Portrait d'une famille, ô combien, dysfonctionnelle: la mère, et on finira peut-être par la comprendre, quitte son mari après quarante années, le père ne comprend pas et considère ses deux filles avec la même fierté aveugle, Dawn dite Sweetie (Genevieve Lemon), la plus jeune, est bipolaire, et totalement hors de contrôle... Et il se pourrait bien que son père et elle aient eu des relations coupables. Au milieu de tout ça, la narratrice et point de vie principale, Kay (Karen Colston) semble être la plus saine, mais...
Kay a jeté son dévolu sur Louis (Tom Lycos) parce qu'une voyante lui a dit qu ce serait lui. Mais elle se refuse à lui, et dissimul beaucoup, beaucoup de choses. Pour commencer, elle ne parle pas de Sweetie, et quand celle-ci débarque, elle la présente comme 'une amie'. Ensuite, elle a une obsession, celle d'empêcher toute plante de pousser... Peu appréciée sur son lieu de travail, Kay essaie de vivre une vie tranquille à l'écart de tout: affection, famille, et sexualité...
Sweetie, elle, ne la refuse pas, au contraire. Elle a un comportement hypersexuel, dont se plaindra très vite sa soeur. Mais c'est pire que juste pittoresque... Entre une scène durant laquelle les ébats bruyants de Sweetie et de Bob (son "producteur", dit-elle) empêchent tout le monde de dormir, et une autre séquence qui la voit se jeter sans préambule ou presque sur Louis, sur une plage, on verra aussi une scène aperçue par inadvertance par Kay: Sweetie, qui lave son père et a des gestes plus qu'équivoques avec le savon...
L'une intériorise, aseptise, se réfugie dans le déni; l'autre en revanche affiche, extériorise, et se vautre dans un exhibitionnisme décadent, sans filtre, qui finit par lasser tout le monde... Les autres, désireux de visiter la mère de famille pour tirer les choses au clair, seront donc obligés de se débarrasser d'elle en mentant. Mais ils n'en seront pas quittes pour autant...
Car on le comprendra assez vite, Dawn est, j'en ai peur, l'âme même de cette famille... Son caractère, sa véritable identité... C'est ce qu'a compris la mère, et c'est sans doute la raison pour laquelle elle a décidé de prendre le large. Jane Campion qui a si souvent dépeint des relations mal fichues, incomplètes, dans lesquelles la sexualité n'était jamais saine, semble faire avec autant de férocité que de gravité, la synthèse de ce que ses courts métrages montraient, en toute liberté. C'est un film qui a scandalisé en sont temps par son ton et son absence totale de compromis, et il est encore aussi décapant, brut de décoffrage, qu'il était à sa sortie...
Rien ne va plus dans une famille Australienne: on apprend que Ruth (Kate Winslet), la seule fille du foyer, est restée en Inde où elle faisant un voyage de pur agrément, parce qu'elle y a trouvé la foi en assistant à une prière collective... On décide de la récupérer, en utilisant les grands moyens: sa mère vient la chercher en prétendant que son père est atteint d'une grave maladie, ce qui finit (après hésitations) par la décider... Une fois revenue, Ruth va être confronté à P.J. (Harvey Keitel), un "exiter", soit un spécialiste des sorties de sectes, venu des Etats-Unis. Celui-ci ne sait pas que sa "patiente" va être une expérience unique en son genre...
C'est un cas un peu à part dans la filmographie de Jane Campion, comme du reste le film qui l'a précédé et celui qui l'a suivi: d'une part, retournant à l'univers Australien de Sweetie, elle y peint une famille dysfonctionnelle particulièrement carabinée, dans laquelle tout le monde dévie, trompe, ment et dissimule, et la mère qui ne se rend compte de rien de ce qui l'entoure est de toute façon complètement immobilisée par un asthme carabiné. Dans ce monde fortement coloré, Ruth va agir comme une sorte de révélateur, avec sa crise religieuse, qui n'est de toute façon pas le sujet du film mais bien l'élément déclencheur du drame... ou de la comédie. Car oui, cette fois, c'est sans ambiguité aucune une comédie que Jane Campion a écrite et tournée... Même si de nombreux aspects a font dévier vers le drame, mais un drame avec des kangourous dedans...
Car une fois de plus, c'est vers une certaine forme de rapprochement que le film tend, celui entre PJ l'exorciste laïc, et Ruth dont la soudaine lubie religieuse va présider à leur relation faite de duperie, de mensonges, de coucheries et finalement de révélation. Et Jane Campion ici nous montre une histoire dans laquelle les hommes, menés et symbolisés par un Harvey Keitel très sûr de lui, et particulièrement à son aise en robe rouge, vont tout à coup devoir céder le terrain face à des femmes déterminées... Un film féministe donc, au propos quelque peu embrouillé par le grand déballage comique qui le rend un peu inabouti. Mais il y a fort à parier qu'après la froideur de The portrait of a lady, la dame a fait exprès...
Les années 1870: Isabel Archer (Nicole Kidman) a quitté les Etats-Unis à la mort de ses parents afin de se reconnecter avec sa famille Britannique. Elle ne tarde pas à recevoir des propositions de mariage, pour le plus grand bonheur de son oncle (John Gielgud), qui décline et qui souhaite la voir s'installer dans la vie. Mais si le propre fils de ce dernier, Ralph (Martin Donovan), ne peut se déclarer parce qu'il est atteint d'une sévère tuberculose et se sait condamné à brève échéance, Isabel va refuser les avances de deux prétendants sérieux: Caspar Goodwood, (Viggo Mortensen) qui l'a suivie depuis les Etats-Unis, et Lord Warburton (Richard Grant), un noble Anglais. Elle se méfie du premier, et elle sait que le second ne la laisserait pas libre...
Sur les conseils de Ralph, l'oncle lègue toute sa fortune à sa nièce, qui devient un beau parti: elle attire en particulier la convoitise de deux personnes et tombe sous leur coupe: Serena Merle (Barbara Hershey) et surtout Gilbert Osmond (John Malkovich) qui la fascine. Elle se marie, sans se rendre compte qu'elle a fait une énorme erreur...
Un roman de Henry James, un contexte d'un grand classicisme, des intrigues de la plus grande tradition romanesque du XIXe siècle, c'est-à-dire qu'on y parle beaucoup, beaucoup trop. Forte d'un succès phénoménal avec The piano, Jane Campion a pu réunir un budget conséquent, les stars qui vont avec, les décors extravagants de Florence et de Londres, une envie folle de rendre justice au roman en se donnant de la longueur, et... elle s'est plantée en beauté. Le film est d'un ennui mortel, depuis quasiment la première jusqu'à la dernière minute. Les erreurs sentimentales, les convenances d'un mariage plus ou moins arrangé, et l'envie d'expérimenter un peu avec la liberté sont des choses qui résonnent avec familiarité dans l'univers de la cinéaste, mais elle est ici bien plus à l'aise quand elle dérape en montrant Isabel entrant soudain en contact avec sa propre sensualité, seule mais imaginant ses trois soupirants la caressant... ou encore quand elle résout le passage du temps en imaginant un petit film de vacances façon 35 mm des années 30, avec image qui tremblote.
1925: dans le Montana, deux frères, les Burbank, dirigent un ranch. Tout les oppose, Phil (Benedict Cumberbatch) est un rustre qui vit au plus près de la nature, alors que George (Jesse Plemons), le délicat, aspire à une vie sobre et simple. Phil est obsédé par le souvenir de son mentor, un cow-boy disparu 20 années plus tôt. Quand au hasard d'une transhumance des bovins ils font une halte à Bleech, un petit village perdu, ils mangent dans un petit restaurant tenu par Rose (Kirsten Dunst), la veuve d'un médecin, et son fils Peter (Kodi Smith-McPhee). Pendant que Phil amuse la galerie en se moquant cruellement de l'adolescent, George est intéressé par Rose, qu'il revient voir de temps à autre. Quelques semaines plus tard, il annonce à son frère qu'il s'est marié avec elle...
Commence pour Rose un parcours du combattant: la vie au ranch est difficile à cause de Phil qui est odieux avec elle. En l'absence de George, elle commence à boire plus que de raison, et n'a plus qu'une motivation: éviter son beau-frère. De son côté, celui-ci va revenir sur sa première impression et devenir l'ami de Peter: l'adolescent se laisse faire, et tout en continuant ses études de médecine, il accompagne Phil dans ses sorties et reçoit son enseignement de la vie à la dure...
Une veuve, accompagnée d'un enfant, qui épouse un brave homme un peu gauche, avec un homme qui a fui la civilisation pas loin, sans oublier le fait que Rose joue, très mal d'ailleurs, du piano. Oui, on y pense, et c'est inévitable: le film reprend le schéma de The piano, mais ce n'est ni la même intrigue, ni le même sujet... Jane Campion a toujours aimé inventer des personnages qui sont seuls en toutes circonstances, y compris accompagnés, et ses quatre individualités ici sont quatre personnes démunis face aux autres. Phil recourt à l'agression, la provocation et se fait toujours plus rustique qu'il n'est vraiment. Celui qui fut un brillant étudiant avant de rencontrer un cow-boy pour lequel il a éprouvé une véritable passion, choisit de ne pas se laver plus parce qu'il sait que ça choque tout le monde (en plus d'être assez peu ragoûtant) que parce qu'il n'en aurait ni le temps ni l'opportunité: après tout, il a une salle de bains... George, lui, est un homme doux et fragile, un peu simplet aussi. Comme Baines dans The piano, il n'entend rien à la musique, mais il souhaite plus que tout rester dans la société des hommes. Des deux frères, c'est celui qui est moins à l'aise sur un cheval que dans un dîner, avec tenue de soirée... C'est lui qui a gardé un contact avec ses parents, Phil ne leur parlant manifestement plus. Rose était mariée à un médecin, dont on apprendra qu'il s'est suicidé au terme d'une vie d'alcoolique: c'était en 1921, en pleine prohibition et dans le Montana on n'a pas attendu 1919 pour interdire l'alcool: c'était déjà effectif en 1916. Ce qui veut dire que tout l'alcool consommé dans le film est probablement de l'alcool de contrebande, et qu'en 1921 le Dr Gordon a perdu la vie en consommant du poison: le suicide n'était qu'un point final... L'alcool reste l'échappatoire de Rose devant la vie dure que lui mène Phil, et qui n'est finalement qu'un symptôme d'une situation plus large, j'y reviendrai. Elle est, en tout cas, confrontée à l'échec de sa vie, aussi bien quand elle s'avère incapable de défendre son fils face à ses consommateurs dans son restaurant, ou bloque devant un piano alors que naïf de mari a invité se parents et le gouverneur de l'état (Keith Carradine) afin de l'écouter jouer... Enfin, Peter se défend comme il peut, c'est à dire assez mal au début. Etudiant en médecine, il tranche sur les cow-boys par sa gaucherie physique (grand, maigre, peu à l'aise dans son corps), et il est inévitablement la cible des moqueries des employés du ranch dès que Phil le décide; il confectionne des fleurs en origami, une occupation que Phil se fait un plaisir d'assimiler à de la faiblesse; il ne sait pas tenir à cheval, et il a "un ami" qu'il refuse de laisser venir au ranch, parce qu'il sait que ça ne passerait pas bien avec le beau-frère de sa mère... Mais il veut aussi être chirurgien, et dans une scène étonnante, on découvre qu'il a de la ressource: il tue un lapin de sang-froid pour le disséquer...
Phil a vampirisé le ranch, tout ce qui s'y passe est ce qu'il a voulu, et George semble n'être qu'un pantin pour lui, qui maintient un semblant de vie sociale (le Montana de 1925, ce n'est pas Broadway, on s'en rend compte assez vite). Mais il y a plus: Phil a une vie intérieure, un souvenir qui le hante, celui de Bronco Henry... Le mentor, celui qui a appris aux deux frères tout ce qu'il fallait savoir dans leur métier, celui dont les reliques sont constamment revisitées par Phil et montrées à Peter dans un geste patrimonial: une selle exposée dans une grange, avec une plaque commémorative, est la version officielle d'un mausolée à son souvenir... Mais Peter découvre qu'une cabane hâtivement construite à l'écart du ranch contient d'autres objets, plus secrets: notamment des magazines fin de siècle de "culture physique", soit un beau prétexte pour étaler des corps d'athlètes nus. Peter, qui a surpris Phil se baignant nu dans une rivière (il porte autour du cou une autre relique, une serviette blanche, ou qui le fut, marquée aux initiales de Bronco Henry...) a compris le lien qui unit Phil et son ancien maître... Il a compris aussi assez vite quel lien Phil souhaiterait établir avec lui. C'est en toute connaissance de cause qu'il accepte ses "enseignements". Et Rose l'a sans doute aussi compris, puisqu'elle fait tout pour empêcher Phil de lui "voler" son fils...
Mais ce que le film conte en priorité, c'est, d'une certaine façon, la disparition de la femme. Chez Jane Campion, l'affirmation de la féminité est toujours un combat, qui passe par la sexualité (In the cut, The piano, Sweetie), la vie sociale (Portrait of a lady, Two friends, A girl's own story), le vêtement (The Piano), la famille (Sweetie), l'éducation (An angel at my table), la spiritualité (Holy Smoke), la confrontation enfin à la masculinité, en essayant de trouver un pied d'égalité (Top of the lake, en particulier la première série, mais aussi Bright star, The piano voire In the cut et Holy Smoke). Dans le moyen métrage After hours, en 1984, elle montrait aussi les difficultés de la jeune femme a faire valoir ses droits face à une affaire de moeurs... Mais ici, le combat semble perdu d'avance, et pour longtemps: Rose, avant même d'être confrontée à Phil, a connu une vie difficile et on imagine (le film n'est jamais explicite à ce sujet, mais on peut y lire entre les lignes) que la mort du Dr Gordon a été autant une délivrance qu'une malédiction. C'est en tout cas l'impression qu'il ressort d'une discussion entre Phil et Peter sur l'alcoolisme de sa mère... Mais au ranch, les deux femmes à domicile (on reconnaît Genevieve Lemon, Sweetie, qui revenait également dans The piano et Top of the lake) sont des domestiques totalement dévouées à tout ce que leur imposera ou demandera Phil. L'arrivée des parents Burbank donne un moment l'illusion d'une soudaine irruption de la vraie vie, mais l'incapacité de Rose à jouer du piano, et la gêne causée par l'irruption odoriférante de Phil, cassent toute possibilité pour Rose de vraiment s'affirmer, ce dont George, bien sûr, ne verra rien du tout! C'est une fois la menace partie que Rose recevra un signe de sa belle-mère, le don d'un ensemble de bijoux, qui est un geste d'une grande force: un signe d'espoir... Au passage, si les femmes ont des difficultés à s'affirmer, on notera que le père Burbank, un vieux barbu un peu à côté de la plaque, est le type même d'un père faible, dépassé par les événements, qui renvoie un peu au père de Sweetie... les abus sexuels en moins. Kirsten Dunst joue magnifiquement de son physique entre deux âges, et ne lâche rien sur la déchéance physique qui accompagne l'alcoolisme; chez Jane Campion, les femmes vieillissent, on se souvient de Nicole Kidman dans China Girl, ou des hippies sexagénaires dont certaines déambulaient nues dans la Nouvelle-Zélande de l'autre saison de Top of the lake.
Cette difficulté à faire exister la femme s'accompagne de la description d'une emprise, même si elle ne sera qu'apparente: bien sûr, Phil est le maître de son ranch, et s'il a décidé de faire de Peter son ami et disciple, on l'imagine aller au bout de l'expérience... Mais notons aussi que l'ensemble du film se résout dans une lente montée vers son dernier quart d'heure, et qu'on y verra que chaque geste qui aura précédé est lisible sur un certain nombre de niveaux. Quand on voit Peter déposer sur la tombe de son père des fleurs en origami, est-ce un hommage naïf, ou une affirmation militante de sa propre différence, comme un défi vis-à-vis de celui qui a bien failli détruire sa mère? Peter a reçu, symboliquement, un héritage: celui d'un passage de son père par une corde, et c'est cet objet même qui va être utilisé par Phil pour attirer vers lui le jeune garçon; Peter, lui aussi, va utiliser cette corde, mais il va aussi se l'approprier à sa façon en en changeant le sens. Le film montre plusieurs aspects de cet héritage intime, à travers les personnages de Phil et Peter exclusivement. Les autres sont exclus de ce type d'échange... Ils sont exclus aussi d'un passage par le mythe: le titre, par son recours à un obscur psaume (qui est cité visuellement quand Peter consulte la Bible) installe déjà l'idée d'une violence et d'une menace qui ressortent du mythe. Phil affirme à ses hommes qu'il a vu, lui, dans la montagne, quelque chose qu'ils ne verront jamais: le seul à le rejoindre sur ce point, c'est Peter, qui ira justement seul dans la montagne pour se livrer à une expérience sur un veau mort, une de ces carcasses victimes de l'anthrax, indiquées par Phil qui ne s'en approche jamais. Un geste qu'on prendra dans un premier temps pour une tentative de faire une expérience afin d'apprendre la médecine. Mais on a tort... Enfin, Phil et Peter sont, excluant de fait les autres humains qui les entourent, deux conceptions opposées de la masculinité. Ils dominent le film, dans une atmosphère d'homo-érotisme assumée et lente, et The power of the dog est l'histoire de l'affirmation décisive d'une personnalité. Un élément qui permet à tout ce qu'on apprendra sur le chemin de ne jamais être gratuit...
Depuis toujours Jane Campion sait magnifiquement intégrer ses personnages dans un décor, et elle est particulièrement servie par les paysages qui sont le théâtre du film: ce n'est pas le Montana, en l'occurrence, mais la Nouvelle-Zélande, où filmer a été bien plus pratique en cette période délicate. Qu'elle ait réussi à aller au bout de son projet est un incroyable exploit, et elle a vraiment bien profité de ses paysages. C'est à couper le souffle: l'ombre de Days of heaven passe parfois dans le champ. La musique de Jonny Greenwood, ses cordes entre deux époques et son piano maladroit s'intègrent très bien dans cette histoire de domination et de vengeance, et on retrouve le sens légendaire du détail de la cinéaste: vêtement, décor, objets, mais aussi tâches de vieillesse, boucles, plaies, saleté ou paires de chaussures: chaque détail compte, comme ce doigt aperçu en très gros plan dans The piano, qui touchait par un minuscule trou dans le bas, la peau de Holly Hunter. Les montagnes grandioses, les initiales d'un mort sur une serviette, l'infiniment grand ou le ridiculement petit, chez Jane Campion chaque image compte. Chaque film compte aussi, et The power of the dog, merveilleux retour au cinéma (enfin, presque) de Jane Campion est l'un des plus beaux de ses 10 meilleurs films...
C'est un retour au pays pour Jane Campion, qui a accepté une proposition de la télévision pour réaliser une suite en trois parties consacrée à l'autobiographie de Janet Frame, écrivain majeure de Nouvelle-Zélande. Mais si Janet Frame est éminemment Néo-Zélandaise, née par ailleurs dans une famille qu'elle qualifiait de "pauvre, puante et impopulaire", c'est aussi une dame qui a voyagé de par le monde, exerçant son métier en Angleterre et même un bref temps en Espagne; elle a aussi eu des aventures, pour ne pas dire des mésaventures: huit années passées en hôpital psychiatrique sur un diagnostic faussé de schizophrénie...
C'est surtout une héroïne qui va comme un gant au cinéma de Jane Campion, qui n'a pas attendu de réaliser des longs métrages pour s'intéresser voire se passionner pour des femmes fantasques, dotées d'une extraordinaire imagination. C'est déjà le sujet de A girl's own story, l'un de ses moyens métrages majeurs; c'est aussi commun à, en vrac, Sweetie, Portrait of a lady, Holly Smoke, In the cut et Bright star, sans oublier les deux différentes séries Top of the lake. Et bien sûr, c'est au coeur de The piano à travers les deux personnages joués respectivement par Holly Hunter et Anna Paquin.
Nous suivons donc Janet Frame, depuis sa plus tendre enfance (née jumelle, mais elle seule a survécu et l'autre enfant n'a pas même été nommée), une période difficile, d'extrême timidité et marquée par un ressenti cruel d ela violence du monde, un monde qui semblait ne pas être fait pour elle: trop pauvre, dotée d'une hygiène déplorable (elle perdra la plupart de ses dents vers la vingtaine), mal vue par ses camarades à l'école, puis au collège puis au lycée, parce que non contente d'être très sérieuse, Janet était aussi différente: sa touffe indomptable de cheveux bouclés roux, en particulier...
Mais c'est cette même jeune femme qui va devenir naturellement écrivain, le plus simplement du monde: en écrivant! Un don qu'elle cultive, mais dont le film semble nous dire qu'il a été pour beaucoup dans sa mise à l'écart. Les trois parties sont organisées de la même façon, en petites vignettes généralement chronologiques, et centrées autour des trois actrices qui interpréteront Janet: Alexia Keogh (enfance), Karen Fergusson (adolescence) et enfin Kerry Fox. Cette dernière paie constamment de sa personne, et jane Campion n'a pas son pareil pour filmer la détresse et la solitude d'un personnage face à l'absurdité d'un monde... cela dit, une formidable galerie de personnages souvent cruelle, son humour particulier et son goût immodéré pour le happy-end (du moins à cette époque, elle changera) nous permettent en plus d'ajouter au plaisir épique de cette merveilleuse expérience cinématographique: car bien qu'elle l'ait tournée pour la télévision, cette adaptation légèrement remontée (amputée en fait de trois minutes) a eu une belle carrière méritée en salles.
Ce film est une commande de la télévision Australienne pour la jeune diplômée des écoles de cinéma locales. Il s'agissait de produire un programme court visant à étudier les mécanismes de défense de la société patriarcale vis-à-vis du harcèlement sexuel...
Nous suivons donc le calvaire de Lorraine, une jeune femme qui a subi les avances maladroites de son patron, et qui en a réchappé... mais elle a ensuite été licenciée sans autre forme de procès. La narration alterne les scènes de confrontation entre Lorraine, la fonctionnaire qui suit son affaire, ses anciennes collègues, et son entraîneur de natation, ainsi qu'une scène dans une piscine vide, avec un garçon qui est probablement son petit ami, et qui maudit l'employeur... tout en se tenant à bonne distance de la jeune femme. Seule continuité véritablement chronologique, une série de scènes qui racontent l'affaire telle qu'elle s'est réellement passée, nous permet de nous situer fermement aux côtés de Lorraine, qui dit effectivement la vérité.
A ses côtés, où bien évidemment nous sommes totalement seuls, cela va sans dire... Campion est ici en pleine commande, mais elle a au moins l'occasion de raffiner plus avant son sens de la composition qui est d'une grande précision, dans ce film cruel...
A peu près au début de ce film, des écolières Australiennes en uniforme interprètent non seulement I should have known better des Beatles, mais aussi le type de comportement des jeunes filles dans les années 60 lorsqu'elles voyaient leurs idoles en vrai... Juste avant, une autre séquence, sans véritable rattachement chronologique, montrait des mains d'adolescentes qui ouvraient un livre d'éducation sexuelle, s'arrêtant sur une représentation sans équivoque d'un pénis en érection. ...Le ton est donné: entre nostalgie et sexualité, exploration et souvenirs, Jane Campion fait de cette histoire qui n'est probablement pas autobiographique, une évocation intime des émois de l'adolescence féminine, qui n'oublie rien.
La réalisatrice s'est basée sur trois personnages: Pam, Gloria et Stella. Pam et Stella sont très préoccupées par leur sexualité bourgeonnante, au point d'expérimenter (en douceur, pour l'instant) l'une sur l'autre: Pam met un masque de Ringo Starr afin que Stella puisse l'embrasser... Gloria, de son côté, est passée à l'acte, ce que nous voyons dans une scène dont le ton est dangereusement proche de la comédie dans un premier temps: avec son frère... Sinon, Pam qui est par bien des côtés le personnage central du film, assiste mi-amusée, mi-affligée à la vie complique de ses parents. Le père est tenté de vivre une affaire extra-conjugale au grand jour, alors que la mère hystérique ne sait comment le retenir...
