Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 09:39

Après les cartons successifs de On the town, An American in Paris et Singin' in the rain, le premier et le troisième étant co-réalisés par Kelly et Stanley Donen, il était inévitable que Gene Kelly tente une aventure complètement solo. C'est ce qu'est cet étrange film, unique en son genre dans l'histoire de l'unité d'Arthur Freed. Mais le moins qu'on puisse dire c'est que ce film était voué à l'échec commercial... Il est formidable d'ailleurs qu'il ait pu être réalisé...

Le projet prend sa source d'une part dans l'esprit bouillonnant de Kelly, qui a trop d'idées à la minute pour ne pas avoir envie de les exploiter, et dans la volonté d'étendre le musical au-delà des frontières communément admises depuis les années 30 et 40. Donc, après avoir, le plus souvent à la MGM, créé des ballets de plus d'un quart d'heure qui s'intégraient de façon impressionnante dans des narratifs plus traditionnels, et réalisé prouesse technique après prouesse technique (Danser avec une souris de dessin animé, avec un fantôme de lui-même, ou encore transformer les rues, les vraies et celles de studio, en un terrain de jeu), Kelly avait révolutionné le musical de façon durable en créant pour le public une figure identifiable, un brave type comme eux. Le temps était venu de faire un film entièrement consacré à la danse...

Donc, en trois ballets cinématographiques, Invitation to the dance se débarrasse des oripeaux conventionnels de la comédie musicale, en supprimant l'intrigue et les dialogues. Et Kelly s'est entouré d'un nombre impressionnants de talents Européens notamment, pour danser avec lui: Tamara Toumanova, qu'on reverra aussi bien dans Torn Curtain d'Hitchcock, que dans The private life of Sherlock Holmes de Billy Wilder, ou encore Claude Bessy font des apparitions notables (Toumanova hors de son registre classique); le metteur en scène a vraiment voulu créer une version totalement cinématographique de la danse. Une fois de plus, les prouesses de ce film (Qui reprend l'idée d'utiliser le cartoon sur un des trois ballets) sont uniquement disponibles sur film, les ballets en sont impossibles à reproduire hors de l'espace filmique...

Ce n'est absolument pas une surprise, Invitation to the dance doit énormément au cinéma muet, dont il reprend l'expressivité. Le premier des trois ballets contient d'ailleurs des allusions à Chaplin et au Cirque; le titre en est Circus. Il s'y inspire aussi partiellement de la fameuse séquence de pantomime policière qui ouvre Les enfants du Paradis pour faire bonne mesure. Le deuxième segment, Ring around the rosy, le plus "moderne", reprend l'idée de La ronde, en montrant au passage avec une grande ironie une vision surréaliste de la bonne société "avancée" de New York. La musique en est signée par André Prévin, très présent au piano. Enfin, Sinbad the sailor reprend le fétiche du danseur-comédien-metteur en scène-chorégraphe pour l'uniforme, en contant un Sinbad danseur, qui passe du pays des mille et une nuits, au pays des cartoons de Hanna et Barbera. C'était j'imagine prévu comme le clou du film... On peut noter que la partition de ce conte est inévitablement tirée de l'increvable Schéréhazade de Rimsky-Korsakov. Mais je pense que le deuxième segment reste le meilleur moment du film. 

Pourquoi l'échec, alors? Les gens avaient besoin d'une histoire, d'une part. Et si Freed a soutenu Kelly, on ne peut pas en dire autant du studio, qui a tout fait pour étouffer le film: tourné en 1952, post-produit en 1953, prévu pour sortir en 1954, et sorti finalement en double programme en 1956, rare film Américain à sortir en 1: 33:1 au milieu des superproductions en Cinémascope qui envahissaient les écrans... Je ne suis pas surpris. Mais je le suis beaucoup plus qu'on ait fini par oublier un peu ce film, qui me semble résumer à sa façon, en 90 minutes bien remplies, l'art si particulier d'un des plus grands chorégraphes de tous les temps, qui n'oublie jamais d'être avant tout un cinéaste.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical Gene Kelly Danse
8 octobre 2017 7 08 /10 /octobre /2017 18:12

En 1948, il est très probable qu'une grande partie du public Américain ne connaît de cette histoire que les versions raccourcies, en gros la trame choisie par Fairbanks et Niblo en 1921 pour le premier long métrage d'envergue consacré au fameux roman de Dumas. Ca ne me gène pas, puisque un livre et un film ce n'est pas la même chose. Je pense aussi, rien que pour faire grincer quelques dents (Je les entends grincer d'ici, du reste) que nul ne doit se sentir obligé d'avoir une bonne connaissance du roman avant de s'attaquer à la version filmique de son choix. Et d'ailleurs, n'importe quelle version des Trois mousquetaires n'a rien à voir avec Dumas: il n'a jamais tourné un seul film de sa vie, et Hugo n'est pas, ne sera jamais l'auteur des Misérables... de Raymond Bernard.

Cela étant dit, le parti-pris de cette version luxueuse (Le film dure plus de deux heures, ce qui est quand même assez rare en cette période d'après-guerre) est de revenir dans une durée malgré tout pas trop excessive à l'intrigue du roman dans toute sa complexité: en d'autres termes, contrairement à l'usage alors en vigueur, le film ne s'arrête pas à l'affaire des ferrets, et suit la lute acharnée contre Milady, et bien sûr... Constance meurt. C'est donc toute la portée du roman initiatique qu'était l'oeuvre de Dumas (Non, je me refuse à ajouter Maquet, laissez tomber) qui a été retenue dans un film qui développe aussi un nombre impressionnant de personnages, quand on y pense: dans les films sortis auparavant, on avait, en gros, D'Artagnan et Richelieu, plus une Constance générique, une garce pour Milady, un roi, une reine et un Buckingham sortie d'usine, et bien sûr, trois en un, trois mousquetaires anonymes.

