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2 mars 2024 6 02 /03 /mars /2024 23:58

Les trois premiers plans du film donnent le ton: dans le premier, on voit un bateau sur la plage, les vagues créent le seul mouvement, et le seul bruit: pas un touriste, pas un être humain à l'horizon... Le deuxième crée une rupture assez violente: c'est l'image d'une gare dans laquelle des gens vont et viennent. Puis le troisième enfonce le clou... Une famille attend un train sur le quai, les deux parents et leur fils... et celui-ci se prend une torgnole magistrale, et particulièrement sonore. Ca y est, le film a commencé et ne quittera plus cette thématique: d'une part, l'invasion d'un coin de paradis par des êtres humains qui vont y déplacer leur rancoeur, leur mesquinerie et leur animosité, de l'autre toute une société qui s'apprête à déferler sur la côte, amenant avec elle toutes leurs habitudes, bonnes et surtout mauvaises. Aucun d'entre eux ou presque n'aura l'idée de se laisser aller. Aucun, sauf...

Le grain de sable, bien sûr, ce sera M. Hulot (Jacques Tati): timide, effacé, décalé jusqu'à l'extrême, roulant dans un abominable tacot et tellement gaffeur qu'il va s'attirer l'inimitié de tous ou presque les vacanciers de la petite station balnéaire où il va séjourner. Maintenant, si Hulot est le grain de sable (Ou un grain de sable parmi tant d'autres, après tout on est en bord de mer), il est aussi le fil rouge; un fil rouge dans un film qui accumule gag sur gag, parfois d'une façon apparemment disjointe, mais est malgré tout construit à partir des arrivées des uns et des autres: la pétarade du moteur de la voiture du héros joue un rôle dans cet échafaudage rigoureux, quand elle arrive à hauteur de la rue du commandant Charcot!

Alors tous ces vacanciers qui se sont finalement contentés de déplacer leur vie Parisienne (Ou Berlinoise, comme cet homme d'affaires qui répond au doux nom de Schmutt, et qui passe son temps à interrompre ses vacances pour répondre au téléphone) à St-Marc sur Mer, Hôtel de la plage, et qui reprennent exactement le fil de leurs activités, n'ont pas besoin d'un trublion qui vient, lui, faire exactement le contraire de ce qu'ils font: s'amuser, s'intéresser à tout, prendre du bon temps... Le vieux militaire raconte sa vie, ce qui revient à replonger dans un passé pas si lointain dont on ne veut plus, le Marxiste gonfle tout le monde avec ses théories à la noix, les gens reconstituent une discipline dont on devrait justement se débarrasser (Gymnastique de groupe, par exemple), les vacanciers répondent tous en même temps à l'appel de la cloche et quand ils mangent, la plage est totalement vide de monde, et quand les dames s'extasient en choeur devant "les bateaux, les coquillages", c'est mécanique. Hulot, pourtant, n'est qu'un homme qui a pris des vacances, comme eux. Sauf que lui il en profite... 

Les seuls à trouver des qualités à Hulot, sont une jeune femme, Martine, qui passe pourtant tout le film à manquer ses rendez-vous avec lui; une Anglaise d'une certain âge, qu'il amuse et d'ailleurs elle lui pardonne tout, la friponne; un vieux monsieur que les coquillages lassent; et enfin les gosses. Surtout un d'ailleurs: il aime bien Hulot, qu'il prend pour modèle... Mais on note que comme dans Mon Oncle, comme dans Playtime, Hulot est condamné à rester à l'écart des femmes qu'il aurait pu séduire: comme Chaplin, tiens!

