dorée dans laquelle Myra joue, en colère, pour que son professeur séduise d'autres femmes... Et puis en plus de la couleur, bien sur, Borzage utilise la matière musicale même: il a confié à Arthur Rubinstein le soin d'enregistrer les parties fougueuses de piano (Dont plusieurs interprétations du 2e concerto de Rachmaninoff, le fil rouge du film), mais Catherine McLeod est souvent filmé à même le clavier, et si il est évident qu'elle ne joue pas vraiment, elle est plausible du début à la fin, dans ses gestes, la position de ses doigts, le jeu du corps... On comprend dans ce cas le nombre de prises. Et il réussit aussi à mettre en scène les deux concerts auxquels va participer Myra, qui vont être l'un et l'autre révélateurs du trouble de ses sentiments.

C'est amusant de voir que l'intrigue de ce film sera recyclée dans le film suivant, The magnificent doll, mais sans musique, ni la moindre option surnaturelle! Car les deux films sont vraiment différents: celui-ci est déraisonnable, excessif, passionné... les qualificatifs ne manquent évidemment pas, et tous vont dans le même sens: ce film n'est pas ordinaire, et vous plonge dans un univers de sentiments, dont la musique devient le passeur. On se souvient de Chico qui communiquait à distance avec Diane dans Seventh heaven par-delà la guerre, ici, la communication prend une autre tournure, mais elle reste bien fascinante, dans un film qu'on rangerait volontiers pas très loin de certaines oeuvres de Michael Powell. Rien que ça.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
2 mai 2017 2 02 /05 /mai /2017 15:08

En choisissant de situer son film au tout début de l'histoire de la démocratie Américaine, Frank Borzage transporte sa thématique favorite, celle de l'amour qui transcende tout, sur un terrain politique, où on ne l'attend vraiment pas. Non que le metteur en scène soit hostile à la politique, bien sur, certains de ses films l'ont vu mettre en valeur des choix personnels évidents, à l'époque de la montée des périls: Little man, what now?, No greater glory, Three comrades ou bien sur The mortal storm étaient, chacun à sa façon, des films engagés. Mais l'engagement ici, ma foi, ne s'impose pas outre mesure, il n'y a plus d'urgence absolue comme il pouvait y en avoir une à l'aube de la guerre.

car le film se passe entre 1785 et 1804, essentiellement: Dolley Paine (Ginger Rogers), fille d'un révolutionnaire quaker qui a retrouvé la foi après une bataille, va devoir se marier selon le voeu de son père à un autre quaker. elle ne le souhaite pas, mais finit par aprécier son mari. Hélas, il meurt des suites de la fièvre jaune. Devenue veuve, elle tient une pension de famille à la capitale, Philadelphie, dans laquelle viennent vivre des membres du congrès. Parmi eux, deux futurs poids lourds de la politique, qui seront l'un et l'autre candidats à la présidentielle: Aaron Burr (David Niven), un ambitieux persuadé de son destin, et James Madison (Burgess Meredith), un pragmatique doux et effacé. L'un et l'autre seront amoureux d ela même femme. Un seul aura sa main, et un seul sera président...

Ginger Rogers chez Borzage, évidemment, ça fait bizarre... mais c'est encore plus étrange de la voir en dame du début du XIXe siècle: que ce soit par son jeu, sa personnalité, ses vêtements, rien ne nous convainc. et si le film, Borzage oblige, se situe bien au niveau des sentiments, c'est encombré d'une comparaison balourde et symbolique entre Dolley, la muse des politiques, et le destin présidentiel... Bien sur, le film a au moins l'avantage de nous amener à revivre une période rarement utilisée dans les films, celle des débuts de la république, mais ça reste anecodtique.

