Comme le dit Alexandre Dupré, "Je ne fais pas dans l'utile, je fais dans le romanesque"... Et c'est là tout le problème de ce film!
Car après le succès de Flic ou voyou, Lautner, Belmondo et Audiard ont carte blanche et un budget conséquent: ce dernier point pour la première fois dans la carrière de Lautner, habitué au système D, et aux tournages gracieux à Nice parce que le maire est un copain... Les trois compères s'entendent pour réaliser un film qui sera une fois de plus un mélange entre comédie et espionnage, avec bien sûr accent sur les cascades et le côté bondissant de Jean-Paul Belmondo. Mais il y a deux problèmes insurmontables, qui sont pour beaucoup dans le fait que ce film au titre insupportablement crétin, est un tas de boue sans saveur...
Premièrement, Lautner est habitué à adapter des romans, les trahir certainement, mais il part d'une intrigue, d'une colonne vertébrale, quoi. Ici, il n'y a rien... Ou du moins, un personnage, qui adore se déguiser, tromper son monde, et qui a un problème avec les convenances et l'autorité (et le bon goût, aussi).
Et le deuxième problème, c'est Belmondo: une star avec caprices, et non des moindres: en gros, tout se passe comme si le flm s'était construit uniquement sur la promesse à la star d'une scène qui lui permettrait d'être suspendu à un hélicoptère, au-dessus de Venise, en caleçon à pois avec un haut de forme... j'imagine le jour où Lautner s'est présenté à Alain Poiré avec ce pitch! Bien sûr, Jean Vautrin (sous le pseudonyme de Herman) s'est attelé à un semblant de scénario, mais pour des raisons de décence, je ne vais même pas en parler.
Bref, passez votre chemin, à moins d'avoir envie de voir des personnages se sortir des pires situations en donnant un coup de pied dans les joyeuses d'un personnage qui se met alors à hurler en se tenant les cousines endolories. Surtout qu'à un moment, c'est Philippe Castelli qui se fait torturer ainsi, et s'il est accepté que cet acteur fétiche de Lautner est exécrable en toutes circonstances, il est ici pire que tout.
Un type étrange, un peu vulgaire et carrément bohème, commence à agiter la pègre Niçoise en distribuant les bourre-pifs et en posant des questions gênantes au sujet de la mort suspecte d'un flic, et d'une prostituée: c'est qu'en dépit des apparences (on a retrouvé son corps abattu d'une balle sur la grande corniche), le policier un rien pourri serait mort en compagnie de la jeune femme, dans un motel miteux. L'affaire, compliquée, est liée à deux sales types qui se partagent les sales coups sur toute la côte d'azur (autant dire qu'entre les deux, la moindre étincelle peut déclencher des hostilités), et qui semblent couverts par des avocats et des policiers...
Le type étrange qui mène l'enquête, c'est Belmondo. Alors on pourrait développer, ou se contenter que c'est l'acteur en roue libre, à son pire: c'est exactement ça, et il fâcheusement irritant. De son côté, Lautner assure son service habituel, avec quelques haltes bienvenues (deux scènes de meurtre ou d mort violente, dont celle d'ouverture qui est impeccable), et sa troupe. Audiard fournit à la star un dialogue à sa mesure, fait de monosyllabes, et l'enquête débouche quand même sur une bien sale impression: l'idée selon laquelle pour bien faire régner la loi, il faudrait empêcher les gangsters de la violer, et forcer les flics à le faire. Ce que Belmondo (oui, car il est représentant des forces de l'ordre) fait avec insistance: de là à traiter le film de fasciste, il n'y a qu'un pas, que je ne me refuse absolument pas de franchir.
Sinon, oui, un cinéma s'appelle "le terminus des prétentieux": au-delà de l'allusion aux Tontons, ne serait-ce pas un message codé, une façon de dire tout le bien qu'on pense d'un cinéma exigeant? Bref, au contact d'un acteur laissé à ses manies, Lautner et Audiard n'en finissent pas de perdre leur talent.
