Après un
contrat de 7 ans à la Fox, de 1925 à 1932, et avant une période qui le verrait passer 5 ans à la MGM, ce film entame un petit contat de trois ans à la warner pour Frank Borzage, et, comment dire,
ce n'est en aucun cas une période glorieuse... Seuls deux des films surnageront vraiment, mais Borzage va être utilisé hors de son champ d'expertise, comme avec ce premier film, un véhicule bon
marché pour le chanteur-acteur Dick Powell et sa partenaire, l'adorable Ruby Keeler. Mais si ces deux oiseaux sont généralement tout à fait adéquats dans le cadre des films musicaux dont le
génial Busby Berkeley assurait la partie magique des ballets, ils sont moins intéressants ici, dans un faux musical, dont les parties "artistiques" (Dues à un certain Bobby Connelly, qui n'est
pas Busby Berkeley) se contentent de bien peu.
Cette histoire de cadet de West Point qui cherche à devenir un officier afin de montrer à la dame de ses pensées de quel bois il
se chauffe, est ennuyeuse, surtout comparée aux splendides délires escapistes de Footlight parade, 42nd St, ou Gold diggers of 1933. Quant à
Borzage, cette histoire de marivaudage écrit d'avance n'était pas pour lui. sauf peut-être un court instant, lorsque les deux amoureux sont au plus près l'un de l'autre, qu'ils décident d'arrêter
de parler, et de laisser libre cours à leur attirance (En tout bien tout honneur), au lieu de respecter les conventions. c'est Ruby Keeler qui mène, et si la scène se déroule en pleine nature de
studio, sans aucun accessoire pour sacraliser l'instant, au moins le metteur en scène et ses acteurs ont-ils su trouver le bon ton, le bon rythme, et les bonnes ombres. C'est déja ça...
Adaptant un roman Allemand d'Hans Fallada, ce film est l'un ders projets littéraires lancés par Carl Laemmle Jr à la Universal durant la première moitié des années 30, parallèlement au fameux cycle de films fantastiques qui ont fait leur renommée. On peut d'ailleurs le rapprocher de All quiet on the Western front (Lewis Milestone, 1930) et Waterloo bridge (James Whale, 1931), deux films ambitieux qui rivalisent avec les majors. Clairement, contrairement à son prédecesseur, cette recherche du prestige n'est en aucun cas prise à la légère par le nouveau patron du studio. C'est au départ un projet qu'on songe à confier à James Whale, avant que Frank Borzage ne soit engagé pour le réaliser, ce qui tourne à l'avantage du film: celui-ci s'inscrit non seulement dans le cadre de cette recherche d'une meilleure stature, mais aussi au sein de l'oeuvre de Borzage consacrée en ces périlleuses années 30 à la montée des totalitarismes en Europe.
Contrairement à son film précédent No greater glory, qui partageait cete thématique, le film est en effet situé en allemagne, où deux jeunes mariés, Hans et Lämmchen Pinneberg (Douglass Montgomery, Margaret Sullavan), qui attendent un enfant, doivent lutter au quotidien pour survivre et avancer. Ils vont donc d'hébergement de fortune en appartement provisoire, et doivent affronter les changements incessants de leur situation: Hans est employé par un patron (DeWitt Jennings) qui se livre avec gourmandise à un chantage au licenciement, puis essaie de caser sa fille qui aimerait tant se marier à l'un des employés, ce qui poussera Hans à la démission... Les deux jeunes mariés trouvent à se caser auprès de Mia Pinneberg, la belle-mère de Hans (Catherine Doucet), mais la "maison de rencontre" dirigée par celle-ci cache une réalité plus sordide; au passage, ils rendontreront des gens qui les aideront, et d'autres quifédèrent leur protestation dans des mouvements de révolte. Le film est structuré de l'annonce de la grossesse à la naissance, permettant de finir sur une note d'espoir...
L'Allemagne qui nous est montrée est en proie à une sorte de chaos suggéré dont l'intrigue forme, dans un dispositif typique de Frank Borzage, les coulisses. Ni Hans ni Lämmchen ne rejoindront les rangs des protestataires (Quels qu'ils soient), et ils assistent à toute cette agitation depuis leur petite vie précaire. La tentation est là, et au plus bas, Hans manquera de se laisser tenter, risquant ainsi d'abandonner son épouse qu'il ne peut soutenir, pour se joindre à une hypothétique "armée des chômeurs". On ne nous dit jamais ou souffle le vent, qu'il soit de doite ou de gauche, fasciste ou communiste; Inversement, si jamais les mots de fascisme ou de nazisme ne sont prononcés dans le film, il y a comme une sorte de complexe autoritaire dans l'air. Lämmchen est clairement exploitée par Mia, Hans est terrorisé à son travail comme ses collègues par un patron qui recourt à l'autorité par plaisir, et aime à jouer avec le sentiment d'insécurité de ses subalternes. Enfin, un client d'un magasin abuse de l'autorité conférée par sa classe sociale, juste pour le plaisir de le faire. Voilà une façon relativementsubtile d'introduire dans ce qui est une chronique du quotidien un parfum de dictature, comme c'était le cas avec No greater glory.
