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8 février 2022 2 08 /02 /février /2022 11:03

Thérèse (Juliette Gréco) et Denise (Irène Galter), deux soeurs, perdent leurs deux parents dans un accident de voiture. Thérèse, l'aînée, doit quitter le couvent où elle est novice pour s'occuper de sa soeur et tenir la papeterie familiale... 

Max (Philippe Lemaire), un jeune employé d'un garage, vit non seulement de son salaire, mais aussi de la boxe, et de son incommensurable succès auprès des femmes: il séduit une voyageuse de passage (Yvonne Sanson), et devient son chauffeur, avec la complicité de son copain Biquet (Daniel Cauchy), qui est chasseur au Carlton de Cannes où la belle dame est descendue. Les deux complices sont attirés par ses bijoux... 

Ces deux univers vont se mélanger quand Max va rencontrer Denise.

Je m'arrête là, car le film passe finalement par des détours surprenants: pour son troisième long métrage, il semble que Melville ait voulu greffer plusieurs genres les uns contre les autres: drame (la foi de Thérèse et ses dilemmes particulièrement carabinés, un thème qui reviendra de façon plus ascétique dans l'admirable Léon Morin, Prêtre), comédie sentimentale qui vire au cauchemar (Denise), film de gangsters minables (Biquet et Max), et film noir pour mélanger le tout.

On s'y perd parfois un peu, justement en raison des ruptures de ton qui sont particulièrement spectaculaire, mais aussi parce que le film ressemble à un mélange entre une production classique, et du cinéma de guérilla comme Melville savait en faire: d'un côté, des acteurs établis (on reconnaîtra Fernand Sardou et Robert Dalban en plus de Juliette Gréco) et des scènes tournés dans d'impeccables studios, de l'autre, un tournage méridional, à l'italienne, c'est à dire que toutes les scènes d'extérieur ont été tournées en muet et post-synchronisées: du coup, plusieurs acteurs de figuration ont la même voix; celle de Melville lui-même. 

Mais c'est un film plein de vitalité, d'idées, de tentatives. Suivre max ou suivre Thérèse? En proposant à son public la réunion scandaleuse de deux êtres que tout oppose, il commence à aller vers ce qui fera sa légende, le film noir. Rien que pour ça...

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Jean-Pierre Melville
3 février 2022 4 03 /02 /février /2022 18:09

Un officier Allemand, francophile, se voit assigner une demeure, celle d'un homme qui vit avec sa nièce dans une petite ville du Dauphiné. Les deux hôtes, contraints et forcés d'accueillir l'intrus, ne lui diront pas un mot durant toute la période de son séjour, mais l'officier (Howard Vernon) tombe très vite amoureux de la jeune femme (Nicole Stéphane), sous l'oeil tranquille de l'oncle (Jean-Marie Robain)...

L'esprit même de la Résistance, c'était le sujet du récit de Vercors, sorti sous le manteau, comme le rappelle un prologue qui montre un homme avec un exemplaire caché dans un bagage. Melville, qui sort lui aussi du maquis, a tenu absolument à tourner son adaptation, et l'a fait sans en avoir l'autorisation. Son succès a probablement sauvé la carrière de celui qui venait de jouer à quitte ou double pour s'improviser cinéaste.

C'est frappant de voir avec quelle rigueur, quel naturel, aussi, celui qui se plantera dans les grandes largeurs avec son abominable deuxième film, adapte un récit qui n'est pourtant pas très cinématographique au départ... Si ce n'est justement dans la tension des silences, dans la communion des tristesses: celle des deux occupés, qui doivent à contrecoeur accueillir un soldat ennemi; celle aussi de l'officier, désolé de venir en occupant. Celle enfin de ceux qui ne peuvent assumer leur amour. A ce titre, le mono-dialogue continuel d'Howard Vernon, qui rythme le film, est exemplaire; la subtilité de Melville qui nous montrera dans le film son officier valeureux aux prises avec de vrais nazis, ceux-là, est, deux années après la guerre, tout aussi remarquable.

