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23 juillet 2023 7 23 /07 /juillet /2023 18:44

C'est la nuit... André Jurieux (Roland Toutain), un aviateur atterrit au Bourget. La presse est là, un public disparate et excité le fête mais lui est au fond du désespoir: il a accompli un exploit impressionnant, mais c'était pour une femme, et elle ne s'est pas déplacée, lui dit son ami Octave (Jean Renoir).

Christine, la femme en question, a entendu à la radio le désespoir de son amant... Elle finit de se parer, et rejoint son mari, le marquis de La Chesnaye (Marcel Dalio). Ils habitent une grande demeure, ils se vouvoient, et ils sont richissimes... Lui sait qu'il y ait un semblant de liaison mais n'en fait pas grand cas.

De son côté, il téléphone avant de sortir avec son épouse, à sa maitresse...

La ronde n'ira pas beaucoup plus loin mais le film est posé: il y aura une monumentale partie de chasse organisée, on y parlera d'amour, de la société, des inégalités, de réussite frelatée et de ratages embarrassants.

L'amour? Compliqué, et mal parti: bien qu'on soit à l'époque moderne, il n'en reste pas moins que les mariages sont parfois mal assortis. Et les amants ou autres amis amoureux ne sont pas beaucoup mieux lotis. Car si Jurieux aime Christine de la Chesnaye, Octave aussi est amoureux de la jeune femme. Le marquis de la Chesnaye aime-t-il sa femme? Comme sa maîtresse Geneviève (Mila Parély) lui signale, citant Chamfort, que "l'amour, c'est la rencontre de deux fantaisies, et le contact de deux épidermes", ce qui semble disqualifier la relation un rien froide des deux époux. De son côté, Octave a semble-t-il une relation avec Lisette (Paulette Dubost), la bonne, qui est mariée à Schumacher (Gaston Modot), le garde-chasse du château des La Chesnaye. Et pour compléter le tableau, Octave qui est semble-t'il le trait d'union entre les différents personnages, doit aussi gérer les amours distants entre Christine et André, mais aussi entre le marquis et Geneviève! Le film accumule ainsi les conversations autour des marivaudages...

Des marivaudages à la mode du vingtième siècle, car ici les classes se mélangent... Un peu. Disons qu'elles ont à faire les unes avec les autres. Christine a épousé le marquis de La Chesnaye pour s'élever, mais c'est un mariage sans amour. Tous ses amis sont plutôt des gens de la société civile, comme on dit. Chacun des protagonistes, à l'exception d'Octave qui fricote avec la bonne, et a des discussions sur beaucoup de choses avec son amie Christine, tous restent quand même sur un certain niveau... Et même schumacher, le garde-chasse, doit accepter la présence d'un subalterne, le braconnier Marceau (Julien Carette), qui lui en fait voir de toutes les couleurs... Et pour s'lever, hors le mariage, pas beaucoup de solutions, si ce n'est le sport. D'où l'exploit, bien de son temps (douze ans après Lindbergh), de Jurieux... Mais le marquis,qui a le sens des contradictions, se prend d'amitié pour Marceau qu'il engage... Au grand dam de son employé qui conçoit la chose comme une insulte personnelle... 

"cette petite Christine a de la classe. ca se perd, à notre époque!", dit un invité de la partie de chasse, un général... Derrière cette "classe", la réussite, donc, est sociale, financière (les La Chesnaye sont riches, et organisent des fêtes et des réceptions impressionnantes... comment s'étonner après que chacun reste à sa place en les fréquentant? Pourtant, la réussite n'est jamais complète. Christine a acquis un statut par son mariage, mais au détriment des sentiments. André a réussi une traversée en vol, qui épate tout le monde, mais le considère comme un échec. D'ailleurs, quand il arrive au château, Jurieux arrive sous une pluie battante, ce pauvre garçon n'a décidément jamais de chance... Et les domestiques qui sont réunis à manger entre eux, commentent à leur façon sur les strates supérieures et leurs patrons. Certains décernent d'ailleurs des certificats d'homme du monde à leurs anciens maîtres. Et c'est aussi lors de ce dîner des domestiques qu'on apprend que le marquis de La Chesnaye a des oigines, comme on disait alors (et comme l'extrême droite de dire parfois continue de dire parfois pour cacher son antisémitisme virulent), "cosmopolites". Il a eu des Rosenthal dans sa famille... Cela fait-il de lui un cousin du héros déjà joué par Dalio, de La Grande Illusion?

