
Le nom de Robert Macaire est pour toujours associé à un film, Les enfants du Paradis, qu'on n'a plus besoin de présenter. Il était, rappelons-nous, non pas un personnage du film, mais le personnage qui avait donné la notoriété à l'acteur Frédérick Lemaître, incarné dans le film de Carné par Pierre Brasseur; Ce qui, du reste, était conforme à la vérité historique, puisque Lemaître avait triomphé au théâtre en 1832 en interprétant non seulement le personnage de Macaire dans la pièce L'auberge des Adrets, mais aussi la pièce elle-même, transformée par la grâce du laisser-aller volontaire et de l'improvisation calculée, en une pochade alors que l'intention de ses auteurs était mélodramatique... Macaire n'a existé que dans cette pièce, il est malgré tout l'archétype du brigand de cette première moitié du XIXe siècle. C'est l'époque de la fin des dernières conséquences du passage de Napoléon, des décombres de feue la Révolution Française, d'une restauration qui se cherche, et dans l'imaginaire collectif, c'est l'époque de Vidocq et des premiers trains; la campagne est encore un monde complètement éloigné de la ville, mais pour combien de temps? C'est ce monde qui vit ses derniers instants, que parcourent dans le long film d'Epstein Robert Macaire (Jean Angelo) et son fidèle compagnon Bertrand (Alex Allin).
Ces "aventures" sont au nombre de cinq, le film épousant la forme d'un serial classique... Mais ces cinq "aventures" seront en fait exploitées en deux temps: le premier épisode se compose des trois premières, et les deux suivantes se retrouvent donc dans le deuxième service. Entre les deux, un cliffhanger en forme d'un saut dans le temps, de 17 années... Macaire et Bertrand sont deux brigands professionnels, sans le sou évidemment, qui parcouret les routes à la recherche de rapines. Leur armes favorites: la ruse, le déguisement, la persuasion plutôt que la violence. On les voit détrousser une fermière pingre qui leur a refusé un repas, en jouant sur sa superstition: ils sont déguisés, respectivement, en St Antoine (Que la fermière aime tant prier) et son cochon. Mais lors de leur première aventure , ils font la connaissance de la belle Louise de Sermèze (Suzanne Bianchetti), qu'ils sauvent, en se faisant passer pour le Vicomte de la Tour Macaire et son intendant Picard... Louise et Macaire s'aiment, ce qui n'est pas du goût de tous. Apprenant qui est réellement Macaire, le frère de Louise (Nino Costantini) tente de les faire arrêter; ils le seront finalement, au terme d'une aventure ou d'une autre... Et la deuxième partie les verra revenir sur le théâtre de ces événements, pour permettre à la fille de Louise disparue, et donc la fille de Robert Macaire lui-même) de connaître un meilleur destin que son père... Tout en faisant quelques affaires, bien entendu.

Le format surprend, d'autant qu'Epstein, qui a si souvent versé dans le mélodrame, n'a pas pour habitude de faire durer ses films aussi longtemps... Mais le propos avec ce Robert Macaire qui est une commande de la compagnie Albatros (La dernière des collaborations d'Epstein pour cet excellent studio), était de fournir à moindre frais du picaresque décoratif, et quoi de mieux que cette époque bénie, ces costumes si caractéristiques, et le frisson facile de la rapine, du brigandage, et de la vie au jour le jour et au grand air de deux fripouilles sympathiques? Deux types qui s'adorent, se complètent, mais se signalent l'un à l'autre leur amitié indéfectible en se faisant mutuellement les poches... Car bien sur, à l'imitation de Lemaître, le film ne se prend jamais vraiment au sérieux. Pour preuve, cette présentation de leurs exploits par une famille de paysans qui se racontent des horreurs à la veillée, dans laquelle Angelo et Allin incarnent des versions terrifiantes (Et sérieusement exagérées) de leurs personnages... Personnages que nous connaissons déjà, et dont le public peut apprécier le décalage par rapport à l'image de ces horribles voyous inquiétants qui nous sont montrés dans cette narration au coin du feu!
Epstein et son équipe se sont tranquillement promenés dans les campagnes et vallées provençales, faisant merveille avec les décors naturels, profitant justement des lieux pour alterner de façon efficace les gros plans (son pêché mignon, il fait le rappeler) et les plans d'ensemble qui inscrivent les aventures picaresques de Macaire et Bertrand dans la nature même, une nature bien sur encore proche de celle du XIXe siècle, mais condamnée tôt ou tard à disparaître. Il fait taire ses petites manies d'avant-gardiste, au profit d'une narration tranquille et linéaire, laissant ses acteurs faire leur travail en toute simplicité: pas d'excès, mais beaucoup de clins d'oeil dans les aventures de Macaire. Angelo a trouvé l'exact milieu entre le sérieux d'un bandit qui se prend toujours pour quelqu'un d'important, y compris quand on l'arrête, et le fieffé escroc pour lequel plus c'est gros, plus ça passe... Bref, avec Macaire et Bertrand, qui commencent le film exactement comme ils vont le finir, en arpentant les routes, tout cela est fait très sérieusement, même si ce n'est pas sérieux du tout.
Et dans ce monde sans foi ni loi, ou se confondent les braves gens et les méchants (Des nobles incapables de laisser les tourtereaux en paix), Macaire nous apparaît comme une sorte de Robin des bois, marqué par le passage des ans perdant ça et là un bout de son costume, voire un oeil (Lequel au fait? Le bandeau noir sur l'oeil semble hésiter entre les deux...), un personnage hauts en couleurs dont on aimerait bien qu'il ait existé, ne serait-ce qu'un peu.