Occasionnellement, on quitte la plage de St-Marc et son hôtel, pour des matches de tennis, à proximité du bourg, une séquence d'enterrement dans le quartier d'Heinlex, et un pique-nique dont l'essentiel se situe sur la lande de Cavaro, près d'une dune. Une séquence aussi, a été tournée à 35 km au nord, à La Roche-Bernard... Mais l'essentiel du film occupe la plage, qui lie les scènes entre elles, grâce à un dispositif de lieux particulièrement fixés dans l'oeil du spectateur grâce à une exposition exemplaire: l'hôtel et ses deux entrées, le remblai (Aujourd'hui occupé par un restaurant sur la plage, le France), les maisons (aux devantures ajoutées pour le film) de la rue du Commandant Charcot, sur le remblai... Et la plage, bien sûr, divisée en deux par la zone rocheuse, dont une jetée part vers le sud; sur cette jetée, Tati et ses techniciens ont érigé un petit phare en trompe-l'oeil, qui ne trompe d'ailleurs pas grand monde! Voilà donc le terrain de jeu du maître, le reste est du pur plaisir: des gens qui se baignent et des gens qui les regardent, des comportements qui se déroulent dans leur douce vérité comique, ceux qui font du sport, ceux qui se promènent, ceux qui regardent les autres, en râlant, ceux qui draguent...

Il y a eu trois versions du film, en tout: celle de 1953 est la plus rarement vue; la deuxième a gommé un certain nombre de défauts, en particulier l'intrusion permanente de la parole via la radio dans l'hôtel, mais en a aussi ajouté: des boucles sonores qui rappellent en permanence la présence de la plage y compris quand elle n'est pas dans le champ ("Eh, l'autre, il est tombé à l'eau") et qui prennent toute la place; la bande-son a été ré-enregistrée, la musique remplacée par une nouvelle interprétation, et des bruitages inutiles rajoutés (ainsi, au mythique "oh, un coquillage", vient désormais s'ajouter un "plic!" d'un coquillage lancé dans une flaque d'eau...). Enfin, le montage resserré de 1960 s'est vu adjoindre en 1978 une nouvelle séquence qui ne s'intègre qu'avec réserves. Je vais faire comme d'habitude: seule vaut, à mes yeux la version de 1953, y compris avec ses défauts...

Ca se devine sans doute: je suis moi-même St-Marcois. Donc j'ai un oeil particulier sur ce film, qui me montre des lieux qui ont bien changé. Ils n'avaient pas changé tant que ça quand j'avais 10 ans, je peux vous le dire. D'où un inévitable sentiment de nostalgie, une inévitable tendresse pour ce film. N'empêche: St-Marcois ou pas, je défie quiconque de me trouver dans le cinéma Français des 80 dernières années une comédie d'essence visuelle aussi réussie, aussi aboutie et aussi définitive que celle-ci. Que ce soit chez Tati, dont les autres films si on excepte Parade sont loin d'être des navets, ou chez ses suiveurs les Rabaté (Qui d'ailleurs a tourné un film "de vacances" quasi muet, Ni à vendre ni à louer, pas loin: entre St-Nazaire, Donges et Le Croisic, et ce n'est sans doute pas un hasard) et les Jeunet, d'hier ou d'aujourd'hui. Avec ses vacances de rêve, son sable qui sent bon l'enfance, l'insouciance, son héros qui sans jamais avoir recours à la moindre violence, sans se départir ni de sa timidité, ni de son exquise politesse, semble hurler un impressionnant 'mort aux cons', finalement, Les Vacances de M. Hulot est un chef d'oeuvre.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati
24 février 2022 4 24 /02 /février /2022 16:04

C'est pendant la fin du tournage de Playtime, et dans les décors même du film de Jacques Tati, que ce court métrage s'est fait: on sait avec quelle passion le cinéaste a toute sa vie défendu l'importance du genre court, lui qui avait grandi dans l'amour du cinéma de comédie des Etats-Unis, et qui a constamment encouragé la production de ces petits films hélas voués à devenir essentiellement des jalons professionnels, à l'écart d'un grand public gavé de longs métrages d'un côté et de publicités de l'autre.

