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12 août 2017 6 12 /08 /août /2017 09:48

L'heure est donc au jeu. mais de quel jeu s'agit-il? Essentiellement, plutôt que d'une quelconque activité ludique partagée par les personnages de cet étrange film, qui rassurez-vous ne s'ennuient jamais, je pense qu'il s'agit plutôt d'un contrat à passer entre le metteur en scène, et son spectateur: selon ledit contrat, le premier s'amuse à pousser le second à s'amuser avec son film... Ce qui requiert du travail, pour l'un comme pour l'autre. Et c'est là sans doute que d'une certaine façon, Tati a commis une erreur. S'il lui a été largement autorisé de prendre du plaisir à accomplir un film, méthodiquement, à travers trois années de tournage, le public, lui, ne s'y est absolument pas retrouvé. 

Le film n'a pas d'intrigue. C'est un fait, ce n'est en rien un reproche et a posteriori, je pense qu'il n'y en avait pas beaucoup non plus, ni dans Jour de fête, ni dans Mon oncle... Et qu'il n'y pas l'ombre d'une trame dans Les vacances de M. Hulot... Ici, tout dépend du décor, et Tati y place ses personnages. Jamais au hasard, cela dit, et le film obéit à une structure assez pensée, dans laquelle le chaos naîtra inévitablement, et pas que de la faute de M. Hulot: cette fois, tout le monde se rend coupable de destruction... D'ailleurs, une demi-douzaine de "faux-Hulots" sont cachés au hasard des pérégrinations du personnage et de ceux avec lesquels il entre en contact, ce qui ne leur facilite pas les choses! Les dialogues, comme d'habitude, n'ont aucune espèce d'importance, et d'ailleurs ils sont largement dominés par l'anglais, une langue que tant de Français n'étaient pas capables de comprendre ou de parler en 1967... ou cinquante ans plus tard. Un autre parti-pris de Tati est de doser les couleurs d'une façon rigoureuse et austère: dans un premier temps tout est gris, décors comme personnages. Puis ça et là, un flash de couleur s'invite, progressivement. A la fin du film, la couleur est beaucoup plus présente avec la reprise de la vie du petit matin Parisien.

L'aliénation dont M. Hulot était le témoin dans Mon oncle est à nouveau le sujet de ce film, qui prolonge la réflexion/méditation sur l'irruption de la modernité dans notre vieux monde. On se souvient de la fin de Mon oncle, qui voyait les faubourgs disparaître au profit d'un monde absurde et froid... C'est désormais, à en croire les séquences de Playtime, une affaire réglée: on ne quittera pas un univers de verre et de béton, que Tati a construit, et utilisé jusque dans ses moindres recoins dans ses séquences organisées de la façon suivante:

Le film commence par l'arrivée d'un groupe de touristes Américaines à l'aéroport d'Orly, qui se rendent ensuite en ville.

Puis on assiste à l'arrivée de M. Hulot dans un immeuble ultra-moderne, qui a un rendez-vous important, mais se perd dans le dédale. Il se retrouve à une exposition d'objets modernes... Exposition à laquelle arrivent elles aussi les Américaines.

Quittant l' exposition, Hulot croise un vieil ami qui l'invite à prendre un verre dans son appartement. Nous ne suivons pas Hulot, mais nous restons à la fenêtre: une grande baie vitrée nous permet de profiter du spectacle muet à l'intérieur de cet appartement, et de celui des voisins.

En sortant de l'appartement, Hulot croise un autre ami, qui travaille au restaurant Royal Garden, dont c'est justement la soirée d'inauguration. Hulot et le portier s'y rendent, les Américaines y dînent aussi... Le restaurant n'est pas prêt à fonctionner, et la soirée tourne au désastre.

Au petit matin, Hulot qui a rencontré une jeune et charmante touriste Américaine (Barbara Dennek), la voit partir vers l'aéroport, pendant que la vie Parisienne reprend ses droits: les voitures forment un étrange carrousel, puis le film se termine sur une vision des lumières d'Orly, dans la nuit.