Heureusement,le contraste entre David Niven, flamboyant, passionné, et un rien excessif (Son personnage s'y voit en Napoléon des Etats-Unis, rien que ça... mais c'était la vérité historique!), et la douceur humaine de Burgess Meredith, nous permet de bien comprendre le message sur les choix salutaires que la jeune Amérique a su faire en son temps. Le message est donc essentiellement patriotique, bien relayé par cette bonne vieille Républicaine que Ginger rogers a toujours été toute sa vie.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 12:51

Strange Cargo est un film bien embarrassant, qui semble par bien des aspects faire l'unanimité contre lui, zélateurs comme détracteurs de Frank Borzage s'entendant pour dénoncer une œuvre qui met forcément mal à l'aise, par son approche du fait religieux notamment. Pire, il a osé mêler de façon provocatrice le religieux et le sensuel, à travers une idylle sans fards qui s'exprime à travers les personnages de Clark Gable et de Joan Crawford, et dans le cadre pourtant ultra-sécurisé d'un film MGM ! Les ligues de religieux, catholiques puritains et fanatiques de toutes obédiences se sont rués sur le film pour en demander l'interdiction, et on en viendrait presque à les comprendre, du moins à comprendre, si on s'amuse à adopter leur point de vue, qu'ils l'aient demandé : l'histoire, après tout, est celle d'un groupe de bagnards évadés de Cayenne qui ont emmené une femme, Julie (Joan Crawford) parmi eux, celle-ci cherchant à quitter la spirale de la prostitution et passer aux Etst-Unis ; l'un des bagnards, l'individualiste Verne (Clark Gable) tente tous les travaux d'approche possibles pour séduire Julie, et va parvenir à ses fins dans l'intimité créée entre les deux sur un petit  bateau à bord duquel les prisonniers vont finir leur périple...

 

A cette histoire sordide de rapprochement sensuel, Borzage ajoute ici un étonnant personnage, celui de Cambreau (Ian Hunter) , un bagnard qui semble venir de nulle part et se greffer sur les héros avant même leur évasion : après une sortie, Verne manque à l'appel des prisonniers, mais Cambreau est là pour compléter le nombre de 36 bagnards, permettant à Verne, de son coté, de prendre son temps dans une virée à l'extérieur, qui lui permettra de voir Julie. Puis Cambreau s'immisce dans les projets d'évasion d'un petit groupe, et va non seulement les aider en tout, mais également maintenir le moral des troupes, allant jusqu'à assister chaque homme mourant... Tous, y compris le cynique Hessler, un tueur de veuves à la Landru (Paul Lukas), s'accordent à reconnaître, voire admirer le dévouement presque surhumain de Cambreau, sauf Verne, que les manières trop polies, le laconisme et le recours à la bible de Cambreau agacent...

 

Borzage pose ici la question, à partir du personnage de Cambreau (Une performance énigmatique et comme toujours magnifiquement suggérée plutôt que jouée par Ian Hunter) de l'irruption du divin dans une entreprise privée, qui va accompagner le périple d'un groupe d'hommes certes, mais surtout accompagner Verne (Et Julie) jusqu'à la réalisation de leur amour, de leur nécessité de rédemption et pour Verne de l'importance de s'ouvrir aux autres, et de ne pas ses contenter de tout faire pour soi, mais bien de tendre la main aussi. C'est traité de façon à la fois subtile, les mots qui fâchent n'étant jamais trop clairement prononcés (Gable s'arrête avant de prononcer une phrase qui va lui faire comprendre la situation, en disant à Cambreau sur le point de se noyer, « On est tous Dieu, je suis Dieu, toi aussi, tu es... Il s'arrête, comprend, et sauve l'autre homme)...

 

Après il faut voir à choisir son camp : accepter d'avaler cette histoire de religion adaptée à un homme et un seul, et se régaler une fois de plus de l'irruption du divin dans l'amour, ou de la sensualité dans le religieux. Ce qui compte c'est que grâce à l'intervention inattendue d'un homme, Verne et Julie puissent enfin avancer en assumant ce qui est incontournable, leur amour... Soit on constate que cette fois, le cinéaste a été un cran trop loin dans la représentation d'une idée un peu folle, qu'il n'a pas su forcément mélanger aussi bien le profane et le sacré, et d'ailleurs le sacré tout en étant traité avec respect, est ici un peu trop appuyé dans le geste peu discret du plan de Victor Varconi qui se signe avant de prendre congé de Cambreau. Mais l'aventure de ces bagnards évadés, dans une Guyane poisseuse, ces personnages bien campés, avec Peter Lorre en mouchard corrompu jusqu'à la moelle, et Joan Crawford sommée de jouer sans maquillage, les aspects séduisants ne manquent pas dans ce qui reste un objet filmique non classable...

