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11 avril 2025 5 11 /04 /avril /2025 15:32

Interrogé sur ce film, Capra confessait facilement son affection profonde, en même temps qu'une sorte de fatalisme devant le destin des copies, qui n'ont jamais cessé d'être malmenées à partir de la sortie de 1937, et de l'insuccès notoire du projet. Il admettait aussi avoir considéré entreprendre un remake, mais avouait ne pas l'avoir fait car il ne l'envisageait pas sans Ronald Colman... Donc, avec un film mutilé, reconstruit tant bien que mal, et qui tranche apparemment de façon spectaculaire sur ce qu'est un film de Capra selon la sagesse populaire, on n'est pas loin d'imaginer avoir affaire à un chef d'oeuvre maudit... ou un vilain petit canard. En tout état de cause, nous voici face à un objet peu banal... Un objet qui se situe de par son histoire dans la droite ligne de la carrière de Capra à la Columbia, dont c'est le film le plus ambitieux. Le script du au complice Robert Riskin était adapté d'un roman de James Hilton paru en 1933. C'était un succès, contrairement au film.

En 1935, le diplomate Britannique Robert Conway (Ronald Colman) et son petit frère George (John Howard), sont stationnés en Chine et avant d'en partir sous la pression de révolutionnaires, se rendent à Baskul dans le but d'aider un maximum de ressortissants Européens et Américains (Nommément dans le film, des "blancs") à quitter le territoire devenu brûlant en raison des troubles politiques. Ils parviennent à sauver 90 personnes (En faisant un tri systématique entre "indigènes" et blancs, ce qui désole Conway), et prennent un avion en compagnie des trois derniers évacués, pour pouvoir rejoindre l'Europe. En chemin, les passagers s'aperçoivent qu'ils ont été acheminés vers l'Himalaya au lieu de s'en éloigner, et leur appareil se crashe en pleine montagne... où un groupe d'hommes très équipés, menés par Chang (H. B. Warner), un Chinois mystérieux qui parle un Anglais impeccable, vient les chercher pour les amener dans un endroit fantastique: Shangri-la, une vallée encaissée, épargnée des intempéries et qui possède un micro-climat positivement miraculeux. Très vite, Conway apprend que son arrivée dans cette vallée merveilleuse n'est absolument pas un miracle ni une coïncidence, et va apprendre surtout à se familiariser avec les lieux, une vallée auto-suffisante, un vrai paradis dont il lui paraîtra difficile de partir. Mais son frère, lui, n'apprécie pas la perspective d'être coincé pour le reste de ses jours dans cet endroit pour en préserver le secret...

J'ai laissé de côté trois points qui alourdiraient considérablement ce résumé, mais qu'il me semble nécessaire de préciser maintenant: d'une part, Shangri-La est dans le film une communauté vaguement oecuménique, fondée par un prêtre Belge deux cents ans auparavant, qui avait trouvé la vallée par hasard. Et ce prêtre (Sam Jaffe) est toujours vivant... Egalement présentes aux côtés du père Perrault, et de Chang, deux femmes vont refléter, chacune à sa façon, les convictions bien différentes des deux frères Conway. George va tromper son impatience en tombant amoureux de Marie (Margo), une femme Russe à l'âge mystérieux: elle paraît avoir vingt-cinq ans, et assure être jeune, mais Chang assure Conway du contraire. Ce dernier, pour sa part, apprend que Sondra (Jane Wyatt); une jeune Européenne qui est venue vivre à Shangri-la, a remué ciel et terre pour que lui, l'homme dont elle a lu les livres philosophiques avec passion, puisse venir vivre ses rêves à l'abri du monde. Ils vont, bien entendu, tomber amoureux l'un de l'autre. Enfin, les autres occidentaux venus avec les Conway sont tous bien différents: Glory (Isabel Jewell) est une ancienne prostituée condamnée par la médecine, qui tente de survivre en dépit d'une tuberculose carabinée; Barnard (Thomas Mitchell) est un industriel et financier recherché pour sa participation involontaire à un scandale; et le Britannique Alexander P. Lovett (Edward Everett Horton) est un paléontologue, totalement oublieux de tout ce qui n'est pas lui-même, et qui souhaite rentrer au plus vite à Londres afin d'y exposer sa découverte: une magnifique vertèbre de mégatherium, dont il est persuadé qu'elle va lui apporter la notoriété... Les trois personnages vont pourtant très rapidement succomber au charme de l'endroit. D'abord attiré par l'or qui semble être partout à fleur de rocher, puis soucieux d'aider Glory à surmonter son état, Barnard finit par se laisser aller aux charmes de Shangri-la, dont il décide de faire profiter de ses connaissances en matière d'infrastructure urbaine. Glory se sent revivre, et finit par guérir totalement, grâce en particulier à l'affection de Barnard. Et Lovett, tout simplement, s'ouvre et s'humanise... 

Le premier tiers du film est entièrement consacré aux aventures des Conway en Chine, qui sont excitantes, fort bien menées, et bénéficient de la mise en scène exceptionnelle de Capra. Ce dernier a fait aménager un hangar réfrigéré par la Columbia afin de pouvoir garder un certain réalisme en ayant de la buée authentique qui permette de rendre les conditions de vie en pleine montagne aussi véridiques que possible! le mystère est entier jusqu'à l'arrivée de Chang, et la référence qui s'impose à nous autres petits Européens, c'est bien sûr le Tintin des années 30, et cette atmosphère de roman feuilleton à cent à l'heure, qui domine cette portion du film. Nul doute que ça a joué en sa défaveur, car une fois arrivés à Shangri-la, les personnages auront moins de mauvaises surprises... On notera que chacun d'entre eux, excepté George bien sur, est confronté à des merveilles cependant; Et bien sûr celui qui aura le droit à un tour de grand huit complet n'est autre que Robert Conway! Mais le principal défaut du film réside justement dans des passages longs, très longs, qui ont pour la plupart été coupés au fur et à mesure des ressorties du film, dans les années 40 et 50: les deux rencontres avec le "Père Perrault", le grand lama fondateur de Shangri-la, sont l'occasion de monologues redondants, qui exposent la raison d'être du lieu, et par là même la fonction philosophique de cette histoire, pour Capra comme pour l'auteur du roman dont le film a été tiré: créer et maintenir un endroit à l'écart du monde, préservé du tumulte, et donc de la foule, qui permette à la sagesse de l'humanité de survivre aux folies guerrières.

