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13 février 2022 7 13 /02 /février /2022 08:36

2045: l'humanité se repose énormément sur ses AI et autres robots du quotidien; d'un côté, les foyers dépendent de leurs domestiques mécanisés, depuis le compagnon électronique des enfants jusqu'à la bonne (Claude Perron) en plastique avec circuits intégrés... La sécurité extérieure est confiée à des androïdes ultra-perfectionnés, les Yonix (François Levantal). Dans la maison d'Alice (Elsa Zylberstein), celle-ci reçoit un prétendant assez entreprenant, Max (Stéphane De Groodt) et son fils Léo (Elie Thonnat), quand son ancien Mari Victor (Youssef Hadji) débarque avec sa secrétaire au QI de poule d'eau (Claire Chust) et Nina (Marysole Fertard), la fille qu'Alice et Victor ont adoptée. Ne reste plus à Françoise (Isabelle Nanty), la voisine qu'à apparaître et tout le monde sera là: les robots d'intérieur décident d'enfermer tout le monde, suite à une révolte extérieure des Yonix. Seulement tous ces gens n'avaient pas forcément envie de passer tant de temps ensemble...

On l'attendait depuis 9 ans, depuis la sortie dans l'indifférence générale de T.S. Spivet. Mais Jeunet retourne donc à la comédie et aux comédiens français, en compagnie du fidèle Guillaume Laurant, qui a collaboré avec le metteur en scène à des degrés divers depuis 1995 et La cité des enfants perdus... L'intention, affichée durant les quatre années de genèse du film, était de railler l'obsession technologique actuelle, la dépendance aux gadgets et la perte d'humanité qui en découlerait: un sujet en or pour Jeunet, finalement, qui a toujours flirté avec ce sujet sous diverses formes: steampunk avec La cité..., réalisme poétique des années 90 avec Delicatessen, et même dans Un long dimanche de fiançailles, il traitait de la première guerre mondiale comme d'un fléau technologique déshumanisant. La perspective d'un groupe humain uni dans l'adversité technologique était également alléchante pour qui avait vu le tendre Micmacs à tire-larigot...

Mais Jeunet a été rattrapé par son époque, et si le film s'est fait effectivement grâce à Netflix d'un côté, grâce aux nouvelles technologies de pointe en matière d'infographie (ce qui est assez ironique, en vérité) de l'autre, le fait est que le budget a manqué. Tourné en studio, le film ne bénéficie pas non plus toujours d'être un huis-clos (même si ça reste l'un des sujets du film...), à plus forte raison avec des personnages que pour la plupart on a tendance à détester cordialement, voire sans aucune cordialité pour certains. On appréciera finalement beaucoup plus la bande des robots domestiques, qui sont tous plus intelligents et sympathiques, et dont on se demande, au vu de leurs "maîtres", pourquoi ceux-là peuvent bien rêver d'être humains: ah, au fait, le fidèle André Dussolier est là, avec sa voix, et Dominique Pinon aussi, mais sans ses yeux.

Donc cette fois, derrière la boîte à gâteaux (sans gluten et probablement labellisés vegan), on voit quand même un message assez narquois sur le devenir de l'humain... Et aussi sur la vie en plein confinement, bien sûr: car dans ce film réalisé par Jeunet derrière un masque, ce n'est sans doute pas un hasard si à l'issue d'un confinement de fait, la première blague tentée par Einstein (André Dussolier) est un petit canular autour d'un résurgence du Covid!

Sinon, il y a comme d'habitude une femme-enfant, la représentation d'une sexualité bruyante, tellurique et contrariée, des blagues à deux balles assumées (une vache demande à un âne son nom, "Bob", dit l'âne), des dialogues qui tentent d'être inventifs, et le sont parfois, deux amoureux qui seront la clé de voûte de l'ensemble (les deux petits, Léo attaché au futur, et Nina obsédée par le passé), des inventions mécaniques conçues et montrées avec amour, et une affection sans borne pour le cinéma d'antan (pêle-mêle, référence à Raimu, un extrait du Club des soupirants, de Maurice Gleize, vu sur un écran, allusion -inévitable- à 2001 de Kubrick, et un dialogue des Enfants du Paradis, dans une séquence désynchronisée, comme presque tous les dialogies entre amants du film). On aura aussi, bien entendu, des enchaînements loufoques, des décrochages dus aux copains, apparition de Dominique Pinon avec la complicité d'Isabelle Nanty, et Albert Dupontel en fou furieux à la télévision...

...mais peut-être le metteur en scène a-t-il un peu trop serré son budget, et c'est triste à dire: ça ne lui va pas du tout... Va et peut-être un enthousiasme un peu excessif face à un film qui est quand même en deça de ses oeuvres majeures, malgré une invention technique et un savoir-faire de tous les instants.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet Comédie
27 avril 2018 5 27 /04 /avril /2018 13:46

Ce projet à part de Jean-Pierre Jeunet est un très court film d'animation, basé sur le poème de Jacques Prévert, Chanson des escargots qui vont à l'enterrement. Jeunet en a construit les marionnettes et écrit le sujet, qui est finalement très simple: des animaux (tous construits en matériaux de récupération) déclament chacun un vers du poème, et leur voix est systématiquement celle d'un acteur ou d'une actrice de la "galaxie" Jeunet (ils sont tous là, ou presque: Serge Merlin, Jean-Claude Dreyfus, Yolande Moreau, Audrey Tautou, Jean-Pierre Marielle...). le résultat est de la pure poésie.

Mais le film ne s'est pas fait simplement: Jeunet en est le principal inspirateur, et le concepteur de chaque plan, alors que Romain Segaud en a effectué l'animation, qui est en apparence simple, mais en réalité splendide. A l'heure de sa "muséification", alors que les nouveaux projets se sont raréfiés au point qu'il n'en a officiellement plus (on croise les doigts), Jeunet s'autorise une halte au vert pays de sa jeunesse d'animateur... sans rien céder de son propre univers.

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Published by François Massarelli - dans Animation Jean-Pierre Jeunet
31 octobre 2017 2 31 /10 /octobre /2017 00:10

Un cinéaste doué et inventif met son imagination débordante au service d'une histoire touchante et drôle, celle d'une personne inventive et farfelue, mais qui a besoin d'un petit coup de pouce dans la vie... Jeunet touché par la grâce, ce n'est pas la dernière fois, ce n'est pas la première fois... Mais on y revient avec joie.