Tout ceci est raconté en scènes courtes, froides, dans un noir et blanc sale, et en 26 minutes, ponctuées de chansons. La chanson de Beatles d'abord, que je mentionnai plus haut, et une autre, marquée des sons de la new wave contemporaine, dans laquelle Pam, Stella et Gloria chantent I'm cold... coincées entre une éducation rigoriste, des parents menteurs, un frère profiteur et leurs propres pulsions, comment voulez-vous qu'elles sachent échapper à cette froideur?
Dans la catégorie des courts métrages de la réalisatrice, ce curieux exercice vidéo de 15 mn a sans doute mérité la palme de l'oeuvre la plus saugrenue de Jane Campion... Il raconte la correspondance entre deux hommes, deux frères, occupés chacun à des conquêtes bien différentes les unes des autres: George Mallory, en effet, est en train de tenter l'ascension de l'Everest, alors que Geoffrey lui concentre toute son attention sur la conquête d'une femme qui lui résiste... Les lettres constituent l'essentiel de la bande-son, pendant que les images se divisent entre vidéo dé-saturée (sauf le rouge) pour les scènes impliquant Geoffrey et Emma en Angleterre, et 35 mm vintage (des rushes, en fait) pour les scènes nous montrant la tentative malheureuse et tragique de Mallory et Irvine en 1924...
Evidemment, l'ironie entre les deux "conquêtes" est difficile à ne pas voir, et Campion s'amuse de l'inconstance masculine de Geoffrey, pendant que son frère tente quelque chose qui va lui coûter la vie... Cela étant dit, c'est quand même un exercice un peu gratuit, dont l'humour très froid nous passe un peu à forte distance. Sans parler du fait que la partie vidéo a épouvantablement mal vieilli.
Ce film est basé sur des petits riens, le genre d'info vaguement absurde que Jean-Pierre Jeunet accumulera dans Foutaises, ou dans les petites introductions de personnages dans Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. Ou encore, les faits "incroyables mais vrais" racontés au début de Magnolia de Paul Thomas Anderson, qui partagent d'ailleurs avec ce film de Jane Campion un narrateur à la voix monocorde...
C'est essentiellement de fractions de secondes qu'on nous parle ici, de ces moments intense où une idée ou son absence nous traverse l'esprit quand on s'ennuie ferme. Et le paradoxe c'est que justement, on ne s'ennuie pas dans ce film de douze minutes. Au passage, Campion en a hérité, lors de son passage à l'école de cinéma de Sydney, de son ami Gerard Lee, qui avait commencé le projet, mais n'avait pas pu (ou voulu?) le finir. Lee est aussi le co-scénariste de Top of the lake.
Lors d'un voyage morne en voiture, un garçon s'oppose à ses parents, en commençant par peler une orange dont il jette un à un les morceaux de peau, provoquant la colère de plus en plus agressive de son père...
Le film, en huit minutes, nous expose le conflit d'une famille entière (interprétée par une famille, à en croire le début du film puisque le père et la mère seraient frère et soeur dans la vraie vie, et le petit est leur neveu), dont le déclenchement s'effectue quand on pèle une orange... C'est cru, souvent profondément ironique, et ça se termine sur une vision qui laisse présager que les années à venir vont être fort délicates pour les parents!
Campion a tourné son film sur une petite portion d'une route de campagne, un endroit pas spécialement marqué, qui aurait pu être trouvé dans n'importe quel pays, et place sa caméra au plus près des gens. Dès ce premier film remarqué (qui gagnera quatre ans plus tard la palme d'or du court métrage), la réalisatrice oppose avec une ironie mordante des adultes en crise à leurs pires ennemis: leurs enfants... et comme on peut le voir dans le film, si les oranges sont bien la source d'un conflit, le garçon a des munitions!