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville
3 février 2022 4 03 /02 /février /2022 17:58

A Manhattan, un journaliste qui travaille à l'agence France-Presse, Moreau (Jean-Pierre Melville) fait équipe avec un photographe à la réputation désastreuse, Delmas (Pierre Grasset) pour retrouver la trace d'un diplomate Français de l'ONU dont l'absence a été très remarquée et commentée; ils cherchent d'abord dans les nombreuses maîtresses de l'homme, et commencent un long périple nocturne dans les rues toujours actives de la ville...

Melville traque les noctambules et lâche deux hommes parfaitement compatibles avec la vie de la nuit New-Yorkaise, aux trousses d'un insaisissable (et pour cause: il est mort) diplomate, qui devient le prétexte d'un jeu du chat et de la souris entre cynisme et morale, entre la docilité d'un Moreau qui ne veut pas faire de tort à la diplomatie française, ou à la famille d'un mort, et Delmas, le buveur et coureur qui jongle avec l'idée de devenir riche en publiant des photos douteuses... Et on se demande bien ce qu'on est venu faire devant un film pareil. 

Il faut dire que je soupçonne que les véritables motivations de Melville, qui semble avoir improvisé son film à New York, soient surtout de filmer Américain! D'où des trous béants, occupés à nous montrer des taxis, des gens qui prennent des taxis, des gens qui sortent de taxis... C'est raté, du début à la fin. Melville retournera tourner en France, et accumulera les oeuvres de premier plan... Tant mieux.

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville Noir
5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 11:39

De l'art de brouiller les pistes: le film commence par une petite explication lexicale, le mot Doulos en argot ayant finalement trois significations, nous dit-on: le chapeau d'abord, celui que Jean-Paul Belmondo porte avec régularité; ensuite, le porteur dudit ustensile, qu'il soit d'un côté (truand) comme le personnage de Belmondo, ou de l'autre (Flic); enfin l'indicateur. De là à penser comme nous allons le faire durant un certain temps, que Cilien, donc, le personnage en question, soit un indic, il n'y a qu'un pas... Et c'est d'ailleurs ce que fera Maurice (Serge Reggiani).

Nous découvrons ce personnage alors que le film commence, un gangster trapu, résigné, qui est venu régler un vieux compte sous nos yeux: sous le prétexte de lui demander de l'aide pour la préparation d'une affaire, Maurice vient exécuter un ancien complice qui a tué sa petite amie... Mais ça, nous ne le saurons que plus tard, ce qu'on nous montre c'est, en effet, un meurtre de sang-froid: une façon comme une autre de ne pas prendre de gants, dans un film qui va constamment nous forcer à adopter le point de vue de ces messieurs, avec adresse, sans négliger les retournements, non pas de situation, encore moins de points de vue, mais bien de perspective... Car en dépit de l'efficacité et de l'opiniâtreté de l'équipe d'un commissaire à qui on ne la fait pas (Jean Desailly), nous allons constamment rester sur deux points de vue; Maurice qui joue son va-tout, et Cilien, qui soit l'aide à distance, soit le trahit... 

D'autant que Cilien, présenté comme un outsider par tous les camps, est vu en conversation téléphonique avec un policier qui va justement se mêler des affaires de Maurice; de plus le personnage perd une grande dose d'ambiguité en maltraitant avec ardeur la petite amie de son collègue, et a manifestement ses entrées à la police...

Le reste est un jeu sur l'ambiance, la lenteur, et la faculté du spectateur à suivre cette histoire qui le promène gentiment, en sélectionnant, comme pour Maurice, la part de ce qu'on lui dit, et la part de ce que l'on ne lui dit pas... Un film qui est moins abouti que ceux qui suivront, mais qui n'est décidément pas sans attraits, et son incommensurable lenteur en fait d'ailleurs partie...