Et pour commencer, à replacer ce film dans le contexte des longs métrages de Jeunet, il y a de quoi être surpris: les trois premiers films du metteur en scène sont systématiquement placés dans un contexte proche de la science-fiction, même si les deux premiers restent sérieusement mélangés à des bribes de réalisme poétique (Je sais pour l'avoir vu dans un documentaire, Jeunet a une affiche originale de Quai des brumes dans son bureau, ce n'est donc pas un hasard...), mais à un dosage différent. Et tout à coup, le metteur en scène a ressenti le besoin de resserrer les boulons, et de se reconstituer un univers plus personnel. Plus personnel en tout cas que le cauchemar logistique d'être aux commandes d'un film dont tout lui échappe (Alien Resurrection, 1997). D'où le retour à Paris, et aussi le retour de la "famille" Jeunet: désormais, le metteur en scène partagera sa plume avec Guillaume Laurant, et il fait appel à des gens qui ne sont pas des petits nouveaux. Acteurs, bien sûr: nombre d'entre eux sont déjà passés par là. Mais aussi Amélie Poulain consacre le retour de Bruno Delbonnel, le chef-opérateur des courts métrages...

Amélie, tout le monde la connait. ...Mais à l'en croire, personne ne s'intéresse à elle... Elle est serveuse au café des Deux moulins, à Montmartre. Et un jour, un hasard la met sur le chemin d'une vieille boîte oubliée par un gamin des années 50, dans l'appartement qu'elle occupe désormais. Elle trouve le moyen de la faire revenir à son propriétaire, et elle l'observe de loin. Sa réaction, une grande émotion, pousse la jeune femme à tenter de récidiver, et à améliorer un tant soit peu le quotidien de ses voisins, de son père, et d'autres quidams... Mais elle en vient très vite à la conclusion qu'il faudrait qu'elle s'aide un eu elle-même, d'autant qu'elle a presque rencontré un garçon dont tout porte à croire qu'il est fait pour elle et réciproquement. Tout est pour le mieux, alors? Non, car Amélie Poulain a un gros problème: se confronter à a réalité des choses lui est quasi impossible...

Cet univers est plus réaliste que celui de Delicatessen, c'est une version à peine revue et corrigée du monde contemporain, mais vu à travers une nappe à carreaux, une boîte à gâteaux légèrement poussiéreuse, ou une émission de télévision d'autrefois. Le décalage léger sied bien à Jeunet qui peut ainsi laisser ses acteurs véhiculer eux-même la poésie par leurs actions, leurs dialogues voire leurs principes. Des acteurs reviennent une fois de plus, dont Rufus en père soucieux, Ticky Holgado qui fait une savoureuse apparition, ou bien sûr Dominique Pinon en amoureux ombrageux. La encore, les micro-univers de tous ces gens se croisent, au fur et à mesure de la progression des manigances d'Amélie-Audrey Tautou. Le fin fond du film reste bien sur marqué par sa jolie histoire d'amour avec Nino (Mathieu Kassovitz), dont la serveuse Gina dit qu'il ne peut qu'être bon, puisqu'il connait ses proverbes... Tout le film est une fois de plus un kaléidoscope sur le droit de chacun au plaisir, fut-il d'orgueil (L'écrivain Hipolito, interprété par Artus de Penguern, jamais publié qui découvre au hasard d'une rue de Montmartre une citation signée de son nom sur un mur), d'amour (le fait d'indiquer avec un doigt naïf les endroits on l'on souhaite être embrassé), de collectionner les objets les plus hétéroclites (Cette tendance de Nino renvoie à un personnage de Foutaises, le "cousin de Gueugnon". Gueugnon est d'ailleurs cité dans le film, et c'est une tendre private joke pour Jeunet...). Et puis bien sur, il y a pour Jean-Pierre Jeunet resté trop longtemps en studio avant son quatrième long métrage, le plaisir de filmer Paris, les balades dans Montmartre, ou de s'asseoir sur les toits pour compter les orgasmes simultanés de quinze personnes...

Alors bien sûr, on est parfois tombé à bras raccourcis sur ce film, suspect parce qu'il a été un phénomène populaire, et qu'il a eu un énorme succès. Jeunet revendique d'ailleurs son cinéma comme étant ludique, par opposition à une frange intellectuelle de la critique française. Soit. Mais vouloir croire qu'on puisse limiter ce film au plaisir qu'on a à la voir, fut-il immense, c'est tout de même un peu court. D'une part parce que si Delicatessen était une sorte de définition de la direction dans laquelle Jeunet (Avec Caro) souhaitait aller dans la première décennie de son métier de metteur en scène établi, le moins qu'on puisse dire est que ce Fabuleux destin d'Amélie Poulain est un nouveau départ, qui anticipe sur tous les films qui ont suivi. Un nouveau Jeunet, donc? Pas si vite: d'une part, il y a entre Delicatessen et Amélie plus d'un point commun, et Amélie renvoie aussi à deux courts métrages, d'ailleurs tournés sans le concours de Marc Caro à la mise en scène: Pas de repos pour Billy Brakko, 1983, et Foutaises, de 1989. Au premier, Jeunet reprend une tendance éblouissante au montage virtuose (Image ET sons) qui va être très importante du début à la fin de ce nouveau film. Et à Foutaises, déjà cité plus haut, Jeunet reprend l'idée du "J'aime, j'aime pas", qui lui permet avec bonheur de placer des personnages dans son exposition, grâce à la narration de André Dussolier. Et si Jeunet s'est lancé en effet dans ce que les anglo-saxons auraient appelé un "feel-good movie", il n'en oublie pas les petites piques à ses semblables: les vieux couples qui s'engueulent, les parents trop prévenants qui sabotent le caractère d'un enfant et rendent leur fille totalement incapable de s'ouvrir au monde, les méchants (Représentés par l'affreux Collignon). Mais Amélie/Jeunet leur réserve des tours de cochon. Oui,car Amélie ne se contente, après tout, pas de faire le bien autour d'elle... Comme le fil rouge du film, Lady Diana, dont la mort signe le point de départ du film, Amélie doit se situer constamment sur le fil, entre faire le bien, et la préservation de sa vie privée... Bien maigre, cette dernière!

Et le film, qui peint le monde tel que Jeunet aurait aimé qu'il soit, nous apprend en deux heures de pur cinématographe, images et son, montage, musique, ralenti et accéléré, avec animation en 3D, regards caméra et autres brèches dans le quatrième mur, à cesser de vivre dans le passé, à en faire enfin table rase et à vivre tout court. Il repose sur une actrice qui a un lourd travail: incarner à la fois l'héroïne du film, et son point de vue permanent (Le nombre de fois qu'elle nous prend à témoin!). Et comme tout ceci se passe plus ou moins dans son ressenti, elle n'est définie que par ses actions et réactions, contrairement à ceux qui se présentent, comme M. Dufayel (Serge Merlin) et sa maladie, ceux qui sont présentés par les autres, comme le pauvre Lucien (Jamel Debbouze) qui s'en prend plein la figure, ou bien sur Nino qui est introduit par sa collègue. Mais Audrey Tautou est excellente, car elle utilise, comme les enfants que Jeunet sait si bien diriger, son instinct d'abord et avant tout. Et le film, d'anecdote en anecdote, file tout seul, parce qu'il joue sur tous les aspects du souvenir, et tous les sens. Je jure que dans ce film, on a tout: il y a des images, des sons, et... de la substance et même, même des goûts (Poulet, café) et des odeurs: celle des légumes traités avec amour par Jamel, par exemple. Ou encore celle des gares. Celle du café des Deux Moulins... On y retournera, comme on retourne vers Carné, vers Tati, ou Clouzot. Parce que Jeunet a trouvé certains secrets du cinéma éternel. Voilà.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet Comédie
30 octobre 2017 1 30 /10 /octobre /2017 17:10

Adapté d'un roman de Reif Larsen, intitulé The selected works of T.S.Spivet, ce film de Jean-Pierre Jeunet est sa deuxième aventure anglophone, mais là s'arrête la comparaison avec Alien resurrection! Sous le patronage de Gaumont, avec son complice Guillaume Laurant, son co-scénariste sur tous ses films depuis Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, en compagnie de ses collaborateurs attitrés, Jeunet a tout fait pour que ce long métrage Franco-Canadien tourné aux Etats-Unis, notamment dans le Montana, reste son oeuvre, porte sa marque. Bref, c'est un film de Jean-Pierre Jeunet du début à la fin. Même si on pense ça et là à un autre réalisateur, ce qui n'est sans doute pas un hasard, mais plus un profond lien, un véritable cousinage entre les deux artistes... j'y reviendrai.

Tecumseh Sparrow Spivet (Kyle Catlett), plus communément appelé T.S., est un enfant de dix ans qui a des capacités d'invention phénoménales. Depuis son plus jeune âge, il se passionne pour la science et ses possibilités. Au point d'en développer une certaine frustration, puisque les professeurs auxquels il est confronté dans son coin du Montana ne manifestent qu'un sentiment évident d'insécurité face à ce gamin qui les écrase tous de sa supériorité. Mais le simple fait de les écraser n'est pas son plaisir, non, il souhaite présenter ce qu'il sait faire, et à ce titre a envoyé en secret une invention au Smithsonian Institute de Washington.

Sa famille est assez pittoresque: son père (Callum Keith Rennie), "né 100 ans trop tard", veut absolument se contenter de la vie d'un cow-boy; sa mère (Helena Bonham Carter), entomologiste, étudie avec acharnement tous les insectes qu'elle peut trouver; sa soeur, Gracie (Niamh Wilson), souhaite ardemment partir du Montana par la plus grande porte qui soit, et voudrait participer à tous les concours de beauté imaginables, au plus grand désespoir de sa mère... Enfin, Layton (Jakob Davies), le frère jumeau de T.S., qui tenait clairement de son père, est mort. Et à ce sujet, T.S. a un secret, mais il ne va pas nous le déballer aussi vite, non.

Quand il reçoit une invitation du Smithsonian Institute à accepter un prix pour son invention, une machine à créer le mouvement perpétuel, T.S. comprend bien que ses interlocuteurs croient donner le prix à un adulte. Devant la possibilité d'un embarras, d'un malentendu dont la conséquence serait l'annulation pure et simple de sa participation au prix, il prend la décision inévitable: partir en douce pour Washington, avec l'ingéniosité qui le caractérise. Pour le reste, on verra bien...

Le film a donc choisi un point de vue et n'en dévie quasiment jamais. Mais T.S. n'est pas à proprement un narrateur omniscient, car le moins qu'on puisse dire est qu'il se fait un film, comme on dit souvent. Il vit dans une réalité altérée, souvent adoucie par rapport au grand drame de sa vie, et celui de sa famille: la mort de Layton. T.S. s'en sent responsable, comme on le verra quand il osera, pour la première fois, en parler... Mais il n'est pas différent des autres membres de sa famille, qui ont juste poussé un peu leurs intérêts respectifs (La vie à la dure dans l'ouest, l'entomologie, les concours de beauté) dans le but d'oublier... 

Pourtant, le film n'est pas soumis à un rythme mortifère, pas plus qu'il ne se contente d'être un "road-movie". Jeunet étant en contrôle, il n'est pas venu sans son univers bien particulier, qu'il doit ici adapter, c'est vrai, aux magnifiques paysages de l'Ouest! Et de fait, la partie du voyage durant laquelle T.S. est passager clandestin dans un camping-car véhiculé sur un train, contraste de façon impressionnante avec la poésie urbaine qui caractérise souvent les productions du metteur en scène. Mais si on a parfois un peu peur que le plaisir de tourner dans les grands espaces ait fait perde le sens de la mesure à Jean-Pierre Jeunet, on constatera que le voyage est émaillé de rencontres... dont une avec un vagabond interprété par Dominique Pinon, on ne se refait pas. Et T.S. laisse son imagination (galopante...) faire le reste, et c'est là que Jeunet s'amuse, avec des incrustations qui tiennent lieu de split-screen, un effet qu'on a déjà vu dans ses trois derniers films. Car Jeunet, ici, n'oublie jamais de triturer l'image à sa guise afin de nous inviter dans la tête de son héros. A ce sujet, une fois de plus on est impressionné par le travail de Jeunet avec un enfant, ce qu'il nous avait certes démontré plus d'une fois...

Et la partie située à Washington, sensée correspondre à l'accomplissement d'un rêve de T.S., est surtout l'occasion pour Jeunet de confronter son héros à un monde qui pourrait le corrompre en un clin d'oeil. Le rôle de "passeur" est confié à Judy Davis, qui reçoit le jeune homme au nom de l'institut prestigieux, et s'attache à tout faire pour l'exploiter purement et simplement. Elle est fantastique, comme souvent, même si elle ne fait pas dans la subtilité. Et à travers le personnage de ce garçon excentrique, invité à entrer dans "le monde normal", comment ne pas penser à Tim Burton? Le reste du film nous rappelle aussi à son petit monde, et en particulier à Big fish, peut-être son plus grand film... D'autant qu'Helena Bonham Carter est là aussi.

Mais cela reste fermement un film de Jean-Pierre Jeunet, qui nous montre une fois de plus des êtres engagés dans une vie parallèle, qui ne pourront pas être corrompus, parce que leur vie intérieure, leur imaginaire, ou ici leur univers de scientifique, leur sert à la fois de définition personnelle et de rempart contre le reste du monde. Le film nous conte certes une crise, la fugue d'un enfant, mais la morale, c'est que c'est un passage obligé dans lequel les choses à dire vont, enfin, être dites. Et la famille, sans que quiconque abandonne son obsession, va sortit grandie. Comme d'habitude, et bien qu'il troque des boîtes à gâteaux en étal contre des épis de maïs, Jeunet nous montre en images formidables qu'il faut savoir rester soi-même. Tout simplement.

Je suis d'accord.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet
30 octobre 2017 1 30 /10 /octobre /2017 08:55

Mal-aimé de la saga Alien, et pas forcément apprécié, ni même parfois connu, des fans de Jeunet, ce film sensé plus ou mettre fin au cycle (Comme le précédent, Alien3) est en réalité situé au confluent de trois univers. Il ne peut être pris que comme une rencontre, donc, entre d'une part l'univers d'Alien (Ripley, les "Xénomorphes", l'ombre de Weyland-Yutani), d'autre part les thèmes chers au scénariste Joss Whedon (Buffy the vampire slayer, Firefly, Angel, Dollhouse, dont le péché mignon est de questionner la féminité dans un contexte de science fiction ultra-référencée), et enfin le monde de Jean-Pierre Jeunet, fait de bricolage, d'une efficacité narrative se reposant sur un enchaînement logique d'événements, et bien sûr son excentricité visuelle... 

Rappelons l'histoire, tout d'abord: sur un vaisseau spatial appartenant à un conglomérat terrien, en collaboration avec l'armée, on attend une cargaison particulière. Des scientifiques présents sur le vaisseau ont réussi, à partir de prélèvements effectués avant la mort de Ripley (Dans Alien3), à cloner cette dernière, interprétée une fois de plus par Sigourney Weaver, évidemment. Après 8 tentatives, ils ont obtenu de la "ressusciter', elle est l'alien qui est en gestation dans son abdomen. L'alien a été 'extrait' de façon chirurgicale, ce qui était le but de la manoeuvre, mais contre toute attente, Ripley a survécu... Un médecin (Brad Dourif) a donc décidé de la garder en vie, ce qui n'était pas prévu au départ, pour voir...

La cargaison attendue, donc, est un chargement d'humains frais, en hibernation: quand la "reine" Alien va être opérationnelle, elle ne manquera pas de pondre, et il faudra, pour chaque oeuf, un humain prêt à devenir l'hôte d'un petit. La cargaison en question est amenée par des commerçants d'un genre particulier, à la fois convoyeurs et mercenaires, ils sont des spécialistes des jobs difficiles, dangereux, qui dépassent allègrement les limites de la légalité. Ils sont 6: Elgyn, le capitaine du vaisseau (Michael Wincott), sa compagne et mercenaire Hillard (Kim Flowers), Christie, rompu au maniement des armes (Gary Dourdan), le grand costaud Johner (Ron Perlman), gros bras, gros flingue et petite tête, Vriess (Dominique Pinon), qui se déplace en fauteuil roulant, ce qui ne l'empêche ni d'être efficace, ni d'être dur à cuire, et enfin la petite nouvelle, Call (Winona Ryder). Autant le dire tout de suite, c'est un robot, nouvelle génération, ceux qui sont créés et maintenus par des robots. Et elle est sacrément militante: elle s'est introduite sur le vaisseau-cargo dans le but d'infiltrer la mission de recréation des aliens, car elle a une mission: protéger les humains contre leurs mauvais instincts...

Trois choses vont donc se passer: d'une part, quand on manipule des aliens, ça finit toujours de la même façon. Ensuite, Call va tenter d'intervenir, simultanément à l'évasion des aliens, qui échappent à leurs gardiens et se retrouvent en liberté totale dans le grand vaisseau. Et Ripey, qui est rappelons le un clone issu de la résurrection d'une Ripley AVEC une reine alien à l'intérieur, est, pour le moins, imprévisible! Lors de la pagaille monumentale qui s'ensuit, elle s'allie avec les "commerçants"... Mais jusqu'où?

"Pagaille", disais-je: c'est le maître-mot. Depuis Alien (Ridley Scott, 1979), on est habitué à la montée progressive d'un suspense de plus en plus étouffant. Mais ce qu'on a ici, c'est plus l'annonce d'un catastrophe qui se produit trop tôt, suivie d'une longue, mais alors logue agonie du film. On aimait l'alternance, d'un film à l'autre, entre une invasion d'un vaisseau, ou d'une planète (Alien3, David Fincher, 1991) par un seul individu, et la plongée des humains dans un nid, un nuage, une marée, un océan d'aliens (Aliens, James Cameron, 1985)... Mais ici, ça tourne au trop-plein: trop de bestioles, trop de possibilités, et... trop de gore, ça oui. Ca tourne même au ridicule absolu quand la reine, qui provient du même mélange que le clone de Ripley, accouche littéralement d'un être mi-humain, mi-alien, qui est d'une laideur inconfortable, et qui va rencontrer l'une des fins les plus dégueulasses qui puissent être. Voyez le film avec une cuvette à cet égard... Donc, si le film offre à Ripley une "fin" plus décente que celle que lui avait donnée Fincher, il tend à gâcher l'héritage en permanence.

La faute à qui? On a envie d'utiliser le dicton anglais "Too many cooks in the kitchen spoil the broth", dont vous irez si vous ne la connaissez pas chercher la signification sur internet, autant que ça serve ces petites machines. Comme tous les autres films de la saga, il y a eu du monde sur ce bébé-là, et... y-avait-il un capitaine? On sait qu'il y en avait un sur tous les autres films, y compris quand la Fox et Brandywine Productions mettaient des bâtons dans les roues de David Fincher. On sait aussi que sur un plateau de Jean-Pierre Jeunet, il est le seul maître à bord, engagé à 300% sur son film. Mais... le langage, peut-être? la timidité face à la tâche titanesque? Jeunet n'est pas à son aise, ni dans le genre, qu'il connaît bien en tant que fan, ni dans les règles imposées, qui sont habituellement imposées... par lui. Ici, le cahier des charges n'est absolument pas de sa responsabilité, et ça se sent. Alors on retrouve certains aspects de son oeuvre, des inventions inattendues comme le cube de whisky, des bricoleurs de génie comme la troupe de mercenaires, ou encore quelques moments qui reposent sur un enchaînement d'événements, mais... c'est assez peu. Reste son efficacité? Oui, mais elle est mise à mal par le souci du langage, et un script dont les dialogues possèdent peu de subtilité ('Die, you motherfucker'). Au final, on sait que c'est du Jeunet, tout de même. Il y a Dominique Pinon!

