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31 mars 2023 5 31 /03 /mars /2023 18:17

Etant particulièrement lassé de lire dans des chroniques et autres articles sur l'oeuvre de James Whale "qu'exceptionnellement, le film qui nous occupe n'est ni un film d'horreur, ni un film fantastique", je vais le dire une fois pour toutes: le réalisateur de Waterloo bridge a en effet réalisé quatre films qui comptent parmi les joyau du cinéma d'épouvante ou les contes gothiques. Frankenstein (1931), The old dark house (1932), The invisible man (1933), et Bride of Frankenstein (1935) ne sauraient en aucun cas être minimisés... Mais il a réalisé 16 autres films, dans tous les genres (y compris l'improbable Port of seven seas, adaptation anglophone de Marius et Fanny de Pagnol)... Donc il serait temps qu'on considère ses quatre films fantastiques comme de brillantes exceptions, et qu'on s'intéresse aux autres sans les encombrer dès le départ d'un statut d'oeuvres secondaires, non?

Ceci étant dit, intéressons-nous à une rareté, un fiml probablement oublié de beaucoup, à commencer par ses propriétaires, à en croire l'état de la copie sélectionnée par Warner pour figurer en DVD dans la collection Warner Archive: David Garrick (1717 - 1779) était un acteur Anglais, célébré en son temps, qui a beaucoup fait pour faire du théâtre un art populaire, et un art du spectacle avant tout, s'attirant les foudres de certaines figures établies, en même temps que la méfiance agacée de certains auteurs. Le film nous narre une aventure probablement apocryphe du personnage, incarné par Brian Aherne...

Garrick annonce à ses fans son départ pour la France, où raconte-t-il la Comédie Française l'a invité, "afin de leur apprendre à jouer la comédie". Beaumarchais (Lionel Atwill), présent lors de cette rodomontade, décide d'en alerter l'auguste institution. le président de la Comédie Française (Melville Cooper) décide de lui tendre un piège: avec l'aide de toute la troupe, il attend Garrick dans une auberge qui lui a été conseillée, et chaque membre de l'auguste groupe de comédiens va assumer un rôle, et jouer une comédie qui assurent-ils va prouver à quel point ils sont bons... Garrick arrive, et peu de temps après lui une autre pensionnaires de l'auberge, une noble en fuite (Olivia de Havilland). si Garrick et son valet (Edward Everett Horton) ont tôt fait de voir que le personnel de l'auberge est une troupe de comédiens (et pas des plus doués, loin de là, ils ne repèrent pas la sincérité de la jeune femme, qui tombe amoureuse de l'acteur...

Les faux semblants, le rôle social à jouer, le faux et le mensonge  comme armure contre l'adversité,voilà des thèmes omniprésents chez Whale, qui lui-même se cachait en permanence, agacé de devoir "rester dans le placard" quand un Cukor, par exemple, affichait sans aucune réserve sa sexualité différente: oui mais voilà, Cukor était accepté par ses pairs, whale n'avait pas pu se laver d'avoir percé par de petits films fantastiques... Ce esrait trop facile de chercher absolument à relier toute l'oeuvre  l'homosexualité contrariée de l'auteur, mais ce serait absurde de totalement l'occulter. Et la façon dont les personnages mentent (Waterloo bridge), sont cachés (The invisible man, By candlelightThe man in the iron mask) ou sont amenés à vivre à l'écart (Bride of Frankenstein), est troublante.

...et pourtant ici, il est question de comédie, c'en est même très gonflé: un film en costumes, du XVIIIe siècle par-dessus le marché, dans lequel la finalité est la farce. Et même plus: la farce dans la farce, car la mauvaise blague des comédiens français, qui est immédiatement décodée par Garrick, se retourne contre eux dans une dimension quasi Shakespearienne (rappelons-nous Twelfth night et ses faux-semblants, ou les comédiens minables de A midsummer night's dream). Mais une autre dimension s'installe très vite, car si Garrick n'a aucun mal à repérer les insupportables histrions qui l'entourent en lieu et place d'honnêtes employés d'auberge, il est lui-même un adepte, dans le film, d'un jeu à l'excès, et d'une insupportable vanité et mauvaise foi. Non, la seule personne qui ne ment pas, ne prétend rien, et a un quelconque intérêt à rester dans la vérité, est la jeune comtesse incarnée par Olivia de Havilland... Ce qui lui donne parfois un rôle qui pourrait la faire passer pour le dindon de la farce, rejoignant tant d'héroïnes désirées par les personnages, mais sérieusement malmenées par le réalisateur!