Comme si souvent, Frank Borzage revient à Cendrillon, mais cette fois-ci il y en a deux: Lämmchen et hans, déja unis au début du film, vont réussir à s'en sortir malgré l'adversité (Et la présence d'une authentique marâtre) grâce à pas moins de trois "bonnes fées". Un vieux bonhomme, Herr Heilbutt (G. P. Huntley) les prend sous son aile, leur fournit une chambre certes miteuses, mais comme de juste sous les toits; Jachmann (Alan Hale), un compagnon occasionnel de Mia, est un escroc en smoking qui va voler pour eux, et ira en prison comme on se sacrifie; enfin, un ancien collègue de Hans revient les sauver, en employant tout le monde. On le voit, après l'âpre final de No greater glory, on a droit ici à une lueur d'espoir, mais on sait que se profielnt à l'horizon deux films pour la MGM qui reprendront ces chroniques inquiètes, et auront un gout plus cruel encore: Three comrades (1938) et The mortal storm (1940). Ces deux films auront d'ailleurs un autre point commun essentiel avec celui-ci: Margaret Sullavan...
Avec sa Lämmchen, Borzage a trouvé une interprète qui lui permettra de réaliser des scènes inoubliables. A la fois forte (Ici, elle reprend le rôle de Chico dans Seventh Heaven, en montrant à un Hans dubitatif le logis sous les étoiles) et fragile (Le seul moyen pour une actrice de jouer la grossesse est d'insister sur la faiblesse physique, puisque on ne pouvait pas montrer de ventre arrondi), l'actrice se révèle parfaitement juste pour passer les messages sublimes de son metteur en scène. Elle est parfaite, et multipliée par trois dans un miroir offert par Hans, elle prend toute la place dans le film... Elle va incarner la féminité fragilisée, sorte de symbole de l'humanité toute entière, dans les deux autres films cités plus haut, ainsi que dans The shining hour de 1937. On peut dire qu'après Janet Gaynor, c'est la deuxième grande collaboration entre Borzage et une actrice (En mettant de coté la rencontre avec Norma Talmadge, effectuée seulement sur deux films, avant la période Fox).
Alos qu'il s'apprête à retrouver un contrat avec la Warner (Qui laissera une impression franchement mitigée), ce dernier film "freelance" est encore une fois l'occasion pour le metteur en scène de se faire le héraut des petites gens, dans un Europe certes idéalisée, certes symbolique, mais dont pourtant peu de films se faisaient l'écho. Le film est, dans sa peinture des petits tracas de la survie, à ranger dans un coin précieux, aux cotés des oeuvres de Capra ou Chaplin. C'est dire...
Outre sa capacité à s'immerger complètement dans le mélodrame, Frank Borzage est aujourd'hui reconnu pour ses films allégoriques, dont on trouve une trace dès ses premiers courts et moyens métrages: ses petits westerns de 1917 sont à la fois des histoires réalistes et symboliques, et ensuite des films comme Humoresque, Lazybones ou d'autres agissent assez clairement comme des fables. Avec ce deuxième film réalisé pour Columbia, dans la foulée de Man's castle, il passe à la vitesse supérieure, et accomplit un film totalement de son temps, qu'il nous faut voir aujourd'hui non seulement comme un plaidoyer pacifiste, ce qu'il était consciemment -on sait l'horreur qu'avait Borzage pour la guerre, ce trouble-fête numéro 1 dans Seventh Heaven et Lucky star - mais aussi comme un film anti-fasciste par bien des cotés, ce qui va être prolongé par d'autres oeuvres, notamment Little man, what now, Three comrades et bien sur The mortal storm.
Le film est adapté d'un roman de Ferenc Molnar publié en 1906. Molnar est surtout connu pour sa pièce Liliom, ce qui fait de lui un déjà vieil ami... A Budapest après la première guerre mondiale, le film suit les aventures d'une bande de gamins, les Paul Street boys, qui se sont organisés en bande: ils ont un chef, l'autoritaire Boka (Jimmy Butler), une structure hiérarchique qui incorpore des officiers, des promotions...et un simple soldat, un seul, d'ailleurs souffre-douleur de la bande, le brave soldat Erno Nemecsek (George Breakston). Ils ont aussi un terrain à défendre, et des ennemis, les chemises rouges, des garçons plus vieux, et plus menaçants, menés par Feri Ats, interprété par Frankie Darro, un adolescent déjà vu dans de nombreux films Warner des années 30. Chaque groupe est fidèle à son leader charismatique, dont on sait que l'un d'entre eux est élu par son groupe: on assiste à l'élection de Boka, à la quasi-unanimité. Mais il y a un traître, le trouble Gereb (Jackie Searl); celui-ci va espionner pour le compte des "chemises rouges" après avoir perdu l'élection face à Boka.
Le personnage principal, c'est Nemecsek: bien que subalterne d'à peu près tous ses camarades, il met tout son coeur dans sa bande. Chargé systématiquement des sales besognes, il a une grande ambition, devenir un officier à son tour, afin de cesser d'être constamment à la traine, et lui aussi porter une casquette. Mais il sera reconnu à sa juste valeur, lors d'une de ses innombrables missions suicide, par les ennemis: Feri voit en lui un garçon courageux, admire sa loyauté; ce qui ne l'empêche pas de précipiter le garçon à l'eau, en guise de punition lorsqu'il le surprend à espionner les "chemises". Nemecsek est atteint très vite d'une pneumonie, après ses séjours dans l'eau, dus aussi bien à la bande de Boka qu'à celle de Ats, et il est très malade lorsque les choses s'enveniment entre les deux groupes. Il prend sur lui et décide d'apparaître au combat, et...