Occasionnellement, par la magie d'une porte vitrée qui réfléchit comme ça, sans penser à mal, un reflet du Paris de toujours se retrouve brièvement à l'image, souligné par la musique: le Sacré coeur, la tour Eiffel, ou l'Arc de Triomphe ont ainsi droit à des "cameos" qui sous-tendent le propos de Tati, et qui rappellent l'opposition fondamentale entre classicisme/poésie et modernité, qui était le thème principal de Mon Oncle. Un autre message clair est placé dans son film par Tati, qui déroule son générique sur un beau ciel nuageux, et qui ne loupera pas une occasion d'ouvrir des portes vers le ciel, du début à la fin du film. Du reste, du point de vue des Américaines, on vient à Playtime par les airs...

La jeune femme, identifiée sous le nom de Barbara, est le seul personnage véritablement identifiée dans le groupe des Américaines. Comme d'habitude, Tati a distribué avec soin ses personnages à des acteurs qui ont des tâches extrêmement précises à accomplir, et c'est d'autant plus évident dans les séquences du restaurant... On peut citer le portier qui, avec la complicité involontaire de Hulot, a cassé une porte vitrée, et va malgré tout, le bouton de porte dans la main, faire son boulot toute la nuit, ouvrant une porte imaginaire pour tous les clients; il y a un videur aussi, à l'affût de tout comportement qui indique un excès de boisson; un garçon malchanceux déchire un à un tous ses vêtements à cause d'un mobilier trop agressif... Bref, Playtime, c'est la fête du petit détail, dans laquelle les comportements de uns et des autres sont dictés par le décor: ça a beaucoup joué pour le manque de succès du film, et c'est dommage. Notons que bien des gags se déroulent parfois à l'insu du spectateur, qui est ensuite guidé vers l'action en cours, prenant le train en marche. C'est comme la vie, quoi...

Et ça a ses limites; la séquence très élaborée des appartements-vitrines, par exemple, requiert une concentration, et une adhésion du spectateur, qui me semblent difficile à solliciter: à gauche, l'appartement de l'ami de Hulot dans lequel il vit avec sa famille (Tout le monde habillé de gris). ils vont regarder un match de boxe à la télévision... tout comme dans l'appartement de droite, organisé symétriquement. Mais Tati s'amuse, de temps à autre, à faire "réagir" les gens de droite à ce qui se passe dans l'appartement de gauche, alors que ces réactions sont plus certainement provoquées par l'émission sportive: ainsi, quand à droite un homme enlève sa chemise, à gauche les parents demandent à leur fille de sortir de la pièce. Puis quand c'est au tour du monsieur de gauche de se déshabiller, la voisine de droite s'enfonce dans son fauteuil, et regarde avec intérêt... Toute la séquence est un dispositif savant, gonflé, mais lourd à mettre en route, et qui tend à prendre beaucoup trop de place, pour finalement pas grand chose...

Mais dans l'ensemble, le film est un objet fascinant, unique en son genre, et on ne dira même pas qu'il est en avance sur son temps: cinquante ans après, Playtime n'a pas vraiment de descendance! Il est pourtant la suite logique de Mon oncle, le deuxième film d'une trilogie qu'on oserait presque qualifier d'inachevée tant le troisième film (Trafic) me paraît décevant. Une vision de la modernité dans ce qu'elle a de plus embarrassant, absurde, déshumanisé, mais aussi rigolote, poétique, et pour qui voudra prendre le temps d'observer, riche en options. J'insiste là-dessus: on ne peut pas imposer la vision de Playtime, c'est un film qu'il faut vouloir voir.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati
9 août 2017 3 09 /08 /août /2017 16:39

Le générique, surprenant, donne le ton: il a été tourné d'une façon novatrice, par un Tati décidé dès le départ à faire contraster deux mondes... Des panneaux plantés sur un chantier, au lieu d'indiquer les immeubles et entreprises en devenir, annoncent le rôle de tout un chacun dans la production. Et pour finir, un plan d'un faubourg un poil suranné nous donne, enfin, le titre du film: Mon Oncle est écrit à la craie, en lettres liées, sur un mur...

Le ton est donné, et on ne sortira plus de cette dichotomie, de ce passage d'un monde vieillot mais poétique (Hulot, les vieux quartiers dont les magasins poussiéreux ferment les uns après les autres), à un monde tourné vers l'avenir, l'efficacité et l'optimisation, totalement déshumanisé et mécanisé, froid et moche (Les Arpel, l'usine, et les maisons "futuristes" au design complètement idiot...). M. Hulot a beau être le frère de Mme Arpel, son beau-frère Charles ne le porte pas dans son coeur: il est si désordonné, au lieu d'être un exemple pour son neveu, le petit Gérard. Pourtant, le gosse adore son oncle et ne s'amuse que quand il passe du temps avec lui... Allez comprendre!

Ce qui tient lieu d'intrigue au film c'est que les Arpel tendent la main à Hulot: ils souhaitent lui permettre d'avoir une situation, à l'usine où travaille Charles Arpel: c'est un homme important, il y est sous-directeur! Et Mme Arpel souhaite aussi placer son frère avec la voisine, une femme seule, mais si chic! Et durant tout ce temps, le célibataire distrait peut se rendre utile et passer du temps avec Gérard...

Et puis c'est tout: Tati n'a pas besoin de grand chose de plus... Et ce prétexte lui permet de se lâcher sur une vision corrosive et mordante du monde en devenir, celui de la banlieue de la fin des années 50. On sait tout de suite où son coeur le porte, du reste: il est Hulot, et il amis une charmante jeune fille dans le petit monde où vit "mon oncle" au début du film, qui grandit, pleine de promesses, avant la fin du film...

Le metteur en scène s'amuse beaucoup à régler des ballets dans l'espace urbain, banlieusard, dans les bureaux froids et les jardins tellement bizarres qu'ils en deviennent surréalistes: comme d'habitude, ce film requiert un effort particulier, il faut se laisser glisser confortablement dans chaque plan et se laisser surprendre, en regardant là où Tati nous dit de regarder. Des fois ça fonctionne mieux que d'autres mais le regard de Tati n'est finalement pas si éloigné de celui d'un Chaplin, d'un Langdon ou d'un Keaton... 

S'il est parfois méchant avec les lieux, les habitations, les objets et les mécaniques, il ne se départit jamais d'une certaine tendresse envers les gens. Ceux qu'il maltraite ont droit au moins au bénéfice du doute: Mme Arpel est après tout bien intentionnée, et elle souffre d'une double aliénation: prisonnière de son statut de mère au foyer et dépendante de tous les objets idiots dont elle s'entoure: à un moment, elle disparaît littéralement! Mais même le très conservateur M. Arpel a droit à une certaine forme de rédemption, à la fin du film, de la part de son fils...

Par contre, pour le monde qu'il nous dépeint, Tati est sans pitié: son personnage est exilé "en province", et doit abandonner son quartier si pittoresque (et les promesses de la jolie voisine), et les démolisseurs sont déjà là. Pour construire des grands ensembles, je suppose...

Tati divise, à partir de ce film... Qu'on l'aime (parce qu'on s'est laissé piéger par son rythme indolent et l'acuité de son regard) ou qu'on ne l'aime pas (parce que son rythme est quand même bien particulier et les parti-pris de Tati sur le son le placeraient presque dans l'avant-garde en ces cotonneuses années 50), il faut bien reconnaître que Tati, hélas, était un visionnaire.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati
24 juin 2017 6 24 /06 /juin /2017 19:28

Dans cette ébauche de Jour de fête, tournée en plein dans la période de la reconstruction qui a suivi l'occupation, Tati commence à poser les bases de son cinéma, et surtout de son premier long métrage dont le héros, un facteur interprété par l'auteur, sera bien sûr le même personnage que dans ce film très court... On y voit une poste rurale prôner l'efficacité à ses facteurs, puis nous assistons à l'effet produit de cette volonté de modernisation et de vitesse sur le facteur Tati...

C'est le cinéma de Tati à son plus pur, avec ses immenses qualités et ses défauts (principalement techniques) non négligeables. Tout y est concentré sur une recherche du gag, visuel et de situation, dans une narration linéaire et sans aucune anicroche due à une quelconque équivoque. Tati, qui a beaucoup étudié et aimé passionnément le cinéma muet Américain, sait qu'un gag, pour fonctionner, doit être clair à 100%: dont acte... Ces quinze minutes, tournées en muet et post-synchronisées en studio (une pratique que Tati ne quittera jamais, et j'en parlais plus haut comme d'un défaut: ce n'est pas au point des bande-sons Italiennes, mais pas loin), sont une déclaration d'amour au cinéma drôle.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jacques Tati