Le film de 1977, phénomène de société sans précédent à sa sortie, a beaucoup changé depuis sa sortie... Que reste-t-il du troisième long métrage (Et sa dernière réalisation avant plus de vingt longues années, et soyons franc, son dernier grand film) de George Lucas, dans les infâmes tripatouillages à tous les niveaux que ce petit film d'aventures intersidérales a subi depuis? C'est un fait: pour le juger à sa juste valeur, il convient de revenir à la source, aux copies de 1977, celles qui n'ont fait l'objet d'aucun remontage, d'aucun ajout numérique, d'aucune trahison de ses personnages (qui a tiré sur qui dans la fameuse auberge de Mos Eisley?) ni d'aucun retitrage révisionniste: En 1977, le film n'était ni un "épisode IV", ni "A new hope", ni quoi que ce soit d'autre. C'était un film inattendu, inspiré par une oeuvre Japonaise, en l'occurence La forteresse cachée, de Kurosawa, et une possibilité inattendue de véritable renouveau de la science-fiction, à cette époque essentiellement cantonnée en deux courants: le courant "noble", représenté par les films-pamphlets et les oeuvres à connotation environnementale d'un côté (Planet of the apes, Soylent green), et de l'autre le reste: "Space opera", les films de genre, séries B ou Z, promesses éphémères d'échappatoire provisoire pour des cinéphiles en quête de frisson, et pas trop regardants sur les budgets. Difficile à imaginer aujourd'hui, mais un film d'aventures intergalactiques, vu et célébré à travers le monde par des millions de passionnés, c'était de la fiction... avant Star Wars.
Lucas le dit encore aujourd'hui, et à chaque fois ça change un peu: il avait tout prévu. Et c'est probablement vrai: dans sa tête, tout était déjà là: les histoires des personnages (le parcours de Darth Vader, par exemple, avant qu'il ne devienne cette menace ambulante et mystérieuse, les liens familiaux entre les personnages, etc.). Mais cela n'apparaît que succinctement dans le film, et cela n'était sans doute destiné à vraiment servir que dans l'hypothèse d'une suite. Comme on le sait, la possibilité de mettre en chantier The Empire strikes back est sans doute ce qui a vraiment donné vie à la "saga" Star Wars. Maintenant, on peut tout simplement imaginer que ce film de 1977 se soit planté, et qu'il n'ait donc rien généré au-delà des deux heures de plaisir qu'il offre, et... exit les liens mythiques ("I am your father" qui n'est pas dans Star wars puisque c'est dans Empire...), exit le développement de la "Force" et des Jedis au-delà des quelques allusions du film, exit les Ewoks, et... exit Haydn Christensen... Traitons donc ce Star Wars de 1977 à sa juste mesure, comme le film d'aventures absolument définitif qu'il est, ce ne sera déjà pas mal...
Et pour commencer, ce qui me frappe a posteriori, c'est à quel point le film est né d'une filiation étrange avec American graffiti. On a beau être,dans Star wars, situé de nombreuses années avant notre ère dans une galaxie lointaine, Luke Skywalker et Han Solo, ce sont des jeunes Américains! l'un est désireux de sortir de son trou pour se confronter au monde, et l'autre l'a déjà fait, et depuis si longtemps que la filouterie est chez lui une seconde nature... On est proche de ces jeunes Américains en proie à un rite de passage en une seule nuit avant de partir qui à l'université, qui au Vietnam. C'est frappant aussi de les entendre parler en jeunes Américains de 1977, alors que d'autre part tous les personnages adultes engagés dans la lutte, que ce soit pour l'empire ou pour la rébellion, parlent avec une emphase qui ferait passer les dialogues de Cecil B. DeMille et Jeanie McPherson pour du Audiard. Le "couple" Solo-Skywalker, deux hommes éloignés des habitudes de la rébellion, fonctionne à merveille, nous donnant toutes les clés pour entrer en douceur dans cette histoire improbable... De son côté, la princesse Leia, inspirée d'une des héroïnes les plus fascinantes de Kurosawa, fait beaucoup plus que la prolonger, et mène sa barque avec beaucoup plus qu'une autorité capricieuse: on comprend qu'elle puisse être irrésistible. Cette force des personnages du film, bons comme méchants, est un atout de poids et l'un des grands arguments du film. Depuis THX 1138 et ses personnages en quête d'humanité, Lucas a bien su justement développer ses caractères, et cet aspect se retrouve jusque dans les droïdes, cette merveilleuse invention scénaristique qui renvoie Robbie le robot (Forbidden planet) à l'antiquité de la science-fiction. George Lucas donne aussi en quelques scènes et en regards une vérité touchante à l'oncle et à la tante de Luke, et bien sûr