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville Noir
2 juillet 2020 4 02 /07 /juillet /2020 07:58

C'est l'occupation; dans une petite ville, où stationnent d'abord des Italiens, on s'adapte, et comme partout ailleurs, on tente de passer entre les gouttes... Barny (Emmanuelle Riva), une jeune veuve d'n résistant juif, mère d'une petite fille, est professeure de Français dans un organisme par correspondance et se fait la chroniqueuse du quotidien pour nous: le départ des Italiens, qui rendaient l'occupation moins âpre qu'ailleurs; l'arrivée des Allemands, le durcissement, les cortèges d'exécutions... Et comme une envie de se confronter à Dieu: pas pour y trouver le réconfort, non: Barny, ancienne Catholique, passée à la pensée de gauche, souhaite au contraire attaquer un prêtre par le biais de la confession... Elle va sélectionner un jeune abbé, modeste et lettré, Léon Morin (Jean-Paul Belmondo). 

Privé, c'est le maître mot de ce film qui fait semblant d'être une chronique de l'occupation pour dévier très vite vers d'autres préoccupations. Vrai, Melville semble constamment brouiller les pistes, nous montrant une femme qui n'en finit pas de fuir la réalité du conflit, ou en tout cas l'image que celui-ci a acquise... On se souvient que le premier long métrage de Melville, lui-même ancien résistant, était Le silence de la mer, et que le combat qui s'y déroulait était rendu d'autant plus troublant par les sentiments contradictoires, et la dignité globale des protagonistes. Ici, Barny (le personnage était de toute évidence un avatar de l'auteure Beatrix Beck, et le récit autobiographique) s'évade par la découverte de la religion, à travers les conversations et rencontres avec l'abbé. Et ces rencontres sont en effet le plus souvent à l'écart de l'église, dans la sphère privée, un monde que les Allemands stationnés en ville, qui semblent si lointains (on entend des exécutions, des règlements de compte; on entend parler d'actions de la résistance... On ne les verra jamais) semblent ne pas pouvoir concevoir, ni pénétrer. Un monde où les rapprochements absurdes deviennent possibles: un officier Allemand, après des exercices de tir, fraternise avec une petite fille qui professe de la tendresse pour lui; il part pour la Russie, et semble ne pas se faire d'illusions; une collègue de Barny installe un portrait de Pétain et se réjouit des exécutions qui vont débarrasser la France des "Cocos" et des "Youpins", mais elle parle à bâtons rompus avec Barny qui elle ne cache ni ses convictions, ni ses connections avec des Résistants. 

Et Dieu dans tout ça? C'est là que le film devient sublimement ambigu, laissant finalement chacun voir midi à sa porte! Car Barny, emportée dans sa relation d'amitié intellectuelle avec Morin, puis secouée dans ses convictions et son orgueil, va se laisser re-convertir, et aller plus loin encore participant à une sorte de réseau d'évangélisation... Tout en développant une amitié de moins en moins platonique vis-à-vis du prêtre... le point culminant n'en sera pas charnel, non: ce sera quand elle le lui fera explicitement comprendre.

Alors, un récit de conversion, une épiphanie lors d'une rencontre avec Dieu? Une proposition de définition de la religion, d'une vision humaniste et ouverte d'un vieux débat? un récit de passion amoureuse sublimée, dans laquelle la religion n'était que l'appât de passions intimes (et qui sont explicitement évoquées dans un dialogue d'une rare franchise)? Tout le film est à la fois ça et son contraire, une oeuvre qui est superbe en dépit du fait que beaucoup y passe par la parole. Oui, mais Melville, pour la deuxième fois, et pas pour la dernière, a aussi pris soin de recréer avec le génie du détail qui le caractérise, une période clé de sa vie et de notre histoire. Jusque dans la pierre, dans le cuir des sandales et les graisses des vélos. Une fois de plus, son film procède d'un parcours codé de Résistant... Et la recherche de Dieu, la conversion, le choix de se lancer bille en tête dans la religion, deviennent autant d'échappatoires, autant de formes de résistance. Ce que le destin personnel de Béatrix Beck, qui allait quelques années plus tard se dé-convertir (ce qui ne se fait pas ailleurs que dans la tête, je le sais, je me suis renseigné), tendrait à prouver paradoxalement...

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville
18 juin 2020 4 18 /06 /juin /2020 15:22

Il y a une certaine roublardise, sans doute, chez Melville qui a créé et appliqué pour tous ses films noirs une formule, appliquée à la lettre, de film en film. Et ça commence souvent par une citation, du genre de celles qui nous passeront toujours plus ou moins au-dessus de la tête (quand elles ne sont pas purement et simplement apocryphes, comme par exemple celle du Cercle Rouge). Dans Le Samouraï, le générique commence par ces mots: il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï si ce n'est celle du tigre dans la jungle, peut-être...

Et la solitude justement, est soulignée pour le personnage de Jef Costello (Alain Delon), le tueur à gages, qui vit seul dans un appartement miteux, sans rien pour l'accompagner, si ce n'est des paquets de Gitanes et des bouteilles stockées au dessus d'une penderie, et un oiseau en cage, ce dernier étant un symbole facile et efficace pour un truand enfermé dans un système. Car Jef Costello est un tueur couru et recherché, cher sans doute, mais qui fait bien son job. Il se prépare aussi, quand il va chez une copine de passage (Nathalie Delon) qui aimerait bien qu'il soit plus souvent là, mais non: il vient juste lui demander de mentir et de le couvrir, c'est tout...

Donc toute sa vie passe par son travail dont le mode de fonctionnement nous est montré, en situation... Chaque détail couvre chaque geste et chaque geste compte. Costello doit cette fois tuer un gérant d'une boîte Parisienne, et il y entre, traverse la salle et se rend en coulisses pour y faire son travail en toute discrétion... Pourtant il sera vu, par plusieurs personnes, et appréhendé. Il est confronté à ses accusateurs, et le commissaire en charge de l'enquête, interprété par François Périer, sait que c'est lui le tueur, mais il ne parviendra pas à en obtenir l'assurance. Du coup pour le policier tous les coups sont permis. Et pour Costello, qui a sympathisé avec l'un des témoins du meurtre (une jeune pianiste de jazz qui s'est refusée à le dénoncer), d'autres ennuis commencent: il est coincé entre ses commanditaires (qui paniquent suite à son passage au commissariat, et souhaitent se débarrasser de lui) et l'enquête d'un acharné, près à tous les coups bas pour le coincer...

On pourrait aussi avancer qu'il est coincé entre la froideur émotionnelle, élément crucial de son job, et ses sentiments, car il en a. La fin le prouve... Mais je ne vais pas aller jusque là. Si Melville attache tant d'importance au détail (beaucoup plus, en fait qu'aux dialogues, souvent réduits à néant), c'est qu'il adopte une démarche narrative à la Japonaise, en remplaçant le point de vue de Costello par ses rituels, montrés de A jusqu'à Z. Chaque meurtre semble en effet obéir à une série d'obligations, entre les gants blancs, le passage en banlieue chez un garagiste qui a la double fonction de lui changer les plaques d'immatriculation de sa voiture, et de lui fournir une arme, ou encore la façon dont il mettra son trench-coat et son chapeau. Tout se passer comme si ces rituels finissaient par prendre le pas sur sa morale et son affect... 