Et Joss Whedon dans tout ça? Même si ça ne sauve pas le film, on constate que dans ce script probablement conçu au début des années 90 par le jeune aspirant scénariste, on retrouve beaucoup, mais alors beaucoup de ses thèmes. La prépondérance des femmes, avec ici quatre figures de féminité, de la maternité carnassière (la Reine), à l'amazone fragile (La scène durant laquelle Hillard perd son amant est touchante), en passant par les deux bizarres: Call, le robot que certains mercenaires auraient bien mise dans leur lit, et bien sûr la Ripley-Alien, qui est au centre de toutes les interrogations. Elle a été au bout de l'enfer, et en est revenue, comme Buffy, ou Darla (Dans la série Angel). Et comme elles, elle est revenue... différente. une constante, là encore des personnages féminins de Whedon: Fred/Illyria, Cordelia Chase, Echo, Skye, River Tam... Mais ce qui frappe aujourd'hui, c'est à quel point Whedon avait en tête, des années avant, une équipée à la Firefly: un équipage de bras cassés revenus de tout, effectuant des livraisons légales ou illégales, dans un vaisseau cassé de partout et rafistolé, et tous rompus au maniement des armes. Bon, admettons quand même que Firefly est bien, bien meilleur, et de très loin, que ce film dans lequel une fois de plus un(e) héros/héroïne questionne son humanité, film sympathique, mais...

...raté.

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Published by François Massarelli - dans Science-fiction Jean-Pierre Jeunet Joss Whedon
29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 15:06

On connaît assez peu cet aspect de l'univers de Jean-Pierre Jeunet, réalisateur de Delicatessen, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, et Un long dimanche de fiançailles: l'animation. C'est pourtant ce par quoi il est arrivé au cinéma, ainsi du reste qu'à la publicité et au monde très particulier des vidéos musicales; Zoolook, de Jean-Michel Jarre, ou La fille aux bas nylons, de Julien Clerc, sont d'ailleurs de bonnes illustrations du fait que Jeunet "clippeur" reste à cet époque un animateur dans l'âme; et il utilisera l'animation en volumes dans Foutaises en 1989, et bien sûr la 3D dans Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, avec des éléments du décor qui prennent vie. Mais à l'origine, il officie dans le "stop-motion", comme le prouvent deux de ses courts métrages entièrement composés de cette manière: L'évasion, en 1978, et celui-ci qui nous est disponible sur internet.

Le générique nous annonce "des créatures de Marc Caro dans un film de Jean-Pierre Jeunet", ce qui montre à quel point la collaboration entre les deux hommes a pu prendre toutes les formes. Mais Caro, un plasticien certes, un artiste visuel en effet, n'est pas un animateur. Ici, c'est Jeunet qui a pris en charge tout le tournage, et l'atmosphère bien particulière de ce petit film...

Dont l'univers doit beaucoup à Caro, c'est indéniable. Des humains stylisés (Et soyons francs, assez moches, on est bien loin des créatures des studios Aardman!) désirent se rendre sur un manège. Le lendemain, ils y vont, et un enfant décroche le pompon. Il gagne... Une visite des coulisses, où il est désormais obligé, avec d'autres, de faire tourner le manège. Un final grinçant, certes, mais en harmonie totale avec le décor poisseux de banlieue sale et nocturne choisie par Jeunet. C'est bien froid, tout ça, et ce n'est évidemment rien comparé à ce que Jeunet et Caro allaient faire avec leur effarant Bunker de la dernière rafale, leur premier film "live-action" deux années plus tard. 

Quelle que soit cette impression de froideur, en tout cas, l'obstiné Jeunet (Car il fallait être obstiné en 1979 pour réaliser un film d'animation pour adultes de 10 minutes, avec les créatures de Caro!!) a obtenu un César en 1981 pour ce film. 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet Animation
29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 15:00

Réalisé en 1983, ce très court métrage (moins de cinq minutes) est « inspiré de la bande dessinée de Marc Caro, Pas de linceul pour Billy Brakko » selon le générique. Mais pour le reste, il est stipulé que le scénario, le montage et la réalisation sont de Jean-Pierre Jeunet. L'image est du complice Delbonnel, et Caro reste dans les parages, pour incarner le « héros » Billy Brakko... Ce dernier est une pure créature de fiction, qui existe à peine même dans ce film. C'est là qu'il me faut sans doute citer un collaborateur essentiel du court métrage, le grand Jean Bouise qui récite durant l'intégralité du film un texte que voici, (presque) in extenso :

Ca commence un soir d'hiver... Il achète le journal; qu'est-ce qu'il voit? Le célèbre Billy Brakko est mort ! Tu parles d'un choc : Billy Brakko, c'est lui. « C'est reparti », il pense. Encore fuir, toujours fuir... Le train ! L'avion ! Le bateau ! Ca fait deux ans que Billy Brakko fuit ; en fait, depuis qu'il a rencontré Julie... C'était suite à l'affaire Ripley, une sale affaire... Pour Brakko : trois ans fermes. Mais Julie l'avait attendu, il en était amoureux fou. Il lui disait « Julie, cet air printanier me donne envie de chanter ! », il aurait fait n'importe quoi pour elle, il aurait même essayé de lui expliquer la fin de 2001 si elle le lui avait demandé...

Seulement voilà, Julie était une espionne de l'Est. Et à l'Est, on avait besoin d'hommes comme Billy Brakko ! Malgré son amour, il lui dit « Julie, je ne peux trahir mon pays. Je dois partir. » Et il arrive à Berlin, ou à Zagreb, ou à Vienne, ou à Paris, tout simplement, et c'est là qu'il apprend sa mort par le journal. L'incinération doit avoir lieu le lendemain matin. Une nuit d'attente... Il va au cinéma. On y joue Eraserhead. Il est content, c'est un vrai film de cinéaste, de metteur en scène d'images, et pas seulement d'acteurs. Après il marche dans les rues toute la nuit. Car Billy Brakko ne dort jamais. « Je hais ces petites tranches de mort », dit-il. C'est une belle phrase, non ? ...tu parles, il l'a piquée dans un film avec James Mason.

Huit heures du matin. Dès l'ouverture, Brakko pénètre dans le moratorium. « Trop tard, opération terminée » lui dit le nécro-technicien. De Brakko il ne reste qu'un tas de cendres... Là, franchement, ce qu'il aimerait, c'est se réfugier dans son encrier, comme Koko le clown... Il retrouverait Betty Boop, elle lui chanterait « Poop-e-doop-e-doop-e-doop, poo-poo-pe-doo ». Seulement voilà, on n'est pas dans un cartoon. On est dans un vrai film.

Là-dessus, ça se précipite. Un inconnu aborde Brakko : « Rendez-vous à dix heures, en banlieue ! » Il arrive, son contact est bien là, le seul problème, c'est les trois balles qu'il a dans la tête . Brakko comprend, cette fois, ils l'ont retrouvé ! Il prend l'avion, Hambourg : trop tard ! Ils l'attendent ! Retour à (???????) : dans la rue, des pas derrière lui ; « Vite, vite, montez, les voilà ! »... Les deux tueurs l'emmènent dans un endroit sordide et désert. Curieusement, la dernière chose que Billy Brakko voit, c'est l'image d'un but marqué par un avant Brésilien...

Là dessus il meurt, et c'est fini.

Ou alors, si vous préférez, E.T. guérit de son doigt magique Billy Brakko, et la commission, présidée par Donald Duck, composée de Félix le Chat, Bimbo, Rapetou et Pettit Loup Gris, décide d'accorder exceptionnellement une dérogation à Brakko pour vivre au pays des cartoons... Là où les héros ne meurent jamais...

C'est la seule trame du film, dont la narration est en fait confiée à l'espace où co-existent les images, sans relation apparente entre elles, et le fil narratif contenu dans cet étrange monologue mené avec le ton parfaitement idéal de la belle voix de l'acteur. Parfois, ces images sont « jouées » par l'un ou l'autre des acteurs crédités, parmi lesquels Jeunet et caro bien sûr, mais aussi André Igual ou Bruno Delbonnel. Et parfois les images sont du pur recyclage, en relation avec le commentaire (Les anecdotes autour de 2001 de Kubrick, ou Eraserhead de Lynch), en cousinage plus ou moins proche (Quand on parle de l'Est, les images de propagande des années 30 défilent sur l'écran), et parfois assez éloignées (La mention de l'amour de Brakko par exemple est accompagnée d'un extrait d'un film de Tex Avery avec un loup qui devient fou). Il souligne doublement l'importance du montage en citant Eisenstein: quand Bouise dit "Cette fois, ils l'ont retrouvé", quelques images des jambes des soldats dans la fameuse séquence de l'escalier du Cuirassé Potemkine défilent à l'écran... Quelques fois on a le sentiment que les images illustrent le texte. Mais souvent, c'est clairement le contraire : ainsi, la phrase « Julie, cet air printanier me donne envie de chanter » est-elle directement visible à l'écran, dans une case extraite d'une bande dessinée animalière des années 30. C'est l'une des raisons qui nous font voir Billy Brakko comme un pur collage arbitraire et surréaliste...

...Tout en étant d'une rigueur exemplaire. Et en prime c'est drôle ! Mais surtout, en dépit de la référence à Marc Caro, l'âme damnée du metteur en scène, le collaborateur à l'univers noir et froid, ce film est un exemple, 6 années avant son film Foutaises, de l'art du montage selon Jean-Pierre Jeunet, qui s'amuse dans la juxtaposition d'un scénario de film noir poussé jusqu'à l'absurde d'un côté, et l'accumulation d'images récupérées un peu partout mais souvent dans la culture populaire (Football, Tintin au pays des soviets, les publications Walt Disney), et dans des domaines qui sont chers à Jeunet (Les films Fleischer, cités à travers les personnages de Koko, Bimbo et Betty Boop-également présente dans la bande sonore, ce n'est pas Bouise qui chantonne « Poop-e-doop-e-doop-e-doop, poo-poo-pe-doo », désolé si cela vous déçoit). Et comment ne pas penser à Amélie Poulain et ses délires éveillés, ou les dingues de la récupération tous azimuts de Micmacs à tire-larigot? Pas de repos pour Billy Brakko n'est pas qu'un irrésistible court métrage qui se regarde comme un rien, c'est aussi un film-matrice, élément-clé de l'univers d'un cinéaste qui a élevé la récupération au rang des beaux-arts, et qui reste un des cinéastes qui a le mieux compris ce qu'était le montage.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet
29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 11:18

Delicatessen s'est trouvé par hasard être le premier long métrage de Jean-Pierre Jeunet, alors associé à Marc Caro. Dès leur moyen métrage de 1981, Le bunker de la dernière rafale ils ont manifesté dans leur collaboration un coté sombre, vaguement cyberpunk pour reprendre un mot à la mode, qui alliait modernité froide et un certain sens du clin d'oeil visuel à un passé plus ou moins lointain. Tout l'univers du film qu'ils souhaitaient ardemment faire, un cauchemar d'enfant monté en épingle, et qui fera finalement l'objet de leur deuxième long métrage, La cité des enfants perdus. Si ce dernier reste un film attachant, il me semble être le plus "Caroien" des deux premiers, tant Delicatessen annonce et préfigure deux films ultérieurs, dont un au moins a bénéficié d'une spectaculaire couverture médiatique, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. L'autre, Micmacs à Tire-Larigot, n'a pas fait autant que ses prédécesseurs le plein de spectateurs; il est sans doute moins bon d'une part, et plus marqué encore qu'Amélie et Delicatessen par le côté bricolo de Jeunet, cette fois non seulement repris via des personnages (Les adeptes du bricolage et de la récupération sont les héros du film, et en font une religion, autant qu'une question pratique), mais aussi affirmé haut et fort après le luxe de moyens (d'ailleurs utilisés à bon escient du début à la fin) d'Un long dimanche de fiançailles...

Pour ce film de 1991, qui fit justement sensation, Jeunet associé à Caro (crédité à la direction artistique) recycle le réalisme poétique cher à Carné, une certaine tendance du cinéma Français, mais au service d'un scénario excentrique, dans lequel l'anticipation crapoteuse n'est qu'un joyeux prétexte à mettre en scène de savoureux moments décalés et des dialogues uniques, toujours justes, car limités à l'essentiel. Dans une banlieue du futur (Mais qui ressemble à s'y méprendre à celle des années 50) Louison (Dominique Pinon), clown sans emploi, trouve une place d'homme à tout faire dans une boucherie isolée, dont le patron (Jean-Claude Dreyfus) est aussi le propriétaire de l'immeuble, leader inévitable puisque en ces temps de famine, il a trouvé le moyen de nourrir les autres: la viande humaine. Ses locataires l'aident dans son entreprise... Chacun d'entre eux (On reconnaît Rufus, ou Ticky Holgado, qui vont rester dans l'univers du metteur en scène) sait à quoi s'en tenir, et comme ils veulent de la viande, ils sont plus ou moins complices des actes du boucher. Et à travers cet immeuble, c'est toute une société immuable qui est passée au crible, avec ses strates, des gens qui se jalousent, des gens qui s'entraident, et d'autres... qui se mangent. Au sommet de la pyramide: le boucher. Mais si le danger vient des "Troglodistes", des déviants (Ils ne mangent que des légumes) qui se livrent parfois à des actes de pillage ou autres actions d'éclats, le danger peut venir de l'intérieur aussi pour le boucher. sa fille (Marie-Laure Dougnac) est sensible, et bien décidée à empêcher son père de continuer à faire son chantage au cannibalisme...

Non seulement le scénario est très structuré, mais il permet à tout un tas de petits univers de se mettre en place, souvent allié à cette poésie un peu limite qui fait le charme du film: la famille Tapioca, la famille Interligator, les frères Kube, mademoiselle Plusse et sa petite vertu, le facteur qui renvoie à l'imagerie de la résistance comme de la Gestapo, etc.. tout un monde auto-codé immédiatement lisible se met en place, au milieu duquel Louison est interprété avec génie par l'éternel acteur fétiche de Jean-Pierre Jeunet, Dominique Pinon. Le nombre de scènes traversées par la grâce est impressionnant, et certaines répliques sont restées dans les annales...

Et la mise en scène est pensée, fouillée dans ses moindres détails, chaque mot est pesé, chaque geste justifié. On renvoie donc encore plus loin qu'au seul carné, à toute une frange visuelle du cinéma. Jeunet dirait Tati, mais je ne m'arrêterais pas en si bon chemin. Ladislas Starevitch et ses créatures animées (De la récupération là aussi) ne sont pas loin, et le sens de l'enchaînement et du bricolage, alliés à un style sur de lui et techniquement accompli, je n'hésite pas à placer Jeunet dans la filiation directe de Buster Keaton et Harold Lloyd...

Du reste, combien de films Français tiennent par leurs seuls gags, qui ne sont pas verbaux, mais bien visuels? Et puis combien de films réussissent à faire un gag génial rien qu'avec la phrase "c'est beau la vie", ou avec une fameuse "boîte à vache", qui fait meuh?

Voilà, si tout ça n'est pas un univers, je veux bien finir ma vie en vendeur de "détecteur de connerie", un objet salement inutile par les temps qui courent.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet
29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 11:12

Foutaises, sous ses airs de ne pas y toucher, c'est l'introduction par Jeunet d'un film-première personne, dans lequel on égrène des plaisirs et des choses qu'on n'aime pas. Bien sur, le parallèle avec Le fabuleux destin d'Amélie Poulain est immédiat, puisque la définition des personnages s'y fait via cette liste de petits trucs, de foutaises donc. mais il y a aussi dans ce film une première ébauche de l'art tous azimuts de la tendance du metteur en scène à ce qu'on appelle la "récup", insérée dans une structure très précise qui confine souvent au joyeux bazar: voix off en forme de confession gourmande, soudainement coupée par des dialogues, chansons (Thierry La Fronde), voire scènes entières, comme l'épisode du départ en vacances. Les acteurs qui interprètent ici la partition sont bien sûr reconnaissables par leur future participation dans Delicatessen, voire d'autres films pour l'un d'eux: Dominique Pinon, Marie-Laure Dougnac, Chick Ortega, et Maurice Lamy.

C'est certes un tout petit film, mais ça reste un film qui fait plaisir, et qui l'air de rien entame une relation cinématographique avec le coté tactile et odoriférant du souvenir d'enfance... les boîtes à gâteaux, les nappes à carreaux, les cuisines qui sentent un mélange de cuisson, de bois, de plastique, de tabac froid et de liquides divers. L'enfance, quoi. Un court métrage dans lequel on devine l'équipe de Jeunet, déjà sous le patronage de la productrice Claudie Ossard, rodant ce qui va être le premier film de longue haleine de la fine équipe. Attribué à Jeunet seul, Foutaises sonne comme une répétition générale de cette tendance à la poésie des faubourgs, à l'étalage de souvenirs tactiles et odorants, dont les films suivants se feront les champions. une sorte de bible Jeunetienne, dont les autres films se nourriront parfois (Alien resurrection y compris, via un sens du bricolage et un sens de la famille qui ne doit pas qu'au scénariste Joss Whedon), mais sans jamais s'y abandonner totalement...

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet
29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 09:39

Une société forcément futuriste puisqu'elle n'existe pas, un décor de cauchemar, et des intrigues pas forcément toujours claires; voilà en résumé un aperçu du deuxième film de Jeunet, qui signait encore, pour la dernière fois, "Jeunet et Caro"... S'il faut comparer ce long métrage à un autre film de Jeunet, ce ne sera pas en effectuant un parallèle avec Delicatessen (1991) ou Un long dimanche de fiançailles (2005) qu'on obtiendra quelque chose. Non, il faudra peut-être plutôt aller chercher, en amont, du côté du Bunker de la dernière rafale (1981) ou en aval, en se penchant sur le film mal-aimé, qui est du reste sa conséquence directe: Alien resurrection (1997)... Avec le moyen métrage, La cité... partage une intrigue sombre, et une société qui encourage des déviances ultra-droitières, comme cette secte/milice de cranes rasés qui se sont crevé les yeux; avec le Alien, ce film partage l'idée d'un monde poisseux, complexe, dans lequel on est constamment enfermé, que ce soit dans des vaisseaux, ou dans une ville sale et tentaculaire. Bref: un film qui tache.

Le monde dans lequel vivent les personnages de ce fil est une cité portuaire, un lieu sale et entièrement dédié, soit à la mer (Bars à matelots, donc, et filles de joie), soit au fait de s'en détourner (Foires, et distractions diverses). Est-ce après une guerre? S'agit-il de la partie "côtière" du monde post-apocalyptique de Delicatessen? On n'en saura rien, et ce n'est pas le sujet. Ce qui importe, c'est de constater que l'humanité fait ici ce qu'elle fera toujours, elle se recroqueville sur le chacun pour soi, et chacun devient une proie pour l'autre. Chacun vit dans le souvenir de sa splendeur (?) passée. Et des êtres inquiétants, les "cyclopes", rôdent. Dans un premier temps, ce sont des hommes qui entrent dans une secte en abandonnant leurs yeux, pour ne pas voir le monde abject qui est autour d'eux. Dans un deuxième temps, les "meilleurs" deviennent "cyclopes", en se dotant d'un oeil électronique...

One (Ron Perlman) est un costaud de foire, qui vit essentiellement pour subvenir aux besoins de celui qu'il appelle son "petit frère", qui répond au doux nom de Denrée (Joseph Lucien). Un enfant apparemment sans souci, et qui mange comme quatre... mais qui est enlevé. Pourquoi? Nous le saurons. Par qui? Eh bien, par ceux qui enlèvent les enfants: tous les jours, ils disparaissent par grappes. Et comme les parents ne sont pas toujours là pour les protéger, il est relativement facile de les kidnapper. Aidé d'une petite fille, Miette (Judith Vittet), qui mène une bande de petits voleurs, One va chercher son "petit frère"...

Pendant ce temps, celui-ci est amené sur une étrange plate-forme en pleine mer: un laboratoire délirant dans lequel un savant fou et génial a créé de nombreuses entités. Il s'est créé une femme (Mireille Mossé), mais celle-ci est trop petite. Il a créé un être d'une grande intelligence et d'une grande sensibilité, Irvin (Jean-Louis Trintignant), mais celui-ci, cerveau maintenu en vie dans un liquide nourricier, n'a pas de corps. Il a créé des clones, au nombre de six (Dominique Pinon, Dominique Pinon, Dominique Pinon, Dominique Pinon, Dominique Pinon, Dominique Pinon), qui ne sont pas très fins. Enfin, son chef d'oeuvre: un homme intelligent, doté de tous ses membres, complet, de la bonne taille... Mais il vieillit trop vite, et il est si réussi qu'il en ressent autrement plus cruellement ce qui lui manque: il ne rêve pas. Et cette dernière créature, Krank (Daniel Emilfork), a pris le contrôle de la plateforme, en chassant le créateur, et en mettant désormais tout ce petit monde baroque à son service, dans le but de lui créer les conditions du rêve. La dernière trouvaille de Krank, c'est donc de voler les enfants pour leur arracher leurs rêves...

Qu'est devenu le créateur? One retrouvera-t-il son "petit frère"? les enfants pourront-ils être sauvés? Voilà les questions essentielles posées par ce film, dont Jeunet et Caro ont élaboré l'univers dès le début des années 80, mais il leur a fallu plus de dix années pour accomplir le film. Et celui-ci, paradoxalement, a été rendu possible par la réalisation et la sortie d'un "plan B": Delicatessen, dont le succès certain a persuadé Claudie Ossard, la productrice du premier long métrage, de donner le feu vert à cette entreprise peu banale...

Côté face, un immense décor "physique" reconstitué dans un studio pour un tournage de plusieurs mois, et des prouesses à tous les étages: tourner avec des enfants, intégrer des images de synthèse et des techniques de pointe dans un décor physique, tourner avec des animaux, et de l'eau... un scénario qui multiplie les rebondissements qui sont autant de "chaînes" d'événements, un procédé qui plaît énormément à Jeunet. Bref, un film français d'une ambition rare, d'une réalisation maîtrisée, et qui s'exporte.

Côté pile, on a un budget certes faramineux, mais qui a tendance à se voir à l'écran, et ce n'est pas toujours une bonne nouvelle; une histoire contée autour d'un acteur qui est physiquement le rôle, mais qui parle peu et pourtant encore trop; des rebondissements trop appuyés dans lesquels on se perd parfois; des cauchemars qui prennent toute la place, et qui me font me poser la question: peut-on faire un film situé dans un monde inquiétant sans pour autant nous pousser en dehors? La réponse est oui: Metropolis, Blade Runner, Alien... Mais pas La cité des enfants perdus, hélas...

Car le film est souvent pris en flagrant délit de froideur, d'excès de zèle. Jeunet n'est pas Luc Besson, heureusement, mais là, il est quand même en permanence en train de faire la démonstration de son talent. Bien sûr, il est venu sur le tournage avec ses boîtes à gâteaux remplies d'objets en plastique moche des années 50, sa tendance au recyclage franco-franchouillard, mais ses nappes Vichy en formica sont constellées d'objets métalliques qui créent le malaise... bref, pour oser une formule à la con: trop de Caro tue le Jeunet.

Si La cité des enfants perdus fonctionne, c'est moins dans la création d'un univers cohérent (A trop ruminer leur film, les deux auteurs l'ont probablement vidé un peu de sa substance), plus dans l'anecdote. Alors là, oui, c'est du tout bon: la façon dont certains détails s'enchaînent, les "caractères", pour reprendre un mot hérité de l'anglais, sont formidables. Miette, incarnée par la fantastique Judith Vittet; Jean-Claude Dreyfus, de retour en vieux montreur de cirque consumé par l'opium; les deux soeurs siamoises du film, qui fricotent avec le mal (Geneviève Brunet, Odile Mallet), et connues collectivement sous le surnom de "la pieuvre". Des acteurs de Delicatessen reviennent, un peu (Ticky Holgado, Dominique Bettenfeld), beaucoup plus (François Hadji-Lazaro, Rufus, Dreyfus déjà mentionnés), voire multipliés par... sept (Dominique Pinon). Jeunet expérimente aussi pour la première fois avec certains acteurs qui reviendront, dont Ron Perlman, mais aussi Serge Merlin ("L'homme de verre" dans Amélie), qui joue le chef des Cyclopes. L'humour a droit de cité heureusement, malgré tout le poids dramatique de cette sombre histoire qui ressemble souvent à un cauchemar, et fournit les meilleurs moments d'un film qui aura plus de prestige que de succès. mais on constate que si La cité des enfants perdus a ouvert à Jeunet les portes d'Alien Resurrection (Le moins bon des films de la franchise, quoi qu'on dise), il a en revenant en France complètement redéfini son univers avec Amélie Poulain et Un long dimanche de fiançailles. Deux films qui doivent beaucoup plus à Delicatessen, et qui restent aujourd'hui ses deux meilleurs films, de loin. ...Et qui n'ont pus grand chose à voir avec ce film.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Jeunet Science-fiction