Le puissant Constantin Bénard Shah meurt dans les bras d'une jeune femme, dans un établissement adéquat, et tout le petit monde du renseignement s'émeut: sil est un ami déclaré de la France, le trafiquant d'armes international possédait malgré tout un certain nombre de brevets particulièrement intéressants, que personne ne veut voir tomber dans les mains adverses. A tout prix, les espions vont donc devoir "séduire" sous tous les sens du terme, la jeune veuve (pas si) éplorée (que ça), Amarante, de son vrai nom Antoinette (Mireille Darc): le "chanoine" Eusebio Cafarelli, le suisse (Bernard Blier); le Russe Boris Vassilieff, dynamiteur romantique (Francis Blanche); l'Allemand Müller, le "bon docteur" (Charles Millot); et enfin, Francis Lagneau, dit "requiem", dit "Bazooka", le Français: tous ces hommes vont se retrouver au château de feu Bénard Shah, afin de soutirer les brevets à la belle dame, tout en formant des alliances de circonstances, contre l'Américain O'Brien (Jess Hahn) et contre les Chinois qui, décidément, pullulent dans les souterrains du château...
Le succès des Tontons Flingueurs a libéré Georges Lautner: lui qui a fait suivre, par prudence, son premier "polarodique" avec Lino Ventura, d'une comédie plus traditionnelle et raisonnable (Des pissenlits par la racine) histoire d'assurer ses arrières, peut désormais s'en donner à coeur joie: du coup, le deuxième des trois films avec l'ancien catcheur, acteur génial et instinctif, est aussi le plus volontiers expérimental, déraisonnable, et réjouissant à force d'excès. Il y a vraiment un avant et un après Les Barbouzes, pour Lautner et Audiard. D'ailleurs, ce n'est pas que la force du film: si le début en forme de puzzle est brillant par son montage et son utilisation savante des codes et des signes du film d'espionnage, le coeur du film devient une intrigue avec enjeu, située dans un lieu unique, qui simplifie quand même la tâche du spectateur. Mais l'impossibilité de la résolution de l'intrigue et le prolongement sur 107 minutes sont quand même déraisonnables... Pas d'étonnement donc que le film suivant (Ne nous fâchons pas) ait quand même fait un peu moins dans le baroque formel!
Si Lautner utilise le film pour tout expérimenter, et s'amuser avec les formes du cinéma, passant du policier traditionnel aux audaces qui parodient la nouvelle vague (objectifs délirants, profondeur de champ, montage "cut", angles de caméra provocants, etc...), Simonin et Audiard vont pour leur part profiter de l'aubaine pour renvoyer dos à dos les combattants d'un camp, comme de l'autre, comme du troisième. Et tous ces "occidentaux" frères ennemis, ne s'unissent que contre les Chinois, et... les Américains, bien sûr. Tout ça n'est sans doute pas très sérieux, remarquez, et puis...
C'était inévitable, dans la Fance giscardienne, que la comédie, et le cinéma français dans son ensemble, s'emparent du porno. Mais pas comme les italiens: nos cousins transalpins, lors de l'avènement du porno, l'ont carrément intégré dans leur cinéma de grande consommation, alors que la libéralisation apportée par l'évolution des moeurs a surtout débouché, en France, sur une sorte de mode sans lendemain, pour un genre qui restait complètement dans sa cage, désormais marqué d'un X, et condamné à disparaître des salles à plus ou moins brève échéance. Lautner, toujours témoin de son temps, et Francis Veber, scénariste qui montait à l'époque, ont eu l'idée d'une comédie qui se situerait dans le milieu du porno, en choisissant des protagonistes qui lui sont étrangers: aussi bien Pierre Richard, Miou-miou et Henri Guybet, que Renée St-Cyr et Sabine Azéma, tous vont être mêlés au genre pornographique, et tous sont des novices. Ce qui nous permet d'entrer dans le film sans aucun problème.
Photographe professionnel, François Perrin (Pierre Richard) souhaite réaliser un film, basé sur un script qu'il a écrit en compagnie de son ami Henri Mercier (Henri Guybet). Mais si ce dernier, un idéaliste qui travaille par ailleurs dans les établissements Ferroni (On y fabrique des pâtes), rêve d'un film qui garde sa pureté, et qui soit un grand drame à message sans concessions, Perrin lui sait bien que des concessions, il va falloir en faire un certain nombre. Sans en avertir son copain, il signe un contrat avec le seul producteur disposé à mettre le film en chantier, Bob Morlock (Jean-Pierre Marielle). Sa spécialité? Le porno.
Les complications se multiplient: non seulement il faut cacher à Henri le plus longtemps possible que son film rêvé n'est pas du tout ce qu'il attend (le titre, pour commencer, n'est plus Les miroirs de l'âme, mais plus poétiquement La vaginale), non seulement il va falloir faire accepter à Christine (Miou-miou), la petite amie de François, actrice au Splendid, que son compagnon travaille dans la fesse, mais en plus Madame Ferroni (Renée St-Cyr), enthousiasmée par le projet de Henri Mercier, lui prête sa villa Tropézienne, et sa fille Claude (Sabine Azéma) pour jouer un rôle, celui d'une jeune femme dont évidemment elle ne sait pas qu'elle est dans la nouvelle version, disons, quelque peu malmenée...
Lautner met cette fois son art au service d'une comédie de moeurs, totalement dénuée de la moindre intrigue policière, et débouchant souvent sur du burlesque physique, très bien mené. Je ne sais pas quelle est la part de Pierre Richard dans cet aspect, mais par exemple, la première scène qui sert de fond au générique, nous montre le photographe à l'oeuvre dans son studio. Il doit doit prendre un cliché d'un parterre de fromages, pour une publicité, et est particulièrement concentré... Mais deux mouches se mettent à tourner autour du fromage. la scène prend son temps, et on se doute que l'acteur, à la fin, ne sera pas propre... Le réalisateur n'oublie pas non plus son plaisir à démantibuler les voitures, comme en témoigne une scène très drôle qui fait intervenir Francis Lax.
Mais une grande part de la comédie de ce film est bien sûr basée sur l'arrivée de tous ces candides dans l'univers de Bob Morlock (Jean-Pierre Marielle est parfait évidemment en producteur de films de fesse, on s'en doute) ou sur le plateau d'un film porno... Le décalage entre ces braves gens et le milieu qu'ils intègrent est admirablement saisi dans une scène qui se joue sur deux plateaux à la fois: à Toulon, Mercier, invité chez les Ferroni, parle avec passion de Les miroirs de l'âme, pendant qu'à Paris le scénariste Ploumenech (Gérard Jugnot), chargé de réécrire le scénario des deux amis, explique à Morlock et Perrin les changements entre le premier jet et la nouvelle version de La vaginale! On s'amuse beaucoup dans les allers et retours (j'ai hésité à écrire "va et vient"...) ou dans la "conversation" qui va se dérouler d'un lieu à l'autre! Et les scènes finales, lors des répétitions des scènes-clés, permettent de grands moment, la plus fameuse scène étant bien sûr celle de la confrontation entre la très très timide Claude, et l'acteur Slimane (Jean Luisi), dans le plus simple appareil.
Lautner et Veber ont adopté un ton juste, qui raille avec intelligence les excès du porno, mais toutes les scènes ne s'imposent pas. Le personnage de Marie-France, la secrétaire obsédée de Morlock, et son déshabillage me semblent de trop... Mais la dernière scène, qui combine le goût pour le baroque du metteur en scène et la nécessité pour les personnages de retrouver la pureté, est une belle idée: les amants se retrouvent dans une voiture immergée au fond d'une piscine, et tout ce petit monde corrompu de s'extasier devant ces deux amoureux qui restent habillés et se contentent de s'embrasser.
Le film est une comédie bien plus saine qu'on aurait pu le craindre, et se revoit toujours avec plaisir. Pour moi, ceci est le sommet des films réalisés par Lautner dans les années 70.
Dans la galaxie Lautner, il y a un ton, global, et une envie souvent irrépressible de rigoler, qui est le plus souvent partagée par les spectateurs. Mais il y a aussi LES univers des scénaristes qui jouent. Ce film sorti en janvier 1973 est le premier exemple de la collaboration entre Lautner et Jean-Marie Poiré, nettement plus jeune que lui, et qui lui avait été recommandé par Audiard. Il y aura trois films en tout qui témoignent de cette collaboration entre le metteur en scène et son jeune scénariste, les deux autres étant Pas de problème et Est-ce bien raisonnable, ce dernier ayant la particularité d'être basé sur une collaboration entre Poiré et Audiard. Ces trois films partagent des traits communs...