On connaît La guerre des boutons, et autres contes gentiment guerriers de l'enfance et de ses affrontements montés en épingle; mais ce film est dès le départ placé sous le signe dramatique de la guerre, avec un convaincant fondu-enchainé entre une vision du front de la première guerre mondiale, ou un homme s'interroge sur le bien-fondé de la guerre, et une salle de classe, ou le même homme plus vieux est représenté en maitre d'école chargé de faire passer la pilule, et d'indiquer aux enfants l'importance de mourir pour la patrie. Après, on sera constamment aux cotés des enfants, les seuls adultes qui aient vraiment un rôle dans le film étant les parents de Nemecsek, conscients de la santé déclinante de leur fils. On n'est donc pas dans un film qui s'abandonne à contempler avec indulgence les agissements proto-guerriers des enfants. En dépit des efforts des enfants pour s'amuser à faire leur petite guerre, le ton est très rapidement grave. Un gardien du terrain vague (Sur lequel des matériaux sont entreposés, en vue de la construction d'un immeuble) qui est un vétéran manchot du conflit mondial, a très vite fait le rapprochement. Le film nous montre donc que la guerre, ça tue, et le génie de Borzage pour être à la fois allégorique et réaliste fait une fois de plus des merveilles. Il s'approche au plus près des enfants, montre bien leurs intentions, qui sont de singer la guerre au plus près, sans prendre trop de risques (leurs armes sont après tout relativement inoffensives, contrairement à la pneumonie de Nemecsek); mais le mal est là: c'est afin de participer à la bataille héroïque que Nemecsek quitte son lit...
Il n'y a pas, parmi les deux bandes, de bons et de méchants: tous sont mis dos à dos, par un certain nombre de pratiques et d'anecdotes. Bien sur, dans un premier temps, on est du coté des Pal Street Boys, d'autant qu'ils vont agir démocratiquement, en mettant constamment l'accent sur les notions de loyauté et de droiture. de plus, ils sont démocrates! Alors, après avoir vu les manières de Feri Ats et de sa bande, on pense avoir trouvé le bon coté; et puis... d'une part, c'est Ats qui verra le premier les qualités humaines de Nemecsek, c'est lui aussi qui osera le visiter durant sa maladie, mais restera respectueusement à la porte de la boutique... De leur coté, les Pal Street Boys organisent un simulacre d'élection, plus basé sur la personnalité incontournable du leader Boka immanquablement réélu, et leur organisation hiérarchique qui incorpore un souffre-douleur renvoie à des groupes tristement actifs et célèbres en ces années 30. Le fait que Nemecsek soit à 100% complice de ses bourreaux, et tâche de faire peser sa loyauté dans le but de s'élever, ne change rien: il est une victime d'un système para-militaire, qui est basé sur le vide, pratique le culte du chef, et envoie des jeunes gens à leur perte. A ce titre, consciemment ou non, le film est une critique explicite d'une mécanique fasciste para-militaire, ou du moins d'une armée, ce qui je m'en excuse, revient pour ma part exactement au même...
L'interprétation est excellente, et ce en dépit de l'âge de la plupart des acteurs. Bien sur, Breakston, sur les épaules duquel le film repose presque tout entier, n'est pas en reste; Borzage s'est une fois de plus choisi un lieu apparemment à l'écart du monde, une marge avec ce terrain vague en transition, un endroit ou va pourtant se jouer le petit théâtre de l'humanité comme tant d'autres qu'il s'est choisi comme décor de ses films.
Ce très beau film rare vient une fois de plus nous montrer l'oeuvre d'un cinéaste attaché à montrer son horreur de la guerre et son attachement au respect de la dignité humaine. L'émouvant parcours de Nemecsek, le garçon qui a cru trouver un idéal dans la défense d'un terrain vague, se termine dans une série de plans très beaux, qui renvoient à bien des images allégoriques sur les conséquences de la guerre: au premier plan, la maman de Erno Nemecsek, son enfant sans vie dans les bras, et derrière elle tous les enfants des deux bandes rivales, unis derrière le symbole. Une coda qui voit les deux camps célébrer la mémoire du disparu, avec un clairon sur la joue duquel une larme coule, renvoie selon moi plus à un pessimisme déclaré sur la suite que prendront les évènements qu'à une volonté de montrer une célébration de l'héroïsme: ces garçons iront tous au conflit suivant, et beaucoup mourront, parce qu'il y aura toujours des leaders pour entrainer les autres, et toujours des petits soldats comme Erno pour aller au casse-pipe. Ce fut d'ailleurs le cas du jeune George Breakston. D'autres ont aussi participé, dont Jimmy Butler, qui contrairement à Breakston, y est resté.
Bref, No greater glory est un nouveau film essentiel de la veine "inquiète" de Frank Borzage... Et aussi l'un des plus déchirants.
Hemingway reprochait à ce film adapté d'un roman qui lui tenait à coeur de s'éloigner de la réalité de la guerre, de ne pas s'y attarder. C'est sans doute vrai, on sait que Borzage n'aimait pas représenter la guerre, même s'il l'avait fait à plusieurs reprises, un peu (Humoresque, Lazybones, Seventh heaven, Lucky star), mais jamais en faisant de cette sacrée "grande guerre" le principal cadre d'un film. Avec celui-ci, c'est chose faite; mais le peintre de la marge qu'était Borzage a bien sur concentré ses efforts sur les personnages, soldats de l'arrière, infirmières, médecins... qui sont dans les coulisses du conflit. Celui-ci est à la fois omniprésent (Raids aériens, batailles dont on voit passer les blessés...) et constamment en retrait. de plus, Borzage, qui a tourné an Californie un film sensé se passer dans les Alpes Italiennes, s'est ingénié à tricher en permanence en représentant le conflit sous un angle symbolique, cette tendance culminant dans un montage muet admirable qui cède parfois à la tentation de s'inspirer des cadrages expressionnistes, et qui renvoie au souffle visuel admirable de ses grandes oeuvres de la fin du muet. Bref: Frank Borzage, sollicité par Paramount pour réaliser ce film de prestige, n'a pas fait les choses à moitié, et s'est entièrement approprié l'histoire, la situation et les personnages, et c'est tant mieux. Ce faisant, il retrouve son style et sa maîtrise de 1927-1929, et du même coup réalise un film essentiel, charnière, qui inaugure de la plus belle façon une nouvelle période d'indépendance de sa carrière, après le contrat Fox qui vient de se terminer...