C'est fini: D'Artagnan est bien le juvénile, impétueux, parfois présomptueux Gascon interprété par Gene Kelly, flanqué de deux mousquetaires génériques (Porthos et Aramis), et d'un Athos fantastique: Van Heflin interprète en effet cette version de D'Artagnan en plus âgé, qui va donner au film toute l'amertume nécessaire: l'aventure, ça fait des dégâts et ça use... Milady est plus complexe qu'il n'y paraît, et Lana Turner est fantastique. Et Vincent Price joue Richelieu, un Richelieu fidèle au précepte Hitchcockien selon lequel plus réussi sera le méchant, meilleur sera le film. Ce que j'appellerais volontiers le "théorème de Richelieu"...

Mais restons sur le plus notable, le fait que ce film est le premier non-musical dans lequel la star Gene Kelly joue. Etait-ce une bonne idée? Ca oui! d'abord parce que de tous les personnages de cette histoire immortelle, D'Artagnan est le plus bondissant, le plus caricatural aussi. Et étant Gene Kelly, il réussit le pari osé de transposer son talent de danseur émérite dans les cascades requises. ce qui sert tout le monde, il impose un rythme très soutenu au film. Il permet aussi de maintenir la cohérence du film quand celui-ci passe de la quasi-comédie picaresque (La première partie, jusqu'à l'affaire des ferrets) au drame humain et noir (Le destin de Constance, l'amour blessé de Athos et D'Artagnan, l'exécution de Milady traitée à la fois de façon baroque et délicate...). Cette impressionnante efficacité ne se dément jamais dans les 125 minutes que durent le film: on notera en particulier la scène de l'enlèvement final de Milady, traitée en un seul plan de 25 secondes, et vue essentiellement depuis le miroir de la traîtresse.

Voilà qui inaugurait un nouveau style des films d'aventure de la MGM, qui allait faire des petits: King Solomon's mines, Moonfleet, The prisoner of Zenda ou Scaramouche... Et voilà qui nous donne une version aussi complète que possible, tournée certes sur les côtes Californiennes (Et ça se voit), mais avec un tel élan que l'on ne peut qu'en redemander.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Aventure Gene Kelly Dumas
7 octobre 2017 6 07 /10 /octobre /2017 16:28

L'Ecosse, 1954: Deux Américains cherchant un raccourci qu'ils ne trouveraient jamais les ont rencontrés: les habitants de Brigadoon; Un petit pays coincé au nord des montagnes, et qui ne se réveille qu'une fois tous les cent ans, passant totalement inaperçu, et gardant depuis deux siècles sa tranquillité et son bonheur de vivre... Les deux amis ne sont pas d'accord: Jeff (Van Johnson) y trouve la vie trop simple, et Tommy (Gene Kelly) y trouve surtout la belle miss Campbell (Cyd Charisse) trop belle, voire franchement irrésistible...

Je suis mitigé sur ce film, qui est du reste l'adaptation d'un spectacle à succès, montré à . Broadway depuis 1947... Non qu'il soit mauvais, loin de là. Mais disons qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'il y avait peut-être mieux à faire, aussi bien pour Minnelli, dont les films dramatiques devenaient passionnants, et pour Kelly qui a du une fois de plus se mordre les doigts devant ses obligations à la MGM, qui le poussaient à faire le contraire de ce qu'il aimait faire: la poésie de sa chorégraphie est essentiellement urbaine, et ici, il doit arranger de belles volutes dansées par des athlètes chevronnés et tous calibrés, dans une nature reconstituée, qui est certes parfaitement photogénique, mais qui finit par devenir gnan-gnan... Alors il y a de bons moments, ça oui, et il y a Cyd Charisse, et de l'humour avec le cynisme incarné de Van Johnson (A travers le contraste entre le monde New Yorkais et le pays 'oublié' de Brigadoon, passe un peu la désillusion qui nourrira le film de Kelly et Donen It's always fair weather l'année suivante), mais comme c'est joli, bien propre, bien rangé: avez-vous remarqué que, fournies par le département costumes de la MGM, toutes les femmes portent ici les mêmes ballerines? Que tous les danseurs ont rigoureusement la même taille?

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical Vincente Minnelli Gene Kelly Danse
5 octobre 2017 4 05 /10 /octobre /2017 18:17

Trois GIs fêtent à New York la victoire et leur démobilisation: ils vont accomplir de grandes choses, et se promettent de se retrouver dans dix ans, au même endroit... Ted Riley (Gene Kelly) sera avocat, et il se mariera avec sa petite amie; Angie Valentine (Michael Kidd) sera cuistot, et il ouvrira un restaurant pour y faire de la cuisine à la Française; et Doug Hallerton (Dan Dailey) peindra, il envisage d'ailleurs de retourner en Europe pour y peindre des chefs d'oeuvre.

Bon.