"Les mensonges, c'est un vêtement très lourd à porter" dit Christine dans sa première scène, qui parle d'ailleurs avec sa bonne (elle aussi, comme Octave, semble prompte à oublier les barrières de classe). Une lassitude par rapport à une histoire d'amour qui la tente mais dont elle ne veut pas, ou par rapport aux obligations de classe, pour lesquelles la "règle du jeu" est, justement, le mensonge? en posant ainsi, à l'orée d'une série apparemment innocentes de considérations sur les amours potentielles ou réelles, Renoir place en exergue de son film un portrait au vitriol de toute une société, de tout un monde. Pas vraiment surprenant, dans ce cas, que la droite et l'extrême droite (pas beaucoup de différences durant la 3e république) ait sauté sur le film à bras raccourcis avec une phénoménale virulence... C'est au cours du deuxième acte que Renoir s'est montré particulièrement méchant avec cette bonne société en montrant les élites se livrer à la chasse comme on fait un jeu de massacre... une chasse sitôt finie, sitôt oubliée par le marquis.

Et comme chacun sait sans doute le film a eu un destin particulier, qui en fait d'ailleurs une exception: coupé (avec l'approbation de Renoir, semble-t-il) en 1939 avant sa sortie après des premières désastreuses, réduit de 94 à 81 minutes, il a été remonté et ressorti dans une nouvelle version plus longue en 1959: c'est désormais une version de 106 minutes, qui d'ailleurs pose des problèmes: si certaines scènes étaient absentes en 1939, et que Renoir ne souhaitait pas les présenter à l'origine, fallait-il les intégrer? On n'aura pas de réponse, la version remontée en 1959 ayant été confectionnée avec le soutien plein et entier eu metteur en scène.

Un film étrange, fascinant, une comédie qui ne nous fera pas souvent rire, ou alors jaune... S'il visait sans doute juste en 1939 et était un état des lieux de la société de l'époque, aujourd'hui on n'a parfois pas toutes les clés. Mais au sein de l'oeuvre de Renoir, il brille d'un éclat assez singulier. Un fim typique par ses thèmes, mais aussi ses motifs (amours ancillaires, arrivisme, observation ironique, spectacle amateur, déguisement...). Mais un film qui tranche aussi, en une décennie de films combatifs (notamment ceux qui prennent fait et cause pour le Front Populaire, ou qui affirment leur pacifisme), par sa noirceur... Trop subtil, trop riche, trop tout, le film a fini par quitter son statut de film maudit pour devenir le chef d'oeuvre officiel, ce qui est sans doute, aussi lourd à porter... que les mensonges...

 

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir Comédie Criterion
26 septembre 2022 1 26 /09 /septembre /2022 16:57

Vers 1860, une famille bourgeoise arrive sur les bords d'une rivière qui aurait pu être la Seine, pour passer, le titre est clair, "un dimanche à la campagne"... Au programme, manger chez le Père Poulain (Jean Renoir), faire de l'escarpolette, pêcher, se coucher dans l'herbe et attendre tranquillement que la journée passe... Mais si pour M. Dufour (Gabriello) et son commis Anatole (Paul Temps), le principal intérêt de la journée est la perspective de pêcher, pour Madame Dufour (Jane Marken) dont les sens sont très éveillés, es deux veaux messieurs qui lui proposent, à elle et à sa fille Henriette (Sylvia Bataille), un tour en barque, sont nettement plus séduisants... Madame Dufour se retrouve donc en yole avec Rodolphe (Jacques Brunius), et Henriette avec Henri (Georges Darnoux)... Nous les suivons, alors que le jeune homme se lance, clairement, dans la séduction de la jeune femme...

Le film est incomplet, non qu'il y manque quoi que ce soit qui ait été tourné: il a tout simplement été laissé inachevé par les circonstances: d'une part, Renoir qui ne souhaitait pas réaliser un film très long (il a toujours dit qu'il le considérait comme l'affaire de trois quarts d'heure tout au plus) avait prévu un plan de tournage assez court, et d'autre part les conditions météorologiques, avec une vague de pluies très insistantes au mois de juillet, ont considérablement ralenti le tournage, dont seuls les extérieurs ont pu être tournés. De plus, au mois d'août, Renoir entamait la réalisation des Bas-Fonds, avec Louis Jouvet et Jean Gabin... Les derniers plans tournés au mois d'août l'ont été sous la direction du premier assistant Jacques Becker, qui a toujours refusé d'en revendiquer la paternité, estimant les avoir tournés selon les instructions expresses de Renoir. Le film n'a été monté qu'en 1946, alors que le réalisateur était aux Etats-Unis, et on peut déceler comme une certaine impatience de la part du réalisateur dans le petit film de présentation qu'il avait tourné pour lé télévision française dans les années 60, à propos de ce film qui lui a probablement échappé, et dont il ne pouvait pas à 100% revendiquer la propriété...

