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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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10 janvier 2012 2 10 /01 /janvier /2012 18:35

L'un de ses films muets de long métrage les plus méconnus (Avec For Heaven's sake, de 1926), ce Dr Jack est très éloigné du film précédent. Deux thèmes, celui de l'Amérique profonde et de sa simplicité d'une part, et le volontarisme énergique du héros d'autre part, renvoient pourtant à Grandma's boy. Mais là ou il s'était composé un personnage de benêt timide et complexé par sa lâcheté, son Dr Jack est au contraire marqué par la débrouillardise et le culot, et son intégration dans la petite communauté dont il est le médecin est parfaite.

 

L'intrigue proprement dite de ce film concerne une famille riche, dont la fille (Mildred Davis) est supposée malade: son père, tombé sous la coupe d'un Tartuffe, le Docteur Von Saulsbourg qui maintient la fille et son père en état de dépendance, en interdisant à la pauvre jeune femme toute sortie, toute distraction, toute excitation, et en la bourrant de médicaments inutiles... L'avocat de la famille, qui a vu dans le petit village de sa mère les miracles accomplis par le docteur Jackson, dit Dr Jack dont le principal outil reste l'humanité, essaye de persuader la famille d'utiliser les ressources de ce dernier...

 

L'opposition entre Lloyd et Saulsbourg, ou entre le petit village tranquille et la grande ville ou habitent cette famille riche, c'est bien sur l'inévitable conflit entre le bon sens simple et rural, et la corruption et l'appât du gain, symbolisés par cet affreux profiteur barbu qui vit au crochet de Mildred et de son père. Lloyd incarne en Dr Jack un personnage moins comique, dont l'énergie phénoménale est entièrement mise au service du bien-être de ses contemporains. Il est doté d'un romantisme particulier, il est médecin, fait parfois face à la simulation (Un enfant qui fait semblant d'être malade) mais n'hésite pas à avoir recours aussi souvent que possible au stratagème (Pour renvoyer l'enfant à l'école, pour arrêter une partie de poker qui risque de coûter les yeux de la tête à une famille, et bien sur pour prouver la duplicité du Dr Von Saulsbourg...). Il est attachant, excessivement sympathique, et pour une fois parfaitement installé; le seul vrai enjeu reste amoureux, c'est la raison pour laquelle le film, tout en étant très soigné (On a l'impression que Lloyd ne savait pas bâcler un film...) fait quand même pâle figure aux cotés de son illustre sucesseur, Safety last...

 

Mais comme d'habitude, on sent que le film a été riche en rebondissements dans sa confection même. Tout au long de ces cinq bobines, c'est une construction riche et complexe qui se met en place, depuis l'exposition qui fait la part belle à la maison de la famille de Mildred, avant même de présenter le village et son docteur. Toute cette partie pastorale est fascinante, puisque l'équipe réussit à enchaîner gag sur gag sans jamais se moquer du bon docteur (Une poursuite contre la mort est même présentée au début, avec Lloyd en voiture, moto, vélo sans chaîne et finalement à pieds, pour découvrir qu'il n'y avait rien de grave), et une fois le branchement effectué entre les deux groupes de personnages, tout mène à une séquence délirante de fausse chasse à l'homme dans une maison, destinée à redonner de la joie de vivre à Mildred. Lloyd y déploie toute son impressionnante énergie, et même si c'est un peu long, On y prend bien du plaisir.

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1922 *
7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 18:58

Profitons de ce film, le premier vrai long métrage de Harold Lloyd (5 bobines) pour son patron Hal Roach, pour établir un fait: l'auteur, c'est Harold Lloyd, comme l'auteur de films de Chaplin est Charles chaplin lui--même, comme Keaton ou comme Stan Laurel; dans le cas de ce dernier, la comparaison a évidemment d'autant plus de sens que Laurel était lui aussi une vedette de l'écurie Roach (Entre 1926 et 1940), mais aussi et surtout que pas plus que Lloyd il n'a jamais signé un de ses films en tant que metteur en scène... Mais après des années à tourner des films en vedette, Lloyd savait ce qu'il voulait, il était le patron sur le plateau, et que ses films aient été tournés par Fred Newmeyer, Sam taylor, Ted Wilde ou Lewis Milestone, le style ne différait en rien d'un long métrage à l'autre.

 

Après un galop d'essai en forme de comédie allongée (A sailor made man), ce qui frappe avec ce nouveau film, c'est sa cohérence: il a été clairement conçu pour la longueur, et le développeent des personnages s'accompagne d'ue exposition très claire de tout un univers, agrémentée d'un flash-back. Ce sont des ingrédients particulièrement rares dans la comédie, et Lloyd, comme Keaton le fera plus tard avec Our hospitality, a réalisé qu'il ne pourrait pas y avoir d'adhésion du public si le film n'était pas ancré dans une certaine tangibilité au-delà du burlesque. Avec Grandma's boy, comédie tendre sur un adolescent attardé et timide qui devient un homme, on voit arriver le comédien dans la cour des plus grands, ou il côtoie à sa façon Griffith, Henry King, John Ford et Frank Borzage. Son film est un reflet d'une Amérique éternelle, dans laquelle on croise le shérif local tous les jours, tout le monde connait tout le monde, et ça sent le foin, et parfois la naphtaline...

Harold est timide, très timide. il est aussi lâche, et laisse tout passer à coté de lui: sa fiancée, pourtant suffisamment dégourdie pour lui envoyer des messages on ne peut plus clairs, la ville entière qui n'en fait pas grand cas, son rival qui profite de la situation, et sa grand-mère qui se désespère le savent bien. Jusqu'au jour ou, alors que le jeune homme réquisitionné par Noah Young est devenu adjoint du shérif pour aider à une chasse à l'homme bien mal partie, sa grand-mère lui confie un talisman qui a aidé son grand père aussi lâche que lui à devenir un héros de la confédération en 1862... Les ailes lui poussent alors de façon spectaculaire.

Bien sur, le talisman est un stratagème: la grand mère (Anna Townsend) lui a donné en vérité la poignée d'un vieux parapluie et a inventé son histoire. Mais l'essentiel est de montrer Harold convoquer la force qui est en lui. Comme d'habitude, la progression du personnage fait le sel du film, avec des gags bien intégrés à l'ensemble, et qui ne sont jamais contre lui. On notera que si la manipulation était souvent présente dans les courts métrages, c'est la première fois qu'elle est effectuée à son insu, mais pour son bénéfice; par ailleurs, avec ce film, Lloyd s'invente bel et bien un deuxième personnage, par opposition à ce gandin trop sur de lui qui n'avait aucune émotion dans A sailor made man, ou par opposition à l'arriviste prêt à tout pour assumer son rêve Américain dans Safety last. Mais ce type de peinture tendre de l'Amérique rurale reviendra, dans Girl shy (1924), mais surtout dans le très beau The Kid brother de 1927. En attendant, il montre ici une valeur essentielle parmi celles qu'il partage, très Américaine, une glorification simple du vrai courage. Ca n'est pas révolutionnaire, mais c'est l'un des thèmes qui vont revenir de film en film. Par ailleurs, le soin apporté aux décors du village, et l'intégration d'un flash-back sur la guerre de sécession, finissent de faire du film une plaidoyer intemporel.

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1922 Comédie *
4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 13:42

Continuant avec prudence à allonger ses films, Harold Lloyd arrive avec ce film à quatre bobines, comme dans une dernière étape avant le long métrage, qui viendra effectivement avec les films suivants. D'une durée de 48 minutes à peu près, cette petite comédie ne révolutionne rien, ni en matière de comédie, ni dans l'oeuvre de Lloyd, mais on peut au moins y avoir une double satisfaction: d'une part, le comédien s'y livre à une sorte d'adieu à la comédie burlesque débridée de ses débuts sans pour autant délaisser une certaine sophistication. D'autre part, il y a eu un effort pour développer certains personnages au-delà de la simple caractérisation immédiate. Le personnage de Noah Young en particulier bénéficie de cette tendance...

Sommé par le père de la jeune femme qu'il convoite de prouver sa valeur en trouvant un travail, un jeune homme riche et oisif s'engage dans la marine, et apprend à la dure la valeur du travail. Il sympathise avec la grosse brute du bord, et retrouve dans une contrée exotique sa "fiancée" (Mildred Davis, bien sur...), en croisière, qui est dangereusement convoitée par le sheik local... Il va pouvoir utiliser son courage...

Dès le titre, on est dans le monde du burlesque d'avant, celui que les courts métrages de chez Hal Roach et Mack Sennett veulent continuer à faire survivre en dépit des efforts des comédiens pour en sortir: un titre en forme d'abominable jeu de mots pour jouer sur le thème du film et son décor: la marine... Pourtant, l'effort de Lloyd et de ses scénaristes s'est porté sur l'énonciation d'un contexte intéressant, avec ce personnage de lamentable oisif, dénué d'émotions et d'intérêt dans la vie, qui se livre à tout comme s'il s'agissait d'une formalité. Les premiers plans qui nous le présentent, typiquement en trompe-l'oeil, comportent une ouverture partielle à l'iris sur le jeune homme, en veste élégante et canotier, qui semble s'adonner au plaisir de peindre... Mais la caméra nous révèle vite le pot-aux-roses: ce n'est pas lui qui tient le pinceau, et Harold est en fait en train d'observer un peintre, pas de peindre. C'est finalement typique de l'inaction dénoncée chez un homme qui n'agit en rien. Et bien sur son passage dans la marine va en faire un homme... Bien sur, il va surtout utiliser les faux-semblants et sa débrouillardise plus que ses poings.

L'intérêt principal de ce film, une comédie sympathique qui comme on l'a vu esquisse l'un des thèmes de prédilection de Lloyd, sans pour autant en faire beaucoup plus qu'un prétexte, reste pour moi l'opportunité qui est donnée à l'un des plus fascinants acteurs du studio Roach de pouvoir jouer un rôle plus long et plus nuancé que d'habitude: Noah Young, éternelle brute qui croisera souvent les routes de Charley Chase voire de Laurel et Hardy, et qui a très souvent joué les grosses brutes épaisses chez Lloyd avant ce film, est le copain du héros. Les deux hommes s'affrontent, puis sympathisent lorsque Harold prend la responsabilité de leur querelle devant un officier. Maquillé (Il est presque méconnaissable), très en avant, Young est quand même surtout le faire valoir, mais il met tout son poids dans la balance. C'est sans doute l'une des plus belles opportunités qui lui aient été données de toute sa carrière de grand baraqué génial chez Hal Roach...

Voilà, il n'est donc pas une grande étape, mais ce film a au moins servi à prouver que Chaplin n'était pas seul à pouvoir s'aventurer sur la durée, et que Lloyd était prêt à aller plus loin, et chercher à construire des films qui lui permettent d'explorer les personnages plus en profondeur. Le prochain film de sa filmographie est en fait une réussite, qui doit sans doute beaucoup à l'assurance acquise lors de l'élaboration des cinq films de 1921.

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1921 Comédie *
29 décembre 2011 4 29 /12 /décembre /2011 19:14

Le coffret définitif sur Lloyd, sorti en 2005 aux Etats-Unis, comptait surtout les longs métrages muets, tous en fait, et un certain nombre d'autres films. Le choix des courts métrages était dicté par la volonté de mettre en valeur le comédien, à travers ses meilleurs films. on peut bien sur considérer cela comme une cvertaine forme de révisionisme, mais le résultat en vait la chandelle. Retour donc sur les meilleurs courts de lloyd, dans un re-vision qui est une source constante de bonheur... Notons que d'autres films de Lloyd ont été édités, notamment chez Kino: on y reviendra, bien sur.

 

Ask father (Hal Roach, 1919) Avec Bebe Daniels, Lloyd réussissait à faire en 13 minutes des films d'une inventivité et d'une énergie très impressionnantes. Ici, il cherche à demander à un père la main de sa fille, et c'est on ne peut plus difficile.

 

Billy Blazes, esq. (Hal Roach, 1919)
Lloyd parodie les westerns avec beaucoup de bonheur, mais aussi avec un hors-la-loi digne de ce nom: le grand Noah Young. Petit film, mais on est à l'aube d'une grande carrière.

 

From hand to mouth (Alf Goulding, 1919)
Le troisième court métrage de deux bobines de Harold Lloyd possède un je ne sais quoi d'embarrassant... Je crois que le fait, d'une part, de voir notre personnage pauvre, et d'autre part qu'il y ait interaction avec une petite fille tout aussi démunie se rapproche trop dangereusement du territoire de Chaplin. C'est bien enlevé, rythmé, souvent drôle, très carré, mais la magie n'opère pas , comme si le comédien n'était pas dans son élément.

 

Haunted Spooks (Alf Goulding, 1920)
Tous les comédiens de l'époque du muet, sauf Chaplin, se sont amusés à un moment ou un autre, à jouer avec la comédie de maison hantée. Mais le meilleur, c'est ce film: Lloyd ne se contente pas d'imaginer une intrigue de fantômes, il y place ses personnages: un jeune homme est "engagé" pour être le mari d'une riche héritière, puisqu'il importe que celle-ci soit mariée pour toucher le pactole; toute la première bobine est entièrement consacrée aux déboires amoureux du jeune homme et ses tentatives pathétiques de suicide... On est loin du personnage conquérant généralement associé à l'acteur. La deuxième bobine montre les machinations menées par l'oncle de la jeune femme pour les éloigner de la maison familiale, et de l'héritage. Beaucoup de gags qui font mouche, dans une mise en scène très soignée. pourtant, lorsque le tournage de ce film était en cours, Lloyd a eu un accident très grave, qui l'a éloigné des plateaux pour plusieurs mois et a rendu sa main droite quasi invalide. Ca ne se remarque pas...

 

An eastern westerner (Hal Roach, 1920)
Une ènième parodie de western, cette fois avec Lloyd en garçon de l'Est qui débarque dans un cadre westernien, ou il n'a rien à faire. Très vite, il a maille à partir avec l'abominable Noah Young. Pas un chef d'oeuvre, mais un film qui remplit son office, et dans lequel Lloyd utilise à fond son gout pour le gag en trompe-l'oeil, probablement sa spécialité...

 

High and dizzy (Hal Roach, 1920)
Ce film est très important dans la carrière de Harold Lloyd. Non que ce soit le meilleur film, voire le meilleur court, non; mais l'idée de départ, de suivre la vie au jour le jour de deux jeunes hommes dans les années 20, dont l'un, médecin à lunettes, allait tomber amoureux, ne prédisposait pas ce film à devenir l'étincelle qui allait permettre à Lloyd de devenir cette image iconique de jeune homme bien sous tout rapport suspendu au vide... Et pourtant! dans la première bobine, on assiste à une salve de gags liés à la personnalité du jeune médecin, qui fait sa pub en se grimant et en jouant des "faux clients" sauvés par le docteur miracle... Une cliente arrive, amenée par son père: elle est somnanbule. dans la deuxième bobine, Lloyd et son meilleur copain doivent liquider tout les résultats d'une expérience de distillerie clandestine (N'oublions pas qu'on est en plein Volstead Act, donc fini l'alcool!); dans la soûlographie qui s'ensuit, Lloyd se retrouve face à la somnambule, au dessus du vide. Les réactions du public plus du tout amusés mais captivés par le danger ont persuadé Lloyd de retenter le truc dans un film de l'année suivante, Never weaken, puis de faire encore plus fort avec Safety last... L'histoire tient parfois à peu de choses...

 

Get out and get under (Hal Roach, 1920)
Lloyd joue ici avec un accessoire typiquement associé aux années 20: la voiture individuelle. les personnages joués par Lloyd ne sont pas passés à coté de l'opportunité et du progrès, ils les ont adoptés. Dans ce film, le jeune homme a pour adversaire une voiture, généralement récalcitrante, alors qu'il est pressé: sa vie sentimentale en dépend. Du cinéma classique, qui n'adopte pas la forme que ce type de films prendra chez Laurel & Hardy, plus destructeurs...

 

Number please? (Hal Roach, Fred Newmeyer, 1920) Un Lloyd prédisposé à la déprime rencontre dans un parc d'attraction une jeune femme hélas courtisée par un autre. Elle leur donne une épreuve afin de les départager, qui va les pousser à beaucoup de mouvements, tricheries, et même à quelques actes illégaux. La vitesse, le jusqu'au-boutisme, la débrouillardise de chaque instant... Tous ces éléments sont du pur Lloyd, pour le premier film co-réalisé par Fred Newmeyer, un réalisateur qui a l'oeil. Le film aurait du être le dernier film en deux bobines, l'acteur et son équipe se sentant pousser des ailes.

 

 I do (Hal Roach, 1921)

Comédie sur le quotidien, un style dans lequel Lloyd excellait, le film commence par le mariage des deux héros. Les 23 minutes qui suivent concernent l'enfer quotidien du jeune marié, qui doit se coltiner le petit cousin, un insupportable garnement, et une nuit d'horreur durant laquelle les deux jeunes mariés croient la maison cambriolée par un homme patibulaire interprété par Noah Young. Le manque d'unité est assez peu problématique, mais Lloyd retentera avec succès le mélange des genres dans un de ses chefs d'oeuvre, en 1924, le superbe Hot water. Sinon, le début n'est qu'un résumé, I do était à l'origine un moyen métrage, dont Lloyd a décidé de supprimer la première bobine, celle qui racontait la rencontre et la cour des deux tourtereaux...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet Comédie
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 08:23

Bumping into Broadway est le premier des courts métrages de deux bobines de Harold Lloyd. Pour ceux qui ne sont pas accoutumés à ce système de mesure, on compte les films muets de plusieurs façons: en mètres en France, en pieds dans les pays Anglo-Saxons, en bobines un peu partout. La difficulté de mesurer leur durée en heures et minutes provient du fait qu'il n'y avait pas de vitesse standard. Ce qui était par contre standardisé, en particulier dans le domaine de la comédie, c'était le nombre de bobines: une équipe qui commençait une série faisait, chez Hal Roach en tous les cas, des courts métrages d'une bobine, soit 10 à 13 minutes. Pas le temps d'aller très loin, la structure restait donc soumise à une idée forte. A deux bobines, on avait le temps d'installer une intrigue de façon plus sérieuse, voire on le verra plus bas de diviser en deux actes. A trois bobines, on est dans l'antichambre du long métrage, comme par exemple avec Shoulder arms et A dog's life de Chaplin... Lloyd a commencé en 1915 avec un personnage imité de Chaplin, Lonesome Luke; les quelques films qui survivent de cette période sont peu vus, mais laissent le sentiment d'un comique volontiers grossier et peu concluant. Les premiers films ne faisaient qu'une bobine, puis les sujets sont passés à deux bobines, avant l'abandon du personnage; en 1917, lorsqu'il a chaussé des lunettes, Lloyd est donc retourné à la case départ, en tournant de nouveau des films d'une bobine. Certains étaient aussi grossiers que leurs prédecesseurs, mais après un certain temps, l'allure de son nouveau personnage a eu une influence sur les films, qui sont devenus moins grotesques, moins vulgaires. En fin 1919, Hal Roach et Lloyd sont donc passés à deux bobines, avec ce petit bijou...

 

Créditer un metteur en scène pour les films Sennett ou Roach est toujours délicat; d'une part, la copie n'est pas toujours renseignée à ce sujet. Ensuite, il y avait surtout chez Hal Roach une subdivision assez spéciale, qui menait chaque film sous deux responsabilités: celle d'une directeur nommé pour chaque film, et qui pouvait changer d'un film à l'autre au sein d'une série (Voir à ce sujet la liste des réalisateurs de Laurel & Hardy, par exemple), et d'autre part un superviseur, généralement un réalisateur chevronné monté en grade, avait le rôle de diriger la direction... F. Richard Jones et Leo McCarey par exemple, occuperont ce poste entre 1927 et 1929. Pour les Lloyd d'avant 1920, on trouve principalement deux metteurs en scènes officiels: Alf Goulding, et Hal Roach lui-même. Dans certaines filmographies, on voit s'ajouter le nom de Lloyd. Ma spéculation est que Lloyd se dirigeait largement lui-même, la réputation souvent justifiée de Roach comme metteur en scène très moyen étant curieusement souvent démentie par les films de cette série crédités au patron... Celui-ci en perticulier, qui met en oeuvre tout ce qui va, durant tout le reste de la période muette, faire le sel des films si soignés de Harold Lloyd...