On notera qu'il ne s'agit pas d'empêcher la guerre, juste de l'ignorer. Capra qui est souvent accusé par ses contempteurs d'être un incorrigible boy scout qui raconte des histoires de milliardaires qui se mettent à partager leur fortune, nous raconte ici plutôt que la sagesse consiste à se préserver du monde en le laissant aller à sa perte. Il nous expose un rêve privé, une échappatoire sélective en quelque sorte. Un rêve dangereux à l'heure des expériences fascistes... Pourtant ce n'est pas cet aspect d'utopie gênante qu'on retient du film, plutôt son identité de rêve éveillé, mis en valeur par les mystères de roman-feuilleton qui entourent les énigmes de l'âge des gens qui Shangri-la: ainsi, on apprend en même temps que Conway, auquel Chang a raconté l'étrange histoire de Perrault qui a perdu sa jambe dans son périple, que le "grand lama" qui est unijambiste n'est autre que le prêtre Belge vieux de plus de deux siècles. A partir de là nous sommes comme lui prêts à croire que la jolie Marie est en réalité une octogénaire. Mais, assure Chang, qu'elle fasse un pas à l'écart de Shangri-la, et elle sera aussitôt une petite vieille rabougrie qui sera incapable de résister aux intempéries de ce bon vieil Himalaya... Une convention qui vaut ce qu'elle vaut mais qui agit comme un révélateur intéressant, en même temps qu'un enjeu narratif sur le dernier tiers du film.

En attendant, le film a coûté cher, très cher: le résultat de cette dépense se voit à l'écran, la Columbia n'ayant sans doute jamais autant dépensé auparavant pour un seul film! Les décors de Shangri-la, les centaines de figurants, les scènes de panique en Chine, parfaitement intégrées à des vues documentaires, mais aussi la cérémonie funéraire de la fin, dont il existe de nombreuses chutes absolument magnifiques, tout concourt à démontrer que si Capra n'a ponctuellement rien perdu de son efficacité, il est en effet devenu pour ce film particulièrement dépensier. Ce n'est pas moi qui vais lui jeter la pierre, mais le fait est que si la Columbia, habituée à le voir enchaîner les succès depuis 1933 (Lady for a day, It happened one night, Mr Deeds goes to town) l'a laissé faire, et a même typiquement rajouté une couche dans les bande-annonces d'époque en mettant l'accent sur le luxe du film (L'anecdote de Foolish Wives et de son prétendu "million de dollars" en 1922 a semble-t-il été oubliée par tous les studios), ça lui a été reproché vertement une fois le manque de succès du film établi. 

Le destin "physique" du film, à cette époque durant laquelle il fallait de l'espace, du personnel et de la précaution pour conserver un film, et non des pixels et de la mémoire comme aujourd'hui, a été particulièrement contrarié: d'une part, la version souhaitée initialement par Capra, qui durait paraît-il près de trois heures, a été très critiquée par les spectateurs d'une preview, et n'a pas survécu à cette unique présentation en 1937. A la place, c'est un film à la durée notable (Pour la Columbia, décidément pas très fortunée à cette époque) de 130 minutes qui est sorti, réarrangé de la façon qu'on connaît aujourd'hui. Mais la guerre (Dont le film anticipe clairement la venue afin de justifier son message idéaliste) arrivant, une nouvelle version réadaptée a été concoctée, dans laquelle le message pacifiste de Perrault a été amoindri en taillant dans les séquences qui offraient des monologues à Sam Jaffe, parmi les plus difficiles à soutenir aujourd'hui il est vrai. Ont aussi été coupées des scènes, y compris de comédie, de la vie quotidienne à Shangri-la des principaux protagonistes: une scène dans laquelle Glory révélait à Chang son métier par exemple, mais aussi des séquences qui montraient Lovett et Barnard s'accoutumer à leur nouvel environnement. Le film avant sa reconstruction de 1972 avait perdu une vingtaine de minutes, ainsi que son vrai titre, désormais remplacé par son titre Britannique The lost horizons of Shangri-La, qui mettait finalement par la présence du lieu mythique, l'accent sur le côté conte de fées du film. C'est une trahison, car à tort ou à raison, je pense que Capra y croyait dur comme fer...

Quoi qu'il en soit la restauration de 1972, qui réassemble des séquences tirées de douzaines de copies autour d'une bande-son intégrale de la version d'exploitation, nous a restitué une version décente du film, même si incomplète. On notera qu'au moment de la numérisation du film, en 1999, une minute supplémentaire, tirée d'une copie 16mm, a été intégrée au métrage déjà assemblé en 1972.

Si on va au fond, le film est franchement plus que polémique, avec cette intrigue dans laquelle un idéaliste et une poignée de quidams perdus en plein Himalaya découvrent par hasard le paradis sur terre et abandonnent graduellement toute volonté de retourner chez eux alors que la guerre menace! Mais son sens de l'absolu, sa sincérité touchante et le soin maniaque apporté à la réalisation en font le chef d'oeuvre de Frank Capra... ou du moins celui de ses films que je préfère. Peut-être aussi à cause de sa fragilité assumée, de son improbabilité et de son fantastique mâtiné de conte, à cause de ses transgressions aussi, et puis, il y a l'impeccable Ronald  Colman, la ravissante Jane Wyatt, Edward Everett Horton... que voulez-vous?

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Edward Everett Horton
10 avril 2025 4 10 /04 /avril /2025 21:48

Le film commence directement, sans temps mort, par un accident: une voiture roule à vive allure, quitte la route... La une des journaux nous apprend le décès d'un homme important. C'était un millionnaire sans enfants... Son héritier est un jeune homme, Longfellow Deeds (Gary Cooper), qui vit à Mandrake Falls, Vermont: totalement ignorant du monde des affaires, de la vie urbaine, et qui se considère comme un poète, joue du tuba, et ne dépare pas vraiment dans la petite commune où il vit, tant il est gentiment farfelu. C'est donc ce grand naïf qui va s'installer à New York pour reprendre la direction des affaires de son oncle éloigné...