Et pourtant c'est un film totalement Renoirien, l'un des ses joyaux. J'ai souvent été déçu (pour ne pas dire très agacé) par le metteur en scène, et la propension d'une certaine frange de la critique à en faire une sorte de dieu indiscutable du cinéma Français, mais ici, c'est toute la saveur de son cinéma qui se fait jour: ses influences impressionnistes, évidemment, quand on est le fils d'Auguste Renoir, ça devient inévitable, même si entre Nana (1926) et ce film, il y eut pas ou peu d'occasions de le rappeler... Le cadre très XIXe siècle, aussi, qui vient bien sûr de la nouvelle de Maupassant, mais qui réussissait si bien à l'auteur de French Cancan...

Le ton naturaliste, Maupassant oblige, est renforcé par le fait que Renoir, qui a ici utilisé des décors intégralement existants, qu'ils aient été arrangés ou construits (mais je penche pour la première solution), était un admirateur d'Erich Von Stroheim... Dans ce conte noir où la séduction mène à l'amour, l'amour au péché, le péché au regret et le regret au malheur, où Sylvia Bataille éblouit l'écran de sa beauté et Jane Marken de sa coquinerie (face à ce pauvre balourd de Gabriello), Renoir a beau convoquer des faunes (le jeu érotique de Brunius qui tente de séduire Madame Dufour!), on débouche sur la tragédie du mariage arrangé, sur l'enfer d'une femme qui n'a pas eu son mot à dire avant d'épouser...

Un con.

...Bref, si j'ose dire: en quarante minutes, et en dépit des manques de l'intrigue, résumés hâtivement par des intertitres de circonstances, Renoir a réussi un concentré de son cinéma, lyrique, baigné de nature (les images de pluie, du coup sans aucune tricherie, la beauté solaire du noir et blanc en bord de rivière), qui nous montre un instantané qui vire du salace aux larmes... Tout comme le film de Borzage The river, dont il manque le début, le milieu et la fin mais qui est étrangement parfait en l'état, Une partie de campagne est en dépit de son inachèvement un joyau de son auteur, quelles qu'en soient les éventuelles scories (le jeu du type qui joue le père Poulain est vraiment atroce, mais pourquoi Renoir engageait-il parfois cet acteur qui gâchait ses films?)... Cette belle histoire d'un couple qui cède au désir et engendre les regrets est toujours aussi actuelle.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir Criterion
25 avril 2021 7 25 /04 /avril /2021 15:47

Au seizième siècle, lors d'une pause dans les guerres de religion, une dame de la cour, Isabelle Ginori, se fiance à un noble catholique, Henri de Rogier. Mais elle est convoitée par un seigneur protestant trouble, aux fréquentations interlopes, et à la morale douteuse: celui-ci intrigue auprès de la régente Catherine de Médicis pour avoir ses chances auprès d'elle, et obtient de la mère du roi l'idée d'un défi: un combat entre les deux homes, dont l'enjeu serait la main d'Isabelle...

Reprenons les mots définitifs prononcés par Max Ernst, en chef des bandits dans L'âge d'or: "Quelle salade!"... Il est fort probable que Renoir n'avait pas la folle envie de tourner ce film, pas plus d'ailleurs que Marquitta (aujourd'hui perdu) et son dernier muet, Le bled. Mais en aspirant cinéaste professionnel (ce qu'il croyait qu'il allait être un jour, comme quoi tout un chacun peut se tromper), il avait de bonne grâce accepté ces missions... ca part pourtant de bons auspices: la compagnie qui a produit ce Tournoi est la même qui avait officié sur Le miracle des Loups, et sur Le joueur d'échecs. Deux fantaisies historiques effectuées avec rigueur par Raymond Bernard. D'ailleurs les remparts de Carcassonne, un décor déjà utilisé pour Le miracle, allaient être repris aussi bien pour ce film que pour la production de La vie merveilleuse de Jeanne d'Arc, de Marco de Gastyne... Les costumes montrent un certain savoir-faire, aussi, alors?