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
3 mars 2013 7 03 /03 /mars /2013 10:05

C'est en plein milieu de son contrat avec la MGM que Borzage a été prêté à la Paramount pour tourner ce film, adapté d'un roman à succès, et qui porte en lui tellement de touches proches du metteur en scène qu'on voit mal comment un autre s'en serait tiré; pour tout dire, la dernière phrase prononcée est "I guess you could call it a... miracle." Le film se situe en effet au milieu d'un combat cher à l'auteur: le conflit entre le devoir, incarné par le travail de l'homme (Ici, un médecin) et l'appel irrésistible de l'amour fou: John Beaven (John Howard) est un étudiant en médecine, qui durant ses études va affronter un redoutable démon, le dr Forster (Akim Tamiroff), un vieux grincheiux génial mais misanthrope et aux vues austères. Acquis aux principes de son mentor, qui n'envisage la médecine que comme un abandon total de soi, il devient un excellent médecin; il est amené à rencontrer une jeune femme, Audrey HIlton (Dorothy Lamour) d'origine Américaine mais élevée en Chine; ils tombent amoureux, et Forster de peur de perdre son meilleur assistant, les sépare en éloignant la jeune femme...

 

Souvent démonstratif, le film tranche sur la production contemporaine de Borzage, nettement plus ancrée dans la réalité (Big City, Three comrades); une certaine tendance au dialogue excessif, aux éditoriaux clamés par un Akim Tamiroff qui fait parfois penser à une imitation de Edward G. Robinson peuvent irriter; reste que Disputed passage est une nouvelle fois un film dans lequel Borzage donne à voir un conflit intérieur... John Howard est tout à fait acceptable en médecin ambitieux pris au piège de ses propres renoncements, et le dernier acte est du Borzage typique: venu en chine pour rechercher la femme qu'il aime encore, le docteur Beaven sauve des vies au risque de perdre la scienne, jusqu'à un point qui a failli être de non-retour; seule l'intervention du Dr Forster le sauvera. Ces séquences se situent dans un hopital de fortune, sous un bombardement: fidèle à sa conviction et son horreur de la guerre, Borzage a réussi à l'évoquer, en pleine coeur d'un conflit, sans la montrer. Et c'est au pied d'un lit dans lequel un homme risque de mourir que la vérité semble se révéler aux yeux du vieux misanthrope, grâce à l'amour d'une femme.

 

Finalement, on devrait être assez satisfait de ce film, qui porte en lui le délire propre à ces situations typiques des films du metteur en scène. Après tout le film est moins exagéré que par exemple Strange cargo... Mais il y a dans ce film un je-ne-sais-quoi d'irritant, un côté "soap opera" excessif et pesant, comme si le metteur en scène se caricaturait lui-même; et en plus l' interprétation de Dorothy Lamour est embarrassante: elle est absolument ridicule en fausse Chinoise...

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 14:01

Le meilleur film de la période MGM de Borzage est un nouveau retour, trois ans après Three comrades, sur le nazisme, au même titre que les films visionnaires qu'étaient Little man, what now? et No greater glory. C'est donc un courant profond de l'oeuvre du cinéaste, qui va ici opérer une synthèse entre ces cris d'alarme anti-fascistes, et son thème de l'amour sublime exploré dans la plupart de ses films. On peut aujourd'hui, dans un premier temps, être un peu dérouté par un film anti-nazi qui semble se situer à une distance un peu embarrassante de la vérité, dont l'intrigue se déroule par exemple dans une ville jamais nommée, dont le camp de concentration n'est semble-t-il qu'une sorte de variation musclée d'un ensemble carcéral, ou qui évite de placer dans la bouche des protagonistes le mot "juif", mais il faut se rappeler du fait qu'en 1940 (Le film est sorti en Juin, soit au moment de la reddition des Français, et donc 18 mois avant Pearl Harbor) il fallait un certain courage à un studio Américain pour s'attaquer à une dénonciation du nazisme. De plus, l'appromximation de la peinture d'un camp de concentration s'explique par le fait qu'on ne pouvait pas à cette époque savoir ce qu'on allait trouver cinq ans plus tard après l'intervention alliée.