Tati, scénariste aussi bien qu'acteur du film, a beau arriver sur les lieux du film en imper, avec chapeau, et une démarche qui nous rappelle bien des choses, ainsi qu'une inévitable pipe, il n'est pas vraiment Hulot, ici: il est un enseignant, qui apprend un certain nombre d'hommes d'âge moyen, des choses essentielles: comment fumer; comment jouer au tennis selon qu'on soit débutant ou joueur confirmé; comment faire de l'équitation, comment améliorer la vitesse et le rendement de la distribution du courrier, et enfin comment rater une marche.

C'est du Tati, à peine vu par un autre. Il est probable que l'acteur s'est autant impliqué que le metteur en scène dans le tournage de cet exercice de style qui tranche malgré tout sur l'oeuvre du maître sur un point: le gag y passe parfois par une certaine importance de la parole... Une portion y est un remake bluffant (en noir et blanc, mais bien tourné en 1967) d'une scène de L'école des facteurs, d'ailleurs prolongée un peu: une autre preuve de l'implication de Tati, qui aimait à compléter, modifier, voire détourner ses propres films... Et le thème, qui consiste à se moquer allègrement de toute forme d'éducation imposée d'en haut, est du pur Tati.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati
24 février 2022 4 24 /02 /février /2022 15:49

A Ste-Sévère Sur Indre, la pâtisserie ne désemplit pas: c'est que les gâteaux servis, et la gentille fille (Dominique Lavanant) de la patronne qui les sert, sont si appétissants... Peut-être la copieuse dose d'alcool dont ils sont imbibés y fait-elle aussi de l'effet. Du coup, tous les quadras, les quinquas et les sexas du village semblent y passer la journée...

Au début, un plan semble nous orienter vers le documentaire, avec une vue de la façade de la pâtisserie: un plan fixe, frontal et sans paroles, qui reviendra occasionnellement. Sophie Tatischeff devait savoir quel effet ferait sur le spectateur la vision d'une bicyclette, celle d'un des clients de l'établissement, posée sur le mur à droite. On va ensuite entrer dans la pâtisserie, où la présence d'acteurs qui sont tous des non-professionnels et des habitants des lieux, tous plus authentiques les uns que les autres, continue à nous perdre dans l'hypothèse d'un film à la Kieslovski, qui aurait planté sa caméra et capté la vérité... Mais c'est bien Dominique Lavanant au comptoir, ça ne fait aucun doute. 

C'est court (13 minutes), gentiment farfelu, et curieusement satisfaisant: car finalement, dans ce court métrage il n'y a rien d'autre que cet étrange postulat, selon lequel la bourgade de Ste Sévère serait, en 1976, le seul lieu au monde où les habituels clients d'un bistrot préfèreraient passer leur temps et taper le carton autour de gâteaux... D'ailleurs deux clientes potentielles ne tiendront pas dans les lieux plus de trente secondes... 

Bref: observant, et rendant compte avec un clin d'oeil de ce qu'elle a vu, et le faisant à Ste Sévère, le village de Jour de fête où son père a joué les facteurs, Sophie Tatischeff confirme que "Bon sang ne saurait mentir".

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tati Comédie
20 février 2022 7 20 /02 /février /2022 01:30

Deux débrouillards (Jacques Tati et le clown Rhum) décident de trouver un moyen de se faire de l'argent grâce à la tendance des gens à vouloir se changer les idées le dimanche: ils escroquent un garagiste et avec la voiture qu'ils lui ont "achetée" (avec son argent), ils montent une petite affaire, qui consiste à emmener un certain nombre de touristes faire un petit tour à la campagne, moyennant finances, bien entendu...

C'est avec la même équipe que dans On demande une brute, et à nouveau sur un scénario écrit par lui, que Tati continue son difficile apprentissage du cinéma. Il le fait en fan, et je suis persuadé à la vision de ce film avec deux protagonistes débrouillards que l'influence de Laurel et Hardy a joué en plein. Il y a parfois dans cette équipée automobile faite essentiellement de faux départs, de faux airs de A perfect day (1929) de James Parrott...