Le cinéma muet Américain s'est fait une spécialité d'opposer, dans le drame, la comédie comme le mélodrame, la ville (corrompue et aliénée, elle fait des monstres des humains qui y habitent ou s'y aventurent) et la campagne (la vraie vie au grand air, la simplicité, l'humanité tendre et reposante)... Cette dichotomie bien pratique a toujours été un terreau particulièrement attirant pour Capra (pas que lui, d'ailleurs...), et c'est flagrant dans ce film et sa "suite" camouflée, Mr Smith Goes to Washington... Longfellow Deeds, dont Cedar, l'avocat (Douglas Dumbrille) des affaires de son oncle dit qu'il est juste un gosse qu'on pourra manipuler, va d'abord être le jouet de la presse qui va se jeter sur lui, et ce sera le travail de la journaliste Babe Bennett de s'approcher au plus près, et de tenter de ramener de quoi transformer le jeune héritier naïf en nouvelles croustillantes...

Dès le départ donc le pays entier semble déterminé à se dire qu'il est cuit: il va être aisément manipulable, il suffira de gérer comme on l'a toujours fait... Pourtant Deeds n'est pas aussi malléable qu'on aurait pu le croire. Capra en fait le véhicule du bon sens, et on n'a pas de doute que la journaliste aux dents longues et acérées va craquer pour lui. Le film est politique, à sa façon: alors qu'on attendait l'agneau dans la meute des loups, Deeds va en effet importer le bon sens humaniste et une certaine fraîcheur dans les affaires de feu son oncle. quand il arrive en ville, il est prêt d'emblée à tout donner de cet héritage dont il n'a jamais eu conscience qu'il lui reviendrait... Devenu de droit le président d'un conseil d'administration d'un opéra, il s'oppose aux tentatives flagrantes de corruption dont il est le témoin... Il défend son terrain et sa propre différence avec les poings s'il le faut dans une scène inattendue où il est confronté à la corruption ordinaire en compagnie de la journaliste qui s'est introduite en conrebande dans sa vie...

La scène la plus importante, sans doute la plus significative, est celle qui voit un chômeur en bout de courses'introduire chez lui pour le menacer... C'est une prise de conscience non seulement pour Deeds, mais aussi  pour le spectateur, qui jusqu'à présent n'avait vu des affaires dont Deeds a la charge, que le versant administratif. C'est un tournant dans le film, qui renvoie à d'autres moments forts de l'oeuvre: la fermeté et le bon sens de Walter Huston dans American Madness, la confrontation de Claudette Colbert avec le peuple qui voyage en bus dans It happened one night, ou la façon dont les acteurs minables revendiquent leur dignité face à l'exploitation dont ils sont victimes, dans The Matinee Idol...

C'est sans doute ce qu'on a appelé Capracorn, de façon critique et moqueuse. Mais ces bons sentiments, cet intérêt pour la cause des gens simples, ont toujours été l'apanage de Frank Capra... Et ce film semble en cristalliser l'expression d'une manière définitive, à travers le personnage immédiatement sympathique de Longfellow Deeds. J'imagine que pour Gary Cooper il était plus confortable d'habiter la peau d'un tel personnage (qui adore les grands escalier sur lesquels il peut faire du toboggan, mais qui ne comprend pas pourquoi on se moque de lui en le surnommant "Cinderella Man"...) que de réciter les insupportables dialogues de Jeanie McPherson dans les films de Cecil B. DeMille!

Et le casting entier ajoute au bonheur: Jean Arthur (cette voix indissociable des trois grands films de Capra auxquels elle a contribué, celui-ci étant le premier), Douglas Dumbrille en avocat véreux, Lionel Stander qui incarne le redoutable Cobb, qui est le principal interlocuteur des affaires de Deeds avec la presse, ou encore George Bancroft en patron de presse (tellement années 30...)... Mais le film culmine pourtant dans des scènes mémorables de procès, qui jouent à fond sur le décalage entre la simplicité humaine de Deeds et le côté carnassier des affairistes qui se sont retournés contre lui. Un pur bonheur, qui a le bon goût de rester de la comédie: il faudra attendre les films suivants pour que Capra ose verser vers le drame, souvent avec succès (les scènes de suspense politique à la fin de Mr Smith sont dans toutes les mémoires); mais pour l'heure, Capra semble avoir trouvé le film parfait pour faire un premier bilan génial de ses travaux cinématograhiques.

 

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Published by François Massarelli - dans Gary Cooper Frank Capra
2 mars 2025 7 02 /03 /mars /2025 14:28

Est-ce parce qu'il est sorti entre le succès spectaculaire de It happened one night (1934), avec Clark Gable et Claudette Colbert, et le non moins impressionnant chef d'oeuvre de Capra Mr Deeds goes to town (1935)? En tout cas, Broadway Bill a la réputation d'être un Capra mineur.

Warner Baxter y interprète un homme qui vit assez mal d'être coincé dans une vie qui ne lui convient guère: employé de son riche beau-père, placé à la tête d'une entreprise qui ne l'intéresse pas, il se console en entretenant une passion pour les chevaux, dont le sien, Broadway Bill. un jour, il plaque tout, avec la désapprobation de son épouse, mais avec la complicité de sa belle soeur (Myrna Loy). On se doute que la soeur en question ne va pas se contenter d'épauler le héros dans sa passion, mais le film est relativement sage sur la petite histoire d'amour entre eux, se concentrant surtout sur la notion pour le héros d'investir toute son énergie dans son rève, préfigurant de fait la famille de timbrés fabuleux de They can't take it with you.

Du pur Capra lorsque les avanies s'accumulent, et que le montages'emballe comme un cheval au galop... Une belle surprise, dont Capra fera pour toujours l'un de ses films préférés, en gardant jalousement les droits puis en en confectionnant un remake probablement inutile, Riding high, avec Bing Crosby, en 1950 pour la Paramount.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra
2 mars 2025 7 02 /03 /mars /2025 14:14

Souvent imité, jamais égalé, le film qui finit enfin de révéler Capra au grand public est bien sûr l'un des passages obligés de son oeuvre, et beaucoup plus que l'acte de naissance (En collaboration sans doute avec Twentieth Century de Hawks la même année) de la screwball comedy: c'est une synthèse fascinante de ce qui fait le sel des films de Capra. Une sorte de point culminant de son oeuvre, en quelque sorte, à la fois représentatif et exceptionnel...