Frederic Henry, un jeune étudiant architecte Américain engagé au coté des Italiens, et dont la fonction est de conduire une ambulance, fréquente beaucoup les bordels de l'arrière, voire les infirmières en compagnie de son copain le Major Rinaldi. Par le biais de celui-ci, il fait la connaissance de Catherine Barkley, une jeune infirmière Anglaise. Ils tombent amoureux, mais la hiérarchie militaire, méfiante à l'égard des idylles, les supérieures de l'infirmière, garantes de la morale, le major Rinaldi, qui n'a pas compris le sérieux de l'histoire d'amour, et finalement la guerre, vont s'acharner à les séparer...
Gary Cooper interprète le lieutenant, passant sans douleur de l'affreux séducteur sur de lui à un homme amoureux fou, qui va fuir ses responsabilités jusqu'à la désertion pour vivre son amour; face à lui, Helen Hayes se jette à corps perdu dans le drame. On sait à quel point Borzage avait besoin de croire en ce qu'il filmait, en jusqu'au-boutiste du mélodrame; nous en avons la démonstration, et l'actrice l'a suivi sur ce terrain. Enfin, troisième larron, qui joue un peu malgré lui les trouble-fêtes, le major Rinaldi est interprété par Adolphe Menjou. Hostile à l'aventure au départ, Rinaldi va se racheter au moment ou il découvrira la sincérité de l'amour des deux héros. Il est un peu la bonne fée tardive de ce film, permettant une ultime rencontre entre son ami et Catherine, au moment ou celle-ci meurt après avoir eu un enfant mort-né... Mais le film a d'autres références à Cendrillon, à commencer par cette rencontre inopinée, durant un raid aérien, entre un Gary Cooper saoul et armé de la chaussure d'une prostituée, et Helen Hayes pieds nus, et en chemise de nuit...
Le changement de Frederic a lieu lors de la deuxième rencontre entre les deux héros. Ils se courtisent dans un premier temps dans les règles de l'art (Il souhait l'embrasser, elle refuse, puis après quelques minutes, lui demande de la faire), avant que le jeune homme ne brûle les étapes: il est clairement venu pour passer du bon temps, et la force; elle n'avait pas l'intention de coucher avec lui, mais elle l'aime déjà. La suite de la scène est sans ambiguités: il s'en veut de l'avoir brusquée, elle est sonnée, mais accepte son sort, car elle sait qu'ils sont désormais liés. De fait, si plus tard elle le soupçonne effectivement de vouloir la laisser de côté, lui revient blessé, dans une scène prise en caméra subjective (de la même façon que Dreyer filme de l'intérieur d'un cercueil la même année les rêveries de David -ou Allan- Gray dans Vampyr.), et il fixe le plafond décoré de peintures religieuses pendant la scène, jusqu'au moment ou Helen Hayes vient le voir, et l'embrasse. Cette séquence superbe et déroutante est le point de départ des retrouvailles du couple, qui va ensuite se marier comme on le fait dans les films de Frank Borzage: en contrebande. Un prêtre est venu visiter Frederic, en convalescence, et Catherine est là. Sans le leur demander, il prie, selon le rite de mariage Catholique, et les unit. Au fur et à mesure de la "cérémonie", Frederic désolé des circonstances rappelle à Catherine tout ce qui leur manque pour faire un vrai mariage, mais elle balaie toutes ses remarques: elle est heureuse.
Le sacrifice, c'est Catherine qui le fait; elle est enceinte, le sait, mais même après leur cérémonie symbolique de mariage, elle ne peut le lui annoncer, car elle ne veut pas qu'il se sente forcé par elle à rester avec elle. Elle l'assure en permanence qu'il n'est pas tenu de lui être fidèle tant qu'il n'en raconte rien, et il ne découvrira la vérité que trop tard: les circonstances les ont séparées, et Catherine est à l'hôpital pour y mourir... La dernière scène est connue, mais il est essentiel d'y passer, tant elle est cruciale autant pour le film que par rapport à l'oeuvre de Frank Borzage: Avec Frederic à son chevet qui vient enfin de la retrouver après une longue séparation, Catherine va mourir, c'est une évidence. elle le sent bien, et y fait même allusion, demandant à Frederic s'il l'aimera encore après sa mort. Elle panique soudain, a peur de mourir, et c'est désormais lui qui la rassure, la prend dans ses bras. Elle meurt après s'être calmée. Au dehors, les cloches sonnent, c'est l'armistice. Frederic prend le corps sans vie de Catherine dans ses bras, et la sort du lit, sa chemise de nuit comme une longue traine blanche. de dos, il s'adresse au ciel une dernière fois: "Peace"... (ou "please?", je ne sais pas!) De Seventh Heaven et son miracle, on est passé à une vision pessimiste qui anticipe sur les fins admirables de deux futurs films, Three comrades et The mortal storm, un constat amer sur la sacrifice de la guerre, cette saleté. Les cloches de la paix, joie futile pour les amoureux désormais séparés par la vie et la mort, prennent une autre signification: ils sont, malgré tout, mariés pour l'éternité.