Allemagne, 1933: on fête l'anniversaire du professeur Victor Roth (Henry Morgan). Universitaire renommé, il célèbre ses 60 ans en famille, auprès de son épouse, des deux grands fils de celle-ci issus d'un premier mariage, de leurs enfants Freya (Margaret Sullavan) et Rudi, et de deux amis proches, étudiants et soupirants de Freya, Martin Breitner (James Stewart) et Fritz Marberg (Robert Young). Tout le monde s'accorde à exprimer une affection sans bornes pour le veil enseignant, mais le repas est interrompu par une nouvelle fâcheuse: on apprend la nomination par Hindenburg du chancelier Hitler. Les avis sont partagés, et l'anniversaire gâché par les débats qui deviennent vite passionnés: d'un côté, les jeunes hommes, à l'exception de Martin, sont enthousiastes à l'idée de l'arrivée des nazis au pouvoir; de l'autre, M. et Mme Roth, leur fille Freya, et Martin sont inquiets: Martin se préoccuppe du devenir des libertés individuelles en Allemagne, et les autres font face à l'inévitable: M. Roth, comme ses enfants Rudi et Freya, est "non-Aryen"... Bien que les jeunes nazis les rassurent dans l'immédiat, les choses ne tardent pas à se précipiter, et l'Allemagne plonge dans le tourbillon totalitaire, dans lequel il faut choisir son camp; la famille sera divisée, Martin qui refuse d'adhérer au parti devient un ennemi déclaré du fascisme, et le professeur Roth ne tardera pas à être arrêté et inetrné dans un camp de concentration... Durant ces évènements, Freya et martin se rapprochent, mais combien de temps pourront-ils résister à la "tempête" du nazisme?

 

Tout réalisme absolument authentique étant finalement impossible dans les conditions de tournage (Avec l'impossibilité d'utiliser le mot "juif", par exemple, et en l'absence de documentation réelle sur certains détails de la vie contemporaine en Allemagne), Borzage et la production ont donc opté pour un style semi-allégorique, qui sied toujours aussi bien au cinéaste. Le film, pourtant, commence quasiment au moment ou se termine le très beau Three comrades, et nous livre une suite potentielle de l'hitsoire, dans laquelle le concept d'amitié indéfectible qui liait les héros du film précédent, jusqu'au-delà de la mort, est ici mis à mal: au début de The mortal storm, tous se jurent fidélité et amitié, mais certains vont mourir, et d'autres seront bannis par certains de leurs "amis". Tout en se réfugiant derrière cette tendance au symbolisme, le film nous montre de façon assez directe les mécanismes des nazis, depuis l'instauration d'un parti, jusqu'à l'exclusion physique des êtres, en passant par le choix clair d'un camp ("Tu es avec nous ou contre nous"), et bien sur les autodafés, les intimidations, la terreur et la torture. Le mal, incarné par des jeunes garçons (Robert Young, mais aussi Robert Stack et William T. Orr), s'installe d'autant plus vicieusement qu'il est accueilli à bras ouvert par beaucoup. Mais l'un des atouts majeurs de cette production qui visait assez ouvertement le public Américain est de laisser deux icones incarner les idéaux démocratiques: Freya est la seule des jeunes adultes de la famille Roth à avoir compris de quelle façon le piège totalitaire allait se refermer sur ses proches, quelle que soit leur opinion ou leur position face au nazisme, et Martin est ici de par ses propos même une personnification des idéaux démocratiques de l'Amérique, tolérante et généreuse...