L'argument fondateur en est bien connu: un homme rencontre une femme; il est journaliste en mal de scoop, elle est riche héritière en fuite; il va pouvoir à la fois l'aider à se rendre chez son fiancé (Que sa famille, bien sur, désapprouve) tout en écrivant un article qui le remettra en selle... et bien sûr il tombe amoureux d'elle et réciproquement.

Clark Gable et Claudette Colbert, on le sait, ont été punis par leurs studios repectifs afin de participer à ce film pour la pauvre Columbia, ce qui ne les a empêchés ni de faire très bien leur travail, ils sont excellents, ni d'immortaliser un couple formidable, tout en dynamisme. Le penchant de Capra pour les dialogues à la mitraillette, associé à des réminiscences bien dans le ton de l'époque du style de dialogue à la Front page (sorti en 1931), bénéficie en plus d'être interprété par des orfèvres en la matière, y compris si on imaginait sans doute un peu mal Gable en comédien. Ici, il assure sans aucun effort... Mais il n'y a pas que cette touche 'screwball', qu'on retrouve dans les rapports nécessairement conflictuels d'un homme et d'une femme destinés à tomber in fine dans les bras l'un de l'autre: il y a aussi le portrait amusé d'une amérique moyenne, un motif dans lequel Capra est toujours formidable: les braves gens, qu'ils soient chauffeurs de bus, propriétaires de motels, bandits de grand chemin (Alan Hale et son tacot) voire dragueur des routes (!) sont montrés ici avec un ton mi-tendre, mi-amusé... et Capra n'oublie pas, au détour d'un chemin, de montrer l'irrution du drame, permettant à ses acteurs de prouver leur valeur humaine: Gable et Colbert vont partager leurs derniers dollars avec une famille qui crève la faim.

Et si on peut parler de ce film sans pour autant mentionner la pluie d'Oscars (Qui fit tant plaisir à Capra et ses acteurs, certes), comment passer outre les scènes d'anthologie que sont la séquence d'auto-stop, qui permet à Claudette Colbert de démontrer que la jambe est plus forte que le pouce, et des passages dans les motels, lorsque les héros dorment séparés par une couverture qu'ils appellent le mur de Jericho, qui limite dans un premier temps leurs univers respectifs avant d'être un paravent sur leurs désirs de plus en plus tangibles. Capra a donc non seulement réalisé une valeur sûre de la comédie, c'est indéniable, il a aussi fait un film qui touche à la fois à la vérité des êtres (il faut pour Gable voir au-delà du vernis 'fille de riche' de sa compagne d'infortune, et réciproquement) et à l'éveil de leur amour.

On craque, on aime, on en redemande...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Criterion
11 février 2025 2 11 /02 /février /2025 15:54

Rien que dans le titre, on voit bien ici que tout revient à un conte de fées, à un miracle, et que Riskin et Capra avaient, d'une certaine façon, trouvé la formule magique. En matière de formule, ils croyaient pourtant avoir trouvé la potion à fabriquer des Oscars, ce que voulait Harry Cohn, le patron de Columbia, une audace folle pour un petit studio de rien du tout, partagée par Capra lui-même, très ambitieux dès cette époque, et impatient de montrer son pouvoir de metteur en scène, et sa mainmise sur l'objet filmique.

Mais cette année-là, ce fut un autre Frank (Lloyd, pour Cavalcade) qui rafla les Oscars convoités, et Lady for a day, bien que nominé quatre fois, n'obtint rien (au passage, la réputation du film de Capra, aujourd'hui, enfonce allègrement celle du film de Lloyd, mais passons). Il fallait attendre l'année suivante, et le triomphe de It happened one night... Mais à l'heure où on dispose (même en Blu-ray) d'une version intégrale, avec un superbe transfert effectué d'après le négatif obtenu par Capra lui-même pour ses archives, à partir d'une copie complète alors que les éléments d'origine disparaissaient dans les années 50, on peut enfin revenir sur ce classique, l'un des films préférés de Capra, et y voir ce qui n'est rien d'autre que la matrice de ses plus grands films, de Deeds à It's a wonderful life en passant par Meet John Doe. Le voyage vaut le détour, aujourd'hui comme en 1933...

Dès le début, Capra installe le contexte de façon magistrale: New York, les rues et la faune pas toujours très catholique, malfrats, mendiants, escrocs, policiers bienveillants (L'un d'entre eux -Ward Bond- pique ouvertement une pomme à l'héroïne, allusion à un laisser-faire très ambigu). C'est dans ce contexte qu'une vieille clocharde, Apple Annie (May robson), tente de joindre les deux bouts en vendant des pommes. On y fait aussi la connaissance de Dave the Dude (Warren William), un sympathique chef de gang, qui gagne des paris grâce aux pommes d'Annie, qui lui a toujours porté bonheur. Annie apprend que sa fille Louise, élevée à l'écart en Espagne et qui est persuadée que sa mère est une dame riche de la bonne société new Yorkaise, va venir avec son futur mari et son futur beau-père, afin que celui-ci puisse rencontrer "Mrs E. Worthington Manville", l'opulente mère de sa future bru. Se jugeant endetté par la chance qu'elle lui a apporté, Dave se décide à tout faire pour permettre à Annie de jouer le jeu jusqu'au bout, et va l'aider à créer l'illusion de la richesse...