En fait, la petite amie de Ted avoue dès la fin de la guerre qu'elle ne l'a pas attendu et il va abandonner ses rêves pour devenir manager d'un boxeur déclassé, Angie va ouvrir un fast-food familial, et Doug va devenir une huile, certes... mais de la publicité. Sans parler de son mariage qui va vite tourner au désastre. Alors quand ils se retrouvent, les trois ex-amis n'ont plus rien à se dire...

La bonne fée, là-dedans, sera la belle Jackie Leighton: rencontrée par hasard, la très efficace (Et esthétique: c'est Cyd Charisse) cadre dans la publicité va réussir à les réunir pour une émission de télévision, séquence émotion... l'occasion pour chacun des trois d'affronter ses démons.

Les trois, les trois, c'est vite dit: Michael Kidd a peut-être fondu un peu au montage, mais Kelly et Dailey, en revanche, ont droit à leur évolution, et à des aventures détaillées: un pétage de plombs monumental et hilarant pour Dailey, qui n'en peut plus de l'univers corporatiste dans lequel il évolue, et une aventure à la Kid Galahad pour Kelly qui tombe dans les griffes de la mafia. Comme on le voit, avec ce troisième film de Kelly et Donen, on n'est plus tout à fait dans l'univers rose bonbon des deux premiers. Ca racle dur, et la vie n'a pas été tendre avec ces trois anciens soldats... A tel point que le film, honnêtement, a le plus grand mal à démarrer. Heureusement, avec Cyd Charisse, l'intrigue décolle, et le niveau remonte de façon spectaculaire. Mais l'impression générale est celle d'un mélange parfois mal fichu, qui rend le film un peu indigeste. 

Et puis, après tout, comment pouvait-il en être autrement? Les deux réalisateurs ne souhaitaient pas retravailler ensemble après leurs deux films, et le fait de les rassembler a précipité une brouille qui ne s'est d'ailleurs jamais démentie jusqu'à la mort de Kelly! Et comme les deux hommes avaient généralement des vues différentes sur le style de leurs films, l'un prêchant le réalisme à tout crin, l'autre attiré par le factice, on se trouve ici sur un versant conflictuel de l'opposition entre ces deux tendances. Et Kelly peine dans un premier temps à gagner la sympathie pour son personnage... Ce qui n'empêche ni les grands moments (Kelly en roller skate dans les rues de New York, Cyd Charisse en meneuse de revue sur un ring avec un choeur de gueules cassées), ni les prouesses techniques (un numéro synchronisé filmé en split-screen...). donc si le film n'est pas Singin in the rain ni On the town, il ne mérite absolument pas le manque de succès qu'il a subi... Ni bien sûr le traitement indigne que le studio a fait subir, mais qui explique bien sur le flop! Donc si vous voulez voir un musical amer, un brin cynique, voire parfois mordant (la satire de la télévision), ne cherchez pas plus loin...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Stanley Donen Musical Gene Kelly Danse
8 juillet 2017 6 08 /07 /juillet /2017 16:26

"I'm an American, and I live in Paris", la première réplique par laquelle Jerry Mulligan (aucune relation consciente, au fait, avec l'immense saxophoniste Gerry Mulligan, c'est une pure coïncidence) s'adresse à nous a le mérite de justifier pleinement le titre, mais comme chacun sait sans doute, l'Américain à Paris du film est en réalité George Gershwin, seul compositeur dont la musique soit entendu dans l'intrigue. Une sorte de pari, pour le producteur Arthur Freed, qui souhaitait "emprunter" à Ira Gershwin ce joli nom pour une comédie musicale. Le frère du compositeur décédé n'aurait parait-il accepté qu'à la condition que toute la partition soit basée sur les compositions de George.

Arthur Freed, c'est bien sûr M. Musical à la MGM entre la fin des années 40 et les années 50, et il n'avait sans doute plus grand chose à prouver... pourtant ce film va occasionner un renouveau profond du genre, qui aboutira dès l'année suivante à l'un des plus beaux films du monde... Pas celui-ci, même si avec An American in Paris, on s'attaque quand même à un monument. Mais aussi à une oeuvre composite, paradoxale, et qui a du frustrer un peu les deux "autres" auteurs, Gene Kelly et Vincente MInnelli. J'y reviens plus loin...

Freed, Kelly et Minnelli se sont donc entendus sur l'histoire de Mulligan (Kelly), un ex G.I. resté à Paris pour tenter d'y vivre de la peinture, mais qui connaît aussi d'autres artistes: un pianiste de concert qui est sans le sou, Américain lui aussi (Oscar Levant, dont la présence ici s'explique sans doute principalement par le fait qu'il était un ami personnel de Gershwin), et Henri Baurel (Georges Guétary), un jeune chanteur à succès. Jerry Mulligan est "découvert" par une riche Américaine dont les intentions semblent plus qu'ambiguës, mais il fait aussi la rencontre de la jeune et jolie Lise Bouvier (Leslie Caron), et ils tombent tous les deux amoureux... Le problème, c'est que Jerry ne sait pas que Lise est fiancée à Henri...