 

Le film joue beaucoup sur l'indignation du spectateur, depuis le parallèle effectué entre une célébration d'anniversaire située au début qui nous fait presque croire assister à une comédie. Une porte s'ouvre, et la caméra s'engouffre avant le professeur roth dans un amphithéâtre bondé de gens qui ne sont là que pour chanter ses louanges. Le contraste est hallucinant avec une scène ultérieure, qui voit les rangs de l'amphithéâtre rempli de jeunes en uniforme nazi... Le comportement des frères et amis de Freya, qui discutent en assénant des stupidités antidémocratiques, voire sexistes, peut irriter par sa facilté, mais c'est d'une grande efficacité pour le cinéstae qui a besoin assez rapidement de montrer le sentiment d'insécurité des héros dans une Allemagne qui choisit désormais entre les êtres, et rejette ceux qu'elle n'a pas élus à coups de pierre, puis de fusil. Tout ce que Martin a envisagé deviendra vrai, hélas...

 

Du coup, en réservant à James Stewart et Margaret Sullavan le rôle des deux amoureux qui se découvrent, s'épaulent et tombent dans les bras l'un de l'autre comme on devient plus fort en résistant à la barbarie, il éclaire son motif de l'amour absolu entre deux êtres d'un jour nouveau. Bien sur, les deux jeunes vont se réfugier à lécart, comme souvent les amoureux des films du cinéastes, c'est donc dans la montagne, chez Martin et sa mère qu'ils vont trouver un équilibre; cela sera de courte durée, mais un geste important y aura lieu, qui renvoie à tant de simulacres de mariage: la mère de Martin les mariera avant de leur dire adieu, en utilisant une coupe symbolique. Une fois de plus, Borzage détourne la signification du mariage en une cérémonie privée, un choix de deux personnes devant Dieu, voire devant la notion même d'humanité menacée par tant de dangers: c'est par Freya et Martin que Borzage exprime dans ce film sa foi en l'homme, le seul échappatoire du film, devant les doutes éventuels des frères de Freya qui se sont engagés bille en tête dans le nazisme sans réfléchir que leur soeur Juive aurait à en pâtir. Plutôt qu'une réflexion sur l'imbécillité guerrière, intolérante, anti-démocratique ou totalitaire des nazis, le film se veut une réflexion qui incorpore une vraie note d'espoir, ce qui n'étiat pas facile dans la mesure ou tant de protagonistes n'iront pas jusqu'au bout... Mais Borzage croit aux miracles, il l'a déjà prouvé, et c'est à une sorte de conversion miraculeuse qu'assiste le spectateur, lorsqu'apprenant la mort de sa soeur exécutée par ses amis nazis, Otto Von Rohn (Robert Stack) se réjouit que Martin ait pu, lui, rejoindre l'Autriche, et rester libre... En dépit de toute l'indignation que ressentira le spectateur, le cinéaste affirme la prépondérance des idéaux incarnés par Martin, et c'est à un trop jeune homme tombé trop tôt dans les erreurs du nazisme, que revient le dernier mot. Que le metteur en scène ait été empêché d'utiliser des mots ou des notions trop claires, par des éléments de langages imbéciles ("Non-aryen", par exemple) importe peu, puisqu'il s'agit ici de sacraliser l'homme, le seul, pas les "races" (Qui de toute façon n'existent pas), les obédiences ou les différences. Comme le vieux Roth, professeur de physiologie qui affirme devant un parterre de nazis qu'il n'y a aucune différence entre du sang aryen et du sang non-aryen, Borzage situe son débat au sein de l'humanité, pas entre quelques factions que ce soit. En montrant les processus d'exclusion sans pour autant en désigner les victimes ("Non-Aryens" ou "pacifistes"), il ne les diminue pas, pas plus qu'il n'en minimise le danger...

 

Sorti au bon moment aux Etats-unis, à une époque durant laquelle on essayait de ménager Hitler à Hollywood, le film a du attendre avant d'être présenté au public Européen pour cause de guerre. Il est sorti en 1957 en Allemagne de l'Ouest, mais a du attendre encore plus longtemps avant de rencontrer le public Français. Peut-être a-t-on cru qu'il était obsolète en raison de son sujet... Si seulement!