Conte sur l'entraide, Lady for a day se passe dans un New York où la crise est partout: voyant Annie en beaux habits, une mendiante remarque: 'Vous vous rappellez, quand elle était tout le temps habillée de cette façon?"; un employé d'un hotel risque sa place (et sera licencié) pour faire suivre le courrier d'Annie qui dissimule sa situation à sa fille, et les bandits parlent de leurs occupations comme de leur gagne-pain. On ne verra pas les petites gens qui travaillent de façon légitime: ici, on est clochard, bandit, ou gouverneur... Pourtant les apparences sont trompeuses: ainsi, on improvise un mari à Annie avec le "juge" Blake, un "pool shark", c'est-à-dire un joueur de billard professionnel (Guy Kibbee). Il est certes un vrai escroc, mais il est aussi capable de parler avec la plus grande emphase et une certaine classe. De même, l'entraide passe par des canaux inattendus: dans la maison prétée à Dave pour le temps des la venue des invités d'Europe, censée être la maison d'Annie, un valet va se prêter très volontiers à la supercherie, se contentant d'objecter aux manières parfois peu raffinées de certains acolytes de Dave (Ned Sparks y est un savoureux assistant au parler matiné d'argot, qui se voir rétorquer par le valet: "Monsieur, si j'avais le choix des armes contre vous, je choisirais la grammaire")... Enfin, dans cette histoire où les bandits se liguent pour réaliser en quelques jours le rêve le plus fou de l'une d'entre eux (tant les victimes de la crise et les hors-la-loi semblent avoir fait un pacte de respect mutuel), un secours inattendu viendra agir en guise de cerise sur le gateau, comme dans It's a wonderful life...

L'entraide, en ces années de galère, n'est pas l'assistanat: c'est parce qu'il lui doit une certaine réussite, du moins à en croire sa superstition, que Dave vient en aide à Annie, et mobilise tout son monde. La philosophie populiste de Capra est déja là dans ce film, dont l"humanisme et la tendresse s'impriment dans chaque scène. De fait tous les gens qui s'investissent sont des fripouilles, de Happy Maguire (Ned Sparks), le raleur, à Missouri Martin (La propriétaire d'un établissement dont la protection de Dave cache peut-être des magouilles un peu plus subtiles, jouée par Glenda Farrell); mais tous ces gens malhonnêtes forment une famille, un univers, cohérent, qui renvoie à l'idée d'une Amérique microcosmique, comme l'esprit de communauté qui sera à l'oeuvre dans Deeds, ou dans la famille de dingos dans You can't take it with you. Dans ce film, tout le monde sort transformé, à commencer bien sûr par Dave the dude qui semble avoir acquis une morale, Annie, qui pourra mourir tranquille, et même le maire, le gouverneur, et le chef de la police, qui ont désormais des manières plus douces avec leurs subalternes.

Le mélange de comédie et de drame, deux genres bien souvent illustrés par capra en ces années Columbia, n'est pas tant une façon de pêcher les Oscars qu'on aurait pu le croire; c'est l'expression d'une sensibilité, propre au metteur en scène, et qui s'exprime de façon directe et efficace. Cette histoire est incroyable, mais elle est forte, elle rend heureux le temps de voir le film, et c'est tout ce qu'on demande. On imagine assez bien que si on voyait ce film en ignorant totalement ce qu'a pu faire le metteur en scène par ailleurs, on aurait une seule envie, de voir tous ses autres films... Du reste, c'est une vitrine superbe du savoir-faire du réalisateur, d'une certaine époque aussi, avec les grands Guy Kibbee, Ned Sparks, Walter Connolly, Glenda Farrell, et bien sur le fantastique Warren William, piqué à la Warner pour l'occasion, comme Kibbee (Ils étaient tous deux partenaires dans Gold diggers of 1933)... Un grand, très grand film de Frank Capra.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code
6 janvier 2025 1 06 /01 /janvier /2025 14:44

Moins connue que ses films fédérateurs tournés plus tard, cette histoire d'amour déguisée en film d'aventures exotiques est l'un des plus beaux Capra. Sorti en 1933, en pleine période dite pré-code, c'est un film qui joue constamment avec la censure, et qui affiche des possibilités surprenantes, mais c'est aussi un tour de force technique qui laisse pantois.

Dirigeant une nouvelle fois Barbara Stanwyck, qui décidément l'inspire, Capra use de tout son savoir-faire en matière de mise en scène pour recréer une Chine fantasmée, dans laquelle Megan Davis, une jeune femme Américaine vient se marier avec un missionnaire; mais juste avant le mariage, elle le suit dans une équipée improvisée qui tourne au ridicule: ils souhaitent sauver des enfants, et n'ont comme sauf-conduit qu'un papier soit-disant signé par un soldat félon, le général Yen. Celui-ci leur a en fait donné un papier sans valeur, et dans la confusion qui s'enfuit, Yen fait enlever Megan Davis, qui se retrouve donc à ses cotés, plus ou moins prisonnière, hostile vis-à-vis de Yen qu'elle prend pour un homme cruel (C'est surtout un militaire) mais irrémédiablement attirée par lui, d'abord sexuellement, puis de plus en plus clairement amoureuse.

Le film aurait pu être l'histoire d'un échange, ou pire d'une conversion de Yen, qui aurait dit adieu à ses manières barbares pour les beaux yeux de la belle Megan Davis. Pourtant, et c'est ce qui fait la force du film, si conversion il y a, ce n'est pas Yen qui la subit. Les indices ne manquent pas dans le film pour nous montrer l'étrange sympathie (pour la période) manifestée par Capra à l'égard de Yen et de ce qu'il représente. Au début, bien sûr, le Général est un homme cultivé, versé aussi bien sur la culture occidentale que sur la civilisation Chinoise, et il est d'ailleurs en uniforme, autant dire en habits occidentaux. Mais Capra s'ingénie, au fur et à mesure que les barrières qui empêchent Megan d'admettre son amour sautent les unes après les autres, à nous montrer Yen habillé de façon de plus en plus traditionnelle. Des phrases confirment, entendues dans des conversations entre Yen et Megan, ou entre le général et son conseiller financier Jones, un Américain (le savoureux Walter Connolly): Lorsque Yen affiche son ambition de conquérir la belle missionnaire, Jones lui demande s'il a réalisé qu'elle est blanche, faisant une allusion à l'interdit moral de mélange des races, vieux tabou poussiéreux si prisé dans les années 30. Ce à quoi Yen rétorque: "ce n'est pas grave, je n'ai pas de préjugés..."

