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1933: un nouveau président est inauguré à la Maison Blanche... Après de beaux discours, Judson Hammond (Walter Huston) entend bien faire comme tous ses prédécesseurs, et s'en payer une bonne tranche. Mais alors qu'il exécute un caprice de gamin (conduire sa voiture présidentielle en commettant un excès de vitesse monumental), il a un grave accident. Il ne s'en remettra pas, pense-t-on... Mais il s'en remet finalement, et change du tout au tout: il considérait le leader populiste d'une "armée de chômeurs" comme un agitateur anarchiste, il va désormais les traiter avec humanité. Il ne souhaitait pas s'attaquer au gangstérisme, il va régler le problème par la force. Hammond provoque l'admiration des uns, l'espoir des autres et la crainte des corrompus... Et intrigue ceux qui l'ont soutenu: en particulier sa maîtresse, Pendie Molloy (Karen Morley), et son secrétaire particulier, Beekman (Franchot Tone)...
L'image du président des Etats-Unis au cinéma a toujours été un cas spécial, un joker presque: une façon généralement de passer outre tout soupçon de vulgarité ou d'excès de légèreté pour la comédie (The American President de Rob Reiner n'est pas une comédie sentimentale comme les autres), un laisser-passer vers l'exceptionnel (Civil war, Garland), le grandiose (Abraham Lincoln, Griffith) ou le très bizarre (Gabriel over the White House)... Ca a nourri les films de Capra (The State of the Union), voire de Preminger (Advise and consent)... et donné au cinéma quelques biopics parfois douteux (Wilson, de henry King, ou encore LBJ de Rob Reiner)...
Pourtant aucun autre film ne ressemble à cette parabole, on écrirait volontiers qu'aucun autre film n'oserait y ressembler, tant ce film est étrange, voire gênant. A plus forte raison maintenant, sans doute... Car on est prêt à tout écrire: un film profondément différent, populiste en diable, voire fasciste, provocateur, unique car exessif pour ne pas dire que ce serait plutôt un film à ne pas faire!
La crise est sans doute la première explication pour la présence de cette oeuvre unique en son genre, tournée en 1932, alors qu'on pressentait la victoire de Roosevelt, un démocrate qui rassemblait finalement tous les espoirs: les chômeurs même dubitatifs ont fini par se dire que cet "aristocrate" de l'est, élevé avec une cuillère en or dans la bouche, ne ferait de toute façon pas pire que son adversaire le président sortant Hoover; les élites (William Randolph Hearst en tête) voyaient en lui l'homme fort qui leur permettrait d'avoir leur propre Mussolini... Oui, donc, la crise a inspiré cet étonnante histoire, parue sous la forme d'un roman de Thomas Tweed, avant de devenir un script de Carey Wilson sous l'impulsion du producteur Walter Wanger. On peut s'interroger de la présence de Gregory La Cava dans une telle production, mais l'auteur de comédies qu'il était avait déjà fait la preuve de son indéniable originalité, et allait quelques années plus tard sortir l'un des films majeurs concernant la crise vue du point de vue du peuple avec My man Godfrey...
Au-delà du souvenir de Lincoln, omniprésent dans le film que ce soit en image (les portraits à la maison blanche) ou en chansons (John Brown's body entonnée avec insistance par "l'armée des sans emploi" renvoie à la guerre civile, du côté de l'union et du président à chapeau), le film semble partir d'un postulat simple: à la présidence des Etats-Unis, un opportuniste chasse l'autre, qu'il soit Républicain (et Jud Hammond, clairement, est Républicain, puisqu'il reprend à son compte la fameuse phrase de poudre aux yeux du malheureux président Hoover, "Prosperity is around the corner", qui lui a sans doute coûté la présidence en 1932; de plus, sa façon de se défiler sur toutes les questions embarrassantes en renvoyant aux responsabilités locales est totalement républicaine!), ou Démocrate. Jud Hammond, on le comprend très vite, ne fera rien d'autre que de se servir lui-même, ou comme c'est dit suvent dans le premier quart d'heure, "servir le Parti". Un constat amer qui nous fait anticiper une comédie grinçante...
Nous sommes pourtant confrontés à toute autre chose: car ce film est un cas unique dans l'histoire du cinéma, il ose se rendre sur un terrain extrème, en semblant prôner symboliquement de mettre en pause toute diplomatie inutile, de se livrer à une justice expéditive, et de cesser de payer pour le monde entier (tiens donc...). Il prône l'assassinat par cour martiale improvisée de tous les gangsters, et le recrutement dans une "armée de la construction" de tous les chômeurs, afin de redresser le pays... Judson Hammond, habité par l'archange Gabriel (ce qu'une conversation maladroite entre Karen Morley et Franchot Tone nous vend maladroitement, le reste du film est plus, disons, subtil... un rideau qui se soulève, une lumière qui s'allume...) s'empare des Etats-Unis, pour les redresser à coup de barre à mine...
Comme c'est du cinéma, ça passe... On rigole certes bien moins en 2025 compte tenu de ce qui est en train de se passer. Mais justement, avec Trump à la Maison Blanche, qui lui est un corrompu, un danger, un gangster (34 chefs d'inculpation et une condamnation pour chacun d'entre eux), un fasciste avéré, un raciste patenté, et un dangereux autocrate crain par tous, est en fait une version parodique de ce film. Film qui est un exemple, ou un contre-exemple parfait, des extrêmes auxquels la politique peut mener! uUn film habité, passionnant, grinçant, qui va plus loin que Capra n'a jamais été, même si l'autre cinéaste Italo-Américain avait, finalement, les mêmes aspirations que ce film de La Cava, il diluait son radicalisme, de Deeds en Smith et de Smith en Doe, dans un certain réalisme, et affichait la tentation d'une politique musclée, tout en traitant régulièrement Roosevelt... de dictateur fasciste, ou de communiste, selon l'humeur.
Bref: Gabriel over the White House était sans doute le film à ne pas faire... Mais puisqu'il existe et qu'il est extraordinairement différent, autant se jeter dessus et ne pas bouder son plaisir, fut-il coupable, devant un film où Walter Huston obtient de tous les pays autres que les Etats-Unis qu'ils paient leur dette... en les menaçant de les bombarder.
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