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15 novembre 2023 3 15 /11 /novembre /2023 21:32

En Bretagne, Yann Gaos (Charles Vanel) a suivi la voie familiale: il est marin, et avec un équipage de durs à cuire, il retourne régulièrement pêcher au large de l'Islande, un voyage dangereux mais fructueux. A terre, il laisse une jeune femme, Gaud (Sandra Milowanoff), , qui aimerait qu'il se déclare... Mais Gaos est pauvre, et surtout il est fasciné par la mer. Il sait que s'il se marie il va probablement devoir effectuer un sacrifice, celui de son métier ou celui de son mariage...

Les deux oeuvres actuellement le plus accessibles de l'oeuvre muette de Baroncelli ont comme point commun un amour impossible. C'est plutôt monnaie courante, à l'époque du mélodrame roi. Mais ce qui relie également ce Pêcheur d'Islande (d'après Pierre Loti) et le très intéressant La femme et le pantin de 1929 (d'après Pierre Louys), c'est une envie de mise en scène phénoménale. Des acteurs, certes, des décors évidemment... Des images même, ici dominées par des prises de vue "en situation", documentaires pour certaine, et Bretonnes pour une large part, mais surtout une envie de dominer l'espace filmique, et de tout tenter. Et c'est une grande réussite...

Le film ne suit pas que ses deux protagonistes, qui sont excellents. On y sent une trace du cinéma Américain, à travers un jeu d'une sobriété exemplaire, Vanel et Milovanoff jouent avec les yeux, et une économie de moyens qui est d'autant plus remarquable, qu'à l'époque (et en particulier dans le cinéma dit 'impressionniste' de l'avant-garde française, celle de Delluc, Dulac et à laquelle on assimilait parfois L'Herbier et Gance), le jeu des acteurs français était plus marqué. En plus du couple, on suivra brièvement le personnage de Sylvestre Moan, un autre enfant du village qui tentera de montrer la voie aux deux amoureux avant de mourir au Tonkin...

Mais le triangle amoureux, ici, relayé par un montage savant et virtuose qui fait rimer en permanence les lieux et les temporalités de Vanel et Milowanoff, se situe entre la jeune femme, qui symbolise presque à elle toute seule le lien à la terre de Bretagne (l'Argoat), le marin, qui évidemment incarne le lien à lOcéan (l'Armor), et bien sûr la mer elle-même, et celui que cette dernière tient prisonnier en elle, attendant le jour du naufrage, que le film appelle poétiquement "le jour de ses noces avec la mer"... 

Le film est passé dans la légende pour ses scènes de pêche, probablement tournées de façon documentaire, mais les séquences avec Vanel s'y insèrent sans aucun problème, ce qui est à porter au crédit de la production... Pourtant il y a de belles séquences oniriques, avec des surimpressions très réussies, et une magnifique utilisation de décors authentiques Bretons, quatre années avant Epstein. Et les effets spéciaux, surimpressions, mélange d'images et collages parfois provocateurs sont utilisés pour appuyer sur la rudesse d'une existence coupée en deux, pour l'un et l'autres des deux amoureux. Le lien à la terre, à la famille, à la mer, et à un destin qui toujours devra s'accomplir à l'encontre des désirs des amoureux.

Une scène parmi tant de séquences marquées d'un souffle virtuose (l'influence d'Abel Gance me semble une piste pertinente, mais cette inspiration est constamment disciplinée par Baroncelli qui jamais n'ause de ses effets), me semble vraiment sortir du lot: les marins sont au large, dans un brouillard à couper au couteau. Ils croisent un bateau, dont les marins blafards, grimaçants, leur annoncent des mauvaises nouveles du pays. Mais ce sont des fantômes, comme une annonce d'un destin entièrement écrit pour Yann Gaos...

 

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Published by François Massarelli - dans 1924 Jacques de Baroncelli Muet Charles Vanel
19 juin 2021 6 19 /06 /juin /2021 16:05

Don Mateo (Raymond Destac), un grand séducteur, rencontre dans un train une jeune femme dont la beauté le subjugue. C'en est fini, il est désormais le jouet de Conchita (Conchita Montenegro), une jeune femme sensuelle, libre, et d'humeur changeante, dont Mateo semble bien être le jouet numéro un. Et plus il subira d'humiliations et de douches froides, plus Mateo est amoureux, et surtout plus il la désire...

Oui, c'est essentiellement de désir qu'il est question ici, un sujet éminemment cinématographique traité à la fois frontalement, en se reposant beaucoup sur la beauté et la sensualité de son actrice principale: en Conchita Montenegro, Baroncelli a trouvé l'actrice idéale; danseuse flamenco experte, elle a une facilité à jouer physiquement, et un visage qui respire à la fois la séduction et la jeunesse, sans pour autant révéler tous ses mystères. Destac est plat et falot, certes, mais de toute évidence c'est largement utilisé à bon escient dans le film, où court une méchante ironie du début à la fin. Et quand enfin il semble l'avoir séduite (ou plutôt quand enfin elle s'est laissée faire), Conchita devient nettement moins intéressante. Car ce qui est en jeu, ici c'est l'envie, pas sa réalisation...

Le film entier est une exploration de ce désir, de la promesse et de la frustration, et de la réalisation de la domination facile d'un homme par une femme. Sans surprise, ça passe par un érotisme élaboré, car Baroncelli n'est pas Pière Colombier: avec Conchita Montenegro, il s'amuse à délayer la révélation de la nudité du début à la fin, ou en tout cas du début au milieu. Et il utilise un sens du cadrage assez rare dans le cinéma français, en soumettant systématiquement le placement de caméra dans le cheminement du point de vue vers ce que l'oeil de Don Mateo veut voir, ou de ce qu'il a peur de voir. Quand il vient pour la première fois voir Conchita, il la voit se préparer à travers une grille, qui laisse juste apparaître la blancheur d'un vêtement. Quand elle apparaît, elle porte une robe à pois, qui nous donne l'impression de répéter l'effet de la grille vue plu tôt, comme si le regard de Don Mateo avait imprimé des marques sur l'étoffe de la robe. La scène célèbre du cabaret (Don Mateo qui a pris ses distances se laisse séduire par un cabaret avant de découvrir que Conchita y danse, mais il va vite s'apercevoir qu'elle y donne aussi des séances illégales et crapuleuses, dansant nue pour des touristes fortunés...) est un festival de plans ouvragés, dans une montée lente du malaise, jusqu'à une séquence où Mateo voit la jeune femme nue, mais au milieu d'un parterre de voyeurs.

Dès le départ, Baroncelli avait annoncé ses ambitions en plaçant son film sous le haut patronage de Goya: le premier plan est un tableau du peintre, qui va s'animer sous nos yeux, et qui avait été le point de départ du roman de Pierre Louys. De toutes les versions de La femme et le pantin (Barker, Duvivier, Sternberg... excusez du peu), celle-ci est la meilleure, la plus accomplie et sans doute la plus méchante... Et Conchita Montenegro, qui n'aura jamais plus un tel rôle, est une actrice naturelle et géniale.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques de Baroncelli Muet 1929 **