Le sujet est donc bien l'hypothèse du rapprochement entre les êtres, toutes couleurs confondues, vu d'un point de vue qui n'exclut pas une reddition de la femme blanche sans condition. C'est ce qui est contenu en filigrane dans les dernières scènes du film, qui nous montrent Megan Davis qui a compris d'une part la vraie personnalité de Yen, mais aussi qu'il ne lui forcerait pas la main. Il y a des coupures manifestes, qui traduisent sans doute les soucis entre Capra et la Columbia, qui devait trouver le sujet explosif et a peut-être essayé de freiner les audaces du metteur en scène. Mais le film est déjà, à 87 minutes, rempli de beautés et de trésors tel quel. Si un jour on en sait plus sur ces petites sautes dans la continuité, on y verra peut-être plus clair. En attendant, dans le dispositif tel qu'il est, elles sont d'autant plus évidentes. la plus notable est celle qui voit Stanwyck se détacher de Yen soudainement, après que celui-ci l'ait enlacé. Il manque quelque chose, une explication, ou une réaction. Tel qu'il est dans le film, ce geste est ambigu.

Au-delà de l'érotisme (Barbara Stanwyck a non seulement une discrète scène de déshabillage, mais surtout un rêve assez drôle dans lequel elle nous expose son trouble sensuel vis-à-vis de Yen), le film est notable pour son rythme rapide et sa beauté picturale. La photo de Joseph Walker est toute en nuances de gris, et la Chine en désordre a été superbement recréée avec les moyens du bord, une profusion de détails. Au-delà d'un certain réalisme, ce film est un digne successeur des oeuvres qui étaient tournées dans un studio fermé à double tour à l'époque du muet, et le sens de la composition de Capra fait merveille, ainsi que son sens du montage, aussi bien de l'image que du son: les scènes de Capra dans les années 30 sont parmi les plus réussies techniquement, et son ingéniosité pour influer sur le rythme est légendaire. Et avec Walter Connolly, Capra montre un personnage délicieusement ambigu, un financier sans scrupule qui incarne les égarements parfois conscients d'un occident qui se sert de la Chine sans aucune humanité...

Le film, selon moi, n'a peut-être qu'un défaut: la composition de Nils Asther souffre un tant soit peu de sa voix, et de sa diction. Il est à peu près visuellement acceptable en Chinois, et son regard est utilisé avec beaucoup de talent, mais quand il parle, on décroche un peu. Et face à lui, il a Barbara Stanwyck, donc, il ne fait pas le poids... elle est parfaite, comme d'habitude!! D'une part elle s'est jetée corps et âme dans le rôle, avec la passion qu'on lui connaît, mais en plus, le film est là pour nous montrer son abandon, tous les discours de charité et de bienfaisance, de christianisme bien-pensant, sont comme un château de cartes, qui ne pourra pas tenir face à la logique assez tendre de Yen. L'actrice se sert de toute sa force de persuasion pour nous montrer une personne qui se trompe, et ce admirablement. Réussir à rendre une histoire d'amour entre un Chinois et une Américaine, dans un film des années 30, en nous prouvant que la logique Chrétienne ne vaut pas grand chose, et fédérer le public autour de ces présupposés, et après ça on va dire que Capra n'est qu'un incorrigible prêcheur? Non, et rendons-lui justice, avec ce merveilleux film.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck
6 janvier 2025 1 06 /01 /janvier /2025 06:53

Trois en un? Entre le mélodrame formidable Forbidden et le baroque et sublime The bitter tea of General Yen, Capra s'essaie en effet à un style qui combine tout ce qu'il sait faire, et qui pour la première fois délivre un message politico-économique certes naïf et idéaliste en diable, mais dont la générosité fait mouche. Et pour ce faire, il choisit non pas un, mais deux héros, deux braves types: Tom Dickson (Walter Huston) est le directeur d'une banque, un homme qui préfère faire son métier en rendant service aux gens car il pense que la banque se nourrit de la bonne santé financière des gens qu'elle aide. De la même façon, il traite ses salariés avec humanité, et refuse les affaires sur lesquelles il peut s'enrichir, mais qui lui donneront mauvaise conscience... Comment s'étonner que, bien qu'il aime tendrement sa femme (Kay Johnson), celle-ci ne se sente délaissée par son mari qui sacrifie tout à sa banque?

De son côté, Matt Brown (Pat O'Brien), bien qu'ancien voyou, est un employé modèle. Il sait qu'il doit tout à son patron, pour lequel il a plus que du respect. Il attend sagement une promotion, mais il aime de toute façon son métier, lui qui fait encore partie des petites mains. Il attend aussi le bon moment pour se marier avec Helen (Constance Cummings), la secrétaire de Dickson. Ils pensent avoir été discrets dans leur idylle, mais tout le monde est au courant à commencer bien sûr par ce brave M. Dickson...

 

Dans ce contexte propice à la comédie, Riskin et Capra se lancent dans trois intrigues dramatiques différentes, qui vont se télescoper dans une crise comme on en a rarement vues...

1:

La banque est certes en bonne santé mais le conseil d'administration, formé de Dickson et de messieurs nettement moins sympathiques que lui, souhaite faire évoluer la banque vers le gros business en poussant vers une fusion qui mettrait en danger le type de pratiques de bon voisinage souhaitées par Dickson. A la faveur d'un problème dans la vie de celui-ci, les affreux banquiers tentent de pousser leur avantage...

2: 

Cluett (Gavin Gordon), un employé, fringant jeune homme un peu séducteur et un peu dandy sur les bords, a tellement brûlé la chandelle par les deux bouts que la pègre le tient. Il accepte de leur donner accès aux coffres, mais lorsque le cambriolage tourne mal, un veilleur de nuit est abattu...

3:

Matt a surpris Mrs Dickson dans les bras de Cluett, et ça le mine. Doit-il intervenir, et leur rappeler que son patron est la crème des hommes, ou se mêler de ce qui le regarde, au risque d'avoir le sentiment de trahir son patron? 

Les trois intrigues, en un peu plus de 75 minutes, vont multiplier les passerelles entre elles, depuis l'adultère potentiel qui sera déjoué par Matt, mais qui résultera sur son impossibilité d'avoir un alibi, car bien sûr c'est lui qui sera soupçonné d'avoir ouvert le coffre pour les bandits. Et après le casse, les clients vont tous se précipiter les uns à la suite des autres pour retirer leur argent, mettant sérieusement en danger la position de Dickson, et l'avenir de ses "petits" clients.