D'une part, il faut bien reconnaître qu'ils sont quand même bien franchouillards, non? Ces vieux "ploucs" (le terme est prononcé à plusieurs reprises dans le film) qui se plaignent de ne pas avoir de tourisme dans leur village, et qui doivent soudain faire face à une invasion de hippies (Qui, forcément, se droguent, ne comprennent pas grand chose, ont recueilli un déserteur du Vietnam, se baladent à poil, et pratiquent allègrement l'amour libre en se gavant de riz complet. C'est un minimum) d'une part, et une invasion de gangsters dont André Pousse flanqué de deux dames au pedigree incertain mais résolument citadin... On n'est pas dans Shakespeare, on l'aura compris. Donc, entre Jean Lefebvre, Michel Galabru et Henri Guybet d'un côté, et les habituels André Pousse, Dalban ou les omniprésents Henri Cogan et Jean Luisi, à la fois seconds rôles et cascadeurs qui doivent être à peu près dans tous les films de Lautner, ça sent un peu la facilité...
D'autre part, ça vire vite au loufoque, une fois qu'on a admis les défauts (Le dialogue de Charles, hippie Américain, est incompréhensible ou irritant quand il dit avec difficultés de sa voix de basse 'Je vais mettre mon poing dans votre gueule', et le culte de la première prise, parfois, qui mériterait d'être déboulonné), et le décor est tout sauf désagréable... Loubressac, dans le lot, sur la Dordogne. On peut faire pire.
Enfin, Lautner reste lui-même jusque au bout et forcément ça devient baroque: une poursuite en voiture durant laquelle une DS est entièrement désossée pendant qu'elle roule, même si on voit les coutures, ça mérite d'être regardé; une scène durant laquelle Galabru doit livrer son corps à deux dames qui ne se privent pas de le déshabiller, et enfin une scène de morts violentes dans une grotte, avec les stalactites qui font de la musique au rythme des sulfateuses, ça nous rappelle qu'on est quand même en territoire connu.
Loin d'Audiard (Fâcherie? Bouderie?), avec Francis Veber, Lautner redéfinit considérablement son concept de la comédie policière. En douceur, pourrait-on dire, si la chose ne passait pas par un nombre assez jovial de bourre-pifs. Michel Constantin n'est pas Lino Ventura, mais décidément ce dernier ne souhaitait pasrééditer l'expérience de ses trois comédies avec le réalisateur. Donc, Constantin tout en étant un choix par défaut s'avère parfaitement adéquat dans cette histoire de flic flanqué d'une fausse famille le temps d'une infiltration, qui prendra bien sûr plus de temps que prévu, obligeant le bourru célibataire à cohabiter bien plus que de raison.
C'est que voyez-vous, Michel Constantin cohabite ici avec Mireille Darc, la femme désignée avec son fils Louis pour "figurer" la fausse épouse du vrai flic... Le genre criminel policier doit donc cohabiter avec les difficultés au quotidien de l'association inattendue entre petite famille tranquille et gros bras bas du front...
Et si le film occupe un terrain double, à la fois celui de la comédie (En finesse) et celui du policier à la Française (Beaucoup de voitures, beaucoup de baffes), il le fait avec intelligence, et parfois avec style: un meurtre particulièrement, effectué à coup de litres de lait, s'ajoute à la déjà longue série de morts violentes traitées avec un goût certain pour l'inattendu par le metteur en scène. Le script policé de Veber sied à merveille aux façons de faire de Lautner, tout en efficacité matinée d'une subtile mais insistante dose d'excentricité. Et il ne lâche pas trop encore sur son péché mignon, qui deviendra vite une mine d'or (L'emmerdeur) avant de devenir une sale manie (Ses films avec Pierre Richard et un gros acteur blond dont le nom et le talent m'échappent): l'association imprévue entre deux caractères que tout devrait opposer.
Serge Aubin (Jean Yanne) sort de prison. Pour bonne conduite, ce qui ne l'empêche pas d'être une tête de mule: il n'a jamais révélé où se trouvent les bijoux de son dernier coup. Mais on le lui demande souvent. Le commissaire Cailleau (Bernard Blier), pour commencer: c'est lui qui l'a coffré, il lui offre protection contre un tuyau sur la présence du butin. Mais Aubin, qui s'est fixé deux objectifs, n'en a cure: il se débrouillera tout seul, ou éventuellement avec son pote Michel (Constantin), qu'il a connu en prison.
Et ça ne va pas être facile, non, pour Michel et Serge: car dès la sortie d'Aubin de prison, on l'attend: les hommes du comte Charles Varèse (Nanni Loy) sont prêts à le faire parler. Car Varèse est au courant de l'existence d'un butin puisque il vit avec la belle Carla... Carla, c'est Madame Aubin (Mireille Darc). Et à cause d'elle, Aubin a pris trois années de prison...
D'où les deux objectifs: d'une part, retrouver les bijoux. D'autre part, bien sur, tuer Carla.
C'est après deux films particulièrement dissemblables que Lautner tourne ce retour à la comédie: Le Pacha en 1968 était la première tentative de collaboration entre le metteur en scène et Audiard sur un polar pur et dur, et La route de Salina, l'un de ces méditations mal foutues sur le présent hippie, qui tournait vinaigre (Sous l'influence probable de More, de Barbet Schroeder, et de copieuses doses de produits ilicites à n'en pas douter). L'échec de Salina a éloigné Lautner des studios, donc il lui fallait faire, pour revenir, ce qu'il fait le mieux: la comédie.
Partant d'une idée de Bertrand Blier, Lautner a donc déconstruit à la façon de ne nous fâchons pas cette sombre histoire de cavale et de règlements de comptes, en y injectant d'abord au compte-gouttes traits d'humour, allusions morales douteuses (Cette homophobie ambiante!) personnages de plus en plus fêlés (Rufus qu'on peut considérer officiellement comme l'acteur qui fait joyeusement basculer le film dans le n'importe quoi le plus absolu avec son personnage hilarant de professeur particulier d'anglais qui finit -littéralement- tout nu), puis gags de dessin animé, mais un dessin animé pour adultes: la partie de jambes en l'air entre Mireille Darc et Jean Yanne est probablement l'un des moments les plus délicieusement crétins de tout le cinéma de Lautner... Ce qui permet un avantage énorme: le film ne bascule jamais dans la franchouillardise, justement grâce à cette poésie de l'imbécillité.
Celui-ci n'oublie pas de montrer son sens du dosage (Les vingt premières minutes son exempte du moindre gag), son goût habituel pour la mise en scène baroque du meurtre et de la violence (la première scène de tuerie est un mélange de points de vue complexes et de ralentis), et son sens du système D. Et il fait inconsciemment comme dans tous ses films, en tournant parfois dans des lieux réels, il capte une certaine vision de la vie: ses journaux, ses marques disparues, et deux scènes sensées donner une atmosphère, qui ont été tournées à la maison de la radio, mais montrent Albert Simon (1920-2013) en pleine action: le météorologue d'Europe 1 dans ces glorieuses années, dont la voix rappellera instantanément des souvenirs du quotidien à tous ceux qui l'ont entendue. Et Lautner ne sait pas non plus qu'il anticipe sur la carrière de quelques grands noms, qui ici font une modeste mais décisive apparition: Philippe Khorsand ("Je ne sais pas... des coups de feu, sans doute?"); Rufus (How much wood would a woodchuck chuck if a woodchuck could chuck wood?); Coluche (Barman mal à l'aise, et assez maigrelet, au début du film); Daniel Prévost et Jean-Michel Ribes (le "couple", hum, de tueurs qui discutent, hum, de "physique", au début)... Tout en recyclant quelques acteurs déjà vus dans on oeuvre, tels Venantino Venantini (Un tueur!), Jess Hahn (Un autre tueur!) ou Paul Préboist. Et les dialogues de Bertrand Blier, moins portés sur la formule que ceux d'Audiard, profitent de la présence de Yanne qui se les approprie en les tournant à sa guise: "T'es quand même une belle salope", est une phrase dont on sait que Blier peut l'écrire. Mais Yanne a l'air tellement naturel quand il la prononce...
Pour finir cette petite chronique d'un modeste film, malgré tout réjouissant, notons que le générique cède aux sirènes d'un truc en vogue en ce début des années 70: les titres animés. Ce serait déjà un atout, car j'avoue avoir un faible pour ces amusants décrochages souvent inventifs. Mais l'animation est basée sur des dessins d'un immense graphiste trop souvent oublié: Georges Grammat, dont on reconnaît la patte au premier coup d'oeil.
On se prend dès le départ en pleine figure l'atmosphère mortifère, lourde et empreinte d'une forte dose de désespoir en même temps qu'une triste ironie, de ce film: ça commence dans un cimetière, où le premier titre prévu pour le film avant que la Gaumont d'y mette bon ordre résonne encore des pulsations de la chanson du générique: Requiem pour un con. La chanson de Gainsbourg n'est sans doute pas sa meilleure, mais elle est un titre alternatif parfait pour ce film en forme de promenade mortuaire, par un commissaire divisionnaire qui n'a plus le temps ni l'humeur de tergiverser en étant indulgent avec le milieu: le temps presse pour lui, il n'a plus vingt ans. Et le con qu'on enterre, c'est, je cite, "son pote". Et à la fin, il précisera: "L'empereur des cons".
C'est qu'Albert (Robert Dalban), le pote du commissaire Joss (Gabin), a trempé dans une sale affaire, et le commissaire n'a en effet pas l'humeur de faire en sorte que les responsables de sa mort survivent trop longtemps... Et n'aura pas le temps de s'apitoyer sur ceux et celles, et surtout CELLE, que le con suscité aura laissé derrière lui...
Lautner a consciencieusement, lentement mais sûrement construit, en quelques années, un style fait de mélange entre le film noir, une certaine idée baroque et expérimentale du cinéma criminel, et la comédie. Le public lui a donné raison, mais là, c'est Gabin qu'il lui faut satisfaire. Avec Audiard ils ont composé une sorte d'interlude, hors-comédie, qui va permettre à l'acteur de se sentir à l'aise, et au cinéaste de mener à bien son péché mignon: varier, étonner, s'amuser enfin avec ses scènes de violence. Et méthodiquement, le film est construit, de scène en scène, avec ruptures de ton, embardées du rythme, et toujours, toujours cette poésie particulière des scènes de braquage au petit matin, des cambriolages hivernaux, des routes mal entretenues sur lesquelles la neige s'amoncelle. Les paysages pourraient être beaux, ils ne le sont pas: le désespoir, dans la belle photographie de Maurice Fellous, envahit même la nature de cette période de fin d'année... Et les lieux choisis, surtout dans ce froid hiver 67/68, sont tous sauf riants: les routes de la Picardie, les chemins de fer de l'Aube, les gares de Chaumont et Troyes... Un univers sale, métallique, froid.
Alors tant pis si il y a des longueurs, si certains scènes sentent le prétexte (la boîte de nuit et ses danseuses fort peu vêtues, la scène du studio d'enregistrement qui permet d'en rajouter une couche sur l'existence d'un disque de Gainsbourg), tant pis si Gabin est en mode automatique: avec sa lente et baroque introduction dans laquelle le verbe est rare, sa séquence de meurtre dans laquelle la flambée de violence s'accompagne d'une explosion de couleurs (Des pots de peinture bleue et jaune, troués par les balles, et dont la peinture colore les cadavres), et sa lente montée inexorable vers un final d'opéra, c'est du pur Lautner, les dialogues (Le jour ou on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner! Si je vais à Francfort, j'emmène pas des saucisses!) sont du pur Audiard, et ce "requiem" pour un Robert Dalban qui a cru pouvoir tricher, et s'est fait repasser, avec son truand "léonesque" (André Pousse, magistral), avec son héroïne qui arrive aussi brusquement qu'elle repartira, mais laissera un souvenir amer (Dany Carrel) est l'un des plus grands films du duo. C'est aussi et surtout la plus belle preuve du talent de Georges Lautner pour le rythme, et de sa façon impressionnante d'utiliser les visages plus que l'émotion: regardez le nombre de gros plans impassibles dans le film...
Début des années 70, à Tripoli: le commandant Bloch, un agent des services secrets Israéliens poursuivi par un certain nombre d'agents Lybiens, se réfugie dans l'ambassade de France. Le commandant Mercier (Robert Dalban), chef militaire du lieu, trouve un moyen de l'exfiltrer: une valise diplomatique dans laquelle l'espion pourra se glisser, le temps d'un voyage inconfortable sous la responsabilité de Georges Augier, un capitaine des services de renseignement Français (Michel Constantin). Tout irait bien, s'il n'y avait... une grève qui cloue justement les avions au sol ce jour-là, une bombe devant l'ambassade, et surtout une femme (Mireille Darc) qui involontairement, va apporter aux deux hommes des tonnes d'ennuis, d'imprévus, et surtout des raisons de se chamailler en permanence, pendant qu'ils sot coincés en terre Arabe: Lybie, Egypte ou Tunisie, on voyage finalement pas mal dans La valise...
Depuis Le Pacha, Lautner n'a pas travaillé avec Audiard et a tenté de nouvelles collaborations. En 1971, il a pour la première fois écrit un film avec Francis Veber, et bénéficié du concours de Mireille Darc, sa muse, mais aussi plus paradoxalement de Michel Constantin, l'éternel second rôle. Je pense que Constantin, sans vouloir lui faire injure, est un peu la trace du fait que le metteur en scène aurait voulu travailler avec Ventura sur ces deux films... Quoi qu'il en soit, Veber inaugure son cycle d'alliances entre des gens qui ne devraient pas passer de temps ensemble, qui fera sa fortune! Car très vite il s'avère que Augier et Bloch, malgré la similarité de leur profession, n'ont pas grand chose à se dire, et même plus: Augier est très Français, donc à la moindre occasion il la ramène contre les juifs... de son côté, Bloch n'est pas en reste, et se plaint d'une grève trop intempestive, en râlant "C'est bien les pays Arabes, tiens!"; au fur et à mesure de son déroulement, le film est de moins en moins un film d'aventures (d'autant qu'il devient mécanique), et de plus en plus une comédie de caractères dans laquelle Lautner et Veber fustigent le racisme international. Le final, après tout, leur permet de liguer trois hommes (Français, Israélien et un Egyptien joué par Amidou) autour d'une cause commune, représentée par Mireille Darc, et qui passe par une folle envie de tout envoyer balader...
Donc, si on peut remarquer un thème commun avec La grande sauterelle, au moins on a devant nous une comédie. Pas forcément toujours de la plus grande subtilité, mais l'association Marielle-Constantin est de bon aloi. Et l'équipe s'amuse: le film commence par une grosse surprise: un western, doublé en arabe, se déroule sous nos yeux. C'est un film qu'un couple regarde à la télévision, à Tripoli, et tout à coup la réception ne fonctionne plus: c'est que sur le toit, l'antenne a été bougée par le Commandant Bloch qui essaie d'échapper à ses poursuivants; c'est sans doute la seule scène "baroque" du film, pour lequel dans l'ensemble Lautner y va plutôt sobrement... Lautner s'en est toujours expliqué: il a confié le tournage du "western" à la deuxième équipe, dirigée par Robin Davis. Mais pour revenir à La Grande Sauterelle, ce film a à mon sens l'avantage de passer par la comédie, plutôt que d'offrir une méditation mal foutue sur le besoin d'évasion et d'exil. ...tout en offrant une vision d'une alliance inattendue entre les frères ennemis humains. Mais le film, rattrapé par l'actualité inquiétante du Moyen-Orient, commence par un avertissement: tout ça, c'est pour rire, ce n'est pas de la politique. Hélas, ça fait longtemps qu'on a fini de rigoler...
Catherine Aigroz vient de perdre son compagnon: suite à une action musclée de la police, l'ennemi public numéro 1 a en effet été abattu en gare de Montargis par une moche matinée d'hiver. Et Catherine est enceinte, et arrivée à terme... La naissance, sous le contrôle de l'assistance publique, est pour la jeune femme un traumatisme, et pour être clair, elle n'a pas l'intention de garder l'enfant. Mais très vite, les visites se succèdent: un commissaire de police (Maurice Biraud) vient pour lui secouer les puces, puis les rivaux de son Pierrot-La-Veine, tous ces braves gens n'ont qu'une idée: faire main basse sur le butin de Pierrot, et se doutent qu'elle sait.
Oui, elle sait, mais elle est déterminée à ne rien dire, et quand elle sort enfin de l'assistance, avec son petit et aussi avec sa copine Marité (Anouk Ferjac), et son fils, c'est suivie de près par deux bandes de caïds armés jusque aux dents que Catherine prend la route de l'arrière-pays Niçois, pour y retrouver l'argent: elle sait qu'il est quelque part dans la propriété que Pierrot avait acheté. Mais... où exactement?
Cette histoire, concoctée par Marcel Jullian notamment, d'après un roman noir de Jean Amila au nom évocateur de Langes radieux, commence comme un film noir méthodique, assez sec, avec une voix off calme et sans passion aucune. Le ton est plutôt froid et dramatique, et le destin de Catherine ne prête pas à la rigolade; l'illusion continue assez longtemps, en particulier avec les interventions de Renée Saint-Cyr en médecin responsable de Catherine à l'Assistance publique: moraliste, bourgeoise, mais mère poule, car comme d'habitude Lautner sait parfaitement quel rôle confier à sa maman... On peut voir aussi dans le portrait du commissaire Verdier, par Biraud, un rôle de dur à cuire qui tranche sur les interprétations de minable ou de cave qui étaient sa spécialité. Verdier sait ce qu'il veut et quand il montre les dents dans sa première scène, il impressionne... Pourtant c'est une comédie, et elle ne va pas tarder à virer au baroque...
Pour ça, il fallait à Lautner une exposition, une vraie, et surtout il fallait un voyage: quand Catherine et Marité vont en Provence, ça change tout, et on quitte la grisaille pour un petit coin de solitude et de nature, où la présence de gangsters armés jusqu'au dents va gentiment jurer avec la quiétude des lieux, les aspirations évidentes des deux femmes à prendre du bon temps, et le voisin plus que farfelu interprété par Paul Préboist. Et le film se métamorphose intégralement, Lautner se lâche, Fellous s'amuse comme un gamin à filmer des gangsters dans la nature en fête, et ma foi tout ceci n'est plus tout à fait un film de gangsters...
Continuant son jeu avec les codes et les genres, Lautner (Continuant sa collaboration avec Michel Audiard qui est plutôt inspiré) restructure la "guerre" telle que Lino Ventura et ses copains l'avaient vécue dans Ne nous fâchons pas (A ce propos, un porte-clé à l'effigie du héros de ce dernier film est parfaitement visible dans une scène) et la filme comme un western: une baraque isolée, deux femmes retranchées, un caïd passé plus ou moins de leur côté et qui coucherait bien avec les deux (Henri Garcin en mode Burt Lancaster), et des bâtons dans les roues: il faut impérativement nourrir les deux enfants toutes les trois heures, et ça ne facilité pas le maniement des armes; et en prime, Paul Préboist est un poids mort qui fait furieusement penser à un Walter Brennan en mode Rio Bravo provençal... la dynamite en moins, les dents (pourries) en plus! Et l'arrivée des gangsters, le siège, les fusillades, l'apprentissage du maniement des armes, le décompte mortuaire... C'est règlement de comptes à Nice-Corral, et Lautner, Darc, André Pousse (Arrivée grandiose de l'acteur dans un rôle sublime de parrain de la pègre, après un tout petit rôle dans Ne nous fâchons pas), sont tous dans leur élément!
Que dire d'autre? Mireille Darc est celle qui permet à Lautner d'opérer un tel virage au sein d'une seul et même film, et il n'y aurait sans doute pas eu moyen de tenter cette expérience sans elle. Femme idéale dans le moyen La grande sauterelle, elle devient une femme d'action, qui a un vrai parcours (il lui faudra faire son deuil, puis accepter d'être mère) et qui est le centre d'une intrigue certes fort exagérée, mais qui grâce à son exposition méthodique, tient fort bien la route. Le ton choisi est constamment sur la brèche, et si j'excepte les clowneries de Préboist (Qui en fait des tonnes, je l'accorde), on reste finalement dans le raisonnable. Et au final, en dépit de la menace permanente représentée par la bande d'André Pousse, des remarques sexistes proférées par un homosexuel avéré (Amidou est excellent mais bien sûr le rôle est une faite de goût: autre temps, autres moeurs), et de l'aide apportée par un rouleur de mécaniques, ce sont bien deux femmes qui triompheront des hommes.
Donc pas de raison de faire la fine bouche, bien au contraire. La critique Française reste pourtant bien mitigée sur ce film... tant pis pour eux.