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage
9 novembre 2012 5 09 /11 /novembre /2012 11:58

Three comrades est l'un des films les plus connus et reconnus aujourd'hui sur l'ensemble de la carrière de Frank Borzage. C'est bien sur une conjonction exceptionnelle de talents, autour d'une oeuvre adaptée d'un roman de Erich Maria Remarque, l'auteur du déja très célébré A l'ouest, rien de nouveau. F. Scott Fitzgerald a participé au scénario, la production est signée de Joseph L. Mankiewicz, et la MGM a confié à Borzage le soin de diriger Robert Taylor, Franchot Tone, Robert Young et Margaret Sullavan, qui croise donc le chemin du metteur en scène pour une troisième fois... Et de tout cela va sortir un film superbe, qui reprend les réflexions de Borzage sur les lendemains de la première guerre mondiale en offrant une nouvelle vision des coulisses de la montée du nazisme, comme il l'avait fait en particulier dans son impressionnant drame No greater Glory. Mais cette fois-ci, Borzage n'est plus autant dans la métaphore, aussi subtile soit-elle: les armes se feront bientôt entendre en Europe, et le metteur en scène ajoute à sa diatribe anti-guerre un portrait de la vie de tous les jours dans un Berlin ou les factions d'idéologies contradictoires commencent à élever la voix les unes contre les autres, préparant la montée des nazis...

 

Pourtant l'essentiel du film se déroule à l'écart de la politique: trois soldats Allemands démobilisés profitent de leur retour à la vie civile pour se construire un avenir: ils ouvrent un atelier de réparations. Gottfried Lenz (Robert Young) est l'idéaliste de la bande, qui consacre un peu de son temps libre à l'activisme de gauche; Otto Koster (Franchot Tone) est le plus raisonnable des trois, celui qui incarne à plusieurs reprises le renoncement pragmatique (Lorsqu'il décide faire sauter son avion, compagnon d'infortune pendant la guerre, au début du film, par exemple), mais qui sait aussi prendre des décisions dangereuses par amitié (Venger un ami disparu, ou prendre le volant et battre des records de vitesse au péril de a vie pour sauver une jeune femme en danger); enfin Erich Lohkamp (Robert Taylor), désabusé au début du film, devient le plus rêveur, le plus optimiste: il est amoureux. En effet, les "trois camarades" ont rencontré une jeune femme, Patricia (Margaret Sullavan) protégée par un homme riche, Franz Brauer (Lionel Atwill) et dont les idées sont assez représentatives du type de fuite Nationaliste et revancharde  en avant qui amènera Hitler au pouvoir. Malgré la désapprobation de celui-ci, Patricia et Erich s'aiment, se marient (Un mariage de fortune, improvisé dans un café...)... mais Erich découvre bien vite ce que lui a caché sa jeune épouse, bien qu'elle l'ait révélé à Otto et Gottfried: elle est atteinte de tuberculose, et la situation empire...

 

Il y a urgence, nous dit le metteur en scène. Patricia, amie et confidente, amante d'un et presque des Trois Camarades, est une source de bonheur et de liberté bien fragile. Elle est la vie, comme nous le révèle un final magnifique qui reprend des éléments de la fin sublime de A farewell to arms, avec un même sacrifice... De leur côté, les "trois camarades" si complémentaires représentent un peu les trois facettes d'un seul et même homme, une sorte de jeune Allemand trahi par l'irruption d'une guerre dont il ne voulait pas, mais dans laquelle il a été amené à faire son devoir, par la montée des périls, ensuite, par le sentiment de perte des valeurs, de la sécurité, du bonheur, et bien sur par l'approche de la mort. Le film réussit à rester de façon remarquable dans une narration classique, en dépit de sa teneur allégorique, et on a envie d'applaudir lorsque deux des "trois camarades" s'en vont vers l'Amérique disent-ils, accompagnés des silhouettes de leurs amis disparus: inoubliable image...

L'Allemagne de 1920 est chez Borzage un avant-gout de celle qu'il montrera dans The mortal Storm quelques mois plus tard, ajoutant une nouvelle pierre à un édifice rare à Hollywood en ces années troubles: des films non seulement conscients du danger qui se tramait, mais en plus parfaitement admirables sur leur seul mérite cinématographique, avec ce dosage si subtil et si caractéristique des oeuvres de Borzage de peinture des inquiétudes associées à la poésie des amours vécues malgré tout: malgré la mort, malgré la haine, et malgré la guerre ou la tuberculose, amour incarné ici par une splendide Margaret Sullavan.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage