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4 juin 2022 6 04 /06 /juin /2022 16:43

Jacqueline Bert (Michèle Morgan), une petite Française fraîchement débarquée à New York, est la secrétaire particulière de Robert Shaw (Pierre-Richard Willm), un homme pour lequel elle a la plus grande admiration. Sa fascination pour la passion que met ce meneur d’hommes dans son travail n'est guère partagée par l'épouse de ce dernier (Arlette Marchal) qui depuis belle lurette a pris un amant, Lowton (Youcca Troubetzkov), un playboy très en vu avec lequel elle s’affiche sans vergogne. Un soir, Shaw tue ce dernier dans une boîte de nuit. Arrêté, il s’ensuit un procès qui fait sensation et au cours duquel Shaw ne peut sauver sa tête que grâce à ses avocats qui vont plaider, contre son gré, la folie. Jacqueline le fait évader et ils s'enfuient vers le nord canadien. Elle se fait passer pour son épouse auprès de Louis (Jacques Terrane), un jeune trappeur français rencontré dans le train, qui va les aider à s’équiper puis les accompagner dans leur périple. Seulement, Louis tombe amoureux de Jacqueline dont les sentiments commencent à vaciller, et très rapidement les fuyards sont rejoints par un quatrième larron : le caporal Dal (Charles Vanel), un homme de la police montée, venu pour les arrêter mais à qui ils lui sauvent la vie...

C’est peu de temps avant la guerre que Jacques Feyder entreprend la réalisation de ce film dont la sortie se trouve retardée suite au début des hostilités, puis suspendue pendant l’Occupation, les autorités n'acceptant pas la trahison de Dal, un représentant de la loi ne pouvant fraterniser comme le fait Vanel avec les criminels qu’il recherche. L'aspect le plus intéressant du film est la cohabitation "à la dure" des quatre personnages principaux perdus dans ce pays neigeux. Le film n’a pas été tourné au Canada, mais en Laponie et dans des conditions fort difficiles. S’il n’a pu avoir la satisfaction de réaliser son film sur les lieux même du drame, Jacques Feyder a au moins pu imposer à son équipe et à ses acteurs des conditions et des décors s’en rapprochant suffisamment. Afin de mieux mettre en valeur l’isolement des personnages dans la nature dans la deuxième partie du récit, Feyder multiplie dans la première les scènes surpeuplées : le meurtre dans un night-club mondain, le procès évidemment, l'asile où Shaw a été placé.

Les scènes américaines reconstituées en studio par le cinéaste sont nourries de deux tendances contradictoires: d’un côté il y a les souvenirs que Feyder conserve de son passage aux Etats-Unis, de l’autre des acteurs français qui déclament un texte aussi peu anglo-saxon que possible. Si le réalisateur tourne avec une vedette très en vue, Michèle Morgan, et retrouve Charles Vanel, le casting montre une certaine tendance au cabotinage avec Jean Brochard interprétant un Ecossais du Grand Nord aussi convaincant qu'un Fernandel en Mata-Hari, ou encore Pierre Richard-Willm et Jacques Terrane, les deux amoureux transis de Jacqueline, qui se disputent joyeusement le titre du pire acteur du film...

Heureusement, le cœur du film - une nouvelle fuite en avant vers un idéal impossible à atteindre - tient essentiellement sur le personnage de Jacqueline, une femme qui s’est trompée sur le compte d’un homme qu’elle a cru aimer, et qu’elle va pourtant accompagner jusqu’au bout parce qu’elle l’a choisi. En chemin, elle rencontre l’amour, le vrai, mais son engagement l'empêche de s'y livrer. Face à Morgan, il faut saluer Vanel qui est comme à son habitude fantastique en homme partagé entre son devoir et ses sentiments. Le drame de la jeune femme a beau être celui d’être partagée entre deux hommes qu’elle aime, il va se jouer symboliquement entre Jacqueline et la nature. Toutes choses font que, malgré ses défauts, La Loi du Nord est un film loin d'être banal.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Feyder
17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 18:33

En réponse au serial La main qui étreint, la Gaumont a donc produit cet étonnant film, entièrement dû à l'esprit farceur de Jacques Feyder, le futur réalisateur de L'Atlantide, des Nouveaux Messieurs et de La Kermesse Héroïque... Et le film, clairement, n'a pas grand chose à voir avec toutes ces oeuvres prestigieuses.

D'ailleurs, il n'a pas grand chose à voir avec quoi que ce soit! c'est un indescriptible mic-mac de scènes pour rire, par des acteurs qui se prennent pas au sérieux, avec des intertitres aussi stupides que possible... Je mentirais si je disais qu'il y a beaucoup à glaner dedans, mais on se laissera aller à l'indulgence, ce serait-ce que pour ses deux dernières bobines, le dénouement (oui, au fait, c'est un film à épisodes!) dans lequel on révèle que le chef des gangsters n'est autre que... qu'un célèbre comédien burlesque (imité par Georges Biscot avec une moustache, et le bougre se débrouille plutôt pas mal), qui va piquer sans vergogne sa fiancée au héros, et en plus l'épouser en juste noce avec une bande de bras cassés dans lesquels on reconnaîtra Musidora en Irma Vep, et Marcel Levesque en Oscar-Cloud Mazamette... 

Vous avez dit "n'importe quoi"?

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Feyder 1916 Muet Comédie *
30 janvier 2021 6 30 /01 /janvier /2021 20:44

Jacques Feyder a remué ciel et terre pour tourner ce film, et comme on dit toujours dans ces cas-là, il a bien failli ne pas se faire! Il lui a surtout fallu aller chercher dans le désert même les décors envoûtants de son film, lui qui sortait de la Gaumont, l'une des usines à rêves du cinéma Européen, peu enclines à tourner de l'authentique... 

 

Le lieutenant Saint-Avit (Georges Melchior), retrouvé inconscient dans le Sahara, raconte à son ami le lieutenant Ferrières (René Lorsay) l'incroyable aventure qu'il a vécue: son expédition dans le désert aux côtés de son ami le capitaine Morhange (Jean Angelo) l'a mené jusqu'au Hoggar, où il s'est retrouvé prisonnier d'Antinea (Stacia Napierkowska), la mystérieuse reine héritière du royaume perdu de l'Atlantide, du moins ce qu'il en reste au milieu du désert. Saint-Avit, comme tous les hommes ou presque qui sont passés par là (un grand nombre de sarcophages en témoignent), tombe instantanément amoureux d'Antinéa, mais celle-ci lui préfère Morhange.  celui-ci, qui a fait voeu de chasteté, lui oppose une indifférence ferme qui va provoquer la folie meurtrière de la reine... Pendant ce temps, pour tromper son ennui, Saint-Avit devient ami avec Tanit-Zerga (Marie-Louise Iribe), une esclave qu'Antinéa présente comme sa secrétaire particulière, et qui a un faible pour le lieutenant...

 

Le film, durant 171 minutes (dans sa version actuelle, restaurée et présentée en 2018 à Pordenone, mais on parle parfois d'une durée initiale de 190 minutes) est vaste et long, et n'a pas grand chose à voir avec le type d'aventures présentées dans les films Américains contemporains. Aux péripéties et au mouvement, Feyder oppose en effet un long prologue, gardant Antinéa pour la fin de la première moitié. Longue sera la route vers la reine, car à partir du moment où ils l'auront rencontrée, l'amitié des deux hommes ne sera plus qu'un souvenir. Certes, aucun des deux, à moins d'être dans un état second, ne reniera l'autre, mais ils seront séparés, de façon implacable, jusqu'au meurtre... 