Voilà, on y est: Capra nous parle des petits, des sans-grade, de ceux qui économisent sou après sou en ne demandant pas grand chose à personne, mais qui sauront se mobiliser pour leur bienfaiteur. La formule reviendra (on y reconnaît le gros de l'intrigue d'un futur classique, It's a wonderful life, qui sera pris sous un angle très différent malgré tout), et déjà le metteur en scène est galvanisé par ce défi qu'il s'est fixé. Il réussit un film-synthèse dense et énergique, servi par une interprétation en tous points excellente. Entre deux chefs d'oeuvre, cette comédie dynamique est une nouvelle preuve de la santé merveilleuse des films de celui qui reste l'un des plus importants cinéastes populaires de tous les temps. Voilà.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Comédie Pre-code
5 janvier 2025 7 05 /01 /janvier /2025 20:55

Ce film inconnu ou presque, renié par Capra qui avait pourtant tant voulu le faire, et qui obtint peu de succès sans parler du fait qu'il a été étrillé par la presse, me semble être, paradoxalement, une forme de chef d'oeuvre du metteur en scène, comme à sa façon le fantastique Bitter tea of General Yen, qui allait suivre (Et obtenir moins de succès tout en déclenchant les foudres des gens les plus butés aux Etats-Unis!). Ne choisissant plus entre la comédie, le mélodrame, la chronique de moeurs et la parabole politique, Capra mélange le tout dans 85 minutes qui sont, comme à son habitude, superbement tournées, dirigées, cadrées, et montées! Et il offre à Adolphe Menjou, Ralph Bellamy et surtout Barbara Stanwyck des rôles qui sont parmi leurs meilleurs.

Lulu Smith est une jeune femme provinciale, une laissée pour compte qui est devenue bibliothécaire dans une petite ville, et seuls les gens de son quartier la connaissent. Mais elle rêve de voyager, et pour tout dire de rencontrer l'âme soeur... Pour provoquer un peu les choses, elle cesse de porter des lunettes, et prend des vacances. En croisière vers la Havane, elle rencontre un homme qui la séduit instantanément, un avocat. Ils ont une liaison qui va s'éternise, et elle n'apprendra qu'il est marié, et qu'il est Bob Grover, un avocat célèbre avec de sérieuses ambitions politiques, que plus tard. Elle est enceinte, et va accoucher après une rupture, dans un anonymat total... Lorsque Bob reprend contact avec elle, il la persuade d'abandonner sa fille Roberta, que le couple Grover va adopter et qui grandira à l'ombre de sa vraie maman. Celle-ci pour sa part va continuer à être la femme de l'ombre, assistant de loin à la montée en puissance politique du procureur, puis maire, puis sénateur Grover, et collectionnant les coupures de journaux, son seul contact avec sa fille. Elle travaille pour un journal, dans lequel le rédacteur en chef, Holland, a décidé de s'attaquer à Grover, et cherche par tous les moyens une histoire qui l'empêcherait d'accéder aux plus hautes marches du pouvoir...

Capra disait que son film représentait 99,44% de mélodrame tire-larmes... il le rejetait en disant qu'il avait été prétentieux de le réaliser... Pourtant Forbidden est une belle occasion de mélanger les genres, un péché mignon permanent de Capra, et une superbe occasion de donner une vision différente du rêve Américain, du pouvoir de la presse, et de la politique à l'Américaine, trois thèmes qui sont au coeur de la carrière du metteur en scène! A une époque où dans les films, les couples adultères déclenchent des tempêtes qui les engouffrent, il représente une idylle souterraine entre un homme marié, qui ne va néanmoins pas l'empêcher d'accéder à de hautes responsabilités. Il ne charge pas trop non plus le personnage de Bob Grover (Menjou est fantastique, comme souvent), mais préfère donner au public comme personnage de "méchante" l'épouse légitime... Et surtout il montre le sacrifice de Lulu, qui doit rester dans l'ombre de son bonheur, de la presse et de la politique, victime des deux, mais surtout sacrifiée volontaire à l'une et à l'autre. Symboliquement, Lulu est la vérité, oubliée des sacro-saintes institutions Américaines, et avec laquelle l'une et l'autre jouent en permanence. Un message qui avait tout pour déboucher sur du prêchi-prêcha insupportable, dont DeMille aurait probablement fait un navet probablement. Capra en fait un joyau. Grâce à Barbara Stanwyck, qui inspirait décidément beaucoup le metteur en scène...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck
1 janvier 2025 3 01 /01 /janvier /2025 09:27

L'un des plus fameux films de Capra pré-It happened one night, le serait-il tout autant si Jean Harlow n'y interprétait pas un rôle de garce? Au passage, toute comparaison entre la même Harlow en 1931 chez Wellman (The public enemy) et chez Browning (The iron man) permet de constater soit que la dame apprend très vite, soit que Capra était un fabuleux directeur d'acteurs! Car elle est ici excellente de bout en bout...

Donc, dans une rédaction si typique d'un film du début des années 30, la star des reporters Stewart "Stew" Smith (Robert Williams) se voit confier une mission importante: récolter des informations sur le dernier scandale de la très respectable famille Schuyler. Une fois arrivé chez eux, ils essaient de faire jouer leur atout principal, la séduction de la petite dernière, Anne (Jean Harlow) mais le plumitif intraitable ne fera rien pour leur faire plaisir, et le journal publiera bien les informations. Seulement, il revient à la charge et séduit Anne... et le couple convole en juste noces lors d'un mariage éclair! Deuxième scandale, mais pas seulement pour les Schuyler: la jeune collègue de Stew, sa meilleure amie Gallagher (Loretta Young) le prend particulièrement mal... Mais l'arrivée de l'électron libre Stew chez les Schuyler va provoquer quelques tempêtes cocasses.

Evacuons de suite ce qui dérange le plus: Robert Williams. Il joue ici un rôle assez proche du style de journalistes que pouvait jouer Lee Tracy, qui généralement n'en faisait qu'à sa tête, et le fait de plonger ce zozo chez les Schuyler tendrait presque à nous les rendre sympathiques! Avec Stew, on est bien loin des Deeds et des Smith, dont la candeur serait un bon vecteur pour s'attirer la sympathie du public. D'ailleurs, il est intéressant de constater un certain nombre des ingrédients qui feront justement le succès de Deeds: une presse aux aguets, une famille bourgeoise sous investigation, des personnages manipulateurs, et un éléphant dans un magasin de porcelaine...