C'est une comédie, oui, mais le rire est difficile, devant un film gâché par une absence totale de cohésion rythmique... Par contre, dans ce nouveau film, la parole commence enfin à se "tatifier", devenant de plus en plus une utilité accessoire, un bruit ambiant et vaguement générateur d'un certain fil conducteur, pas beaucoup plus. Les gags sont visuels, reste à les rendre drôles... C'est, hélas, une autre paire de manches. Mais ça viendra!

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tati Comédie
19 février 2022 6 19 /02 /février /2022 08:59

Un manager d'un sport de combat a perdu son champion, au moment d'affronter un colosse. Il lui faut impérativement trouver un candidat pour le remplacer: comme on ne veut pas trop admettre la situation délicate la décision est prise de rédiger une petite annonce codée. Au lieu de faire appel à des lutteurs, on fait appel à "un acteur spécialisé dans les rôles violents"... Le pauvre type choisi (Jacques Tati) n'est pas autre chose, lui qui doit subir 24 heures sur 24 l'animosité de son épouse à son égard...

Oublions vite ce film, dont le script est signé de Tati, et dans lequel il interprète un personnage principal vite relégué à l'arrière-plan, par des acteurs désagréables, pas toujours compétents, et par une bande-son occupée en permanence par un dialogue agressif et jamais drôle: le contraire donc de son cinéma à venir... On peut remarquer qu'en lutteur malgré lui, Tati se souvient probablement de la leçon de Chaplin, mais même le match est parasité par d'autres actions d'autres personnages... 

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tati Comédie
17 février 2022 4 17 /02 /février /2022 18:06

En 1978, à l'occasion d'une rencontre entre le club de Football de Bastia et celui d'Eindhoven, Jacques Tati filme l'effervescence de la population locale qui repeint tout aux couleurs du club...

C'est parce qu'il savait que Tati était un grand fan de sport que le président du club, Gilbert Trigano, lui a demandé de réaliser ce court métrage. Il ne s'agissait donc pas seulement d'une commande de circonstance. On reconnaît l'oeil de Tati qui a placé sa caméra quelquefois en attente de quelque chose qui pouvait éventuellement se passer (des gamins qui jouent avec des pétards, ou des mamies qui se livrent à des séances de graffiti sur les murs Bastiais)...

Mais c'est quand même assez austère: si comme moi vous êtes un farouche ignorant militant de la chose sportive, ça vous laissera froid. Il faut croire que je ne suis pas le seul, puisque ce film de 25 minutes est resté très longtemps inédit, oublié et non monté... C'est donc le dernier film de Jacques Tati, sorti en... 2000, soit 18 ans après sa mort.

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tati
17 février 2022 4 17 /02 /février /2022 17:30

Dans un cirque, Jacques

Tati, Monsieur Loyal et clown occasionnel, présente un spectacle qui se veut démocratique: d'un côté, le public peut participer, et de l'autre les artistes sont parfois supplantés par des curieux qui ont plus de talent...

Etrange sortie de piste pour Jacques Tati. On jurerait que ce film est fait de bouts de ficelles, tournés au hasard des occasions, et assemblés afin de permettre la sortie artificielle d'un sixième long métrage du maître: ça ne sonne pas très charitable, mais il est effectivement dur d'entrer dans un film qui affiche aussi ostensiblement son côté patchwork... Et pas de Hulot à l'horizon: je suis d'accord avec Stéphane Goudet, le spécialiste de Tati, quand il dit que tout, dans l'oeuvre du metteur en scène / acteur, concourt à désintégrer le héros Hulot, au point de l'avoir littéralement perdu dans un champ envahi de voitures anonymes à la fin de Trafic. Et ici, même si Tati remplace Hulot et occupe sa part d'espace en montreur de cirque, et même s'il profite de l'occasion pour y interpréter ses sketches de pantomime qui l'avaient révélé en 1935, il disparaît souvent des plans qui le montrent, et sort du film sur un énième relais, après avoir symboliquement donné une étoile couverte de paillettes à une jeune chanteuse/danseuse, et laisse des enfants s'approprier la scène vide comme pour laisser place aux jeunes...