A l'opposé donc de la façon dont le flic raisonne, émet des intuitions tout haut, s'acharne, vitupère, manipule enfin. Il a raison, remarquez, et son intuition s'avère juste. Mais s'il cherche par tous les moyens à coincer Jef Costello, au moins celui-ci a-t-il une raison pour commettre ses crimes: on le paie. Et ça justifie selon lui le mal qu'il se donne, et... le mal qu'il fait. Le cinéma, dans cet exposé méthodique, ne perd jamais ses droits, et le conflit entre les deux méthodes, ou les deux morales, culmine dans une extraordinaire chasse à l'homme dans le métro... Tout le film, d'un contrat à l'autre, évolue de façon magistrale et strictement chronologique, linéaire (et presque par le menu) pour nous raconter comment l'exécution parfaite d'un contrat va tourner à la Bérézina pour un tout petit grain de sable inattendu...

...le regard d'une femme, aussi beau qu'un sourire.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Jean-Pierre Melville
13 juin 2020 6 13 /06 /juin /2020 18:11

Bob Montagné (Roger Duchesne), dit Bob le Flambeur, est un truand qui se présente volontiers comme rangé des voitures: il a raccroché, et bénéficie même de l'amitié de Ledru (Guy Decomble), un commissaire dont il a un jour sauvé la vie. Ce qui ne l'empêche ni d'être attentif à ce qui se passe dans le milieu, ni d'avoir ses copains, voire ses poulains dans la partie: ainsi veille-t-il sur son jeune copain Paulo (Daniel Cauchy), qui est forcément tenté par des coups fumants, mais qui pourrait bien faire aussi et surtout des grosses bêtises. Car Bob, qui a une morale, estime qu'il doit aussi la faire passer. Tout irait pour le mieux si "Le flambeur" n'était pas un peu trop souvent tenté de confirmer son surnom: il flambe, il flambe, et ça rapporte de moins en moins...

Du coup il songe sérieusement à un coup qui lui permettrait de se renflouer, et de pouvoir ensuite raccrocher définitivement... Braquer le casino de Deauville... C'est dans ce contexte qu'il rencontre une jeune femme, Anne (Isabelle Corey), qui lui plaît, mais à laquelle il ne faudrait pas grand chose pour tomber dans la prostitution. Il la prend elle aussi sous son aile, mais la laisse se faire séduire par Paulo, et... elle va leur causer des ennuis: des gros.

C'est le premier film de gangsters de Melville, adapté d'un roman noir d'Auguste le Breton, et on y trouve un compromis intéressant: d'un côté, la vie nocturne des gangsters et des femmes de mauvaise vie, comme on dit, avec l'étrange pittoresque urbain si typique du film noir, et de l'autre, un refus du spectaculaire, ne serait-ce que dans le choix des acteurs (Melville restant encore fidèle aux principes qui sont les siens depuis Le silence de la mer), mais aussi dans le déroulement du film. Tout s'y passe de façon chronologique, quotidiennement, avec un enchaînement de scènes qui sont autant de descriptions dépassionnées d'un drame du dessin qui se dessine par à-coups sous nos yeux... Cette exigence, qui changera sérieusement de visage dans les années soixante (Belmondo, Meurisse , Delon, Signoret, Ventura, Bourvil, Montand...) a un prix... En apparence, ce film a l'air assez anecdotique, à première vue. Mais c'est trompeur...

C'est trompeur et en même temps, ce Flambeur n'est pas très flamboyant. C'est justement le sujet du film, une sorte de danse de mort sans prestige, sans panache non plus, dans laquelle tout d'ailleurs n'est pas grave: à la fin, Bob en prendra pour quelques années, c'est ce que lui disent de concert son complice et son meilleur ami commissaire qui vient justement de l'arrêter. Pourtant, un homme vient de mourir... C'est que, on est entre hommes, et entre hommes, les codes moraux abolissent les frontières! Mais cette morale d'hommes, c'est tout l'univers de Melville, un monde dans lequel Anne, la petite fille montée à Paris, va détonner, voire détruire la vie de ses protecteurs. Mais elle ne sera pas la seule, car la vraie maîtresse de Bob, c'est le jeu: et c'est principalement ça qui va lui jouer des tours. Ca, et probablement le lien entre lui et Paulo, son jeune poulain, qu'on voit sur la photo suivante...

Le film met en vedette Isabelle Corey, qui a un physique assez étonnant dans le contexte du cinéma Français de l'époque. Elle manque aussi singulièrement de gouaille, mais développe clairement un personnage avec une vraie vie intérieure, faite d'un mélange de désir, de tentations, de loyauté et d'ambitions. C'est une starlette repérée par le metteur en scène, qui la créditera sous le prénom Isabel, "pour faire Américain" à n'en pas douter. Cette obsession de Melville pour le cinéma des Etats-Unis se retrouve d'ailleurs dans une conversation: deux hommes parlent de Bob, pour exprimer leur admiration du vieux gangster. L'un d'entre eux dit que c'est Bob le premier qui a imité les bandits Américains... Un clin d'oeil de Melville à Jean-Pierre, à n'en pas douter! Car ce film si Parisien, qui adopte souvent un point de vue de girouette, en nous donnant à voir toutes les enseignes au néon des quartiers nocturnes, transcrit sur l'écran Français l'atmosphère bien particulière du film noir Hollywoodien, comme Touchez pas au grisbi. Maintenant, puisqu'on parle du chef d'oeuvre de Becker, on va quand même le dire: au moins, Becker avait Gabin, parce que Roger Duchesne, auquel Melville a confié le rôle de Bob, manque singulièrement de relief. 

 

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville Noir
11 juin 2020 4 11 /06 /juin /2020 17:56

Melville l’a souvent dit : il aimait le cinéma Américain, pas ses propres films… En revanche, je pense qu’on peut quand même remarquer que la vaste majorité des cinéphiles qui se sont penchés sur son œuvre en ont retiré des bienfaits… Donc contrairement au cinéaste, le public lui aime les films de Jean-Pierre Melville. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut y avoir d’exception… En ce qui me concerne, c’est exactement le cas des Enfants Terribles…

A l’origine se trouve un roman de Cocteau, qui a d’ailleurs engagé Melville, ou lui a refilé le bébé, et j’imagine qu’en 1950, quand un nom prestigieux vous donne une mission comme celle-ci, il serait indélicat et inopportun de refuser… Cela étant, je vais le dire tout de suite : j’aime pas Cocteau, et ce film me le rend bien…

Donc, laissés à leur sort, les deux « enfants » du titre (des grands enfants, alors), dont la mère vient de mourir, se réfugient dans le jeu pour échapper soit à la tristesse de leur sort, soit à la bienséance, parce qu’il faut dire quand dans leurs activités communes, ils vont parfois loin. Des relents d’inceste sont parsemés tout au long du film, et sinon les jeux tournent vaguement autour de l’érotisme, des relations éventuelles de l’un avec quelque autre personne, et ça va se finir dans le suicide, et même la tentative de meurtre…

Le tout interprété dans le plus pur style « théâtre scolaire » pour des élèves de quatrième. Je n’aimais déjà pas La belle et la bête, j’y ajoute avec entrain ce film pour rien. Il va de soi que nous sommes supposés être subjugués par ces jeux d'enfants à risques... Pas moi.

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville Jean Coquetôt
9 juin 2020 2 09 /06 /juin /2020 17:15

Un hold-up à St-Jean de Monts, nous est narré par le menu. Tout se passe bien, sans qu'un mot ou presque soit échangé, jusqu'à ce qu'un des caissiers ne saisisse une arme et ne tire sur Marc (André Pousse). Les gangsters, leur butin conséquent en poche, s'enfuient, mais doivent le laisser dans une clinique avant de rentrer à Paris.

Edouard Coleman (Alain Delon), commissaire divisionnaire, mène son équipe, et va bien vite se retrouver mêlé à l'affaire. D'abord parce qu'une fois qu'il meurt (supprimé par ses camarades), le gangster blessé et Parisien va déclencher une enquête, mais aussi parce que le chef de la bande, Simon (Richard Crenna), et son épouse (Catherine Deneuve) sont ses meilleurs amis: au point où elle trompe Simon avec Edouard... A moins que ce ne soit Edouard qui trompe Simon, on ne sait plus trop bien tant l'amitié entre ces deux-là est importante...

Je ne sais pas combien de temps exactement, mais le dialogue prend très peu de place dans un film où les gens, foncièrement, agissent plus qu'ils ne communiquent. On se passe de mots, et il est vrai que parfois on ne voit pas trop comment certaines choses auraient pu être dites... Alors il y a deux coups fumants, l'un dans une banque, minutieux, l'autre presque baroque, sur un train en marche. On va le dire ici une bonne fois pour toutes, à l'imitation d'Hitchcock, Melville a voulu tenter de remplacer un vrai train et un vrai hélicoptère par des maquettes, et... ça se voit.

Et puis il y a un aspect moral, qui est inhérent au genre et qui a toujours inspiré Melville. Un code moral, qui est plus l'apanage des truands que celui des policiers, on le voit ici avec ces gens qui tentent par tous les moyens de respecter les autres gangsters... Par opposition à un policier qui n'hésite pas à recourir à des méthodes brutales, qui vont porter leurs fruits... Mais qui laissent des traces. Des traces assez ambigues: un des indics de Coleman est un travesti, qui travaille dur et auquel le commissaire n'est pas indifférent. Quand les infos sont bonnes, le commissaire est content. Quand elles ne vont pas dans le bon sens, le pandore devient homophobe, sec, et même brutal... A l'inverse, Simon tient l'un des ses lieutenants, un ancien banquier qui a tâté du chômage, informé en temps et en heure de l'évolution de la situation quand un de ses hommes les a dénoncés...

Dans cette histoire d'hommes enfin, Melville a réalisé son fantasme ultime: faire croire que l'action se passe aux Etats-Unis... dans sa tête. Ainsi le commissaire emmène-t-il son équipe, dont le fidèle Paul Crauchet, dans sa grosse Américaine... Ainsi les gangsters (dont certains sont interprétés par des acteurs Américains de série B) vont ils arborer la tenue (Chapeau Fedora, Trench-Coat) du gangster Américain des années 50 et rouler en Chevrolet. Invraisemblable? Sans doute, mais c'est le dernier film de Melville, et s'il ne le sait pas encore, du moins nous a-t-il invité dans son univers si particulier, factice, et faits de vrais sentiments et d'une infinie pudeur. Un film, aussi, très très bleu, comme les petits matins peuvent l'être.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Jean-Pierre Melville
7 juin 2020 7 07 /06 /juin /2020 17:10

Le tout premier film fini par Melville, un court métrage de 19 minutes, a été longtemps confiné aux archives, principalement parce que son metteur en scène n'en était pas très content. Quoi qu'il en soit, c'est un curieux exercice de style, réalisé avec la collaboration d'une connaissance, un clown qui avait enchanté le jeune Jean-Pierre Grumbach lors de sa jeunesse. 

Le film suit comme il se doit les 24 heures d'une journée, entre la fin d'une performance de Béby le clown et de son partenaire Maïss, et la performance du lendemain. Des heures concentrées, mais filmées dans la relative intimité du clown, et pas tout à fait documentaires: le personnage s'est amusé à placer quelques gags dans le film...

Il en ressort un étrange exercice de style dans lequel Melville s'évertue à ne jamais se diriger vers un esprit trop positif, mais il ne va pas non plus se vautrer dans un regard misérabiliste... Le ton de ce court métrage, réalisé deux ans après la fin de l'occupation Parisienne, ressemble à un réveil douloureux après un lendemain de fête, et même par moments ferait penser à... L'armée des ombres dans le ton global, par son regard franc et direct sur la vraie vie de ces personnes qui ont choisi le difficile métier de faire rire...

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Published by François Massarelli - dans Jean-Pierre Melville