En tout cas, cette mise en abyme constante est assez stimulante, et relevée par une mise en scène énergique, dans laquelle l'auteur de By candlelight (dans lequel tout le monde prétendait, et tout le monde se trompait sur les autres et leur identité) rappelle sa maîtrise du point de vue et du cadre, et rappelle aussi qu'avec Show boat il a a sa façon révolutionné le musical et l'art du spectacle, en le faisant revenir sur terre! Les personages-acteurs de The great Garrick ont peut-être la tête dans les étoiles et le nez sur les feux de la rampe, mais ils ont aussi, clairement, le coeur sur les planches. S'ils mentent, c'est parce que prétendre est leur métier... C'est là l'enjeu: il ne s'agit pas de vivre ou survivre, ici, juste de rappeler à quel point l'art est indispensable à l'artiste, et tant pis s'il provoque la vanité...

 

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Published by François Massarelli - dans James Whale Comédie Olivia de Havilland Edward Everett Horton
17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 19:05

Louis XIII (Albert Dekker) est très content: il vient d'avoir un fils, qu'il prénomme Louis. Ce sera le quatorzième du nom. Sauf qu'en coulisses, pendant qu'il présente le futur roi à la foule, un deuxième cri d'enfant se fait entendre... Pour un père, deux jumeaux, c'est une source de réjouissance. Mais pour le Roi de France, qui n'avait pas encore de garçon, c'est un désastre. Colbert (Walter Kingsford) propose donc d'éloigner le prince Philippe et de l'éduquer en Gascogne, sous la responsabilité de D'Artagnan (Waren William), sans lui avouer qu'il est de sang royal...

Mais quand Louis XIV (Louis Hayward) accède au trône, il tombe sous l'influence néfaste de Nicolas Fouquet (Joseph Schildkraut), qui est l'un des rares à être au courant du secret... il va tout faire pour se débarrasser du frère (Louis Hayward), qu'il juge une importante menace sur la bonne marche d'un royaume dont il est le principal argentier...

C'est un étrange méli-mélo, inspiré bien sûr de la dernière partie (la plus connue, pour ne pas dire la seule) du Vicomte de Bragelonne de Dumas... On se concentre ici sur le Masque de Fer, qui aura en réalité dans le film deux identités... On oscille donc entre l'aventure bon enfant qu'on attend d'un film inspiré de Dumas, le côté sombre de cette dernière partie de la trilogie de Dumas, et un aspect très "quatorzième degré" du à James Whale qui s'est beaucoup amusé à demander à Schildkraut et Louis Hayward de s'en donner à coeur joie dans leurs rôles repsectifs de méchants...

Le souvenir de deux films distincts passe sur ce long métrage de James Whale (incidemment, il a été réalisé pour le compte d'Edward Small et distribué par UA): le court métrage (1938) de Jacques Tourneur The face behind the mask, dont il s'inspire parfois visuellement, et surtout The iron mask, d'Allan Dwan (1929), qui était une adaptation plus orthodoxe de la meme portion du roman. D'un côté, James Whale s'amuse, ressort son copain Dwight Frye de la naphtaline, et s'amuse comme d'habitude à truffer le film d'allusions subliminales à 'd'autres sexualités'... Surtout, pourtant, il semble se prêter au jeu d'un film d'aventures au premier degré, ce qui ne lui va pas si bien.

Warren William vieillissant peine à donner à voir un D'Artagnan crédible, jusqu'à la fin quand tout à coup son âge prend tout son sens. Une dernière chose: Richelieu, qu'on aperçoit très peu, est interprété par le vétéran Nigel de Brulier. Il reste très peu employé, mais on a le temps de voir qu'il a un contact avec Fouquet, qui deviendra bientôt le plus sale type du film. Une façon subliminale de contourner le probable interdit de montrer un écclésiastique un peu tordu, comme ça était clairement l'habitude auparavant dès qu'il était question de Richelieu! Mais surtout un superbe passage de témoin, parce qu'en matière de coups tordus, le Fouquet de Schildkraut ne craint personne...

 

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Published by François Massarelli - dans James Whale Dumas
5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 09:01

Une troupe d'explorateurs (Alan Hale, Vincent Price, George Sanders et Gorge Bancroft sous la direction de Douglas Fairbanks Jr) se retrouve dans la jungle Sud-Américaine à la recherche d'un trésor Inca, mais ils sont aussi flanqués d'une femme (Joan Bennett), la veuve de l'un d'entre eux, qui les distrait de leur mission. Surtout Douglas Fairbanks Jr. Et George Sanders... Bref tous.