Mais ce type de fin, il la pratique aussi depuis Les vacances de M. Hulot, quand il s'éternise sur le lieu de villégiature (St-Marc Sur Mer, 44) après que les vacanciers l'aient déserté, et il a systématiquement procédé à des conclusions similaires dans les trois longs métrages de fiction qui ont suivi. Cette fois, pourtant, Tati n'est que Tati si on peut dire, et il n'est qu'un participant, avec ses talents (la pantomime, intacte 40 ans après) et ses défauts (pourquoi danse-t-il en faisant semblant de chanter, c'est un moment très embarrassant, et je ne sais pas si c'est du second degré...). Son propos, dans ce film qui commence par montrer que le public joue aussi (de jeunes membres du public se coiffent de balises de chantier avant d'entrer dans le cirque), c'est d'abolir les barrières entre public et artistes, de montrer que le public peut remplacer les artistes, et de proposer une vision tellement fausse du public (des photos de gens sont ostensiblement placées sur les gradins) qu'on en profite aussi pour redéfinir le vrai et le faux...

C'est donc ambitieux, c'est aussi mal foutu: le grain de la vidéo est absolument atroce et se marie mal avec le grain de la pellicule: des séquences ont été tournées en France en, d'autres en Suède en 1971, et le plus gros du tournage était en vidéo légère dans un cirque-théâtre à Stockholm. Le son est comme d'habitude, pas vraiment synchronisé, ce qui devient carrément embarrassant quand on présente la chanteuse Pia Colombo, qui a l'air de réaliser un play-back sur une autre chanson que celle qu'on entend. 

La qualité des numéros présents est inégale aussi, on se souviendra longtemps du numéro des Vétérans, un groupe d'acrobates-musiciens-clowns, mais ils viennent faire des variations des mêmes cascades à quatre reprises... Un numéro musical hilarant est bien trop court. Une intervention d'un clown qui prétend être illusionniste est menée admirablement à sa logique... Hélas, signe des temps, un groupe de rock hirsute joue un titre de sa composition, très 1972, durant ce qui ressemble à une éternité, et en prime Tati, qui avait manifestement planifié de longue date cette présence envahissante de ce qu'on appelait à l'époque de la musique pop, a filmé trois groupes différents dans trois lieux différents (avec des guitares différentes) et ça se voit... Mais le film accumule aussi les gags subtils purement visuels, parfois tellement délicats qu'on ne les verra pas, et aussi des non sequiturs, des étranges passages sans fin, qui nous feraient presque penser à une autre expérience burlesque contemporaine du film, télévisuelle celle là, autour d'un autre cirque, mais volant.

Voilà, c'est le chant du cygne involontaire d'un artiste exigeant, curieux de tout, et qui avait prévu de rebondir, filmant par ailleurs un ajout à ses Vacances de M. Hulot en hommage à Jaws de Spielberg, en 1978; en 1978 également, il tournait Forza Bastia, un court métrage de commande à la gloire du club de football de Bastia, qui allait rester dans les tiroirs pendant 22 années avant que Sophie Tatischeff e le monte et ne le montre... Tati qui voulait continuer à remonter ses films ad vitam aeternam, souhaitait à la fin de sa vie mener un dernier projet, intitulé Confusion, dans lequel tout aurait été mélangé, réalité et mensonge, personnage et acteur, public et artistes. En l'absence de ce curieux film qui ne se fera jamais, contentons-nous déjà de cette intrigante Parade...

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tati
10 septembre 2017 7 10 /09 /septembre /2017 14:16

Trois éléments vont présider à l'existence de ce film: d'une part, Tati voit bien que sa bête noire, le progrès, est en train de gagner, et que la déshumanisation qui l'amusait en 1958, qui gagnait du terrain en 1966, est désormais accomplie. Bref, il y a des machines partout, et elles prennent toute la place! Ensuite, le metteur en scène a besoin de se refaire, parce que son film Playtime l'a mis sur la paille, et pour de bon. Ensuite, il serait temps, pense-t-il, que ce M. Hulot passe la main, prenne sa retraite. Il n'en peut plus de M. Hulot...

Et ça se voit, car contrairement à son voeu, Tati ne parvient pas à se débarrasser du personnage: commercialement, il se doute que Trafic ne sera pas viable si le public ne peut pas au moins retrouver son personnage fétiche, le dernier lien du metteur en scène avec un public qui l'a déserté, effarouché par son étrange film/jeu de piste Playtime.

La firme Altra, une entreprise de modeste taille, est très fière de participer à une rencontre internationale, un salon de l'auto à Amsterdam. Ils vont y présenter un modèle révolutionnaire de camionnette-tente, qu'ils ont baptisé "Camping-car", et toute la troupe se prépare: une voiture amène le décor du stand, un camion apporte le "camping-car", et enfin la "Public-relations" du groupe, une jeune Américaine flanquée d'un tout petit chien, voyage dans une minuscule voiture décapotable. La première voiture arrive à temps dans la capitale Néerlandaise, et installe le décor, mais... les autres n'arriveront jamais à temps. 

Notons que le dessinateur des plans, qui accompagne le modèle à l'intérieur du camion, n'est autre que M. Hulot...

A côté de ces péripéties, on a un certain nombre de fils rouges, car on sait que Tati, qu'on accuse souvent à tort de ne pas structurer ses films, a un penchant pour ce genre de progression parallèle: le petit chien, en lui-même, est un fil rouge, car on voit bien qu'il est partagé entre suivre sa maîtresse, et vivre sa propre vie! la jeune Américaine est intéressante à suivre aussi, car bien qu'elle ait une voiture absolument minuscule, elle change de toilette environ une dizaine de fois, et vit littéralement dans son véhicule avec lequel d'ailleurs elle se faufile partout. Enfin, durant tout ce temps, on assiste par endroits au triomphe absolu du progrès, à travers les postes de télévision qui sont en marche durant le film, et retransmettent le direct du premier contact humain avec la lune. Donc à la fin du film,on pourra toujours dire que c'est la faute à Neil Armstrong, et pas à M. Hulot, parce que les employés d'Altra, passionnés par l'émission, laissent filer le temps...

Mais on verra quand même le "salon" d'Amsterdam: il est lui aussi un fil rouge et nous rappelle un peu, par son accumulation de voitures et de gens, parce qu'il est souvent filmé en contre-plongée, l'univers de Playtime. Tati s'amuse comme lui seul le faisait: il filme de très loin les préparatifs de techniciens (tous en imperméable beige, tiens!) qui placent des fils pour délimiter les stands, et se trouvent à interpréter un étrange ballet en levant méticuleusement les pieds pour passer d'un stand à l'autre; il nous montre avec bonheur les curieuses musiques interprétées dans le salon de l'auto par les visiteurs qui ouvrent et referment portières et coffres; et il insiste sur son thème favori, en nous montrant que le décor du stand Altra est inspiré par le camping et la vie au grand air: c'est donc un faux paysage de forêt, avec un magnétophone qui gazouille. Ce qui n'empêchera pas le patron et le seul technicien qui sera là à temps de se perdre "dans les bois"!

Le reste est dévolu au voyage, aux avaries, aux accidents, aux passages en force à la douane, aux réparations chez les garagistes de plusieurs pays. Comme d'habitude chez Tati on parle, on parle, mais tout le monde s'en fout et personne ne s'écoute... Mais les gags visuels inspirés par le monde de l'automobile sont très nombreux: de la vision d'un concerto pour doigts dans le nez, à un carambolage qui ne fera heureusement aucune victime, mais se résout en cascades légèrement surréalistes (Avec la fameuse VW "Coccinelle" rouge qui "poursuit" une roue comme pour la dévorer, une des séquences les plus connues du film): on ne manque pas de gags ni d'occasion de rire dans le film...