 

L'intrigue de ce film est asez classique: deux coeurs solitaires, pauvres et courageux, vivent en voisins dans une pension de famille menée par une tyrannique matrone; payer son loyer est difficile, mais esquiver toute rencontre avec le dragon et son impressionnant homme de main l'est encore plus. Mais les deux tourtereaux se débrouillent quand même, elle pour trouver un travail de "girl" dans un théâtre, lui pour tenter de placer la pièce qu'il a écrite, sans succès. Après bien des déboires, le jeune homme gagne une fortune au jeu, avec laquelle il va forcément pouvoir se lancer dans la vie au coté de la jeune femme... Celle-ci est interprétée par Bebe Daniels, dans son dernier rôle auprès de Lloyd. L'alchimie entre les deux acteurs est palpable (Quatre ans de collaboration), et beaucoup plus convaincante que ce qui va venir ensuite, avec Mildred Davis, la future Mrs Lloyd. La propriétaire de la pension renvoie à la tradition plus grotesque de la comédie burlesque, mais elle est interprétée de façon solide par Helen Gilmore, assistée par le grand Noah Young, qui a trimballé sa silhouette durant 20 ans chez Roach, apparaissant en monstre, en athlète, en psychopathe, en géant demeuré chez Chase, Laurel & hardy et d'autres: ici, il est très inquiétant... Enfin, un autre acteur, l'Australien Snub Pollard, complète la distribution; il était déja le partenaire de Lloyd dans les Lonesome Luke, et en 1919, est largement cantonné au rôle peu convaincant de faire-valoir; ici, il est un metteur en scène de comédie, et reste assez secondaire. Il n'apparait que dans la deuxième bobine.

 

La structure du film est très soignée; comme chez Chaplin, chaque bobine est montée de manière à être aussi bien partie intégrante du tout que relativement indépendante, ainsi elles peuvent être exploitées séparément; la première se termine par le fait que le héros réussit à quitter sa maison sans se faire attrapper par la propriétaire, apportant ainsi une résolution à la mini-intrigue de la première moitié; la deuxième bobine concerne la partie "Broadway" du film, tournant autour du théâtre d'une part, et de la frustration de la pauvreté d'autre part, Bebe et Harold se retrouvant l'un et l'autre dans une maison de jeu clandestine, au milieu de tous les bourgeois qui y jouent. Les deux personnages servent bien sur de fil conducteur, mais le film commence par une petite introduction qui installe l'idée des riches Américains et de leurs distractions; ainsi, ce qui aurait pu être deux films collés l'un à l'autre devient une oeuvre beaucoup plus cohérente...

 

Survivre, le maitre-mot des films de Chaplin, ne s'applique pas autant aux films de lloyd. Parfois, c'est bien le sujet, comme par exemple dans From hand to mouth (Alf Goulding, 1920), mais c'tes rare. Non, l'idée principale est celle d'élévation: devenir un homme (Grandma's boy, 1922), devenir un personnage respecté de la maison (The Kid Brother, 1927), monter les échelons d'une entreprise, au propre comme au figuré (Safety Last, 1923)... Lloyd croit au rêve Américain, ses personnages le vivent souvent. Son volontarisme affiché et communicatif, basé sur un engagement total, physique et mental, le rapproche de Douglas Fairbanks, celui des comédies davant Mark of Zorro: même optimisme, même volonté de se mesurer physiquement au monde... Mais là ou Fairbanks ne prend que peu le temps de s'apitoyer sur lui-même, Lloyd incorpore du doute dans ses films. S'il reviendra souvent sur ces moments qui le gênaient a posteriori en coupant dans ses films comme Chaplin l'avait fait, il est intéressant de voir dans les versions originales le personnage douter, voire abandonner la partie ici ou là. Lloyd n'est pas un surhomme, et les personnages qu'ils jouent, s'ils finissent par triompher avec cluot et débrouillardise, sont passé par des moments difficiles: on ne l'en aime que plus.

 

Enfin, dans la copie la plus courante de ce film, on a la chance de voir à quel point les comédies n'étaient pas qu'un simple comlément de programme. Non seulement le film est très soigné, ressemblant après tout dans ses valeurs de production à un long métrage dramatique; mais en plus, avec ses teintes sépia et ses intertitres dessinés et commentés, il est superbe. Lloyd et roach jouaient gros avec ce film, qui mènera à une série de deux bobines souvent brillants (Tous ont survécu, heureusement), puis des films de trois bobines, puis bien sur une série de longs métrages qu'il faut absolument voir... Donc Bumping into Broadway est indéniablement une très grande date...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet Comédie