 

Antinéa, c'est un peu une métaphore de bien des choses: l'attrait vaguement romantique de l'orient, bien sûr, mais aussi les drogues, car à l'exception de Morhange, tous ceux qui y seront confrontés iront à la mort... Et il y a de nombreux paradis artificiels dans ce film situé en plein Sahara. Des produits qui ont peut-être (on n'en est pas tout à fait sûr) aussi pesé sur le destin personnel de Feyder, du reste, même s'il s'agit plus probablement d'alcool... Le cinéaste, en tout cas, fait semblant de se conformer aux canons du mélodrame colonial, en faisant de Morhange un roc inébranlable de religion qui reste impassible devant la chair constamment exposée d'Antinéa... Pourtant, il choisit ensuite de prolonger le film en montrant de quelle façon Saint-Avit, Français, soldat et noble, les trois qualités permanentes et essentielles du drame colonial, restera à jamais sous la domination... d'une femme dont on ne connaît pas vraiment l'origine. Et il y a Tanit-Zerga, la touchante esclave qui jouera un rôle essentiel et dont l'amour jamais dit ni révélé, éclate au grand jour dans la façon dont elle se dévoue à Saint-Avit. Marie-Louise Iribe est formidable dans le rôle...

 

Quoiqu'il en soit, l'ironie pointe sous l'épopée, et le fait est que si Feyder a souffert (et son équipe, j'imagine, aussi) d'avoir du tourner dans le désert, la beauté étrange du film contribue à l'impression cotonneuse d'envoûtement qui s'en dégage... Et Feyder a su tirer partir de son montage, d'un éclairage constamment inventif, et bien sûr d'un remarquable sens de la composition. 

 

On est, de toute façon, dans son univers, avec cette fuite en avant, dans un environnement parfaitement défini: L'Atlantide est bien plus qu'un gros film à succès adapté d'un mauvais livre, il est avec ses défauts (Napierkowska étant sans doute le plus visible) et ses qualités, un jalon essentiel de la carrière du metteur en scène, qui jugera prudent en rentrant en France, de s'atteler avec Crainquebille à un film plus raisonnable...

 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1921 Jacques Feyder *
4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 10:20

Une femme trompée (Kitty Hott) se plaint auprès de sa sœur (Suzanne Delvé), qui imagine un stratagème pour faire revenir le mari (André Roanne) dans le droit chemin, et ce malgré l’attraction particulièrement forte de la princesse Orazzi (Georgette Faraboni)…

Ce film de trois bobines est d’une ambition rare, et sans doute annonciateur d’une volonté de faire évoluer le cinéma hors des sentiers battus, et hors des canons de la Gaumont, la compagnie qui l’a produit. Feyder a tourné le film d’après un scénario de comédie boulevardière assez classique signé de Gaston Ravel, mais qu’il a filmé délibérément en plans rapprochés et en gros plans. Il en résulte une comédie qui s’attache aux personnages, les découvrant incidemment dans leur environnement.

Ravel, avec l'assistance de Feyder, avait déjà mis en chantier le court métrage Des pieds et des mains, qui cadrait uniquement les jambes des protagonistes d'une comédie boulevardière sophistiquée... Le titre de ce nouveau film est une allusion au fait que les personnages ne sont jamais vus en pied, justement, contrairement à l’usage de plans généraux utilisés en priorité à des fins d’exposition. Le recours à des miroirs, à des caches (Un paravent derrière lequel Roanne, futur acteur de Renoir et Pabst au destin tragique, subit une consultation médicale, seule sa tête dépassant), à la vue subjective d’une loge de théâtre vue à travers les jumelles de l’héroïne, tout concourt à isoler les têtes des protagonistes dans le champ afin d’offrir une série de variations sur le titre. Mais surtout, les acteurs ainsi approchés, enserrés dans un cadre qui limite leur action, trouvent une subtilité qui est très rafraîchissante. Il est dommage qu’on n’ait pas laissé Feyder réaliser beaucoup d’autres films dans ce genre à La Gaumont… 

Pour finir ce tour d'horizon d'un film essentiel, on reconnaîtra dans le film une apparition de luxe, d'une très grande dame à la carrière prestigieuse... Ci-dessous, Françoise Rosay.

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Published by François Massarelli - dans Jacques Feyder Comédie 1916 Muet *
4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 10:11

Un violoniste virtuose (Fernand Herrmann)  se plaint auprès d’un ami à lui de ne pas être capable de s’ouvrir à la société, et en particulier d’être un empoté auprès des femmes. Il fait la rencontre d’une jeune Américaine dont il tombe instantanément amoureux, mais sous le conseil de son ami, décide de devenir sportif… Cela ne va pas aller dans le sens qu’il voudrait.

C’est au début de sa carrière, à l’époque de son contrat avec Gaumont, que Feyder a réalisé (et écrit) ce petit film, une comédie légère qui ne se prive pas d’adopter le ton délicat d’une intrigue sentimentale, avec son héros trop inepte pour convaincre… C’est assez subtil, bien réalisé, très différent de Feuillade, mais pas non plus une imitation de l’autre grand nom du cinéma Français alors en grâce chez Gaumont, le grand Léonce Perret. Alors que Feyder était souvent amené à réaliser des films qu’il n’avait pas envie de faire, ce court métrage interprété avec justesse montre assez bien quelles pouvaient être ses ambitions… Le film place ses personnages dans un environnement bourgeois qui est un héritage de la Belle Epoque, et leurs activités citadines (Sorties mondaines, sports…) sont sans doute fort modernes pour leur époque.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Feyder Muet
4 avril 2020 6 04 /04 /avril /2020 10:04

Un homme saoul rentre chez lui, et entre dans tous les appartements, étage après étage . Partout, il est confronté à l’inexorable conclusion qu’il n’est pas chez lui, dérangeant occasionnellement d’autres personnes, dont un cambrioleur occupé à dévaliser son appartement, ce qui le pousse à s’excuser avant de sortir de chez lui pour continuer sa quête…

Si on veut savoir ce qui ne tournait pas rond avec les films que Feyder exécutait en râlant lors de ses débuts chez Gaumont, il suffit de voir ce petit film burlesque, qui malgré ses quinze minutes, semble durer une éternité. On remarque le coté adulte voire salace du scénario, qui nous permet d’assister au couchée de la jeune mariée, avec moult détails (Un intertitre attribue à la tremblotante dame une requête auprès de son mari, dont elle ne voulait pas qu’il allume la lumière), dont bien sûr l’abominable constat: au moment où commence cette nuit de noce, il y a un homme saoul dans leur lit ! Clairement, Jacques Feyder avait bien mieux à faire que ce genre de pochade.

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Jacques Feyder
22 août 2013 4 22 /08 /août /2013 17:35

Ce film s’inscrit dans le cadre des efforts notables d’Alexandre Korda pour rétablir la réputation du cinéma Britannique au niveau international, d’où la présence aux côtés de Robert Donat de Marlene Dietrich. Le fait de confier la réalisation de ce film à Feyder montre bien dans ces circonstances la position qui est devenu la sienne après les succès du Grand Jeu et surtout de La kermesse héroïque, rebaptisé en Grande-Bretagne Carnival in Flanders. Le metteur en scène n’est pas venu seul, accompagné de son fidèle décorateur Lazare Meerson, et d’Harry Stradling qui avait déjà pris en charge la photo de son dernier film, avec le résultat que l’on sait. A noter que le jeune Jack Cardiff était l’opérateur du film De son côté, Miklos Rosza signe ici son premier travail crédité pour le cinéma.

 

Le film est une suite ininterrompue d’aventures, un film romanesque et romantique, qui amène deux êtres que tout oppose à cohabiter et à tomber amoureux l’un de l’autre : En Russie, un jeune Anglais désargenté est invité par son pays à infiltrer les mouvements révolutionnaires sous le nom de Peter Ouranov (Robert Donat). Il ne tarde pas à être arrêté avec les vrais révolutionnaire, et déporté en Sibérie. Une fois la révolution accomplie, il revient et est propulsé par Axelstein (Basil Gill), un codétenu, au rang de commissaire. Axelstein, qui souhaite garder la révolution aussi décente que possible, envoie son ami Ouranov pour aider la comtesse Alexandra Vladinoff (Marlene Dietrich) à échapper au peloton… Il le fait, et c’est ainsi qu’une fuite pleine de mésaventures commence pour les deux jeunes gens, qui ne tarderont pas à tomber amoureux l’un de l’autre, et ne seront chez eux nulle part, ni avec les « rouges », ni avec les « blancs »…

 

 Alexandra a une vie toute tracée, mais une certaine lueur romanesque nous fait dire que si son parcours écrit d’avance s’était réalisé sans heurts, c'est-à-dire si la révolution n’avait pas eu lieu, elle y aurait probablement perdu : il est quasiment officiel que l’homme auquel on la destine est un imbécile, et ses rares apparitions ne nous disent pas autre chose. Relativement attachée à sa position et ses privilèges, Alexandra n’est pourtant pas une pimbêche pour autant, et sait s’adapter aux circonstances rocambolesques de son « évasion ». Elle permet aussi au spectateur de passer d’un point de vue prorévolutionnaire (On a suivi Peter jusqu’en Sibérie) à son contraire, à travers une superbe scène : la comtesse se réveille seule dans son manoir, et sort, toujours dans la solitude, jusqu’à ce qu’une troupe révolutionnaire intervienne. Face aux révoltés, elle est seule, en chemise de nuit d’une blancheur presqu’irréelle. De son côté Peter interprété par robert Donat rejoint Richard Hannay dans The 39 steps d’Hitchcock, interprété par Donat lui aussi : c’est un personnage qui semble venu de nulle part, un passeur de l’intrigue jusqu’à sa rencontre avec Alexandra. Mais il est malgré tout ballotté par les évènements, et son rôle actif consiste surtout à profiter des opportunités qui se présentent. Avant longtemps, les deux héros se sont écartés de toute idéologie, et n’ont pour seul désir que de fuir la Russie. Un refus de s’impliquer politiquement qui est aussi sans doute la meilleure des prudences afin de permettre au film une carrière internationale sans heurts…

 

Par bien des aspects, le personnage de Peter rejoint le héros de Carmen, et ceux de L’atlantide, et Le grand jeu; il a abandonné sa vie d’avant, représentée par une séquence au début du film, qui voit d’ailleurs à leur insu les deux principaux protagonistes se croiser : tous deux sont à Ascot, mais n’ont évidemment pas les mêmes cercles. Alexandra est en villégiature avec son père, et Peter est venu parier une somme ridicule… Un trait d’humour, qui met en évidence leurs différences, mais aussi qui justifie pleinement le fait que jusqu’à leur vraie rencontre, le film passe d’un monde à l’autre, d’un personnage à l’autre… La fuite en avant de Peter passe par des doutes et des hésitations qui sont vite balayés : le personnage n’a rien, donc rien à perdre en acceptant l’étrange poste d’espion qui lui est proposé. Ce sera d’ailleurs très court, puisqu’une fois arrêté, il cesse de prétendre et adopte semble-t-il le point de vue de ses codétenus. Il existe enfin ! Il a trouvé son Atlantide, et cela va être encore plus évident lorsqu’il trouvera l’aventure aux côtés d’Alexandra. Une jolie scène (Un peu excessivement marquée par une joie qui sonne un peu faux, à mon sens) est située dans le dernier tiers du film, alors que les deux héros qui ont échappé à un énième danger, et en ont profité pour faire l’amour, ou toute autre chose qu’on puisse faire à deux, allongés sur le sol, au cours d’une ellipse : Alexandra se baigne dans une rivière, alors que Peter est parti chercher des vêtements et de la nourriture. A son retour, ils sont tous deux aux anges : cette aventure les ravit !

 

Pourtant, bien que très soigné, le film n’est pas très représentatif du travail de Feyder, et n’est pas très personnel. Pour commencer, on imagine le metteur en scène frustré de ne pouvoir filmer dans une Russie qui ne soit pas recréée par Meerson! Cette production Korda est très distrayante, et c’est probablement dans l’esprit du metteur en scène une façon pour lui de s’imposer à l’extérieur des frontières de son pays d’adoption, et de participer à la création d’un cinéma Européen, voire international. Il est intéressant de constater toutefois que le final du film fait reposer une grande part du salut des héros sur la présence de la Croix Rouge Américaine, ce qui n’est certainement pas un hasard! Quant à la vedette Américaine du film, elle n’est sans doute pas d’une extrême crédibilité en tant que comtesse Russe Blanche, mais elle tient son rôle avec énergie, et a la réputation d’avoir tenu tête à Korda qui souhaitait réduire le rôle de Donat, empêché de passer du temps sur le plateau pour cause d’Asthme envahissant. C’est Marlene qui a suggéré le fait de tourner d’abord les scènes qui l’impliquaient sans Donat afin de laisser le temps à ce dernier de se remettre. Une élégance qui à mes yeux rend incompréhensible le jugement dur et peu justifié de Victor Bachy dans sa monographie de Feyder, qui estime que ce film « pâtit de la présence envahissante de Marlene ».

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Feyder
15 août 2013 4 15 /08 /août /2013 10:23

A boom, dans les Flandres, en 1616. On apprend que l’occupant Espagnol s’apprête à traverser le village, et les bourgeois s’inquiètent: ne vont-ils pas procéder à des massacres, des pillages, des viols en série comme ils en ont la réputation? Le bourgmestre (André Alerme) croit avoir trouvé la parade: il va se faire passer pour mort, fraîchement décédé, ce qui devrait calmer les ardeurs de l’envahisseur. Mais son épouse (Françoise Rosay) et les autres dames de notables ont une autre idée: celle d’accueillir avec bienveillance (Et plus si affinités) les espagnols, qui vont effectivement s’arrêter, et profiter de l’aubaine en festoyant, fraternisant, et bien plus… La ville se souviendra longtemps de cette occasion, à n’en pas douter.

Feyder ne faisait rien comme tout le monde. Pas même, semble-t-il, comme lui-même! Ce film, son plus connu, et l’un des rares à avoir une réputation internationale, est totalement éloigné des préoccupations habituelles de l’auteur de L’Atlantide, Carmen, ou Le grand jeu: pas ici de personnage lancé dans une fuite en avant mortelle, pas de noirceur et de destinée… Juste une farce, pour reprendre les propres mots du metteur en scène, qui avait envie avec son co-scénariste Charles Spaak d’une fantaisie historique, creusant son sillon avec une nouvelle fois, la troisième consécutive, la place de choix offerte à son épouse, qui revient après son rôle exceptionnel dans Pension Mimosas, en dame bourgmestre, qui prend le pouvoir avec panache derrière le dos de son mari. On pourra tout de même trouver ici des parallèles avec deux films muets de Feyder : d’une part, il y a derrière Françoise Rosay, comme un rappel de l’art de la manipulation subtile telle que Gribiche la pratiquait, en 1925; et le ton satirique n’est pas non plus éloigné de celui des Nouveaux Messieurs, l’ironie s’appliquant ici non sur la vie politique, mais plutôt sur le comportement des échevins, tous pleutres, et unis dans leur lâcheté derrière leur chef en petitesse, le bourgmestre. 

Si Jan Bruegel est l’un des personnages du film, (Il est l’amoureux de Siska, la fille du bourgmestre que ce dernier a promise au boucher), c’est que Feyder a souhaité souligner de multiples façons la principale influence picturale de son film, mis en images avec un soin rare dans le cinéma Français de l’époque par Harry Stradling: les citations des maîtres Flamands abondent, et le film voit ses personnages se réfugier dans plus d’une fête nocturne, permettant la reproduction des ambiances festives des tableaux qui l’inspirent. Mais on note que cette référence à la peinture passe uniquement par des aspects festifs, justement : là encore, il n’y aura pas de heurts ni d’intrigues: tous les personnages qui tentent de tromper, manœuvrer, contrer même les plans de madame la bourgmestre trouveront à qui parler: Delphin, interprétant le nain qui suit le duc Espagnol, ou encore les échevins qui tentent de reprendre le dessus voyant la situation leur échapper, ne parviendront pas à changer la donne: le passage des Espagnols sera sans douleur, juste un rêve. 

Et c’est là que l’histoire, de façon inattendue, s’en mêle: d’une part, le film a été produit avec des capitaux européens, dont Allemands (Il en existe même semble-t-il une version Allemande, comme pour le film Les gens du Voyage réalisé à Munich trois ans plus tard); ensuite, il dépeint une atmosphère d’angoisse liée à l’occupation qui ne se résout que grâce à une collaboration active de la part de la population féminine trop heureuse de l’aubaine. Le salace et l’ironie déboucheront inévitablement, pas tout de suite, mais a posteriori au regard de la position importante du film dans les années 30, sur des accusations de mauvais goût et d’apologie de la collaboration… Pourtant ce que Feyder voulait, c’était prendre du bon temps, et montrer les femmes prendre le pouvoir, lui qui s’était amusé en 1928 à montrer l’assemblée Nationale occupée par des ballerines! Si Goebbels a souvent été cité comme ayant particulièrement apprécié le film, il n’en reste pas moins que celui-ci sera interdit durant la guerre, sur recommandation des autorités d’occupation justement. Pour une fois, on peut citer Sadoul, lui-même communiste et résistant, qui a toujours défendu le film de Feyder qu'il trouvait purement magnifique.

Halte bienvenue dans le parcours de Feyder, La kermesse héroïque a été un succès certain, gagnant même des prix en France et en Europe. C’est justice, le film étant un parfait équilibre entre l’ironie, le mauvais goût calculé (Et magnifiquement enluminé et costumé ce qui ne gâche rien), la subtilité et le ton farceur invoqué. Et c’est un bien beau film, dans lequel on peut savourer encore et toujours le métier de Françoise Rosay, confrontée cette fois à Louis Jouvet, menant une étrange fable au féminisme, disons, terrien.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Feyder
18 juillet 2013 4 18 /07 /juillet /2013 18:42

Don José (Louis Lerch) fuit son village natal de Navarre, où il a tué un homme par accident. Il s’engage dans l’armée, et fait partie d’une troupe de soldats qui arrive à Séville, où sévissent des contrebandiers, menés par Garcia, dit Le Borgne (Gaston Modot) et sa compagne Carmen (Raquel Meller), dont José va tomber amoureux… Pour son malheur. 

 Carmen, la nouvelle de Prosper Mérimée, a fourni au cinéma muet de la matière ; rien que l’année 1915 a vu sortir trois films, et non des moindres: un DeMille avec la cantatrice Geraldine Farrar, un film de Raoul Walsh pour la Fox avec Theda Bara, aujourd’hui perdu comme la plupart des films de l’actrice ; de son côté, Chaplin a tourné pour la Essanay un pastiche de Carmen, sorti un an plus tard… En 1918, Lubitsch tourne sa version avec Pola Negri, et Feyder leur emboîte le pas en 1926, sur une commande de l’Albatros. Le but poursuivi par le studio, assez clairement, était de mettre en valeur l’actrice Raquel Meller, mais ce n’est pas à proprement parler un choix des plus judicieux, surtout que le bruit court que l’actrice ne s’est pas entendue avec son metteur en scène.

Celui-ci était pourtant dans son élément : il tourne ici un drame, que son scénario n’édulcore pas. Dès le départ, en filmant un prologue d’une dizaine de minutes qui nous montre la fuite de Don José, il installe l’idée d’une fuite à jamais, d’un éloignement inéluctable du bonheur, avec une très belle scène d’adieux du jeune homme à sa mère. Comme dans L’Atlantide et Visages d’enfants, Feyder a choisi de tourner son film sur les lieux même de l’action, et l’Espagne aride et sèche du film sied parfaitement au drame, qui vire comme dans L’Atlantide à l’obsession de José pour Carmen… Mais celle-ci manque cruellement de substance, étant tout au plus une héroïne vaguement endimanchée en gitane. Privé de sa principale attraction, le drame de Mérimée s’affadit, pour ne plus être qu’un superbe album d’images : le décoratif l’emporte.

 

Bien sur, les acteurs ne sont pas mauvais, loin de là : Gaston Modot, en Garcia, incarne un Gitan autrement plus flamboyant que Meller; et Lerch est convaincant, lui aussi… Feyder lui a donné par trois fois des affrontements à l’arme blanche qui nous montrent son évolution, depuis une bagarre qui tourne mal, jusqu’à un affrontement inéluctable entre José et le Borgne pour les beaux yeux de Carmen. Dommage que celle-ci n'ait pas suivi.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Jacques Feyder Albatros
14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 09:29

A Lyon, Irène Guarry (Greta Garbo) est mariée à un riche homme d’affaires, Charles (Anders Randolf). Elle ne l’aime pas, et rencontre régulièrement son amant André Dubail (Conrad Nagel). Celui-ci souhaite que la jeune femme quitte son mari, et divorce, ce à quoi elle se refuse : elle sait que son mari n’acceptera jamais le divorce. Ils conviennent de cesser de se voir… De son côté, Irène rencontre parfois un jeune homme, Pierre Lassalle (Lew Ayres), clairement amoureux d’elle. Elle le laisse gentiment flirter, sans savoir que leurs rencontres ont été épiées par un détective payé par Charles. Un soir, Pierre se rend au domicile d’Irène en l’absence de Charles, et devient entreprenant. Charles intervient, et attaque le jeune homme. En continuant à se battre, ils se retrouvent tous trois dans une pièce, à l’abri de notre regard. Charles meurt : qui l’a tué ? Et quelle est l’intention d’Irène vis-à-vis du jeune Pierre ?

Le premier film Américain de Feyder, et son seul muet, tranche non seulement sur les besognes alimentaires qu’il tournera à la MGM, mais aussi sur le tout-venant des films interprétés par Greta Garbo. Bien sur, on reste dans un cadre de drame mondain, situé dans la bourgeoisie Européenne ; mais le style, le ton et le naturalisme inné de Feyder font merveille. Il a en particulier choisi du début à la fin du film des placements de caméra inhabituels, utilise des mouvements d’appareil avec un sens de la mesure qui est tout bonnement miraculeux. Il y a aussi des idées géniales de mise en scène, rares dans les films muets bien conventionnels de la MGM à l’époque, comme un faux témoignage en direct : Garbo est interrogée sur le meurtre de son mari, et sa propre situation au moment du drame, et elle donne une version que nous savons fausse, illustrée par des images, dans lesquelles l’actrice semble hésiter, mécaniquement, se conformant aux hésitations de la narration.

 

Feyder est moins à l’aise avec l’histoire d’amour bien conventionnelle des deux principaux protagonistes, qui vont devoir se rapprocher lorsque Garbo sera accusée du meurtre de Charles, André devenant bien sur son avocat. Le metteur en scène préférait, c’est manifeste, les sentiments qui s’expriment autrement que par des intertitres (Oh, I love you so much, Irène !) ou des dialogues peu convaincants, il l’a suffisamment prouvé dans la plupart de ses films... Par contre, il a reçu comme mission, comme tous les metteurs en scène qui ont eu a croiser la Divine, de mettre en valeur sa beauté: mission accomplie avec brio!

 

Une autre chose qu'il a toujours su faire, c'est peindre même en contrebande un tableau bien noir des passions humaines: à la fin du film, Irène et André sont certes réunis, désormais débarrassés de l’obstacle encombrant du mari dont on a conclu que la mort était un suicide… et désormais complices involontaires d’un mensonge autour des circonstances en effet peu orthodoxe de sa disparition. Pour un metteur en scène qui avait réalisé un Thérèse Raquin paraît-il formidable (Et dont on déplore plus que jamais la disparition), ce n’est pas anodin.

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Published by François Massarelli - dans Muet Jacques Feyder 1929 Greta Garbo *