...Mais le rire se grippe. Tati/Hulot est vieux, encore plus à part que d'habitude. Il se fait virer à la fin du film, oui mais pourquoi? Il n'est pas plus responsable qu'un autre. D'ailleurs il fait bien peu: dans son film, Tati montre Hulot qui arrive le plus souvent après la bataille, s'agite en vain, et au final n'a plus aucune incidence sur le monde qu'il croit habiter... La fin du film nous montre un paysage de voitures, sous la pluie, dans lequel quelques rares humains se fraient un chemin: on les voit bien, ils portent tous des parapluies noirs. 

Au moment de prendre sa retraite, au moins Hulot a une satisfaction: contrairement à tout ce qui s'est passé auparavant dans sa carrière, il a, semble-t-il, conquis la jeune personne qui a voyagé avec lui. Comment? 

Mystère... Mais soyons heureux pour lui.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati
10 septembre 2017 7 10 /09 /septembre /2017 13:57

Les années 30, dans l'image que nous renvoient notamment le cinéma et d'autres médias (à commencer par Les Aventures de Tintin) sont une période dans laquelle on va beaucoup chercher un exutoire aux tracasseries dans le sport. Ajoutons à cela le développement de la radio et du cinéma, et on a une source pour ce tout petit film de René Clément, qui doit énormément à son principal interprète: Jaques Tati a en effet écrit le scénario... 

Dans une cour de ferme, un boxeur s'entraîne, et épuise ses partenaires les uns après les autres... un employé de la ferme (Jacques Tati), un doux rêveur, va être "engagé" pour l'occasion, et participer à un match qui dégénère, en compagnie d'un facteur et de deux coqs, le tout sous l'oeil malicieux d'un groupe d'enfants.

Alors que les boxeurs s'entraînent, on aperçoit Tati pour la première fois; il est en pleine occupation sérieuse, puisqu'il joue avec des enfants! Et justement il "joue" un boxeur, interviewé par un gamin et filmé par la même occasion par un ustensile qui ressemble vaguement à une caméra. Dès ses premières apparitions cinématographiques, Tati se place donc résolument du côté des petits, à l'écart... Et son garçon de ferme, bien sur, n'est pas d'une efficacité redoutable: il a déjà la tête ailleurs. Remarquez, sur le ring, ce n'est pas non plus très impressionnant! "Roger", finalement, ne connaît rien à la boxe, et doit faire comme 15 ans plus tard M. Hulot avec le tennis: trouver des raccourcis afin d'avancer!

Le film, un petit court burlesque de 11 minutes, doit beaucoup aux comiques Américains, et le match de boxe présente des réminiscences de Stan Laurel et de Chaplin. mais arrêtons-nous quelques instants sur le personnage qui ouvre et clôt le film: ce n'est ni un fermier ni un boxeur, mais un facteur (Max Martel). Il arrive et donne au manager du boxeur le message qu'il attendait, permettant d'amener l'intrigue ou ce qui en tient lieu, et il reprend sa tournée à la fin du film, suivi des yeux par les gamins, dont un qui le "filme"... Prémonitoire.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati
9 septembre 2017 6 09 /09 /septembre /2017 16:32

A Ste-Sévère sur Indre, une fête foraine se prépare. La vie de la journée va s'organiser autour de ses stands, ses flonflons et ses forains, d'autant que ceux-ci vont profiter allègrement du café situé juste à côté de leurs baraques. Parmi les locaux, on s'intéresse surtout à François, le facteur (Jacques Tati), un vrai rigolo celui-ci. Mais la fête foraine va lui apporter son lot de doute, en effet il va y voir (en contrebande, il n'a pas payé sa place) un documentaire sur les nouvelles méthodes des Postes Américaines... qui lui donne des complexes: est-il si efficace qu'il le croit? Les forains vont bien s'amuser à le guider pour "améliorer son rendement".

Fred Orain, le producteur du film, croyait en Tati et avait bien vu la réussite de son court métrage L'école des facteurs (1946), dont ce film est la prolongation: même personnage, et finalement un peu la même mission: aller plus vite. Dans le court c'est à partir d'une consigne venue d'en haut, dans le long c'est une lubie due essentiellement à une consommation de Cognac un peu trop assidue. Le film s'est donc tourné dans le petit village du sud de l'Indre, par Tati assisté de son ami Henri Marquet. Le choix du village est déterminant, car une fois sur place, les deux complices ont ajouté beaucoup d'éléments qui dépendent justement de cette place des fêtes centrales, et de son café, son boucher, etc... Contrairement à L'école des facteurs, il y a beaucoup plus qu'un seul personnage dans Jour de fête. François le facteur n'arrive qu'au bout de dix minutes, durant lesquelles Tati nous fait visiter son coin de paradis aux allures de village éternel, coincé dans un monde à part...

...un monde à part dont le facteur est l'un des "notables", en quelque sorte, dans le sens où tout le monde le connaît: d'ailleurs son manque d'efficacité, du à une certaine tendance à la distraction, reste un sujet de rigolade généralisé, qui va pousser les deux forains (Paul Frankeur et Guy Decomble) à se payer, relativement gentiment, sa tête, et bien sur à la saouler copieusement. Mais François est aussi débrouillard, organisé, et a parfois une impressionnante capacité d'adaptation: ce qui fait de lui un personnage bien différent de Hulot, en effet. Il est de plus très franchouillard, ce qui est accentué par une bande-son à la limite du collage surréaliste ("Ben mon vieux, il est pas bien çui-là mon vieux!").

Au-delà de son personnage, Tati s'intéresse à un choc culturel inattendu, entre un petit village Français aussi pittoresque que possible (Et dont la version originale du film, tournée en 1947, montre beaucoup des habitants dans leur propre rôle), et un hypothétique progrès, discuté par tous, et qui leur donne de leur pauvre facteur une image dégradée... Le même sujet, en somme, que dans Mon Oncle, ou dans Playtime dans lesquels Tati nous montre la lutte inégale entre le passé et le futurisme à tout prix... Mais dans Jour de fête, le cinéaste est bien moins soucieux de cet excès du progrès, qu'il ne le sera plus tard; pour l'heure, il s'est fixé deux objectifs: capter avec tendresse l'indolence d'un village à l'heure de la sieste, et y lâcher un électron libre dont on va pouvoir tirer des gags. Car dans l'esprit de Fred Orain comme dans celui de Jacques Tati, la confection d'un film de comédie burlesque (J'ose le dire, c'est tellement approprié: à l'Américaine!) relève de la mission sacrée. A ce titre, le film est un événement exceptionnel dans l'histoire du cinéma Français. Après, les nombreuses extases de m'as-tu-vus du microcosme cinématographique Français (L'Herbier, Gaudare, Trufo) qui y ont vu de la nouvelle vague ou du néo-réalisme, on s'en fout: quelle importance d'ailleurs? Jour de fête est important justement parce qu'il s'agit d'un long métrage comique: on y rigole, avec sagesse.

Je ne reviens pas sur l'histoire tumultueuse du film, ses trois versions (Une en noir et blanc, car la version tournée en Thomsoncolor refusait de se laisser tirer; une en noir et blanc avec ajout de séquences tournées en 1961 pour justifier des inserts de couleurs; la version couleurs du film, enfin tirée en 1994), mais je vais profiter de cet espace pour dire à quel point je pense que Tati était un grand cinéaste de l'image ET DU SON. Mais surtout pas de la parole... Ajoutées en post-synchronisation, les répliques de tous ces gens sont parfois abominables à entendre, sans parler de l'accent rustique, le genre agricole, qui est forcé jusqu'à en devenir irritant. Tati, lui, s'en foutait comme de l'an 40. le public, finalement, aussi, qui a fait au film un triomphe dès sa sortie...

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati