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C'est la nuit... André Jurieux (Roland Toutain), un aviateur atterrit au Bourget. La presse est là, un public disparate et excité le fête mais lui est au fond du désespoir: il a accompli un exploit impressionnant, mais c'était pour une femme, et elle ne s'est pas déplacée, lui dit son ami Octave (Jean Renoir).
Christine, la femme en question, a entendu à la radio le désespoir de son amant... Elle finit de se parer, et rejoint son mari, le marquis de La Chesnaye (Marcel Dalio). Ils habitent une grande demeure, ils se vouvoient, et ils sont richissimes... Lui sait qu'il y ait un semblant de liaison mais n'en fait pas grand cas.
De son côté, il téléphone avant de sortir avec son épouse, à sa maitresse...
La ronde n'ira pas beaucoup plus loin mais le film est posé: il y aura une monumentale partie de chasse organisée, on y parlera d'amour, de la société, des inégalités, de réussite frelatée et de ratages embarrassants.
L'amour? Compliqué, et mal parti: bien qu'on soit à l'époque moderne, il n'en reste pas moins que les mariages sont parfois mal assortis. Et les amants ou autres amis amoureux ne sont pas beaucoup mieux lotis. Car si Jurieux aime Christine de la Chesnaye, Octave aussi est amoureux de la jeune femme. Le marquis de la Chesnaye aime-t-il sa femme? Comme sa maîtresse Geneviève (Mila Parély) lui signale, citant Chamfort, que "l'amour, c'est la rencontre de deux fantaisies, et le contact de deux épidermes", ce qui semble disqualifier la relation un rien froide des deux époux. De son côté, Octave a semble-t-il une relation avec Lisette (Paulette Dubost), la bonne, qui est mariée à Schumacher (Gaston Modot), le garde-chasse du château des La Chesnaye. Et pour compléter le tableau, Octave qui est semble-t'il le trait d'union entre les différents personnages, doit aussi gérer les amours distants entre Christine et André, mais aussi entre le marquis et Geneviève! Le film accumule ainsi les conversations autour des marivaudages...
Des marivaudages à la mode du vingtième siècle, car ici les classes se mélangent... Un peu. Disons qu'elles ont à faire les unes avec les autres. Christine a épousé le marquis de La Chesnaye pour s'élever, mais c'est un mariage sans amour. Tous ses amis sont plutôt des gens de la société civile, comme on dit. Chacun des protagonistes, à l'exception d'Octave qui fricote avec la bonne, et a des discussions sur beaucoup de choses avec son amie Christine, tous restent quand même sur un certain niveau... Et même schumacher, le garde-chasse, doit accepter la présence d'un subalterne, le braconnier Marceau (Julien Carette), qui lui en fait voir de toutes les couleurs... Et pour s'lever, hors le mariage, pas beaucoup de solutions, si ce n'est le sport. D'où l'exploit, bien de son temps (douze ans après Lindbergh), de Jurieux... Mais le marquis,qui a le sens des contradictions, se prend d'amitié pour Marceau qu'il engage... Au grand dam de son employé qui conçoit la chose comme une insulte personnelle...
"cette petite Christine a de la classe. ca se perd, à notre époque!", dit un invité de la partie de chasse, un général... Derrière cette "classe", la réussite, donc, est sociale, financière (les La Chesnaye sont riches, et organisent des fêtes et des réceptions impressionnantes... comment s'étonner après que chacun reste à sa place en les fréquentant? Pourtant, la réussite n'est jamais complète. Christine a acquis un statut par son mariage, mais au détriment des sentiments. André a réussi une traversée en vol, qui épate tout le monde, mais le considère comme un échec. D'ailleurs, quand il arrive au château, Jurieux arrive sous une pluie battante, ce pauvre garçon n'a décidément jamais de chance... Et les domestiques qui sont réunis à manger entre eux, commentent à leur façon sur les strates supérieures et leurs patrons. Certains décernent d'ailleurs des certificats d'homme du monde à leurs anciens maîtres. Et c'est aussi lors de ce dîner des domestiques qu'on apprend que le marquis de La Chesnaye a des oigines, comme on disait alors (et comme l'extrême droite de dire parfois continue de dire parfois pour cacher son antisémitisme virulent), "cosmopolites". Il a eu des Rosenthal dans sa famille... Cela fait-il de lui un cousin du héros déjà joué par Dalio, de La Grande Illusion?
"Les mensonges, c'est un vêtement très lourd à porter" dit Christine dans sa première scène, qui parle d'ailleurs avec sa bonne (elle aussi, comme Octave, semble prompte à oublier les barrières de classe). Une lassitude par rapport à une histoire d'amour qui la tente mais dont elle ne veut pas, ou par rapport aux obligations de classe, pour lesquelles la "règle du jeu" est, justement, le mensonge? en posant ainsi, à l'orée d'une série apparemment innocentes de considérations sur les amours potentielles ou réelles, Renoir place en exergue de son film un portrait au vitriol de toute une société, de tout un monde. Pas vraiment surprenant, dans ce cas, que la droite et l'extrême droite (pas beaucoup de différences durant la 3e république) ait sauté sur le film à bras raccourcis avec une phénoménale virulence... C'est au cours du deuxième acte que Renoir s'est montré particulièrement méchant avec cette bonne société en montrant les élites se livrer à la chasse comme on fait un jeu de massacre... une chasse sitôt finie, sitôt oubliée par le marquis.
Et comme chacun sait sans doute le film a eu un destin particulier, qui en fait d'ailleurs une exception: coupé (avec l'approbation de Renoir, semble-t-il) en 1939 avant sa sortie après des premières désastreuses, réduit de 94 à 81 minutes, il a été remonté et ressorti dans une nouvelle version plus longue en 1959: c'est désormais une version de 106 minutes, qui d'ailleurs pose des problèmes: si certaines scènes étaient absentes en 1939, et que Renoir ne souhaitait pas les présenter à l'origine, fallait-il les intégrer? On n'aura pas de réponse, la version remontée en 1959 ayant été confectionnée avec le soutien plein et entier eu metteur en scène.
Un film étrange, fascinant, une comédie qui ne nous fera pas souvent rire, ou alors jaune... S'il visait sans doute juste en 1939 et était un état des lieux de la société de l'époque, aujourd'hui on n'a parfois pas toutes les clés. Mais au sein de l'oeuvre de Renoir, il brille d'un éclat assez singulier. Un fim typique par ses thèmes, mais aussi ses motifs (amours ancillaires, arrivisme, observation ironique, spectacle amateur, déguisement...). Mais un film qui tranche aussi, en une décennie de films combatifs (notamment ceux qui prennent fait et cause pour le Front Populaire, ou qui affirment leur pacifisme), par sa noirceur... Trop subtil, trop riche, trop tout, le film a fini par quitter son statut de film maudit pour devenir le chef d'oeuvre officiel, ce qui est sans doute, aussi lourd à porter... que les mensonges...
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