/image%2F0994617%2F20250410%2Fob_1cd07e_capra-mr-deeds-goes-to-town-1936-promo.jpg)
Le film commence directement, sans temps mort, par un accident: une voiture roule à vive allure, quitte la route... La une des journaux nous apprend le décès d'un homme important. C'était un millionnaire sans enfants... Son héritier est un jeune homme, Longfellow Deeds (Gary Cooper), qui vit à Mandrake Falls, Vermont: totalement ignorant du monde des affaires, de la vie urbaine, et qui se considère comme un poète, joue du tuba, et ne dépare pas vraiment dans la petite commune où il vit, tant il est gentiment farfelu. C'est donc ce grand naïf qui va s'installer à New York pour reprendre la direction des affaires de son oncle éloigné...
Le cinéma muet Américain s'est fait une spécialité d'opposer, dans le drame, la comédie comme le mélodrame, la ville (corrompue et aliénée, elle fait des monstres des humains qui y habitent ou s'y aventurent) et la campagne (la vraie vie au grand air, la simplicité, l'humanité tendre et reposante)... Cette dichotomie bien pratique a toujours été un terreau particulièrement attirant pour Capra (pas que lui, d'ailleurs...), et c'est flagrant dans ce film et sa "suite" camouflée, Mr Smith Goes to Washington... Longfellow Deeds, dont Cedar, l'avocat (Douglas Dumbrille) des affaires de son oncle dit qu'il est juste un gosse qu'on pourra manipuler, va d'abord être le jouet de la presse qui va se jeter sur lui, et ce sera le travail de la journaliste Babe Bennett de s'approcher au plus près, et de tenter de ramener de quoi transformer le jeune héritier naïf en nouvelles croustillantes...
Dès le départ donc le pays entier semble déterminé à se dire qu'il est cuit: il va être aisément manipulable, il suffira de gérer comme on l'a toujours fait... Pourtant Deeds n'est pas aussi malléable qu'on aurait pu le croire. Capra en fait le véhicule du bon sens, et on n'a pas de doute que la journaliste aux dents longues et acérées va craquer pour lui. Le film est politique, à sa façon: alors qu'on attendait l'agneau dans la meute des loups, Deeds va en effet importer le bon sens humaniste et une certaine fraîcheur dans les affaires de feu son oncle. quand il arrive en ville, il est prêt d'emblée à tout donner de cet héritage dont il n'a jamais eu conscience qu'il lui reviendrait... Devenu de droit le président d'un conseil d'administration d'un opéra, il s'oppose aux tentatives flagrantes de corruption dont il est le témoin... Il défend son terrain et sa propre différence avec les poings s'il le faut dans une scène inattendue où il est confronté à la corruption ordinaire en compagnie de la journaliste qui s'est introduite en conrebande dans sa vie...
La scène la plus importante, sans doute la plus significative, est celle qui voit un chômeur en bout de courses'introduire chez lui pour le menacer... C'est une prise de conscience non seulement pour Deeds, mais aussi pour le spectateur, qui jusqu'à présent n'avait vu des affaires dont Deeds a la charge, que le versant administratif. C'est un tournant dans le film, qui renvoie à d'autres moments forts de l'oeuvre: la fermeté et le bon sens de Walter Huston dans American Madness, la confrontation de Claudette Colbert avec le peuple qui voyage en bus dans It happened one night, ou la façon dont les acteurs minables revendiquent leur dignité face à l'exploitation dont ils sont victimes, dans The Matinee Idol...
C'est sans doute ce qu'on a appelé Capracorn, de façon critique et moqueuse. Mais ces bons sentiments, cet intérêt pour la cause des gens simples, ont toujours été l'apanage de Frank Capra... Et ce film semble en cristalliser l'expression d'une manière définitive, à travers le personnage immédiatement sympathique de Longfellow Deeds. J'imagine que pour Gary Cooper il était plus confortable d'habiter la peau d'un tel personnage (qui adore les grands escalier sur lesquels il peut faire du toboggan, mais qui ne comprend pas pourquoi on se moque de lui en le surnommant "Cinderella Man"...) que de réciter les insupportables dialogues de Jeanie McPherson dans les films de Cecil B. DeMille!
Et le casting entier ajoute au bonheur: Jean Arthur (cette voix indissociable des trois grands films de Capra auxquels elle a contribué, celui-ci étant le premier), Douglas Dumbrille en avocat véreux, Lionel Stander qui incarne le redoutable Cobb, qui est le principal interlocuteur des affaires de Deeds avec la presse, ou encore George Bancroft en patron de presse (tellement années 30...)... Mais le film culmine pourtant dans des scènes mémorables de procès, qui jouent à fond sur le décalage entre la simplicité humaine de Deeds et le côté carnassier des affairistes qui se sont retournés contre lui. Un pur bonheur, qui a le bon goût de rester de la comédie: il faudra attendre les films suivants pour que Capra ose verser vers le drame, souvent avec succès (les scènes de suspense politique à la fin de Mr Smith sont dans toutes les mémoires); mais pour l'heure, Capra semble avoir trouvé le film parfait pour faire un premier bilan génial de ses travaux cinématograhiques.
/image%2F0994617%2F20250410%2Fob_d240ad_mv5bmtkwndmzotyzml5bml5banbnxkftztgwmj.jpg)
/image%2F0994617%2F20250410%2Fob_0c8970_mv5by2uzywjhmzutzgy2nc00ymuwlwixnditzt.jpg)
/image%2F0994617%2F20250410%2Fob_28eb76_with-jean-arthur-in-mr-deeds-goes-to-t.jpg)