C'est tout, et c'est après tout bien suffisant pour les images d'Epinal dont le film se nourrit. Son Paris est le Paris de toujours, celui des cartes postales... Seules quelques images de la seconde unité telles que celles qu'on voit derrière la voix off du début par exemple, ont été tournées à Paris... Et c'est là qu'on va pouvoir reparler de la frustration de Minnelli et Kelly, mais pas tout de suite. D'abord, admettons que si ce film a obtenu l'oscar du meilleur film en 1951, il l'a sacrément mérité! C'est une leçon de plaisir, aussi fausse que revigorante, et le pari un peu fou de Freed, confié à ces deux experts que sont Kelly et Minnelli, fonctionne sans trop de bémols (si j'ose dire): marier cette image du gai Paris tel qu'on le rêve, avec la peinture, la danse et bien sûr les chansons de Gershwin, toutes re-contextualisées: I got rhythm devient un échange entre Kelly et des enfants qui sollicitent une leçon d'Anglais, S'wonderful est chanté par Guétary et Kelly qui ne savent pas qu'en échangeant sur leurs amours, ils viennent de parler de la même femme, et Quand il danse avec elle dans une cave de St Germain, Kelly sussurre à l'oreille de Leslie Caron Our love is here to stay... A chaque occasion sa chanson, et si j'excepte la scène de Guétary sur Stairway to Paradise qui n'a aucun intérêt (Pauvre Guétary... Au passage il est nullissime, qu'il chante ou qu'il parle), même l'interprétation par Levant d'un Concerto in F en mode narcissique (il est au piano, mais il est aussi les musiciens, le chef d'orchestre et même un membre du public) qui aurait pu être anecdotique est relevé par une mise en scène qui joue admirablement des lumières et des couleurs, nous préparant à l'extraordinaire final du film...

Avant ce ballet de 17 minutes (pour lesquelles on utilise l'arrangement de Ferde Grofe pour An American in Paris, et comme il ne dure que 13 minutes, il a fallu l'étendre pour les besoins du film...), deux films de Michael Powell s'étaient penchés sur la possibilité de mélanger intelligemment musique et drame, sans un gramme de dialogue, sur une longue séquence. Black Narcissus (1947) est le premier, sans danse, avec une séquence entièrement muette mais rythmée par la musique, et le deuxième était bien sûr The red shoes, dans lequel le ballet du même nom se substituait au film, sur un quart d'heure, traitant la danse à la façon d'un Busby Berkeley faisant exploser les limites théâtrales et cinématographiques: voilà ce que désirait Freed, mais avec un fil rouge essentiel: Jerry Mulligan devait y évoluer dans la peinture, et cette peinture devait s'animer. Pari réussi, cette séquence est fabuleuse, et nous montre autant un homme qui est hanté par sa rencontre avec la femme idéale, qu'un artiste qui teste son art avec celui des grands anciens, pour se retrouver, à la fin, confronté à la même esquisse qu'au début... Leslie caron y est fantastique, la musique aussi évidemment, et Gene Kelly se joue de toutes les contraintes. Seulement voilà, le film lui a sans doute laissé un goût un peu amer...

Gene Kelly était un danseur passionné par l'idée que la danse puisse surgir de la vie et la vie de la danse: alors un film entièrement tourné en studio, forcément, ça ne lui convenait pas tant que ça. Et puis cet extraordinaire ballet prenant toute la place finit par être tout sauf spontané, il avait même fallu arrêter le tournage du film avant de pouvoir le mettre en route! Il est probablement que Kelly a du beaucoup accepter de compromis pour faire ce film, et c'est très certainement la raison pour laquelle il se retrouvera aux commandes du film suivant dans le genre...

Et Minnelli, qui garde ici un grand pouvoir (Son sens des couleurs, son contrôle sur des scènes difficiles, comme le bal en noir et blanc, ou encore son jeu autour des monochromes reste formidable) a du malgré tout ressentir un peu la même frustration, d'autant qu'entre la danse, la musique et la peinture, il était vraiment à la maison. Mais voilà: Freed n'allait pas se laisser voler le contrôle d'un tel film, qu'il souhaitait piloter... jusqu'aux Oscars. Et le metteur en scène était attiré par des intrigues généralement plus noires, plus complexes en tout cas que celle-ci. 

Mais après tout, tant pis pour eux, pourrait-on dire. Tant pis pour Guétary, laissons-nous aller à la danse, la musique de Gershwin, et à ce ballet difficile, véritable film dans le film, qui va installer un précédent (Auquel répondront Kelly et Donen dans Singin' in the rain, comme de juste): An American in Paris, c'est du plaisir.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Musical Vincente Minnelli Gene Kelly Danse
13 juin 2016 1 13 /06 /juin /2016 07:40

A Calvados, dans les Caraïbes, on vit un peu dans l'ombre des exploits légendaires du pirate mystérieux Mack, le Macoco noir! Si mystérieux qu'il a disparu des radars depuis quelques années, et que nul n'a jamais percé sa réelle identité; Manuela Alva (Judy Garland), plus que les autres jeunes femmes, en rêve nuit et jour, d'une façon plus romantique qu'autre chose, et elle aspire au grand frisson avec cet homme idéal un brin pas orthodoxe... Orpheline, elle apprend pourtant que sa tante Inèz (Gladys Cooper) a négocié derrière son dos un mariage arrangé avec le maire, Don Pedro. Elle n'est pas franchement réjouie à l'idée, d'autant que ce potentat qui a beaucoup voyagé (Walter Slezak) a justement décidé qu'il ne quitterait plus la petite ville, et Manuela se sent donc condamnée... Lors d'un déplacement, elle rencontre un jeune homme qui la trouble, l'acteur Serafin (Gene Kelly); celui-ci est tombé amoureux d'elle, et va la suivre, et lors d'une représentation théâtrale, va apprendre qu'elle est amoureuse du pirate. Il va donc trouver le moyen de s'introduire chez elle, et de devenir pour elle le Grand Macoco... Mais QUI est le grand Macoco, au fait?