Alors c'est un cas d'école, un film qui commence, puis se déroule, puis se finit, sans qu'on puisse croire un seul instant qu'il ait été achevé. On n'y croit jamais, mais alors jamais! ...Un navet probablement constamment conscient de l'être, interprété par des acteurs qui semblent ne pas pouvoir un seul instant prendre leur rôle au sérieux; c'est particulièrement vrai en ce qui concerne George Sanders, qui prend un malin plaisir à jouer comme un cochon, lui qui pourtant en était difficilement capable!

Le fait qu'il ait été tourné durant le début de la période de disgrâce de Whale (dont les films se plantaient au box-office avec une régularité inquiétante), ne doit pas nous induire en erreur: il a bénéficié de la part du studio d'un effort particulier, avec la construction dans le studio d'une jungle et d'un temple inca, recrutement de sud-Américains "typés" pour figurer les inévitables Amérindiens, dont certains vont porter des plumes pour les distinguer des autres: c'est simple, plume = méchant (voire cannibale nous dit-on), et pas plume = gentil (mais craintif, car ces porteurs sympathiques mais un peu simplets ont tendance à foutre le camp dès qu'une menace se fait sentir)... Non, je pense simplement que l'esprit de second degré qui animait Whale était efficace dans certains domaines, mais pas solubles dans tous les genres. Et ici, en dépit d'un casting formidable, le cinéaste se plante dans les grandes largeurs, et sa tendance à vouloir mettre en avant la camaraderie masculine, mise en danger dès qu'une sacré bon dieu de fumelle se pointe, se voit ici comme des gros sabots sur les pieds d'une ballerine.

Ah, et sinon, M. Dionnet: c'est James Whale, donc ça ne se prononce pas [wol]. Il ne s'appelait pas James Wall... Et il n'en avait plus pour très longtemps à travailler, ceci étant son avant-dernier film, qui fut (et c'est hélas totalement mérité) un désastre absolu au box-office. 

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Published by François Massarelli - dans James Whale
26 février 2023 7 26 /02 /février /2023 17:03

Voilà quelque chose d'intéressant: un remake d'un film par son réalisateur, 5 ans après... mais d'une façon déguisée, tant et si bien qu'il s'agit d'une optique fortement différente. Le film de 1933, The kiss before the mirror, était marqué par la période (pré-code) durant laquelle il avait été tourné, et celui-ci se tient à l'écart, en apparence du moins, des sujets de fâcherie pour le Code Hays!

Warren William y est Jim Stowell, un procureur efficace et impitoyable, qui semble s'être juré de repeupler Death Row... Et qui ne mâche pas ses mots. Quand le film commence, une exécution va avoir lieu, qui pousse les amis et complices de l'exécuté à menacer ouvertement Jim Stowell. Celui-ci commence à porter une arme, et échappe de peu à un attentat. Son épouse Lucy se lamente du peu d'intérêt qu'il semble lui porter, et commence à s'en plaindre... 

D'autant que des rumeurs vont bon train, qui lient l'épouse délaissée d'un procureur décidément amoureux de son métier, à un jeune étudiant... Mais quand un professeur de science politiques est arrêté après avoir tué son épouse de sang-froid, parce qu'elle le trompait, Jim voit dans l'histoire de l'accusé des similitudes avec la sienne, et commence à sentir la jalousie l'envahir...

Le film de 1933 commençait par l'histoire criminelle, et on faisait la connaissance de l'avocat qui devait défendre l'accusé plus tard. C'est lui qui retrouvait dans sa situation des similitudes... Mais ici, on s'intéresse à Jim Stowell, et à son lien avec son métier qui prend toute la place que devrait prendre l'amour pour son épouse. On retrouve donc ici un thème très présent dans l'oeuvre de James Whale, celui des épouses délaissées, une de ses marques de fabrique! Certes, le film est plus raisonnable, moins novateur en tout cas que l'original, mais se voit sans problème, d'autant que Warren William est là, et décidément, on a envie de le suivre!

Le film, d'ailleurs, se démarque de son prédécesseur dans la scène du procès: là où Frank Morgan demandait et obtenait la liberté pour son client, faisant ainsi son travail d'avocat, l'obsédé de la peine de mort qu'est Warren William semble jouer contre son camp en demandant l'indulgence pour l'accusé! Whale, à travers le sympathique personnage de Sharpy, l'assistante de Stowell, manifeste peu de goût pour cette manie Américaine d'assassiner légalement les gens.

Et les premières quinze minutes, tout en ayant un ton de comédie, montrent souvent l'une des marques stylistiques les plus impressionnantes du réalisateur, cette faculté qu'il avait de faire de la caméra mobile un excitant facteur de point de vue. Sans temps mort, le film fait moins de 70 minutes, ce qui l'identifie comme une probable série B: le réalisateur était en bout de course, sans doute, et peu soutenu par la Universal... Il ne lui restait plus que deux années à travailler.

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Published by François Massarelli - dans James Whale Noir
25 février 2023 6 25 /02 /février /2023 12:12

1918, Londres: une jeune chorus girl Américaine, Myra (Mae Clarke), qui a perdu son travail, rencontre sur le Waterloo Bridge un soldat Américain engagé au côtés du Canada en permission, Roy (Douglass Montgomery). Les deux tombent amoureux l'un de l'autre, alors que Myra ramène le jeune homme chez elle, et que Roy ne se rend pas compte qu'elle se prostitue. Il va aller jusqu'à la présenter à sa famille...

Je suppose que le jeu sur la nationalité des protagonistes a été une nécessité, pour une production située à Londres, mais entièrement tournée à Hollywood dans les studios de Universal. C'est frappant, de constater qu'un studio comme celui-ci, ait pu se lancer dans un tel pari, d'une part parce la pièce adaptée était hautement scandaleuse, mais surtout elle n'avait pas eu de réel succès. Mais Carl Laemmle Jr, le petit génie qui faisait de plus en pus la pluie et le beau temps à Universal, faisait justement ce genre de pari, et il avait été frappé de l'intelligence de la mise en scène de Journey's end, la première réalisation de James Whale, qu'il avait aussitôt engagé. 

Et c'est justement ce qui fait le prix et l'intérêt d'un film qui aurait pu être qu'une romance sentimentale tragique de plus ou de moins. Les acteurs n'avaient pas de génie particulier, mais ils sont impeccablement dirigés; et le travail de caméra ici, qui doit s'accommoder d'un scénario qui cantonne souvent les personnages et l'intrigue à l'unité de lieu et de temps, est absolument magistral: Whale et Arthur Edeson ont en effet adopté des prises de vues très mobiles, qui se manifestent aussi bien en extérieurs (le pont de Waterloo), que dans le théâtre au début (cette caméra qui se promène sur la scène d'un musical, cherchant Myra au début) que dans l'appartement, avec de soudains travellings sur des objets significatifs.

La dette du cinéaste (qu'il rappellera jusqu'à la fin de ses jours) envers le cinéma Allemand muet, Murnau en tête, est immense, et on comprend qu'à la suite de ce film il soit apparu comme le meilleur choix du studio pour tourner Frankenstein...

 

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Published by François Massarelli - dans James Whale Pre-code Première guerre mondiale
18 octobre 2022 2 18 /10 /octobre /2022 18:03

Josef (Paul Lukas), le valet d’un prince très séducteur (Nils Asther), finit par décider de tenter sa chance comme son maître, en se faisant à son tour passer pour un noble. Il tombe amoureux d’une comtesse(Elissa Landi), sans savoir qu’elle est en réalité la femme de chambre d’une famille noble…

Sorti la dernière année de l’époque dite « pré-code », ce film de James Whale est surprenant à plus d’un titre, d’abord bien sûr dans le fait que son auteur est aujourd’hui surtout connu pour ses quatre films fantastiques (Frankenstein, The invisible man, Bride of Frankenstein) ou gothiques (The old dark house) alors que son œuvre est d’une plus grande richesse, pour l’instant largement ignorée; mais aussi, Whale s’y livre à une refonte personnelle de la comédie, selon des codes qui lui sont propres et qui vont à l’encontre, par exemple, de ceux d’un Lubitsch…

Mon choix de Lubitsch n’a rien d’u hasard : c’est que le héros du film, le valet d’un prince qui admire tellement son patron qu’il lui pique sa technique de séduction, qu’il note et répète en s’entrainant devant le miroir, nous fait penser que Lubitsch se serait plu à imaginer la même histoire, vue du point de vue du prince, justement. Et le prince aurait pu, certainement, prendre la place de son valet. Ce genre d’étude des strates de la société, du point de vue du populaire comique Berlinois qu’avait été Lubitsch, n’est pas du même genre après tout que ce que Whale en fait, lui qui s’intéresse d’abord à l’admiration inconditionnelle de Josef pour son maître.

Il va aussi plus loin, car quand le Prince rentre à l'improviste et surprend une conversation entre Josef et Marie, cette dernière appelant le majordome Prince, il se glisse automatiquement dans la peau du valet, et va même effectuer de façon impeccable les mêmes gestes que lui. Une façon de montrer ici que si le valet a observé le maître, le maître lui sait parfaitement imiter son valet, qu'il a forcément observé...

On sait que Whale a « caché » parfois de manière très visible dans son œuvre des allusions à sa sexualité, à commencer par le rapport curieux qui s’établissait par exemple entre Ernest Thesiger et Colin Clive dans Bride of Frankenstein. Dans ce film, on pourrait se livrer à une lecture asse intéressante de la fascination exercée par Nils Asther sur son valet; mais ce qui frappe plus, c’est à quel point finalement la mise en scène de la frustration du valet qui se prend pour le maître, et tombe amoureux d’une femme qui est exactement comme lui, une dissimulatrice et une menteuse, est moderne!

Et Whale utilise son élégante mise en espace en s’amusant à semer le doute, le mystère, passant au début du temps à nous faire nous interroger sur la véritable identité de ce dandy, qui s’avèrera au final être un domestique. Lorsque nous découvrons quelques séquences plus loin la fausse comtesse, elle aussi seule dans un boudoir où elle prend ses aises, nous comprendrons qu’elle est en fait, elle aussi une domestique. La mise en scène de Whale, qui utilise (d’ailleurs c’est parfois irritant) un contrepoint musical permanent, mène finalement aux mêmes conclusions que Lubitsch, mais avec des moyens bien différents : un homme est un homme et une femme est une femme. Paul Lukas est exceptionnel, Elissa Landi est assez à l’aise dans la comédie, et les personnages sont attachants: le film est une joyeuse bulle d’euphorie dans une oeuvre inquiète…

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Published by François Massarelli - dans Comédie James Whale Pre-code
14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 10:10

Un couple adultère (Walter Pidgeon, Gloria Stuart) s'apprête à passer une bonne soirée... quand le mari (Paul Lukas) survient, et tue son épouse. Il téléphone à la police, et attend sagement qu'on l'arrête. C'est son ami, l'avocat Paul Held (Frank Morgan) qui doit le défendre. celui-ci voit justement dans l'expérience de son client une situation qui lui paraît familière: il va acquérir la certitude que Maria (Nancy Carroll) son épouse, le trompe. Il entend bien se servir du procès comme d'un galop d'essai, qui le libérerait pour commettre, à son tour, le même meurtre...

Nous voilà devant un film noir, ou en tout cas un proto-film noir, qui ne ressemble pas du tout à ce qu'on attendrait... Whale, en maître de la narration en images (le prologue est formidable, majoritairement muet, et marqué par un plan-séquence virtuose et esthétiquement très travaillé), a conçu son film avec essentiellement l'envie de le situer d'une part au niveau des sentiments et de leur matérialisation physique, ainsi la scène qui va révéler aux deux maris (l'un en flash-back, l'autre en continuité) que leurs épouses les trompe, est une scène qui parle de désir, de préparation sensuelle, et de frustration: la mari voit son épouse s'apprêter pour sortir, et prend la minutie de ses gestes de travers: quand dans les deux cas le mari se précipite sur son épouse pour un baiser fougueux, il est repoussé... La préparation est donc pour un autre. 

D'autre part, le metteur en scène de Bride of Frankenstein s'amuse... à nos dépens, et à ceux de ses personnages masculins: le miroir, énoncé dans le titre, est donc un champ de bataille, et pour une large partie du film, une défaite de l'homme, mis à terre par une certaine dose d'humiliation. Bien sûr, on aurait aujourd'hui une toute autre lecture, à la lumière des moeurs du 21e siècle. Mais Whale, lui-même foncièrement sceptique à l'égard des femmes (toute son oeuvre jusqu'à 1935 tend à le démontrer), leur donne ici un rôle particulièrement négatif. Ce qui passe, car le film prend parfois des atours de comédie, et à la suite du chemin de croix de Frank Morgan, tend aussi à nous montrer l'homme émasculé, et réduit à s'en remettre à des objets de substitution, des armes donc.

Et au milieu de ce baroque film profondément caustique, il dresse aussi des portraits formidables, celui des assistants de l'avocat en particulier: un vieux clerc alcoolique au verbe narquois (Charley Grapewin), et une grande avocate, légèrement disgracieuse selon les canons de 1933, et qui affiche une assurance telle de ne jamais trouver l'âme-soeur, que quand on connaît bien l'oeuvre de Whale, on saura lire entre les lignes...

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code James Whale
23 avril 2020 4 23 /04 /avril /2020 16:31

Show boat est non seulement une production majeure des années 30, une comédie musicale de grande classe, c'est aussi un film crucial pour son metteur en scène, l'infortuné James Whale qu'on assimile trop souvent au film d'horreur et d'épouvante dans la mesure où ses quatre films les plus connus font tous partie de cette catégorie... Ce sont pourtant les seuls du genre, dans une oeuvre diverse, où on trouve aussi bien des mélodrames (Waterloo bridge, version de 1931), un musical (Show boat, donc), des films d'aventures historiques (The man in the iron mask), une participation à l'une des versions du film de guerre Hell's angels de Howard Hughes, ou une adaptation de Marcel Pignol (Port of seven seas)! Show boat est sans doute le plus connu des films non fantastiques de Whale, et à juste titre... C'était, il est vrai, une grande date pour la Universal.

Sur le Mississippi, nous assistons à la vie sur le steamboat Cotton Blossom, un show boat, c'est à dire un bateau comprenant un théâtre, qui fait la tournée des villes portuaires sur le fleuve. La famille qui compose la troupe est organisée autour du capitaine Andy Hawk (Charles Winninger) et de sa redoutable épouse Parthenia (Helen Westley): l'acteur principal, Steve Baker (Donald Cook) et son épouse, la prima donna Julie La Verne (Helen Morgan), mais aussi un couple de comiques, Frank Schultz (Sammy White) et Elly Chipley (Queenie Smith): tous chantent, dansent, et jouent la comédie. Magnolia (Irene Dunne), la fille d'Andy et Parthenia, aimerait bien aussi participer, mais sa mère, motivée par une morale Sudiste quasi-Victorienne, le refuse...

...Jusqu'au jour où Julie doit précipitamment quitter la compagnie, étant noire, ce que peu savaient. Elle part avec son mari afin d'éviter les ennuis à ses employeurs. Obligés de trouver un remplacement, les Hawks engagent donc un inconnu, l'aventurier Gaylord Ravenal, et lui donnent comme partenaire leur fille, qui est ravie non seulement de monter sur scène, mais aussi de donner la réplique à un homme qui lui plaît beaucoup...

Et ce n'est que le début: l'intrigue globale du film, comme celle du musical dont elle est partiellement une adaptation, est tirée à l'origine du roman d'Edna Ferber, qui se déroulait sur cinq décennies, et voyait beaucoup de protagonistes mourir... Pas le film de Whale pourtant, qui porte ses efforts ailleurs... Dès le départ, il a pour souci d'intégrer la musique dans la comédie, d'une manière qui soit différente des tendances des années 30, les revues inspirées de Ziegfeld, les films urbains élégants où la danse et le chant sont généralement l'affaire privée des protagonistes interprétés par Fred Astaire et Ginger Rogers,  ou les musicals Warner où le show est la promesse d'un final spectaculaire, coquin et exubérant à une oeuvre qui montre les artistes se démener sang et eau pour répéter pendant une heure de film... et pour intégrer la musique, rien de mieux que de montrer dès la première séquence le show boat arriver, à la grande satisfaction du public potentiel, qu'il soit noir ou blanc, jeune ou vieux, riche ou pauvre... On va même plus loin, c'est l'arrivée du bateau et de sa promesse de spectacle qui donne de la vie à la petite ville où se passe l'introduction.

Du début à la fin, Whale intègre donc la musique à la comédie et la comédie à la musique, laissant l'une envahir l'autre et vice versa. En pleine chanson, un personnage va même parler avant de reprendre le flot musical; les personnages entrent dans une pièce et se joignent à la musique au gré des affinités. Les caméras et les éclairages ne sont pas en reste, Whale ayant pris le parti de multiplier sans répit les angles de prise de vue, tout en utilisant avec réalisme les lieux de l'action: pas de champ qui s'élargisse sous la magie du spectacle comme dans les films de Busby Berkeley, le parti-pris de Whale est de se servir de décors à taille humaine. N'empêche, la mise en scène, le montage, sont d'une incroyable invention: quelle que soit notre affinité avec les styles musicaux représentés, on ne s'ennuie jamais.

Tout tourne autour du bateau dont les protagonistes ne sont pas que les acteurs et chanteurs; on fait aussi connaissance avec les employés, comme l'homme à tout faire Joe (Paul Robeson) ou la cuisinière Queenie (Hattie McDaniel). Ils ne feront jamais tapisserie, même s'ils disparaissent lorsque les protagonistes cessent de vivre en permanence dans le show boat. Mais leur présence va servir aussi à introduire les questions gênantes dans le film: c'est que le show boat, c'est une tradition Sudiste, et le Sud est omniprésent dans les deux premiers tiers du film, et pas qu'à travers le style musical choisi par Jerome Kern (Can't stop loving that man of mine, Old man river...): une scène où Helen Morgan interprète une vieille chanson noire (ce qui au passage est le début d'une information, puisqu'on apprendra plus tard qu'elle est métissée) sert de passage de témoin culturel, entre Queenie qui approuve la version interprétée par ses amis blancs, et Magnolia qui danse à la fin dans un style purement afro-Américain. Paul Robeson, qui faisait partie de la distribution de la production Ziegfeld à Broadway en 1927, interprète Old Man River, appuyé par des images aux forts relents expressionnistes, qui nous rappellent le bon goût de James Whale qui n'avait jamais oublié le cinéma muet Allemand et s'en est souvent inspiré. Show boat est souvent le théâtre d'un métissage culturel revendiqué, souligné, nécessaire... mais aussi de son corollaire, une récupération par les blancs de ces styles musicaux: Julie La Verne, personnage poignant d'actrice qui a cherché à dissimuler sa vraie identité et à cacher ses angoisses dans l'alcool (un autoportrait surprenant de Helen Morgan), va littéralement laisser la place sur la scène dans le dernier tiers du film à Magnolia Hawks, et laisser la petite blanche triompher avec son répertoire... C'est d'ailleurs dans ce même dernier tiers que les protagonistes noirs disparaissent tous.

Une fois de plus, c'est en contrebande, et au vu et au su de tout un chacun, dans une grosse production visant à être vue par toute la famille, que James Whale fait passer un message que d'aucuns pourront juger subversif. Une scène entière, magistrale, nous montre les membres de la troupe se liguer derrière le couple de Julie et Steve, accusés de miscégénation, cet absurde délit d'accouplement inter-racial inventé par les blancs du Sud pour emm... le monde entier. Un sujet qu'on n'attend pas dans un film Américain produit à Hollywood en 1936, et dont James Whale fait un grand moment de prise de conscience pour le public...

Whale sait aussi que le public a évolué depuis les débuts du parlant. Il s'adresse un peu aux audiences sophistiquées des grandes villes quand il prend le parti de montrer les pièces interprétées sur le Cotton Blossom comme étant d'abominables mélodrames fort mal joués... Il se régale (et nous avec!) d'une histoire atroce avec un méchant à moustache et rire diabolique... De la même manière on peut sentir une certaine ironie de sa part dans son traitement d'un numéro de Magnolia en black face. Mais il le fait, et c'est un tour de force, sans jamais se départir de son affection profonde pour les personnages qu'il met en scène... Et c'est sans doute la cerise sur le gâteau, d'un film majeur, époustouflant, et assez exténuant dans ses presque deux heures de spectacle. On raconte, pour finir, qu'il existerait une troisième version du film (celle de Whale étant la deuxième), produite par la MGM en 1951: n'en croyez rien: Show boat, c'est ce film Universal de 1936. Pas autre chose...

 

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Published by François Massarelli - dans James Whale Musical Criterion
26 juillet 2019 5 26 /07 /juillet /2019 17:21

De grands films consacrés au premier conflit mondial sont sortis dès 1930...

Dans celui-ci, deux frères, Anglais (hum...), les Rutledge, sont en vacances avec leur ami Karl (James Darrow) chez lui, en Allemagne, quand l'un d'entre eux, le coureur Monte (Ben Lyon) a une aventure qui tourne mal: il est en plein rendez-vous amoureux avec l'épouse d'un général à monocle quand celui-ci débarque. Monte prend hâtivement la poudre d'escampette, et c'est son frère Roy (James Hall) le raisonnable, qui devra se battre en duel à sa place...

Quand ils reviennent à Oxford, pas de chance: la guerre est déclarée. Mais avant de partir, l'un par devoir, l'autre par désoeuvrement (je schématise), ils vont tous les deux tourner autour de la belle Helen (Jean Harlow), fille de la bonne société Britannique (Hum! Hum!): Roy va se croire son fiancé, mais cette fois c'est Monte qui va remplacer l'autre.

Puis ils font la guerre, les avions, tout ça... Gestes héroïques, prison, sacrifice, etc. A la fin les alliés gagnent.