Eh bien, honnêtement, où se trouvait Renoir durant le tournage? Qui a cadré ce film? Certes, en bon cinéphile, Renoir a du voir dans certains films de Griffith mais aussi dans Metropolis, ces plans où l'action importante est dans le fond, derrière ce qui normalement à l'arrière-plan. Des occasions pour les cinéastes de cimenter l'impression de réalité... Il tente de reproduire cet effet à plusieurs reprises et se plante généreusement, donnant l'impression qu'on a monté bout à bout des rushes des répétitions. L'action se traîne (en cause, certainement, la lenteur du défilement choisi pour le transfert), et que dire de ces moments à faire, où un gros plan bien senti aurait fédéré un peu plus les spectateurs à ce spectacle ennuyeux? Par exemple, au moment où l'abominable traître vient de tuer un homme et essuie le sans sur son épée avec les cheveux de sa maîtresse, appelait une implication de cadre et de montage, qui est ici absente. En lieu et place: un plan général, vite fait mal fait, hop! Les préparatifs du tournoi sont autant de plans qui semblent avoir été tournés par un amateur pendant une parade d'une attraction équestre quelconque... 

Renoir, sans doute, savait ce qu'il faisait, la preuve nous en est apportée par la façon dont il a traité la découverte d'un cadavre, partie importante de l'intrigue mais qui a été jetée par dessus les remparts en même temps que l'infortuné personnage. L'épisode est, là encore, traité en un seul plan: des soldats arrivent, en une grappe grossière. Ils voient le corps, et tous lèvent les yeux vers le haut des remparts: effet comique assuré. 

Je suppose que ce comique est volontaire, sinon, je soupçonne que le metteur en scène de ce film a aussi peu de talent, que, disons, l'acteur abominable qui gâche certaines séquences de, au hasard, Partie de Campagne, La bête humaine et La règle du jeu... Un certain Renoir, Jean.

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir 1928 Muet *
25 août 2020 2 25 /08 /août /2020 16:46

Deux voyageurs arrivent à Alger, et en quittant le bateau, leurs regards se croisent... Claudie Duvernet est venue pour hériter, et Pierre Hoffer pour soutirer de l'argent à son oncle. Repartiront-ils de la colonie, ou vont-ils se trouver un destin local? Mais les cousins de Claudie, qui n'ont pas hérité, eux, vont tout faire pour faire main basse sur la fortune de la jeune femme...

On n'imagine pas, quand on connaît un peu l'histoire, marquée à gauche, du personnage, un Jean Renoir faire la retape pour l'Algérie Française! Et pourtant... En 1929, le cinéaste est bien mal en point, la plupart de ses projets personnels ont débouché sur des échecs commerciaux, et il n'a pas, loin de là, fait ses preuves. Et il n'a plus de toiles du père Auguste pour financer le moindre projet! Il a donc accepté une commande, celle de réaliser un petit film sentimental et d'aventures tourné en Algérie pour y insérer aussi clairement que possible des séquences qui pouvaient lui permettre de vanter les mérites de l'endroit, l'industrialisation bénéfique et bien évidemment, les bienfaits de la colonisation!

Dire que ça l'a désintéressé serait bien en dessous de la vérité, mais l'apprenti cinéaste, par ailleurs cinéphile engagé, se fait plaisir en se consacrant, plutôt qu'à l'intrigue, aux personnages qu'il va aider à se révéler avec une certaine attention sur les détails: on n'est pas un fan de Stroheim pour rien. Et il se réveille lorsqu'il doit diriger ses acteurs en plein règlement de comptes dans le désert. Sinon, pour retrouver le Renoir "historique", il faudra attendre le parlant...

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Muet Jean Renoir *
12 novembre 2018 1 12 /11 /novembre /2018 15:12

Deux hommes, l'un un noble, poète de profession (Georges Pomiès) et l'autre son valet (Michel Simon), sont appelés sous les drapeaux. Une soirée organisée par la maman de Jean Dubois D'ombelle, à laquelle était invité une huile de l'état-major, a eu l'effet contraire à ce qui était escompté, puisque les deux hommes font leur devoir dans la même chambrée. Et si le destin de leur pays est entre leurs mains, je pense que le pays est bien mal parti...

Ils se sont mis à plusieurs (Renoir, son assistant Claude Heymann et Alberto Cavalcanti, un complice fréquent à cette époque) pour adapter une pièce de André Mouézy-Eon et André Sylvane. Je n'ai aucun mal à imaginer la pièce, d'ailleurs, un simple support pour comique troupier... Mais si on peut se demander ce qu'allait chercher Renoir dans un tel sujet, lui qui avait tenté de lancer un naturalisme à la française avec Nana, le visionnage du film nous permet de voir ce que le metteur en scène a plutôt pu tirer de ce sujet ingrat: une pochade, certes, mais dans laquelle il a su insuffler de l'énergie.