Sous son intrigue délicieusement classique, sous des dehors exubérants de comédie musicale avec pour cette fois un fort accent sur le mot comédie, ce qui n'est pas si courant dans un domaine parfois assez convenu, le film cache des trésors de contrebande, comme dit Martin Scorsese... Une fois de plus, Judy Garland interprète une jeune femme coincée à la fin de l'adolescence, dont l'esprit va prendre un peu d'avance sur sa vie de femme: dans Meet me in St Louis, elle se voyait déjà mariée, mais dans The pirate elle s'imagine enlevée par un pirate que d'aucuns jugent sanguinaire. Mais Manuela, elle, pense que Macoco la traiterait "Comme une reine"... c'est à travers une séance d'hypnose qu'elle va faire sa révélation, comme si elle ne l'avait jamais admis de vive voix, et le personnage incarné par Gene Kelly va agir comme un déclencheur: grâce à lui, la jeune femme va oser donner corps à ses rêves, et c'est tout naturellement qu'elle va céder à ses avances, après une période raisonnable de protestation, et une ou deux chamailleries...

A travers son amour délirant pour la figure légendaire du pirate, c'est de passion dont Manuela rêve, de complicité et d'amour aussi. Probablement un peu de sexe, même si le cadre rigide du code oblige nos cinéastes à traiter le sujet en sous main (...Plutôt que par-dessus la jambe!!). Cette dimension se révèle à nous par la biais d'un ballet impeccable dans lequel Manuela voit Serafin en Macoco, portant le même costume que Douglas Fairbanks dans The black pirate, dompter des femmes lascives, dans une nuit rouge... Superbe séquence onirique, tournée en studio, ce qui se voit: c'est l'une des attractions les plus étranges de ce film, qui ne cache jamais totalement sa dimension factice. Minnelli assume ce côté faux et le souligne en permanence, car il est après tout beaucoup question de dissimulation, de fausse identité, de percer u être à jour dans le film... Plus que tout, c'est le théâtre, vecteur amoureux de la complicité entre Serafin et Manuela, qui va agir dans le bon sens pour faire triompher la vérité: Manuela et Serafin utilisent donc le faux pou révéler le vrai!

Le style de Minnelli fait merveille, combiné avec l'énergie fabuleuse de Gene Kelly. L'un chorégraphie des ballets qui partent dans tous les sens, et l'autre incorpore de façon parfaite ces élans difficiles à capter, dans une mise en scène qui donne l'impression d'un souffle ininterrompu. Il fallait une science du montage, un don pour le rythme et une sacrée discipline aux deux hommes pour réussir leur coup! Et il fallait de l'humour aussi, car Gene Kelly a ici pris la direction qui est le plus souvent la sienne, dans ces merveilles qu'il a chorégraphiées: la danse nous fait rire, sans jamais qu'on se moque totalement des personnages. J'ai par ailleurs cité Fairbanks, mais on verra aussi des allusions à Laurel et Hardy... la morale du film, d'ailleurs, est incarnée par la chanson (De Cole Porter, comme toutes celles du film) Be a clown... Tout un programme! Bref, on l'aura compris, ce film exubérant vaut le détour...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Vincente Minnelli Gene Kelly Musical Danse
15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 11:08

Trois marins ont une permission de 24 heures à New York, une ville merveilleuse, mais qu'ils ne connaissent pas encore. Ils décident de faire de cette journée un souvenir mémorable, mais par où commencer? En prenant le métro, ils voient une affiche à l'effigie d'une New-Yorkaise, et se méprennent: ils s'imaginent qu'elle est une grande vedette, et Gabey (Gene Kelly) tombe instantanément amoureux d'elle. Avec ses copains Chip (Frank Sinatra) et Ozzie (Jules Munshin), il se met en quête de la belle Ivy Smith (Vera Ellen). En chemin, les trois vont aussi faire la connaissance de Hildy (Betty Garrett), chauffeur de taxi et amoureuse en un clin d'oeil de Chip, et croiser dans un musée d'anthropologie le regard de Claire (Ann Miller) qui développe aussitôt un penchant pour le faciès néo-pithécantropesque d'Ozzie... Ils vont aussi faire pas mal de bêtises, déclencher quelques ennuis, et bien sur, trouver Ivy Smith; mais celle-ci n'est pas celle que Gabey croit.

Premier film mis en scène par Kelly et Donen, On the town prend sa source dans un musical de 1944, mais qui a été profondément altéré au moment de passer sur pellicule. De nouvelles chansons, d'inspiration plus jazz, ont été composées et enregistrées, et des changements dans le script ont été opérés. Et surtout, le film semble avoir été fait en totale liberté. On sait que l'idéal de Gene Kelly était de libérer la danse au cinéma, de la capter dans la vraie vie. C'est paradoxal pour quelqu'un qui a si longtemps travaillé pour la MGM, l'empire du faux, mais c'est palpable dans ce film qui ancre par de nombreuses scènes son action dans la vraie vie, dans les vraies rues de New York, juste le temps de faire entrer le spectateur dans l'illusion. Et ensuite, eh bien... la fantaisie la plus totale s'empare du film, qui ne possède pas un moment de répit. L'énergie de la chorégraphie de Gene Kelly se marie avec le génie visuel du co-réalisateur, qui peint toujours à la perfection ses éclats de couleurs, et n'a pas son pareil pour intégrer la danse dans un montage parfaitement équilibré entre plans longs et inserts malins, laissant le montage assurer la narration au gré de sa fantaisie.