Howard Hughes a commencé son film en 1927, après la sortie de Wings, ce qui n'a pourtant pas empêché l'ombrageux producteur d'attaquer Warner en justice quand ils ont sorti The dawn patrol. Le film a eu un nombre inquiétant de réalisateur crédités: Marshall Neilan, débarqué après quatre semaines, Luther Reed, dont je ne sais pas s'il a eu le temps de tourner quoi que ce soit avant d'être viré sous un prétexte quelconque, puis Edmund Goulding, mais c'est finalement Hughes qui a fini le film, trois années après le début du tournage, et des centaines de rejet de prises. James Whale était en charge de la direction des dialogues et de leur authenticité (mais pas de l'accent, manifestement, ni de l'intelligence des dialogues), et le film fait appel à des techniques qui sont remarquablement à cheval entre le muet et le parlant: certaines scènes tournées avant la décision de se doter de dialogues, ont été ensuite synchronisées de manière plus ou moins adroite, les scènes dialoguées en Allemand ont été dotées d'intertitres pour la traduction, et trois systèmes de couleurs ont été employés: des teintes comme au plus beau temps du muet, le procédé Multicolor (mais le film a été tiré sur support technicolor) pour une série de scènes bavardes situées vers le début, et le procédé Handshiegl pour les flammes dans des séquences de haute voltige.

Oui, parce que ce film qui est crétinissime de bout en bout n'existe que pour permettre l'existence de deux ou trois scènes tournées à grands frais, dans les airs, par des as de la grande guerre: il y a d'ailleurs eu des morts. Ces scènes sont à la fois techniquement spectaculaires et dramatiquement d'une affligeante platitude...

Car comme je le disais, il y a eu des films formidables dès 1930 pour parler de la première guerre mondiale. L'un d'entre eux était All quiet on the western front, de Lewis Milestone, et sinon il y a aussi eu Westfront 1918 de G.W. Pabst. Bref: celui-ci, de très loin, ne fait pas, mais alors pas du tout partie de la liste. Mieux vaut en rire...

 

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Published by François Massarelli - dans Première guerre mondiale Pre-code James Whale Technicolor
2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 18:40

Ce film de 1932, longtemps perdu, est l'un des plus connus et des plus respectés dans la catégorie «Viens dans ma maison et fais-moi peur », mais ce n'est pas le premier du genre, loin de là... Rien qu'à la Universal, productrice de ce long métrage, un classique réjouissant de 1927 l'a précédé, avec sous la direction experte de Paul Leni une redéfinition complète du genre, hérité du théâtre et il faut le dire, bien poussiéreux (voir à ce sujet le très insupportable film The bat, de Roland West, afin de s'en convaincre): The cat and the canary...

Dans la continuité de cette renaissance d'un genre, il était logique que le style 'gothique' des films d'épouvante de la compagnie débouche sur une nouvelle histoire de maison hantée ! C'est selon les vœux de James Whale, auréolé du succès de son Frankenstein, que Universal s'est lancé dans cette adaptation d'un roman de J.B. Priestley, situé au Pays de Galles. Whale a fait venir le scénariste Benn Levy, et s'est entouré de nombreux acteurs Britanniques en plus de Boris Karloff : Charles Laughton, Ernest Thesiger ou Eva Moore, complétés par le Canadien Raymond Massey, ainsi que les Américains Lillian Bond, Gloria Stuart et Melvyn Douglas...

Une nuit, au Pays de Galles, une voiture et ses trois passagers doivent s'arrêter, tant la tempête fait rage. Une vieille maison située près d'eux leur tend les bras... Façon de parler, car l'accueil de la famille Femm sera particulièrement froid, pour ne pas dire étrange: c'est le commencement d'une nuit d'insécurité dans une vieille demeure habitée par une famille de dingos profonds qui cachent un secret: l'un d'entre eux, le pire de tous, est enfermé, et... leur domestique, le géant Morgan, est une brute, il boit, et il cache des ressources insoupçonnées en matière de friponnerie...

Whale se fait plaisir de bout en bout, c'est une évidence, et tous les personnages deviennent les poupées du metteur en scène, qui s'amuse à doser ses confrontations, entre des personnages qui passent souvent de la simple excentricité à la folie furieuse: je parle des Femm, essentiellement, mais les voyageurs ne sont pas en reste. Et surtout, le film trahit les goûts de son réalisateur pour les penchants nocturnes du cinéma Allemand (qu'il s'amuse quand même à parodier, dans une séance d'ombres chinoises menée par Gloria Stuart), maîtrisés et réadaptés au cahier des charges de la Universal post-Dracula...

 

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Published by François Massarelli - dans James Whale Pre-code