Parfois peut-être un peu trop: le réalisateur a encore une fois fait confiance à sa bonne étoile, c'est-à-dire improvisé dans le n'importe quoi ambiant, en décidant en particulier de transcrire SA vision d'une caméra mobile. On est loin de Murnau, mais cette idée de faire jouer ses comédiens, et de lancer le caméraman un peu dans tous les sens, débouche parfois sur des effets burlesques assez réussis. Ca commence d'ailleurs par une scène efficace, et manifestement planifiée, qui oppose les valets (Michel Simon et Fridette Fatton), qui dressent la table en ayant les plus grandes difficultés à se lâcher l'un l'autre, puis dans le même lieu, Jean D'ombelle et sa fiancée sont sagement assis côte à côte sans même se regarder. Chaque partie de la scène commence par le même mouvement de caméra, qui part d'un tableau quelque peu coquin si on sait le regarder, et se termine par un travelling arrière vers le même tableau. Seulement notre opinion est faite: le coeur de Renoir, comme le notre, va à ces domestiques qui vivent leur amour au grand jour...

Sinon, le film est généralement trop long, trop brouillon, trop frénétique et trop loufoque (oui, c'est donc possible!). Mais il est aussi doté d'un antimilitarisme à l'ancienne, dans lequel on tape sur les officiers, et ça, c'est indispensable, surtout par les temps qui courent... une scène hilarante de classes désastreuses nous promène par ailleurs du côté de chez Hal Roach...

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir Comédie Muet 1928 *
11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 16:29

Il n'y avait pas grand chose (à part la fameuse séquence de rêve justement célébrée) dans le premier film de Renoir (La fille de l'eau, sorti en 1924), pour le distinguer du tout-venant! La maladresse "amateur" de l'interprétation comme de la direction, le mélodrame sans âme ni originalité, tout destinait le film à l'oubli... Mais Renoir a tout changé, et si on en croit ses dires (mais sur ce coup-là, on le croit sur parole), il a vu un film, en 1923, qui a changé sa vie, sa vision du cinéma, et l'a persuadé de s'acharner sur un art qui s'était jusqu'alors montré particulièrement ingrat: le film en question est Foolish wives, de Erich Von Stroheim... Ce devait donc être en 1924, car le metteur en scène datait cette vision d'après l'accomplissement de La fille de l'eau... Afin de transposer Stroheim au cinéma (Stroheim qui s'apprêtait à son corps défendant à être de nouveau dans l'actualité, puisque The Merry-go-round, Greed et The merry widow n'allaient pas tarder à faire également leur apparition en Europe), le choix de Renoir aura été de se ruer sur l'inévitable auteur naturaliste le plus évident à travers Zola. 

Dans Nana, Zola s'est livré à un exercice qui selon moi (c'est mon impression et je vous la livre) confine à l'auto-parodie; tout se passe comme si l'écrivain, qui rappelons-le s'est pris à son propre piège de la peinture complète d'une famille, s'était amusé à appliquer à la lettre les méthodes et l'univers qu'on lui reprochait! Il en résulte un roman certes au vitriol, mais qui me donne singulièrement l'impression de rater sa cible, en visant les turpitudes de la bourgeoisie et la noblesse par le biais de la petite gourgandine qui n'en finit pas d'être un miroir déformant assez repoussant des classes les plus populaires. l'idée de Renoir était probablement de se saisir d'un matériau qui pourrait être choquant, tant il avait compris que le cinéma de Stroheim intégrait justement cette provocation: Karamzin, dans Foolish wives, est systématiquement plus vil qu'on n'aurait pu l'envisager dans les films de l'époque... Alors Nana et son cortège de coucheries, de promotion canapé, et sa petite vérole, c'était du bonheur, dans cette perspective. Sans parler du fait que le cinéaste allait pouvoir y transposer sa vision héritée à la fois d'une enfance heureuse, et des films de son idole, des relations ancillaires, un sujet qui ne le quitterait d'ailleurs jamais.

Mais le projet était maudit dès le départ: Catherine Hessling.

L'actrice, bombardée diva, star, vedette, étoile, centre névralgique, est une actrice atroce, surtout dans Nana. Pire: elle doit jouer une actrice qui joue mal... C'est embarrassant, puisqu'on ne voit finalement aucune différence... 