L'équipe fantastique formée par Kelly et Donen, qui retravailleront bien sur sur deux films ensuite, dont l'un des plus beaux du monde, fait ici merveille, et on ne s'étonnera pas que trois ans avant Singing in the rain, les deux compères aient fait de cette petite visite de New York en vingt-quatre heures un film autrement plus enlevé que le sympathique mais parfois si soporifique et empesé Anchors aweigh de George Sidney...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Stanley Donen Gene Kelly Musical Danse
14 juillet 2014 1 14 /07 /juillet /2014 16:07

Y-a-t-il quoi que ce soit à dire sur ce film? Au-delà du plaisir immense qu'il procure, de la perfection de ses accomplissements? Au-delà du fait qu'il représente à la fois un tour de force visionnaire dont le style était en avance de quelques années sur le reste de la production des années 50, et une quintessence de l'art classique de la comédie musicale dont il est le plus beau de tous les représentants? D'autant qu'il est un film idéal pour bien des gens, lors de leurs rares séjours en île déserte, bref: un film qu'on peut voir et revoir en boucle, et qui nous fait nous sentir bien, un film hallucinogène sans danger, un anti-dépresseur, un doudou, et bien d'autres choses encore. Oui, avec tant de gens de par le monde qui connaissent le film, à quoi bon? Bien sûr, il y en a encore qui ne l'ont pas vu, soit par ignorance, soit parce qu'ils n'y ont pas été confrontés, soit parce qu'ils sont du genre à juger avant visionnage, et ne sont pas attirés par un film classique Hollywoodien ("Oh, bah ça a l'air vieux ton truc, il date de quand, 1998? 1999?"): les pauvres. Qu'ils le voient, après tout. Non, je vais juste me contenter de partager le fond de ma pensée sur un certain nombre de points:

Dignity, always dignity

Le film parle de cinéma, donc, à travers les carrières de Don Lockwood (Gene Kelly), et Lina Lamont (Jean Hagen), tous deux inspirés de diverses stars de l'époque du muet. On y voit un bel hommage à cette facette lointaine de l'art Américain, et c'est d'autant plus remarquable que le cinéma muet a été balayé, effacé dès 1930, et est tombé purement et simplement dans l'oubli. C'est vraiment depuis les années 60 qu'on a commencé à sortir les films de oubliettes... Donc, ici, les ascensions fulgurantes des acteurs et stars et leurs parcours délirants (John Gilbert a par exemple été accessoiriste et scénariste avant de devenir un acteur de premier plan) sont vus par le biais de l'évocation de la carrière de Don Lockwood, musicien de plateau, puis cascadeur et enfin star. Les séquences sont amusantes par le décalage ironique constant entre le discours glorieux de la star, qui invoque sa dignité constante, et les images de ses exploits bien moins remarquables. Pour le reste, Singin' in the rain explore la faune Hollywoodienne de l'époque, les studios, le fonctionnement, et le système des previews...

Hollywood 1927

Le film est situé à une date charnière, et comme le laisse entendre le pianiste Cosmo Brown (Donald O'Connor), il était facile de tout perdre en un jour: le parlant est arrivé mais a tout renversé, les metteurs en scène ont été virés et remplacés par des hommes de théâtre, les acteurs ont été doublés, virés, coachés par des orthophonistes plus ou moins professionnels, etc. Et surtout, la belle machine du cinéma, qui se faisait dans le bruit et la fureur, en présence de musiciens et avec des acteurs qui pouvaient dire ce que bon leur semblait pour obéir aux consignes que leur aboyaient les réalisateurs, tout ça est devenu un parcours du combattant, à cause de ce foutu micro. La scène exceptionnellement drôle qui joue avec cet aspect est inspirée d'une scène de Anna Christie (Clarence Brown, 1930): Greta Garbo ne devait pas trop s'éloigner d'une lampe qui était en fait un micro camouflé. Comme c'était Garbo, on ne s'en aperçoit pas. Mais Lina Lamont n'est pas Greta Garbo, loin de là.

The roaring twenties

Il est notable que dans Singin' in the rain, les années 1927/28 sont admirablement reproduites: par exemple, dans la mode aussi bien masculine, que féminine, que dans les vêtements portés par les danseurs et chanteurs; les visages de la plupart des acteurs correspondent aussi à une certaine tendance de la beauté contemporaine, ainsi que les tendances excentriques: ainsi une "vamp" aperçue lors de deux scènes renvoie-t-elle à toutes les belles filles fatales du cinéma des années 20, de Nita Naldi dans the Ten Commandments à Bebe Daniels dans The affairs of Anatol. La musique n'est pas en reste bien sur, même si le film ratisse large, de 1929 (Singin' in the rain) à 1939 (Good Morning), en passant par 1933 (Temptation, un gros tube d'un film avec Bing Crosby, sur la musique duquel les convives d'une party dansent langoureusement). L'ambiance est à la fête, pour tous: Lockwood et Lamont sont attendus à Beverly Hills pour une fête, mais Kathy Selden (Debbie Reynolds), aspirante artiste, y est attendue aussi... pour travailler. Le cinéma est un divertissement rentable et va de pair avec la presse; ainsi, comme Lina Lamont elle-même, des millions de jeunes femmes éperdument romantiques croient dur comme fer à l'idylle publicitaire entre Lockwood... et Lamont. Enfin, dans Singin' in the rain, non seulement les films parlent, mais les gens aussi... et les expressions (You're darn tootin'), les références culturelles (Al Jolson), le langage à la fois argotique et châtié, tout renvoie à cette période. C'est, décidément, très bien vu, et je pense que seuls Billy Wilder, et aujourd'hui les frères Coen sont parvenus à un tel niveau de précision, tant sur la récréation du langage que de l'atmosphère d'ensemble d'une époque.

Of course, we talk! Don't everybody?

Oui, les acteurs de ce film, comme le fait remarquer l'insondablement crétine Lina, parlent, ça va de soi. Mais il y a un détail à rectifier: cité dans Singin' in the rain comme le film qui crée la révolution du cinéma parlant, The jazz singer (Alan Crosland, 1927) n'est pas un film parlant. Ce n'est pas un film muet non plus, du moins pas entièrement: c'est un film sonore. On y entend Al Jolson chanter pendant une quarantaine de minutes, disséminées dans les 11 bobines du film, et il y a deux dialogues: une courte répartie lors d'un de ses spectacles, et un échange avec sa maman, qui dure environ deux minutes. C'est tout. Ces quelques 125 secondes de bruit synchronisé ont créé l'engouement, et l'envie d'en avoir plus, et par ricochet les films sont progressivement devenus parlants; le premier du genre, bien sur, était Lights of New York (Brian Foy, 1928), paraît-il un désastre. Dans l'ensemble d'ailleurs, la profession était parfaitement au courant des développements, qui se sont déroulés entre 1925 (Premiers courts métrages synchronisés, premières actualités sonores) et 1929 (Généralisation du parlant). Donc ce n'est pas aussi simple, ni clair d'ailleurs, que la façon dont le film nous le raconte... Mais c'est un raccourci pratique.

What am I, dumb or somethin?

Bonne question... Lina Lamont est un personnage extraordinaire, que les auteurs ont su introduire d'une façon merveilleuse. Vue à la première triomphale de leur dernier film au début, en compagnie de Don Lockwood, elle ne dit pas un mot, même lorsque c'est elle qu'une journaliste de la presse cinématographique l'interroge: à chaque fois qu'elle envisage de parler, c'est Lockwood qui répond. Puis l'acteur se lance dans une évocation (Salutairement mensongère, voir plus haut) de leur passé commun, et le spectateur voit bien qu'elle n'a pas l'air très fine, et qu'elle est profondément antipathique. Enfin, après la projection, elle aimerait parler au public, mais c'est encore Don qui monopolise la parole. Bref, on ne l'a pas entendue une seule fois parler lorsque de son incroyable voix avec un accent ignoble, elle lance un tonitruant "For heaven's sake, what's the big idea?" entre la 13e et la quatorzième minute. La vérité éclate: elle a une voix de crécelle, et elle fait partie de cette enviable catégorie de gens qui réussissent à faire des fautes d'orthographe en parlant. Mais ce n'est que la cerise sur le gâteau, on la hait déjà quand on a cette révélation, les auteurs ayant eu le bon goùt de ne pas miser toute la détestation qu'on allait lui prodiguer sur cette merveilleuse difformité spirituelle et vocale...

Mais cela va bien sûr apporter son lot de problèmes, lorsque le cinéma va se mettre à parler. En attendant, elle va partout, arrogante et sûre de sa supériorité, qui lui fait poser tout le temps la même question: "What am I, dumb or somethin?", soit "Qu'est-ce qu'il y a, je suis bête, ou quoi?". Personne n'a jamais eu le courage de lui répondre. Merveilleuse créature, Lina Lamont doit tout à Jean Hagen qui a su lui donner tous les défauts sans jamais de tromper dans les dosages, et l'actrice mérite le prix Nobel. ...Hagen, pas Lamont.

Gotta dance!!!

Avec des chansons de Arthur Freed (Producteur du film), prises dans l'ensemble de son oeuvre, ce film est bien sûr chanté, avec talent, mais il est aussi et surtout dansé. Réalisation de Kelly et Donen, dont on sait qu'ils étaient tous deux à la fois chorégraphes et réalisateurs... Mais l'un d'entre eux était quand même nettement plus chorégraphe que l'autre, cela va sans dire. On retrouve occasionnellement le cheval de bataille de Kelly dans Singin' in the rain, lui qui estimait que le danseur devait être saisi dans la rue même, et danser avec tout son environnement. Lorsque Don et Cosmo transforment une séance d'élocution en un n'importe quoi réjouissant, ou lorsque Cosmo chante Make 'em laugh, on a des illustrations de cette danse urgente et magnifique... Et bien sûr lorsqu'un studio est transformé en une rue humide de pluie à Los Angeles, et que Don Lockwood réinvente la danse de la pluie pour notre plus grand bonheur, c'est le même esprit... Pourtant une grande partie du film voit Kelly pratiquer (En danseur mais aussi en chorégraphe) de la danse en studio, ce pour quoi il n'avait pas grande affection. Mais peu importe: pour lui, pour Donald O'Connor, pour Debbie Reynolds aussi, le film est une démonstration magnifique de talent, et tous ceux qui ont vu le film se rappellent de ces moments exubérants.

Mais il y a mieux: à l'heure actuelle, le professionnalisme venu de Broadway a tendance à vampiriser tout, et la dense telle que la concevait Kelly, qui devait être un reflet de la vie, est un peu oubliée. Pourtant, le film n'oublie pas de laisser quelques imperfections, comme ce moment ou des girls (Dont Debbie Reynolds, qui sort bien sûr d'un gâteau) chantent et dansent sur All I do is dream of you, et elles ne sont pas tout à fait synchronisées, que ce soit en chantant ou en dansant. Ce ne sont pas non plus, loin s'en faut, des clones les unes des autres... Il en résulte une scène à la vie impressionnante...

Enfin, comme An American in Paris (Vincente Minnelli, 1951) avant lui, le film laisse le délire de la danse l'envahir dans un long passage, qui est admirable. Broadway melody (Harry Beaumont, 1929) y est évoqué (C'est le premier musical de l'histoire a avoir obtenu l'Oscar du meilleur film), et l'invention picturale de Donen y rejoint le génie de Kelly. ...qui trouve une nouvelle partenaire à sa mesure, lui qui aimait tant à se confronter avec d'autres danseurs, dont il exigeait toujours la lune d'ailleurs: bien qu'effrayée (Si on en croit les rumeurs) d'avoir un tel partenaire, Cyd Charisse est inoubliable. Avec son bagage classique, c'est une danseuse paradoxale: elle a souvent été employée pour ses extraordinaires longues jambes, et le film tend à confirmer que cette ballerine d'exception n'a même pas besoin de danser... Pourtant, elle le fait, et c'est peut être le sommet surréaliste du film.

Stanley Donen

Metteur en scène reconnu depuis, qui n'a cessé de jouer avec la forme, les couleurs, en intégrant dans ses films, qu'ils soient comédies musicales (Funny face, Seven brides for seven brothers, Royal wedding), parodies Hitchcockiennes (Charade, Arabesque), comédie (Bedazzled) ou chronique douce-amère (Two for the road) les images et les sons de l'air du temps, en passant par la publicité, la mode, les vêtements, le langage, etc. Autant dire que ce film est son film-matrice, son meilleur press-book. Même s'il le partage, et que le partenaire prend toute la place, il n'est pas difficile en comparant Singin' in the rain à d'autres films de Gene Kelly, ou avec lui (An American in Paris, de Minnelli, par exemple), de voir ce qui est à Donen...

Et en particulier, le talent extravagant du metteur en scène éclate dans un montage situé à la fin du premier acte, avec recours à des images de mode (Devançant l'exubérance du monde de la mode vu dans Funny face de 3 années) lors d'une interprétation de la chanson Beautiful girl; cette présence de Donen est surtout visible dans le ballet final, avec cet extraordinaire moment durant lequel Don Lockwood à une fête aperçoit la femme qu'il a déjà rencontrée, et tout à coup ils sont seuls tous deux, dans un immense studio. Elle est en blanc, et un immense voile qui la prolonge et s'envole durant leur danse, la rend irréelle... Une image qui fait penser aux rêves du surréalisme, et qui est admirable.

You've seen one, you've seen them all!

Sans doute Kathy Selden a-t-elle raison lorsqu'elle dit à Lockwood que voir un film, c'est les avoir tous vus: dans les années 20, à la MGM par exemple, les films suivaient une formule; c'est le cas dans Singin in the rain des productions Lockwood/Lamont de "Monumental Pictures", bien sur. Les chefs d'oeuvre reconnus aujourd'hui sont justement ceux qui se dégageaient de cette tendance. Alors on peut essayer de renvoyer ce miroir sur le film lui-même... Et Singin' in the rain est unique. C'est un musical parfait, sans défauts ou presque... Il réussit à trouver une adéquation totale entre le fond (En gros, rappeler à la fois l'importance de l'art et le fait que c'est toujours de l'illusion, tout en montrant que le spectacle, c'est l'air, l'eau, le sang et la vie des artistes qui le font...) et la forme (Dansée, chantée, jouée et filmée). Je mentionnais un défaut, quelques lignes plus haut, c'est en réalité trois fois rien, mais ça n'est pas passé inaperçu; Joss Whedon, qui a tourné pour la télévision et pour internet deux musicals (Buffy, saison 6, épisode 7: Once more with feeling d'une part, et Dr Horrible singalong blog d'autre part), cite ce petit travers dans son épisode musical de Buffy the Vampire slayer: lorsqu'un groupe de personnages a fini de danser et chanter comme des crétins dans une comédie musicale, le retour à la réalité les voit éclater de rire, mais après le tour de force qui vient de se dérouler sous nos yeux (Good Morning dans Singin' in the rain), ce brusque accès de rire sonne faux et est généralement embarrassant. Mais honnêtement? C'est tout, le reste n'est que du bonheur.

Voilà, donc, je rappelle que ce film est bien celui dans lequel Gene Kelly danse comme un fou dans la pluie en chantant une chanson que vous connaissez tous. C'est bien de le savoir, mais sachez aussi que toutes les scènes de ce film sont de ce calibre, faisant de cet ensemble de dix bobines merveilleuses un concentré de grâce cinématographique dont il n'existe qu'un exemplaire, un seul. Si vous l'avez vu, vous savez de quoi je parle. Si vous ne l'avez pas vu... Mais qu'est-ce que vous attendez?

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Stanley Donen Gene Kelly Musical Danse