fait d'un personnage marmoréen doté de handicaps terribles, et de soucis techniques irréversibles, l'incarnation du mal absolu. Et il laisse la porte ouverte de façon troublante, grâce à la superbe prestation d'Alec Guiness, qui donne vie sans effort au personnage le plus mystérieux du film. Lucas (encore une fois sans doute mené par une pré-science des directions dans lesquelles il allait mener la suite, mais comment pouvait-il en être sûr, et comment pouvait-on l'imaginer à l'époque?) donne même à Obi-Wan Kenobi une sortie grandiose et inexplicable à la fois, sans que jamais une explication rationnelle ne vienne gâcher la fête! Kenobi incarne bien toute la séduction de l'inconnu, de cette évasion mystique qui va faire que Luke ira dans une direction bien différente de celle de son frère d'arme Han Solo, qui lui ne se départit jamais de sa lecture cynique et terre-à-terre des événements. Avec ce film, le personnage du jeune Skywalker entame bien un authentique parcours initiatique totalement justifié par le destin de celui qu'il a, brièvement, choisi comme maître, et qui sans explication choisit de quitter la scène à un moment où il sait qu'on n'aura plus besoin de lui. Ainsi le film possède-t-il sa propre touche mythologique sans avoir besoin de trop en ajouter, ou de puiser dans le passé hypothétique des personnages!
Quant à la thématique, on ne sera pas surpris du fait que Lucas choisisse de botter en touche en choisissant du passe-partout: résistance contre la barbarie dictatoriale, et renvoi à une hypothétique et mythique situation primale: Leia Organa est donc une princesse, sans plus de précision. Elle est impliquée, oui, se bat contre une certaine forme de fascisme qui ne fait aucun doute, mais elle le fait en combattant pour "son peuple", comme le dit le déroulant initial. Le film, en ces généreuses années 70 (Jimmy Carter vient d'être élu président des Etats-Unis, et durant quatre années, la politique extérieure des Etats-Unis va se teinter d'un certain idéalisme), est exportable à l'infini, il trouvera grâce à son histoire passe-partout une résonance chez tous les peuples du monde, ce qui en fait un film bien pratique pour passer les fêtes... Non, décidément, l'essentiel est ailleurs, dans le renouveau d'un genre, dans le plaisir de passer deux heures en compagnie des personnages, et au niveau du film la création d'un univers aussi cohérent que possible est encore bien limitée par rapport à ce que ça va devenir dès le film suivant. On remarque ici, d'ailleurs, quelques détails qui vont bien changer, notamment dans la façon de s'exprimer: la Force est jugée essentiellement comme un élément purement religieux, sans qu'aucune (inutile) explication "physique" ne soit donnée quant à son existence, car après tout comme disait Alfred Hitchcock, la force n'est qu'un "MacGuffin", un prétexte à accepter si on veut que le film marche. Et dans ce monde troublé par la lutte entre dictature et résistance, les Jedis sont mentionné comme une secte, un élément qui disparaîtra au fur et à mesure des dialogues des films suivants...
Enfin, le film est aujourd'hui émouvant à voir parce qu'il tranche complètement sur l'image véhiculée par les superproductions qui ne manqueront pas de suivre, et c'est ce qui rend indispensable de le voir dans son montage d'origine: les effets spéciaux optiques, les truquages vintage, l'impression d'assister à un spectacle physique, et tangible sont sans prix, dans un business qui se noie dans l'artifice. Spielberg aujourd'hui fait tout pour maintenir le contact avec la réalité, en utilisant à l'ère numérique le plus de live-action possible, et en privilégiant à chaque fois que c'est possible et pertinent des effets spéciaux en système D. On sait que c'est précisément parce qu'il n'en pouvait plus de devoir lutter contre les imprévus d'un tournage que Lucas allait déléguer ses deux films suivants, puis tourner sa dernière trilogie en utilisant toujours plus de numérique. Mais ici, justement, le fait d'avoir utilisé de vrais décors (Et beaucoup, par leur nudité même, sont fascinants), de vraies maquettes, et ce bon vieil arsenal de la science-fiction, en l'état: truquages optiques et surimpressions sur maquettes: et c'est là que se situe le travail de l'illusionniste. Lucas était sans doute mal à l'aise, mais le résultats est une splendeur... si on a la chance de le voir tel qu'il a été conçu, et comme chacun sait ce n'est pas facile, compte tenu de la volonté farouche d'enterrer cette version, et de noyer le film spectaculaire et visionnaire de 1977 dans une saga dont il ne serait qu'un maillon.