Le film est plus qu'un brouillon, d'abord parce qu'il anticipe joyeusement, sans jamais céder la place au drame (Contrairement aux films plus baroques que sont Ladies of leisure, Forbidden, ou The miracle woman), sur l'oeuvre future de Capra et sur ses thèmes de prédilection. Le scénario dû pour une large part à l'ami Robert Riskin fait la part belle aux dialogues qui font mouche, et il est construit sur une progression limpide et étanche. Et le metteur en scène a su choisir son rythme avec une assurance rare, en se ménageant des petites haltes comiques ou même absurde qui font toujours respirer le film... enfin, le film, deux ou trois ans avant, anticipe aussi sur tout un style dont Capra sera brièvement un maître, le temps d'un film mémorable, It happened one night: la screwball comedy.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Comédie Screwball comedy
28 décembre 2024 6 28 /12 /décembre /2024 11:49

Frank capra a fait ses preuves à la Columbia au moment où il s'attaque à ce film, qui va tout bonnement être la matrice de ses grands films à venir. Après s'être imposé à Harry Cohn en sortant un film tout les 45 jours en 1928 et 1929, après avoir fait en 1929 le passage du muet vers le parlant en deux temps (The younger generation, muet avec des séquences sonores, puis The Donovan affair, tout parlant - même s'il n'en subsiste aujourd'hui, superbe ironie, qu'une version silencieuse), Capra a surtout réalisé un trio de films d'aventures (Submarine, Flight, Dirigible, ce dernier devenant le premier film Columbia à bénéficier d'une première au Sid Grauman's Chinese Theater) qui ont entériné sa position: non seulement le réalisateur le plus en vue du studio, le plus efficace, mais aussi et surtout le seul, aux yeux de son patron, capable d'élever le petit studio qu'était à lépoque la Columbia au rang de ses concurrents plus prestigieux.

On sait bien sûr où cela va les mener: vers l'Oscar du meilleur film en 1934 (It happened one night) et à nouveau1938 (You can't take it with you), à Shangri-la en 1937 (Lost horizon, production très ambitieuse), vers Washington et la politique sinon (Mr deeds goes to town en 1936, Mr Smith goes to Washington en 1939).

Florence Fallon, la fille d'un pasteur déchu de ses fonctions par un groupe de pères-la-pudeur, annonce à la congrégation la mort de son père, survenue quelques minutes avant la messe. En colère, elle les chasse en les accusant d'hypocrisie. Un homme qui passait, témoin de la scène, se trouve être un escroc, spécialistes en arnaques en tout genre. Il profite de la colère de la jeune femme pour lui proposer un moyen de se venger, et ils montent tous deux une affaire: Evangéliste médiatique, Florence amasse les foules et l'argent qui va avec, promettant de construire un tabernacle qui ne verra jamais le jour. Elle guérit aussi les éclopés, tous complices, jusqu'au jour où un ancien soldat, aveugle, qui avait le projet de se suicider, se rend à une de ses spectaculaires représentations, et tombe amoureux d'elle. 

La religion comme échappatoire à la crise, la manipulation des masses, le volontarisme optimiste, la découverte de la vraie âme d'un personnage, tous ces thèmes sont au coeur des grandes oeuvres "idéologiques" de Capra, et en particulier de Meet John doe, qui reprend bien des choses présentes ici, à commencer par Barbara Stanwyck. Pour l'heure, l'immense actrice incarne Florence Fallon avec une ferveur indiscutable, mais il faut savoir que ce film, qui n'eut pas tant de succès que cela, était adapté d'une pièce autrement plus satirique. Capra s'est refusé à montrer un personnage qui utilise la religion pour se perdre, et a donc ajouté à Florence Fallon le manager, qui lui est pourri jusqu'à l'os. la jeune femme est littéralement sauvée par l'amour de John Caron, son ami aveugle, et si celui-ci fomente à un moment un faux miracle prétendant avoir retrouvé la vue pour la retenir à ses côtés, leur rencontre tient du miracle: au moment où il s'apprête à sauter par la fenêtre, Carson entend la voix de Florence exhortant ses "frères humains " au courage... De même, le climax du film est-il un petit miracle humain, l'un des deux personnages sauvant l'autre d'un incendie spectaculaire.

Soyons clairs: le propos n'est pas d'attaquer la religion, ce qui aurait été de toute façon étonnant de Capra, mais le réalisateur est suffisamment roublard pour ne pas s'étendre trop sur le préchi-prêcha, sachant que la mission du film est de rameuter le plus de gens possibles. Il nous donne donc des personnages humains, dont les vicissitudes et les blasphèmes sont dans l'ensemble excusables. il n'en est pas non plus à dénoncer des grands systèmes corrompus comme il le fera plus tard, l'escroquerie présentée ici étant plutôt ponctuelle, et tirant à sa fin dans le déroulement du film.

La réalisation est solide, le montage aussi. Capra impose une diction à cent à l'heure, ce qui ne le quittera pas, et le jeu fervent des acteurs lui doit beaucoup. Il y aurait eu des chances de sombrer dans le ridicule (Et les grands messes avec lion et cage n'en sont pas loin) mais l'atmosphère pré-code imbibe le film (sans jeu de mots), l'humour discret et les personnages (Surtout joués par Stanwyck et David Manners) sont attachants. Le film est l'acte de naissance de ce que d'aucuns appelleront Capra-corn (Jeu de mots, visant à dénigrer l'auteur de It's a wonderful life), mais que je préfère, plus sobrement, appeler le style de Frank Capra, dont l'ambition et les prétentions ne font aucun doute: ce R qu'il mettait au milieu de son nom à l'époque (A Frank R. Capra production) n'était qu'une façon de se rendre plus important, lui qui voulait avoir son nom "au dessus du titre" de ses films. Bon, d'une part il l'a finalement obtenu, et ensuite, ce film foisonnant prouve qu'il le méritait bien.

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