Et puis vouloir être Stroheim, c'est bien joli, mais il faut savoir y faire en matière de montage, en particulier dans le fait de vouloir insérer des détails. Renoir le fait, un peu, mais le plus souvent, il nous éloigne de l'action en cadrant le décors certes impressionnants mais aussi étouffants, du film; une scène d'extérieurs se plante dans les grandes largeurs parce qu'on VOIT que c'est en studio, et parce qu'elle dure 15 minutes, pour trente secondes d'intérêt. L'éclairage ne tient pas debout, et les acteurs sont gâchés...

Il y a des qualités, dans ce film, malgré tout, maintenant qu'on peut le voir dans une version plus respectueuse aussi bien de sa continuité que de sa vitesse de défilement (contrairement à ce qui se passe souvent, le film gagne à être vu à un rythme pas trop rapide, rétablissant les tensions, notamment dans le contraste entre le jeu outrageusement affecté, c'est un euphémisme, de Catherine Hessling, et la lenteur calculée de Werner Krauss. Le sous-texte sur les domestiques est très réussi, grâce à Valeska Gert en particulier. L'ironie du cinéaste rejoint souvent celle de l'écrivain, et Jean Angelo garde une certaine prestance qui sied à son personnage... mais tout ceci reste trop dans l'ombre de l'une des pires interprétations de l'histoire. 

Notons pour finir, qu'en raison de la présence de Renoir, ce film plus que médiocre a bonne presse, et a fait l'objet d'une impressionnante restauration. Passons...

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir 1926 Muet **
26 octobre 2018 5 26 /10 /octobre /2018 09:23

...Et donc, après n'avoir intéressé personne avec La fille de l'eau, et après avoir monté un Nana dispendieux mais sans rencontrer le succès (ce qui s'expliquerait sans doute facilement: il suffit de voir le film), Renoir songeait selon ses propres dires à abandonner le cinéma. Il aurait voulu être Stroheim, il ne le serait pas, donc pourquoi continuer? Avec son épouse Catherine Hessling, ancienne modèle de son père, il a donc décidé de faire ses adieux au médium... en tournant un dernier film! Un court métrage burlesque ou avant-gardiste, à vous de voir, qui mette en scène Catherine Hessling en danseuse court-vêtue...

2028: un explorateur Africain (Johnny Huggins) débarque en aéronef dans la capitale dévastée d'un pays inconnu; il se pose sur une colonne Morris dont sort une jeune femme qui se met à danser. L'explorateur, épaté, décide d'apprendre ce mythique "Charleston" dont le secret s'était perdu...

Le film aurait pu, en quelques minutes, être au moins charmant. IL dure 21 minutes, et c'est un affreux pensum, dans lequel ni la star, ni le metteur en scène, n'ont la moindre idée nouvelle pendant environ les 18 minutes que le court métrage met à se finir. Catherine Hessling, et c'est l'un des secrets de son atrocité, est physiquement à côté, mais ça se voit, elle est aussi parfaitement satisfaite et confiante en sa capacité à danser. Du coup, elle ne s'arrête jamais... Et si Renoir a eu l'intelligence d'engager pour jouer son Africain un danseur noir, on peut quand même se gratter l'occiput pendant un certain moment pour essayer de justifier cette idée qui consiste à montrer Catherine Hessling apprenant le Charleston à un danseur Afro-Américain. Même si ce n'était pas l'intention, ça nous rappelle un peu les critiques musicaux du Figaro d'antan, cités par Boris Vian, qui se plaignaient que les "nègres" (sic) qui jouaient du jazz  ne savaient pas jouer de leurs instruments. Bref: bof.

Le plus rigolo, c'est qu'à l'issue de ce film, Renoir a été engagé pour tourner Marquitta, un film perdu aujourd'hui, selon toute vraisemblance. Hessling n'y jouait pas: dommage.

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Published by François Massarelli - dans Muet Jean Renoir
26 octobre 2018 5 26 /10 /octobre /2018 09:04

Les années 20 auront été le théâtre, en Europe et surtout en France, de l'éclosion inattendue d'un grand nombre de cinéastes auto-proclamés. Inattendue parce que dès cette époque, ce qu'on appelle aussi le septième art est quand même déjà, de façon évidente, une industrie, et que la vaste majorité des metteurs en scène sont des techniciens ayant appris leur métier en studio: alors qu'avec Renoir, Chomette, mais aussi le jeune Carné ou encore Man Ray on parle de passionnés, qui ont sauté le pas, trouvé un financement, et commencé une carrière... Qui pour certains allait les mener loin.

Le financement des premiers films de Renoir (et avant celui-ci, du long métrage Catherine ou une vie sans joie d'Albert Dieudonné, produit par le fils du peintre) était lié à son patrimoine: besoin d'argent? Vite, vendons quelques tableaux! Ce qui lui a permis effectivement de réaliser ce film, mais aussi de s'imposer sans trop rencontrer de résistance comme le patron: tant mieux, parce que sinon il était mal parti...

Gudule (Catherine Hessling) est une "fille de l'eau", qui vit sur une péniche avec son père et son inquiétant oncle (Pierre Philippe). Un jour, le père disparaît, tout bêtement tombé de la péniche et noyé... L'oncle hérite de l'affaire et ne tarde pas à tout perdre en plongeant dans l'alcool... Il aura juste le temps de tenter de violer la petite avant. Elle s'enfuit, est recueillie par des gitans, qui rencontrent un problème avec la population locale, ce qui pousse la jeune femme à retourner sur les routes. Elle est finalement recueillie par une famille de braves gens, dont le fils (Harold Lewingston) en pince pour elle. Mais l'oncle refait surface et demande de l'argent...

Il y a un passage que l'histoire du cinéma a estampillé "incontournable", à peu près au centre du film: c'est un rêve délirant, qui a été influencé sans aucun doute par la vision du Brasier ardent, d'Ivan Mosjoukine: ce film génial de 1923 est celui qui lui a donné l'envie de faire du cinéma... Le rêve n'a ni queue ni tête, mais c'est effectivement une concentration d'idées qui n'ont pas peur d'être saugrenues, bien enchaînées les unes aux autres... Et la scène du viol, un sujet qui décidément semble inspirer le cinéma, Renoir montre qu'il a compris le montage, et comment associer le spectateur à ce qui lui est montré.

Mais pour le reste, ce film vaguement naturaliste est d'un inintérêt généralisé. Catherine Hessling est atroce (je lui taillerai un costard un autre jour, et puis c'est tellement facile), mais à sa décharge, elle n'était pas comédienne, après tout. Pas plus que tous les autres protagonistes, pas plus du reste que Renoir n'était un cinéaste. En 1924 du moins, car parfois, pas souvent mais parfois, ça se discute.

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Published by François Massarelli - dans 1924 Muet Jean Renoir **
11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 16:52

Je vais pour commencer être très désagréable, en donnant à lire ma conviction profonde: je n'aime pas Renoir. C'est comme ça, le décalage entre le génie officiel, imposé aux cinéphiles par les autres amateurs-escrocs du cinéma Français, les Truffard, Chabraud ou Godrol, et la réalité d'un cinéma mal fagoté de la main gauche dans lequel les acteurs finissent par jouer tous aussi mal que le metteur en scène (voyez sa prestation dégueulasse dans Partie de Campagne, La Bête Humaine, ou dans l'ennuyeux chef d'oeuvre officiel La règle du jeu), m'apparaît si évident, que je continue à me demander comment il peut ainsi faire illusion.

Si j'ose dire...

Mais les apparences, dans un pays ou la critique préfère juger selon les chapelles et sur les intentions, ont la peau dure, et il convient de bouder Clouzot et Duvivier, et d'encenser Renoir. Quelques fois, ça marcherait presque, car certains films ont atteint une certaine grandeur, je pense à La grande illusion bien sûr. Mais les années 50 sont selon moi pour Renoir un insoluble naufrage, dans lequel il tourne ce qu'il veut, comme il veut, dans l'indigence d'autant plus satisfaite qu'il est un des maîtres officiels du médium. Et devant l'ennui insondable qui me saisit à la vision de Le fleuve, Le carosse d'Or, Elena et les hommes, ou Le déjeuner sur l'herbe, je me sens bien seul... Sauf qu'il y a French cancan.

Ah oui, ça French cancan, le premier film tourné à Paris après tant d'années en exil (Un petit souci technique dans sa situation maritale empêchait Renoir de revenir, pour être exact), est une merveille, une grande réussite, dans laquelle on serait prêt à suivre tous les zélateurs serviles, s'ils savaient vraiment de quoi ils parlent: cette histoire, traitée dans un magnifique Technicolor, d'un patron de gargotes qui par intuition, va lancer le monde du spectacle dans le tourbillon du Cancan, est toujours aussi prenant, toujours aussi plein de vie. Et le bordel total des tournages de Renoir, qui habituellement débouche sur de médiocres machins, nous amène enfin à une fiesta bouillonnante de sève, dans laquelle le metteur en scène a su fédérer les enthousiasmes, doser le côté brouillon. On y croit, on y est, et le monde du spectacle vu avec tant de tendresse, par l'oeil d'un peintre (bien plus que dans l'assez ridicule soit-disant hommage à son père, le Déjeuner sur l'herbe) est saisi dans toute sa vérité: la canaille, la naïveté, le travail, l'acharnement, le doute, comme dans les meilleures comédies musicales en somme. Et l'émotion n'est jamais très loin, comme lorsque enfin, le Moulin rouge est ouvert, et le patron Danglard, fatigué, se laisse aller comme un gosse à jouer de la gambette comme ses danseuses...