Le dernier film à la Fox de Frank Borzage, qui va devenir un réalisateur freelance avant de signer un petit contrat à la Warner, fait justement un peu penser aux films qui sortent à la même époque grâce à ce studio: les films "sociaux", de Wellman (Wild Boys of the road) ou Le Roy (I'm a fugitive from a chain gang) étaient sans doute vus et étudiés à la loupe par les autres studios. Mais ce film reste assez typique de la manière de Frank Borzage, avec une tendresse particulière pour les personnages qui n'apparait pas aussi clairement dans les autres films cités.
Borzage prend son temps pour installer un contexte très particulier, avec une scène de jugement routinier à une Juvenile Court présidée par le très débonnaire Ralph Bellamy, qui reçoit une jeune femme (Doris Kenyon) venue faire une sorte de reportage (Pour le club des épouses de la ville), et lui montre le mécanisme de la justice face aux délinquants adolescents. un cas retient l'attention, celui de Artie (Jimmy Conlon): la ville entière lui dit qu'il ne vaut rien, ce qui est faux. Il a juste une trop grande imagination, ce qui va l'amener à de gros ennuis: il veut défendre l'honneur d'une camarade de classe, Mabel (Dawn O'Day), contre un voyou de l'école, et ça lui vaudra une correction en bonne et due forme. Il veut aider la grand mère (Josephine Hull) de son meilleur ami (Raymond Borzage, le neveu) en lui trouvant un médicament en pleine nuit, mais ça l'oblige à cambrioler une pharmacie. Le couple de pharmaciens (Spencer Tracy et Doris Kenyon) va justement être chargé de le remettre dans le droit chemin...
Le film est construit sur une pente dramatique, parfois un peu exagérée (Un jeune homme de 10 ans y arrête les deux bandits qui ont commis un cambriolage), mais dont son optimisme et sa foi en l'homme nous prennent facilement par les sentiments. le film est en plus relativement court, et dotés de figures qu'on a déjà vues, notamment un ensemble de "bonnes fées", comme dans l'incontournable Cendrillon, qui vont orienter les personnages dans le bon sens. le juge, pour commencer, dont la bienveillance permet à des jeunes de s'en sortir. Doris Kenyon, qui va permettre au jeune homme de trouver un échappatoire à la délinquance. Mais Art lui-même fait le bien autour de lui, allant jusqu'à s'accuser d'un crime pour faciliter la bonne entente des pharmaciens qui se disputent par rapport à leur interprétation du personnage d'Artie. En prétendant être aussi filou que le soupçonne les pharmacien, il favorise leur réconciliation... Spencer Tracy a un rôle qu'on ne lui donnera plus très souvent, surtout une fois passé à la MGM: il est un antipathique commerçant sur de son bon droit qui prend la justice de haut, et pour lequel une porte est soit ouverte, soit fermée: un délinquant est et restera un délinquant. Le film est l'histoire de son éducation avant tout...
Si on est loin des chefs d'oeuvre de Borzage, ce film tend à démontrer que le réalisateur s'intéresse, sans pour autant retourner systématiquement à sa thématique de l'amour sublime, à des petites gens coincés dans des vies ou il faut se battre. A man's castle couve déjà, on y viendra bien vite...
Tout en étant un film très mineur dans la carrière de Borzage, cette dernière collaboration du cinéaste avec Charles farrell est
marqué par un certain nombre d'aspects qui ne trompent pas. au-delà du caractère théâtral de ce film, il est situé dans l'Amérique de 1932 marquée par la crise, et son titre renvoie à la
situation des deux héros: Pete (Farrell) et Sidney (Marian Nixon), finacés depuis une éternité, vont devoir constamment reposusser leur mariage par la faute des circonstances: leur modestie
économique, d'abord, qui les oblige à la prudence; leurs parents, la mère de Pete qui est une insupportable mégère (Josephine Hull) et qui vit aux crochets de son fils, les parents de Sidney qui
vont se séparer durant le film (la mère, interprétée par Minna Gombel, ayant décidé de fuir son mariage avec leur locataire); la santé fragile du père de Sidney interprété par William Collier,
exacerbée par le départ de sa femme... Ils trouvent, comme souvent les jeunes Américains dans ces films, refuge dans une chanson, After tomorrow, qui devient
presque leur hymne d'espoir: demain, ils se marieront, et après tout deviendra possible.
Si on attendrait de la photo, signée du grand James Wong Howe, qu'elle fasse preuve de plus d'originalité, le
style frontal choisi (Et largement dicté par le fait qu'il s'agit d'une adaptation théâtrale) sied assez bien à cette chronique douce-amère de la dépression. Et le film se distingue (Y
compris de certains films assez prudes de Borzage, dont Bad girl) par une tendance à la franchise. on n'est bien sur pas devant un film paramount, mais il est souvent question de
sexe, depuis le gag d'une conversation cauchemardesque entre la mère fofolle et son fils ("Un homme est parfois une bête...") jusqu'à une scène de chamailleire tendre entre les deux amoureux qui
se transforme en une câlinerie horizontale un peu désordonnée entre Farrell et Nixon. Bien sur, Farrell est comme souvent un grand dadais optimiste, purement adorable, et Nixon est
charmante...
Sinon, le mariage, Mac Guffin du film, est l'objet de toutes les conversations, et tous les aspects en sont abordés.
L'ironie à l'oeuvre (Un voisin se remet vite de l'enterrement de son épouse, et a l'air comme ragailllardi, les époux Taylor qui ne se comprenent plus, ne s'aiment plus, se séparent, la mère et
sa conversation décalée sur a sexualité comme un cauchemar...), n'empêche pas le mariage d'être cette finalité sacro-sainte, cette officialisation de l'amour tendre qui unit les deux héros. Et on
sait que chez Borzage, ce n'est pas rien...
Après Liliom, on peut dire que Borzage a fini de refaire ses preuves: il a assez confortablement passé la rampe
du parlant. Son style de film distinctif de la fin du muet ne refait pas surface, mais il a un style bien à lui, qui se retrouve en particulier à la Fox avec ses trois dernières productions pour
le studio, et surtout avec ce film. En racontant ici les aventures quotidiennes de Ed et Dot Collins, il se veut le peintre d'une Amérique simple, sans tambour ni trompette, et on a le sentiment
qu'il rejoint un peu le Vidor de The Crowd, la dimension essentiellement dramatique en moins. Ici, tout finit par tourner à la comédie... Ce film est adapté d'une pièce, qui
était nettement plus scandaleuse que ne peut l'être le film, et dans ce qui reste de l'histoire originale, on peut légitimement se demander ce qui motive le titre Bad
girl...
Dot Haley et Ed Collins se rencontrent, s'aiment, et à la faveur d'une soirée qu'ils ont passé ensemble jusqu'à quatre heures du
matin, prenent la résolution de se marier. ils s'installent ensemble, mais leur bonheur est entaché par des petits tracas, liés au fait que chacun d'entre eux se sent incapable de dire la vérité
à l'autre: Dot n'ose pas dire à Ed qu'elle attend un bébé, et Ed n'ose pas avouer son bonheur. Pire: il est résolument incapable de lui avouer son amour... ce ne sont pourtant pas les preuves qui
manquent.
Il n'y a pas un grand enjeu ici, si ce n'est d'attendre que ces deux tourtereaux cessent de se raconter des bêtises, et
regartdent leur bonheur en face. Bien sur, ils sont très touchants, et Borzage s'est amusé à faire d'Ed un petit frère de Chico de Seventh Heaven (Il fait visiter à Dot une
maison ou ils vont vivre, en n'oubliant pas de lui montrer l'accès au tout) et de Liliom (Il prend tout de haut, et fait le matamore en permanence, plutot que d'avouer ses
sentiments. Mais Ed est fragile, et le dialogue l'aide à faire passer quelques fragments de ses émotions, en particulier quand il s'effondre en larmes devant un médecin auquel il vient demander à
genoux de s'occuper de son épouse. Dot, elle, est une jeune femme qui côtoie la misère, dans une scène traitée depuis une cage d'escalier: Ed l'a raccompagnée chez elle mais elle ne veut pas rentrer, tant elle est bien avec lui. Tous les voisins passent et repassent
dans l'escalier, les uns se disputant, les autres souffrant, et la vie dans toute sa simplicité apparait sans qu'on s'introduise chez les gens: on reconnait le talent de Borzage pour nous faire
voir l'humanité par ses arrière-cuisines...
A noter, au début, une scène qui surprend par l'humour qui s'en dégage: on croit que Dot va effectivement se marier; elle
est en costume, prête à se jeter à l'eau, fait part de sa nervosité à sa copine Edna, elle-même habillée en demoiselle d'honneur. Elle va ensuite, au son de la marche nuptiale, avec les autres
demoiselles d'honneur... dans un défilé de prêt à porter, dont elle est le nouveau modèle. Borzage, très attaché au mariage fut-il de contrebande, nous a bien eu avec le début de son film. Il
obtiendra pour ce travail excellement mené, même si mineur dans son oeuvre, l'Oscar du meilleur metteur en scène pour 1931...
Ce film se regarde comme un rien, malgré l'évidente émasculation due à un scénario aseptisé autant que possible. La comédie
un peu triste basée sur l'accumulation de gentils mensonges d'Ed à la fin, finit par alourdir un peu le dénouement, mais tout s'arrange pour le mieux... Borzage est de toutes façons à l'aise face
à ces petites gens (Sally Eilers, James Dunn) qui se marient presque par hasard, avec une demande faite entre deux portes, presque comme on se gratte le nez, par un gaillard incapable d'avouer
son amour. Le thème de Cendrillon est bien présent, et l'ensemble est une charmante comédie; mais à voir ce film qui en préfigure certains aspects, sans jamais s'attacher au sacré, il nous tarde
d'arriver à A man's castle...
Peu connu, Doctors' wives est un petit mélodrame quotidien qui par certains cotés renvoie parfois au canon
Borzagien de fort belle façon, tout en étant un brin suranné... Pour commencer, le titre, comme le film, renvoient à cette époque durant laquelle il n'y avait pas vraiment de femmes médecins.
Warner Baxter est un docteur très couru, en particulier par les dames, qui se marie avec une charmante jeune femme (Joan Bennett) mais celle-ci va très vite découvrir que l'emploi du temps de son
mari n'a que très peu de place pour elle, et la jalousie va s'installer, et faire son oeuvre, surtout lorsqu'une femme va jeter son dévolu sur le beau docteur sans aucune retenue. cette dernière
ne parviendra à détourner le bon docteur du droit chemin que dans l'imagination de l'épouse, mais cela précipitera quand même la séparation...
Inspiré d'un roman de l'époque, le film a donc bien vieilli, mais on en retiendra beaucoup de menues qualités. Le metteur en
scène commence son film en s'intéressant au docteur Penning, pour mieux passer à son épouse, dont le point de vue va dominer le film: son amour frustré, ses tentatives pour faire en sorte que le médecin lui consacre plus de temps, sa rencontre avec un médecin encore
plus absorbé dans son travail que son mari (Victor Varconi, plus histrion encore qu'à l'habitude)... Nina est un personnage dont l'amour inconditionnel peine à trouver le renoncement de soi qui
sauve le couple à la fin. Bien sur, des petits indices ça et là pourraient faire glisser le film vers une certaine forme de féminisme: le fait que Nina souhaite 'travailler' avec le docteur avant
qu'ils ne se courtisent, par exemple, ou encore le fait qu'ils ne se retrouvent après leur séparation que dans un milieu professionnel, lui en médecin et elle en infirmière. Mais non: l'idée,
c'est de les réconcilier en tant que mari et femme, et donc elle doit rester à la maison, et lui travailler... le mariage des deux, soudain et précéipité, obéit à l'inévitable loi des mariages
Borzagiens: à partir du moment ou baxter et bennett se sont retrouvés au restaurant face à face, il devient inéluctable qu'ils ne peuvent plus se quitter. La jeune femme est particulièrement
mutine: lorsqu'il veut la raccompagner à son taxi, il lui dit en blaguant que le chemin ne comporte aucun danger, et elle semble déçue. C'est elle qui insiste pour que le mariage ait lieu le soir
même si possible, et bien sur un objet symbole de leur amour, plus que du mariage va servir de fil rouge à leur union: une guirlande de fleurs portée par le jeune femme à sa robe lors de leur
premier rendez-vous est déposée sur un fauteuil juste avant le départ de la jeune femme, comme pour symboliser la rupture du lien.
Le personnage de Kane Ruyter, le scientifique obsédé par son travail, est un type Borzagien qui reviendra,
notamment dans Green light. Il fait preuve d'un sens du sacrifice très important: non content de vivre tout entier pour son oeuvre (Il travaille sur le cancer), il est
manifestement amoureux de Nina, et le personnage agit à la fin du film d'une façon extrême: il a un accident grave, ce qui va ensuite provoquer la rencontre entre les époux séparés: elle comme
infirmière, lui comme chirurgien. Bien sur, qu'il ait un accident dans sses expériences ou qu'il ait décidé d'attenter à sa vie, il n'aurait absolument pas pu prévoir la suite des évènements,
maison n'en a cure. de fait, le sacrifice symbolique auquel il consent ou dont il est la victime innocente est la seule façon de
concilier l'inconciliable, de faire en sorte que Nina vive l'abnégation de son mari de l'intérieur (D'autant que la jeune femme n'est pas exempte de contradictions, puisque Nina en veut à son
mari de ne pas lui consacrer assez de temps, mais admire cette même abnégation chez Ruyter), et consente enfin à passer parfois après le métier de son mari...
L'absence de
commentaires et d'études de ce film s'explique sans doute par le fait qu'il soit peu vu, peu disponible, et que d'après la copie que j'ai visionné, il est en très mauvais état, contrairement à la
plupart des films mis à disposition par la Fox dans le fameux coffret de 2008 (Dont il était mis à l'écart). C'est dommage, car si le film est avant tout une petite chose mineure, les
connaisseurs et admirateurs de Borzage y trouveront toujours leur compte, que ce soit dans les parcours de certains personnages, ou tout simplement dans une mise en scène qui épouse un rythme
plus vivant que dans ses précédents efforts, et construit à l'occasion une tension palpable, comme dans les nombreuses scènes situées dans la salle d'attente (Ou les conversations sont lourdes de
sous-entendus): comme souvent chez Borzage, les coulisses sont un endroit autrement plus intéressant que la scène elle-même. Toutefois un très beau plan résume à la fin le point de vue de Nina et
sa réalisation de l'importance du travail de son mari, alors qu'elle assiste celui-ci sur l'opération visant à sauver le docteur Ruyter: elle lève la tête et aperçoit, assemblés dans un silence
admiratif, un groupe de médecins venus assister à l'opération. devant leur admiration, elle baisse les armes, et se dévouera enfin de nouveau à l'homme qu'elle aime. Pas très féministe, tout
ça...
Liliomou comment Frank Borzage prend le cinéma parlant à bras le corps et
retrouve une partie de sa verve des années 27/28, avec Charles Farrell mais sans Janet Gaynor. Bien que Liliom, de Ferenc Molnar, soit une pièce de théâtre très à la mode (Voir l'acoutrement de
John Gilbert dans The show de Tod Browning en 1926), Borzage comme Lang quatre ans plus tard en fait une oeuvre très
personnelle, magnifiant des décors totalement faux, et livrant une fois de plus sa propre lecture de l'amour fou, tout en sacrifiant à sa thématique religieuse et à ses obsessions visuelles
(Partout ou il va, quoi qu'il fasse, c'est toujours vers le haut que Liliom regarde avec envie ou avec crainte).
Liliom (Charles Farrell) est un aboyeur de foire, qui a pour habitude de porter une attention toute particulière aux jolies filles; il
est l'objet de l'idôlatrie de Julie (Rose Hobart), une jeune femme qui va tout sacrifier pour être avec lui; pourtant Liliom, licencié le soir de sa rencontre avec la jeune femme, ne va rien
faire pour se faire aimer: fainéant, raleur, il n'hésite pas à porter la main sur la jeune femme. Mais le jour ou celle-ci lui annonce qu'elle est enceinte, Liliom décide de faire un geste, et
accepte de participer à un cambriolage, dans le but d'avior de l'argent pour emmener Julie et son enfant aux Etats-Unis. Le vol tourne mal, et Liliom se poignarde pour échapper à la
police... Avant de mourir, il recueille l'aveu d'amour de Julie... et se retrouve dans un étrange train, en attente de son châtiment suprême. alors commence un bien curieux voyage...
Julie n'avoue son amour à Liliom
que lorsque celui-ci est à l'article de la mort, mais ses sentiments ne font aucun doute. Elle n'a d'yeux que pour lui, et son dévouement est absolu. De son côté, Liliom se poignarde en disant le
nom de la jeune femme, et son sacrifice certes bien maladroit tend à prouver ses sentiments. cette tendance à l'absolu souligné est la marque de Borzage, qui profite de l'étrange climat
Mitteleuropa de la pièce pour reprendre le fil de ses obsessions interrompues avec le réalisme du parlant. Si le rythme manque encore un peu d'allant, comme beaucoup de films de 1930, la
stylisation des décors nous rappelle qu'on est face à un film Fox, mais le cinéaste ne fait aucun effort pour en cacher la fausseté: trompe-l'oeil, fausse perspectives, miniatures, tout est
souligné. Cela rend l'arrivée du train-Paradis plus acceptable, et ça renvoie aussi à la pièce de théâtre initiale, beaucoup plus que ne le fera le film de Lang. Si Rose Hobart, un peu lente,
déçoit dans le rôle monolithique de la jeune femme qui aime sans aucune conditions, Farrell est plutôt bon en éternel mauvais garçon, et on se fait assez vite à sa voix un peu acide. Le film nous
permet aussi de revoir Lee Tracy, en tentateur fatal, H.B. Warner en "St-Pierre", en redingote, et assis dans un compartiment de train, et l'ineffable Bert Roach, l'un de ces seconds rôles dont
le Hollywood de l'époque avait le secret. Il interprète le fiancé de Marie, l'amie de Julie; il s'appelle Wolf.
Liliom meurt, mais son amour pour Julie, et l'amour de Julie pour lui, lui survivront. C'est la leçon de ce film, dont la fin
baroque reste à ce jour l'une des plus bizarres intrusions d'un film Américain dans le fantastique. Je ne sais pas dans quelle mesure le film est fidèle à Molnar, sans doute moins que le film de
Lang, qui a la réputation d'avoir été un peu vite fait. Mais si l'un des deux est inoubliable, c'est bien celui-ci...
Ce film très fade partage avec They had to see Paris d'avoir été confié à Frank
Borzage afin d'assurer le plus grand confort à sa vedette au moment d'aborder un premier film parlant: Will Rogers dans le précédent, et le ténor d'origine
Irlandaise John Mc Cormack dans ce film, sont tous les deux la principale raison d'être des deux films.
En 1930, la MGM prépare The Rogue Song, de Lionel Barrymore, sensé mettre en valeur le talent de Lawrence
Tibbett, un baryton dont la poopularité n'aura qu'un temps. The Rogue Song est célèbre aujourd'hui pour la contribution de Laurel & Hardy, dans un long métrage en couleurs,
aujourd'hui quasiment totalemen perdu. Ce film est un peu différent: Song o' my heart, film musical et sentimental, présente donc le ténor (qui n'a sans
doute pas fait une grande carrière au cinéma, il a autant de charisme qu'un topinambour oublié dans une brouette) au milieu d'une histoire qui se traine, malgré la présence de J. Farrell
McDonald et Maureen O'Sullivan.
Le principal
intérêt, finalement, est historique: en plus de la version parlante régulière, le film a existé dans une version d'exportation, muette à la façon du Chanteur de jazz: les dialogues y sont repris par des intertitres, mais la bande sonore restitue la voix du chanteur pour les chansons larmoyantes qu'il interprète.
Quelques chansons inédites, d'une part, et quelques séquences au découpage franchement différent (C'est à dire qui ne se contentent pas d'être des plans-séquences poussifs) nous permettent de
mesurer la difficulté à juger des films de l'interrègne, ce moment ou on pouvait voir les films aussi bien muets que parlants. La Fox, en ce domaine,
distribuait jusqu'à trois versions de ses films: parlante, muette, et muette avec des effets sonores afin de distribuer des films sonores aux pays étrangers, avant que l'habitude ne soit prise de
confectionner une version spécifique. Enfin, toujours pour la pédagogie, le film Song o' my heart a été tourné en une version 70 mm, jamais distribuée, et
qui aurait disparu.
Ca reste un
film sans grand intérêt, mais qui par endroits permet à Borzage d'exprimer son sens de la sacralisation de l'amour: le film est centré autour de l'amour passé du ténor pour une femme qui a été
obligée de se marier avec un autre. Le film fait la part belle à l'évocation des regrets et de la frustration de deux personnages qui s'aiment de loin et habitent l'unh en face de l'autre. Il
nous montre aussi un amour en danger, entre Maureen O'Sullivan et un bellâtre, et les efforts de Sean, le ténor, pour les sauver. Enfin, le film fait partie d'un cycle initié par Ford à la fox
avec The Shamrock handicap, en 1926, autour de ses chers acteurs Irlandais, J. Farrell Mc Donald en étant le principal représentant. Pour le reste, ce film dont la Fox a souhaité
qu'il soit partiellement tourné en Irlande, afin de soigner sa publicité, est un épisode mineur dans la carrière de Frank Borzage.