Gabin, ici, c'est l'anti-Gabin. je m'explique: après la guerre, l'acteur va entrer dans le costume du patriarche, et y rester une fois pour toutes, faisant siens les rôles de vieux restaurateur (Voici le temps des assassins), de vieux flic (Le pacha), de vieux truand (Le cave se rebiffe), sans jamais laisser quoi que ce soit au hasard... sauf dans trois films: Le plaisir d'Ophuls, Touchez pas au grisbi de Becker, et celui-ci. Il y est admirable, comme d'ailleurs tous les acteurs, de ceux qui occupent le terrain en permanence, de Françoise Arnoul à Maria Felix, ou qui sont un peu plus dans le coulisses comme Philippe Clay, voire au fond comme Jacques Jouanneau et Gaston Modot. On se souviendra de tous.

Et puis le film est aussi une sorte de comédie musicale (le générique le revendique d'ailleurs explicitement) dans laquelle la musique et la chanson, notamment interprétée par Philippe Clay, sont parties intégrantes de la vie et de la folie tourbillonnante: Clay a beau annoncer qu'il va jouer le rôle de choeur antique, pour moi ça ne fait aucun doute, son personnage aurait, dans la vraie vie, réellement chanté comme il le fait! Toute cette, vie, ce que Danglard, fin entrepreneur appelle "le théâtre", c'est à la fin du film que sa raison d'être se révèle au spectateur de façon explosive: pendant que Danglard n'ose même pas se rendre dans la salle de son établissement où un Cancan de tous les diables provoque un triomphe, on le voit reprendre un à un les mouvements de l'orchestre, inspiré et désireux d'entendre son oeuvre se dérouler... sans lui. Parce que c'est une oeuvre: une danse ici, ou pourquoi pas un tableau, ou un film, qui désormais sorti de l'esprit de ses concepteurs, appartient à tous...

...Allez, on y retourne!

 

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir
4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 16:02

C'est pour honorer une commande que Jean Renoir a tourné ce film. Ca peut sembler inattendu, pour quelqu'un qui a déjà, de son propre chef, tourné une adaptation de Zola qu'il a voulue très personnelle (Nana, 1926), et qui a ensuite visité les oeuvres de Maupassant (Un dimanche à la campagne, 1936) ou Flaubert (Madame Bovary, 1933). Mais en cete fin des années 30, les préoccupations de Jean Renoir sont ailleurs, comme chacun sait: son pacifisme déclaré (La Grande Illusion, 1937), ses orientations politiques de plus en plus à gauche (La Marseillaise, 1938) l'éloignent de l'adaptation de classiques. Après cette adaptation de Zola, il tournera La règle du jeu, un film (Jugé sublime par le reste de l'humanité et indigent par moi-même, mais c'est un autre débat) qui ironise sur l'état des lieux en cette année 1939...

Quoi qu'il en soit, avec un film ferroviaire à faire, les producteurs de la future adaptation (Les frères Hakim), qui ont déjà Gabin pour interpréter Jacques Lantier, écoutent celui-ci et confient cette adaptation à Renoir, qui choisit alors de situer le film en une période contemporaine. Le résultat est une véritable épure, et un film noir modèle dans lequel Renoir choisit de diriger ses acteurs en leur demandant d'en faire toujours moins... Il commence son film par cinq minutes d'une vision d'hommes au travail dont le ton est proche du réalisme poétique: carette et Gabin donnent l'impression d'être filmés à la tâche, et Claude Renoir, opérateur sur le film, disait que les séquences de ce type (Nombreuses dans le film) étaient parfois dangereuses à filmer et interpréter.

Revenant à zola, Renoir semble s'approcher de deux modèles précis. IL est inévitable que ce film adapté du père du naturalisme donne parfois l'impression de revisiter l'arrière-cuisine d'Erich Von Stroheim, dont Greed était comme chacun sait une adaptation de McTeague, un roman majeur du principal naturaliste Américain, Frank Norris. Le meurtre perpétré par Lantier en particulier semble citer certains plans d'une oeuvre qui a toujours été citée en modèle par renoir. Mais celui-ci est ici également proche de Carné, dont il semble revisiter un peu l'univers noir de charbon...

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir