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1 juin 2018 5 01 /06 /juin /2018 16:49

Toujours se méfier des chefs d'oeuvre officiels. Ces films dont on a un jour décrété qu'on ne peut pas ne pas les voir, et du même coup qu'on ne peut pas ne pas les aimer. 

Taxi Driver est régulièrement cité comme un chef d'oeuvre, un film incontournable, l'une des plus grandes dates du cinéma Américain: il en représente une sorte de paradoxe, aussi: tourné en 1975, il représente un peu l'acte de décès du système des studios, et symbolise une nouvelle époque qui va mettre en valeur les réalisateurs, et qui est déjà en place: William Friedkin, Coppola, Lucas, Malick sont déjà là.

Donc, Robert De Niro incarne Travis Bickle, un chauffeur de taxi qui est un moraliste: il vit à New York seul, consomme et travaille dans la ville, et il souffre d'insomnies permanentes. Il choisit de devenir chauffeur de taxi de nuit, afin d'occuper son temps, et nous parle à travers une voix off prononcée d'une voix morne.

Et Travis Bickle est aussi une éponge, un homme qui capte tout ce qui se dit, se fait dans la ville, et remodèle en permanence ce qu'il dit en fonction de lubies, dont il ne sait pas toujours doser l'effet: quand il sort avec une jeune femme, il l'emmène voir un porno...

Travis Bickle est-il prude, ou est-il gêné par sa propre turpitude? En tout cas il confesse souvent sa propre frustration et son exaspération devant la décadence et la permissivité dont souffre la ville, et la société toute entière, au point d'en avoir de sourdes, sombres idées de violence, difficiles à assouvir et réprimer. Donc Travis achète des armes...

Le reste va couler de source: un sénateur se présente à l'élection présidentielle et Travis sait qu'il peut s'en approcher; un souteneur (Harvey Keitel) a mis dans la rue une ado de douze ans (Jodie Foster) et Travis lui a dit qu'il allait la tirer de là. Alors, tuer un sénateur pour tuer, ou tuer dans tous les sens pour faire le chevalier blanc?

Et d'ailleurs, est-ce si différent?

La très belle musique de Bernard Herrmann devrait être un passeport immédiat, le jeu de De Niro, la narration en voix off, la progression hypnotique... oui, mais voilà: j'ai beau essayer, je reste froid. J'apprécie la tentative, je trouve l'idée intéressante, l'art consommé de l'improvisation de ces acteurs me semble impressionnant, mais... C'est froid, ennuyeux. Souvent vide et embarrassant de silences et d'attente. La fameuse scène souvent citée (par des gens qui ne l'ont sans doute pas vue, car "c'est un vieux film") est assez dispensable, pour ne pas dire franchement inutile...

Un chef d'oeuvre officiel, quoi, le genre qu'on n'a pas le droit de discuter. 

Sans moi.

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Published by François Massarelli - dans Martin Scorsese Jodie Foster
22 mars 2018 4 22 /03 /mars /2018 09:30

Suite à une agression dans laquelle elle est grièvement blessée, et son petit ami (Naveen Andrews) tué, une jeune femme (Jodie Foster) se transforme en une justicière presque par hasard, avant de commettre de nombreux meurtres. Touchée régulièrement par des remords, elle entre en contact avec le policier (Terrence Howard) responsable de l'enquête, avec lequel elle partage des discussions philosophiques et ambiguës sur les limites et les frustrations de la loi...

Dans la filmographie de Neil Jordan, on trouve de tout (Et même parfois n'importe quoi: Interview with a vampire, par exemple); depuis quelques années, le metteur en scène a pris une orientation assez proche de celle d'un Ridley Scott, ne sélectionnant plus les films, et attendant que les propositions viennent à lui plutôt que de chercher à financer des films qui ne se feront jamais. Son détachement et son esthétisme aidant, il épouse ainsi des projets dans lesquels il serait vain de chercher une idéologie personnelle, d'où ce film passionnant, dans lequel tout le monde trouvera son compte.

Aux Etats-Unis, et d'ailleurs, il a été récupéré par tous les participants du débat sécuritaire: la droite conservatrice s'en est servi afin de stigmatiser une politique sécuritaire trop molle, la faute estiment-ils aux administrations Démocrates (dans les municipalités) trop indulgentes; les fous des armes y ont reconnu leur idéologie partisane d'une justice administrée par le citoyen, représenté ici en ange exterminateur touché par une colère qu'on peut légitimer par le drame survenu au début du film. Enfin la gauche peut faire siens les doutes qui sont parsemés tout au long du film, et la dimension morale représentée par les nombreux personnages qui agissent en qualité de témoins muets, mais clairement critiques à l'égard des actes de vengeances qui y sont montrés.

Et la vérité? D'une part, un film est un film, il ne juge pas, n'assène pas toujours, n'impose pas de vision; qu'on se rappelle de Dirty Harry (Le grand-père de ce film par bien des côtés) et des malentendus à son égard: Clint Eastwood l'a souvent rappelé, il n'est pas Harry Callahan; ici, le propos des concepteurs est essentiellement d'illustrer un aspect terrible de la réalité des Etats-Unis, ce manque de repères et de perspectives face au crime et au drame.

Pourtant le principal intérêt de ce film ne se situe pas dans le débats sur la participation active à la violence, légitimée ou non par le concept d'auto-défense, et de recours au fait de prendre la responsabilité d'administrer la justice. Il nous conte le parcours inattendu d'une femme qui passe totalement de l'autre côté, et se transforme en ce qu'elle n'a jamais été: Erica Bain, new-Yorkaise qu'on imagine fervente démocrate, est une personne qui vit tranquille à New York, une ville qu'elle aime tant qu'elle en a fait le sujet de ses chroniques radiophoniques. Elle se promène dans la ville par hobby et par passion, jusqu'au jour ou la peur s'installe. En devenant cet ange exterminateur, elle devient une autre, elle devient tout ce qu'elle n'aime pas, une part enfouie de sa personnalité qui ne demandait, peut-être qu'à sortir. C'est là que sa démarche de se rapprocher du policier est intéressante: elle cherche auprès de lui un retour à la normale, ou une opportunité de sortir de sa fuite en avant, voire une légitimité pour sa nouvelle vie. Lequel des trois? la réponse est bien sûr ambiguë, mais elle fait le sel de ce film complexe.

 

Bien sûr, un film n'est qu'un film, et on doit y provoquer un peuls choses, de manière à avoir un terrain de jeu valide. Mais si on est prêt à accepter qu'un médecin spécialiste des diagnostics délirants se voit confier 24 cas extrêmes par an, pour prendre l'exemple de House M.D. (Docteur House in french), un film, ce n'est pas une série: une agression toute les deux minutes, partout ou Jodie Foster passe, c'est énervant. Et ça nous rappelle étrangement une vision déformée de nos sociétés dans lesquelles on voudrait nous faire croire que le l'homme est en permanence un loup pour l'homme. Si on veut bien comprendre les personnages d'un point de vue dramatique (a ce niveau le film est vraiment impeccable, et Foster est fantastique), cette insistance pour présenter des USA en proie au chaos criminel prend évidemment le risque de justifier que le commerce sauvage des armes, ou l'idée populiste répandue qu'il faut se méfier de tout et de tout le monde, surtout en période d'élection, et ça, non, vraiment, ce n'est pas souhaitable.

Reste un film ou, une fois de plus, Jordan se fait l'avocat du diable: un homme fautif dans une affaire d'adultère (End of the affair), des vampires qui parlent à la première personne (Interview...), et maintenant une femme qui tombe dans les travers de la justice expéditive...

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Published by François Massarelli - dans Jodie Foster Noir
21 mars 2018 3 21 /03 /mars /2018 18:06

Pour sa deuxième réalisation, Jodie Foster choisit de ne pas apparaître devant la caméra, mais on peut quand même au moins émettre l'hypothèse que ce ne soit pas tout à fait un hasard si Holly Hunter lui ressemble un peu sur les photos promotionnelles. Mais voilà: par principe, la cinéaste interdit à l'actrice qu'elle est de prendre toute la place dans le film, et cette fois, contrairement à la mère dépassée par les événements de Little Man Tate, le moins qu'on puisse dire de Claudia, c'est bien qu'elle est le rôle principal du film...

Claudia est peintre, mais elle est surtout restauratrice d'oeuvres d'art. "Etait", plutôt, car elle est licenciée dès la première scène. C'est Thanksgiving, et elle doit quitter Chicago pour retourner chez ses parents à Boston. Sans sa grande fille Kitt (Claire Danes), qui a décidé de passer le jour de fête chez son petit mi, avec lequel elle admet à sa mère, fièrement, qu'elle aimerait bien coucher.

Bref, Claudia ne va pas bien, et en plus il lui faut affronter le cirque familial: des parents (Anne Bancroft et Charles Durning) qui s'adorent mais passent le temps à se chercher des poux dans la tête, une soeur (Cynthia Stevenson) critique de tout, avec un mari (Steve Guttenberg) ennuyeux au possible et des enfants qui vont avec, et son frère Tommy (Robert Downey Junior) qui vient de se marier plus ou moins en secret avec son compagnon de longue date, Jack. Celui-ci est absent, mais la tante Glady (Geraldine Chaplin) est bien là, elle, un peu gâteuse, et un peu pétomane sur les bords...

Bref, beaucoup d'occasions de rappeler, voire revivre, le passé en famille pour Claudia, et peu de perspectives d'avenir, s'il n'y avait Leo, un ami de Tommy qui l'accompagne. Et ça tombe bien, car la raison qui l'a poussé à venir, c'est une photo de Claudia...

Le trait est volontiers grossier, un peu comme la première demi-heure de Money Monster. Mais Claudia et sa famille, y compris dans ses escarmouches entre la prude grande soeur, et le transgressif Tommy. On sent que Downey n'en fait absolument qu'à sa tête, comme beaucoup d'acteurs du film du reste (Et Cynthia Stevenson est géniale). Ca maintient une certaine bonne humeur, dans ce qui risquerait d'être un peu une recherche molle du temps perdu. Et même si nous nous sommes longtemps couchés de bonne heure, on préfère un film comme celui-ci quand on peut y rigoler un peu...

Vers la fin du film, quand la restauratrice d'oeuvres anciennes, qui vient d'aller au bout de ses souvenirs, trouve enfin une raison de se raccrocher à l'avenir, ce sont tous les personnages qui défilent sous nos yeux, dans une certaine joie de vivre (y compris la soeur acariâtre) en super 8, comme si les valeurs du passé et du présent s'étaient inversées... Une jolie idée, finalement, qui nous évite un gros coup de bourdon, car la déprime, ça passe.

Hélas, comme les années.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Jodie Foster
20 mars 2018 2 20 /03 /mars /2018 18:19

La dépression, vue de l'intérieur, du chaos intérieur: voilà le sujet de ce film qui réussit constamment à naviguer entre comédie et drame, entre description rationnelle et décalage inquiétant. Mel Gibson est excellent, mais oui, quant à la réalisatrice, elle s'est gardé un rôle moins marquant, comme elle l'avait fait avec son premier film, Little man Tate: là encore, elle y joue un personnage lié au "héros" (Elle était en la mère dans le premier film, elle est ici l'épouse), mais qui non seulement ne comprend pas le problème, et plus encore dans ce film en deviendrait presque l'ennemi... On y verrait bien comme un goût pour les situations de crise, qu'elle soit familiale, ou liée à une prise d'otage (Money Monster).

Walter Black (Mel Gibson), nous informe une voix off mystérieuse au fort accent Australien, est dépressif. Du coup, tout dans sa vie se casse la figure: son épouse Meredith a beau avoir de la patience, elle en a marre de ce mari qui ne fait que dormir. Son entreprise, héritée de son père, est en train de tout perdre, et il ne mène plus rien. Si son plus jeune fils Henry lui est pour l'instant très attaché, son grand fils Porter (Anton Yelchin) est en plein conflit. 

Quand Meredith décide de chasser Walter purement et simplement, Porter applaudit... Et Walter se saoule, et tente de se suicider.

Il en sera empêché par une marionnette, celle d'un castor qui va désormais "le prendre en main". Bien que le castor en question soit juché sur la main de son "support humain", et que ce dernier parle pour lui visiblement, on jurerait que la bête est vivante. Et dans un premier temps, Walter va aller mieux. Mais c'est surtout que le castor va prendre le pouvoir, ce que Meredith, d'abord séduite par le regain d'énergie et d'optimisme de son mari quand il est sous l'influence d'un castor, va avoir de plus en plus de mal à accepter.

Une sous-intrigue, qui met en lumière une sorte de malédiction familiale, s'intéresse à la vie de Porter au lycée, son business de devoirs faits pour les autres, et sa rencontre avec la fille la plus en vue du lycée, qui lui confie un 'travail'. Mais si la belle Norah (Jennifer Lawrence) est attirée par Porter, celui-ci va tout gâcher... cette portion du film est sympathique, mais nettement plus conventionnelle. Mais elle n'est qu'un des points de vue complémentaires et contradictoire d'une réalisatrice (On le voit bien dans son film Money Monster) qui aime beaucoup croiser les subjectivités autour d'un personnage. Mel Gibson a beau être en permanence ou presque à l'écrn, nous n'avons jamais son point de vue, mais celui de sa famille, de ses collaborateurs...

...et du castor bien entendu. Admettons-le: personne ne pourra décider à la fin, si l'animal existe vraiment, ou s'il s'agit d'un tour de passe-passe psychologique visant à sortir de la dépression, et qui tourne particulièrement mal. Car le film, en dépit de son prétexte loufoque, n'a absolument rien d'une comédie: il est profondément noir, et touche vraiment juste sur le sujet de la dépression, et installe un véritable malaise. Et Mel Gibson, qui sent généralement le soufre, n'y est pas pour rien.

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Published by François Massarelli - dans Jodie Foster
18 mars 2018 7 18 /03 /mars /2018 08:59

Admettons qu'on n'attendait pas forcément Jodie Foster sur le terrain de la parabole socio-économique, avec une prise d'otages dedans! C'est que la réalisatrice de Little man Tate, Home from the holidays et The Beaver, faisait jusqu'à présent dans l'exploration de la famille... Mais ça n'empêche ni l'indignation, ni les convictions. Et Foster s'est beaucoup fait la main sur des séries ces dernières années... On ne s'étonnera bien sûr pas vraiment de trouver ici George Clooney, dans un rôle qui lui permet de choisir plusieurs cibles sans aucune hésitation pour la parodie: les présentateurs télé les plus odieux d'une part, et son Lee Gates est particulièrement poussé dans le genre, et les obsédés de l'argent d'autre part, ces journalistes, chroniqueurs ou consultants, qui commentent dans les médias les flux d'argent et la bourse comme on parlerait de sport.

Et c'est là que, je pense, on peut sans aucun problème parler d'indignation, car ce que rappelle Money monster, c'est précisément que derrière ces mouvements d'argent, cet appel à l'actionnaire à faire monter ou descendre des titres, il y a des gens qui risquent leur pécule, et parfois même leur santé... Un jour, l'un d'entre eux, Kyle Burdwell (Jack O'Donnell), attiré par les chroniques de Lee Gates et séduit par un titre qui "était moins risqué" qu'un compte d'épargne, selon le commentateur, a risqué tout ce qu'il avait, et... tout perdu. Et il n'est pas le seul: quand le film commence, le désastre vient d'avoir lieu, et Lee Gates commente nonchalamment la chose, sans savoir que dans le studio derrière lui, Kyle Burdwell se tient prêt à intervenir. IL est armé, il a deux ceintures d'explosifs, et il entend bien se venger, et venger tous les tous petits actionnaires, d'un système qui ne tourne pas rond. Et tant qu'à faire, il veut effectuer cette vengeance en direct à la télévision...

Le film commence justement par le début d'une chronique de "Money Monster", l'émission de Gates. C'est un personnage odieux, qui transforme tout en spectacle vulgaire, mais l'équipe, très professionnelle, le suit. Chaque détail est en réalité plus ou moins conforme à un script, même si la réalisatrice, Patty (Julia Roberts), se plaint souvent de l'imprévisibilité de son présentateur. Mais enfin, on sent l'émission ultra-populaire... dont le sujet finit par disparaître au profit du show.

C'est que le film nous parle, quand même, de la perte des repères, de l'abandon des valeurs, de l'absence de dignité: aussi bien celle des spéculateurs, et des groupes financiers, qui sont pointés du doigt de plus en plus au fur et à mesure de l'évolution du film, mais aussi bien sûr celle des médias, et de tous ceux qui y travaillent (lors de la prise d'otages, on constate que la phrase la plus souvent entendue par Kyle Burdwell quand il s'adresse aux techniciens, c'est "Hey, I just work here, alright?", un abandon du libre-arbitre, au profit d'une mise à disposition de l'être humain à ses supérieurs hiérarchiques: bref, "ce n'est pas moi, c'est le système". 

Ca devient assez vite naïf, et un peu gros: par exemple, vêtu d'une ceinture d'explosifs, Clooney va se ranger finalement aux côtés de son preneur d'otages, et à eux deux ils vont se lancer dans une croisade express contre un groupe de spéculateurs qui, on va le découvrir, ont un certain nombre de casseroles... Durant le film, ça passe tout seul, mais ça reste quand même un peu louche. Mais le film se soumet à un rythme, chaotique et très rapide dans la mesure où une bonne part, et c'est là l'intérêt, est vue du point de vue de Patty, la réalisatrice. Celle-ci, qui doit garder un oeil sur tout, et anticiper, et parfois même piloter une action extérieure à l'émission, devient inévitablement un relais de Jodie Foster elle-même, et elle est un peu complétée par une autre femme: Diane Lester (Caitriona Balfe) est la porte-parole du groupe qui a plongé, et elle apprécie peu d'être la lampiste d'un système dont elle se sent elle aussi la victime. En cherchant son patron, qui est supposé injoignable, elle va découvrir des malversations...

Tout va finir pour le mieux dans le meilleur de

s mondes? Non, bien sûr, pas tout à fait. Si le film entremêle deux styles, l'un inspiré par la comédie, l'autre hérité du thriller, il reste aussi un drame humain et le rappelle constamment. On passera sur certains personnages peu développés et parfois excessivement caricaturaux (La petite amie enceinte du preneur d'otages, convoquées pour le faire lâcher prise, et qui lance dans une bordée d'injures, et lui disant "allez, vas-y, fais tout exploser!", n'est pas du meilleur goût...), ou sur le fait que les techniciens, qui risquent (du moins le croient-ils, et nous aussi) d'exploser à tout moment, réussissent à trouver le moyen de mettre le show sur les ondes, et de reprendre le contrôle de la diffusion du drame humain qui se joue sous leurs yeux. C'est douteux, et ça a un peu tendance à diluer une partie du message, car la télévision et les médias jouent quand même, dans la situation de base de ce film, un rôle considérable.

Peut-être que le fait que Clooney et Roberts soient à la barre a poussé Jodie Foster à les dédiaboliser? Peut-être que la parabole se doit d'être simplifiée? Peut-être que... ce n'est qu'un film? 

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Published by François Massarelli - dans Jodie Foster George Clooney
27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 09:41

Il est plus question de papillons que d'agneaux dans ce splendide film de l'ex-documentariste Jonathan Demme, qui s'intéresse précisément à l'étrange période d'entrainement d'une jeune femme sur le point de devenir un agent du FBI, Clarice M. Starling (Jodie Foster). Quand le film commence, cette dernière est en pleine course, dans le cadre intensif de son entrainement. On en aura la confirmation très rapidement, Clarice n'est pas encore intronisée agent du F.B.I., d'où une nette impression que les pas qu'elle va faire dans le cadre de cette enquête qu'on lui confie, d'abord par petits bouts, sont cruciaux... Et bien sûr, les deux heures de ce film sont le récit initiatique d'une chrysalide stagiaire qui devient à son tour un papillon du FBI!

Et pourtant, ce qu'on lui demande, dans un premier temps, est très vague: son supérieur veut que la jeune femme essaie de persuader un psychiatre enfermé, le docteur Hannibal Lecter, de collaborer depuis sa cellule avec le FBI. Elle l'apprendra plus tard, en réalité, on souhaite ardemment son aide dans le cadre d'une enquête brûlante, pour attraper "Buffalo Bill", un psychopathe qui a déjà laissé plusieurs cadavres de femmes derrière lui, et qui s'apprête à frapper à nouveau. Bref, on utilise Starling, ou du moins, on lui donne un minimum d'informations, d'une part pour ne pas la mettre en danger, et d'autre part, quand même pour la tester.

Et ce n'est pas rien, car partout où elle va, ce petit bout de femme se heurte à la masculinité sans fards de ses collègues stagiaires (qui se retournent sur son passage avec des regards qui en disent long), de son supérieur (Venez me parler en privé, shérif, je ne voudrais pas effaroucher ma jeune et jolie stagiaire), du docteur Chilton, directeur de la prison psychiatrique pour criminels dangereux (Un séducteur de la pire espèce: persuadé qu'il est séduisant, alors que...), mais aussi des policiers et techniciens de la police scientifique rencontrés sur le terrain, ou bien sûr les criminels qui entourent le Dr Lecter.

Mais pas ce dernier, qui lui manifeste un respect, une courtoisie pour reprendre ses mots, qui le rendraient presque sympathique, si ce n'était une stratégie d'une part, et s'il n'entrecoupait leurs aimables conversations de références à ses dîners cannibales!

Un film qui est d'abord la rencontre entre un monstre et une héroïne en devenir, confrontée à un cauchemar total pour sa première mission d'envergure. Clarice est coincée entre ses trois pères: le vrai, décédé quand elle était encore une enfant, le père officiel de substitution, le parfois décevant supérieur hiérarchique Jack Crawford (Scott Glenn), et le père inattendu, celui qui va paradoxalement lui apporter peut-être le plus: Hannibal Lecter (Anthony Hopkins), psychopathe enfermé et consultant occasionnel dans les affaires de dingues, qu'on ne présente plus.  Et Demme, qui a dit et répété qu'il n'était pas intéressé du tout par les histoires de serial killer, a pourtant fait ce film... Mais le metteur en scène y était attiré en raison d'un personnage fascinant, celui de Clarice Starling justement. Comment une femme va devoir affronter les monstres modernes, pour elle mais aussi afin de devenir une héroïne, et afin d'exister: vous avez remarqué? Comme dans Philadelphia deux ans plus tard, Demme fait tout pour nous cacher la vie privée de Starling, dont on sait juste qu'elle vit en colocation avec une collègue de l'académie, et dont on connaît mieux le passé: la mort de sa mère, celle de son père policier quand elle avait dix ans, et une grosse revanche à prendre sur la vie et la solitude. Et au criminel surnommé "Buffalo Bill", qui convoite ce à quoi il n'a manifestement pas droit, le film oppose Starling, qui mérite ce qu'elle va devoir prendre à coup de flingue s'il le faut: c'est un film dans lequel une femme, clairement, prend le pouvoir, et Jodie Foster n'est pas pour rien dans la réussite absolue du film.

Demme, dès le départ, fait semblant d'entrer dans cette histoire derrière Clarice, comme si celle-ci était suivie d'une équipe de tournage. c'est l'un des atouts majeurs de ce film dont la stylisation  passe justement par l'apparente absence de style. Mais tout est dans le détail (Y compris ou surtout pour Lecter, le fou furieux auquel rien n'échappe, pas même le parfum que Clarice utilise parfois, "mais pas aujourd'hui"...), dans l'accent d'un personnage, dans la prononciation d'une syllabe, dans le plan aussi. Et dans le montage de Craig McKay, bien sûr, on a tous en mémoire deux séquences de haute volée dont Demme n'a pas souhaité revendiquer la paternité, et qui ont assuré la renommée de ce film et ne sont sans doute pas pour rien dans son succès, ainsi que dans le fait que Silence of the lambs ait décroché l'Oscar du meilleur film: pas mal pour un film policier... Le monteur a suggéré à Demme de bouleverser l'orodonnance d'une bobine entière afin de faire monter la température du public... Et ça marche!

Avec ses deux stars, Anthony Hopkins dans le rôle de sa vie et Jodie Foster qui est particulièrement impressionnante, Demme a sans doute plus et mieux montré avec son film qu'on ne le fera jamais dans les infos télévisées du monde entier. Son film a revitalisé et même changé le visage du genre policier pour longtemps, et on a très rarement fait mieux depuis. 

 

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Published by François Massarelli - dans Jonathan Demme Noir Jodie Foster Criterion Yum yum
30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 22:12

C'est marrant, la première fois qu'on l'a vu, j'étais vaguement goguenard, un brin moqueur devant des "grosses ficelles" qui rendaient la vision efficace, agréable, mais aussi un peu racoleuse. Elles sont, sans doute, toujours là, et en particulier à la fin de ce film, mais il y autre chose...

Nell, c'est une enfant sauvage, qui vit en montagne, près de Charlotte en Caroline du Nord. Le terme "Enfant sauvage" est bien sur impropre, puisque elle a 30 ans et plus et qu'elle a vécu jusqu'à ce jour en compagnie de sa mère: celle-ci vient de mourir. Elle est " découverte" à la faveur d'une inspection de la police locale, une fois qu'un jeune homme local chargé d'amener des vivres à la vieille ermite aura rapporté le décès. S'ensuit une observation par deux scientifiques opposés quant à la marche à suivre, un homme, une femme, et un bras-de-fer avec la justice Américaine afin d'éviter l'internement à Nell, qui culmine dans une intervention de la jeune femme, qui s'exprime dans un Anglais décalé, devant un parterre de juges, avocats, experts et quidams divers et variés, en bonne héroïne d'un film édifiant.

On ne croit pas un seul instant au final, censé probablement sceller l'Oscar de Jodie Foster (Qu'elle n'aura d'ailleurs pas). Mais ce qui fait la valeur du film, c'est Jodie Foster elle-même, et un rôle à la frontière de l'autisme; divers grands mots en relation avec l'autisme sont d'ailleurs prononcés, il y est question d'Asperger, et "Nell" est souvent qualifiée d'autiste, mais ce débat n'est finalement pas résolu, pour se concentrer principalement sur deux aspects de la personnalité de Nell qui rendent le film fascinant, par certains cotés: la perte d'une jumelle, complice et autre moitié, dont les jeux lointains, perpétrés dans le souvenir, sont encore la seule distraction de Nell ainsi que sa clé vers la communication et son rapport au monde; son langage, acquis dans de drôles de circonstances: coupée du monde, la mère s'était retirée suite à un viol (Dont les deux filles seront clairement le produit) mais elle était également atteinte de paralysie faciale, empêchant un discours clair: c'est cet Anglais-là, accompagnés des idiosyncrasies propres à deux fillettes seules, que Nell parle et que les deux "spécialistes" doivent apprendre.

Foster est splendide, donnant beaucoup tant physiquement que verbalement: il fallait rendre crédible corporellement cet isolement dans laquelle la jeune femme a vécu, mais aussi donner à voir le sens qu'elle attribue à ces étranges paroles qu'elle prononce. La morale du film, qui est que globalement on a tout à apprendre y compris de ceux qui comme Nell sont différents, est passée à travers une jolie scène durant laquelle Nell, d'une part, affiche sa complicité avec une petite fille, à laquelle elle a appris les rudiments de son langage, et d'autre part affiche une soudaine mélancolie: La petite fille est un écho de sa soeur perdue (Mary, ou My'i, en langage Nell), de sa complicité disparue, et donc de sa propre enfance désormais finie et bien finie; la confrontation à "notre monde" lui a appris un certain réalisme, et elle n'affiche plus sa frustration par des crises d'angoisse, elle écrase désormais une larme, loin du regard. Un petit rien? Non, un grand pas, croyez-moi. Dans ces cas-là, toute avancée même microscopique est un pas de géant.

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Published by François Massarelli - dans Jodie Foster Le coin du bizarre
25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 10:00

 

Panic room, cinquième long métrage de David Fincher, est une leçon de cinéma, et un manifeste personnel de l'art de la mise en scène selon David Fincher. D'une part, le film est un exercice de style, en matière de suspense et de tension cinématographique, qui repose sur une construction logique, basée sur un ensemble de préceptes clairs. Ensuite, le film est d'une rigueur impressionnante, tant dans l'élaboration de chaque plan, dans les choix de montage (Et de « montrage »), que dans la mise en route d'une situation dont toute image inutile est bannie. Après le manifeste punk de The fight club, Fincher affûtait ses couteaux, et se préparait à réitérer l'expérience avec Zodiac, un autre film dans lequel assurance de la mise en scène irait de pair avec rigueur et pragmatisme...

Meg et Sarah, la mère et la fille, se voient offrir par Stephan, le père richissime qui a filé avec une jeune femme, une maison qui rendra le partage de la fille par le couple séparé plus facile, à deux pas de chez lui; en plein Manhattan, c'est une demeure impressionnante, de plusieurs étages, avec ascenseurs et surtout une « panic room », un dispositif de sécurité qui permet aux habitants de se mettre instantanément à l'abri de tout danger éventuel dans une chambre forte aménagée pour tenir un siège. Et le soir de leur emménagement, l'héritier du propriétaire décédé, qui croit la maison vide (Meg a décidé de brûler les étapes et de ne pas attendre avant de s'installer), vient avec deux malfrats pour trouver un magot qui serait justement caché dans la fameuse « panic room »...

L'intrusion d'un danger dans un espace fermé, avec les figures multiples d'un jeu de cache-cache mortel, c'est un cas de figure auquel Fincher est rompu: Alien3, son premier effort, n'est que ça, Ripley affrontant cette fois un alien au milieu d'une petite planète transformée en espace pénitentiaire; Seven joue aussi sur cette notion d'enfermement, en transformant San Francisco en un lieu d'enquête claustrophobe, avec confrontation au mal absolu. The game aussi voyait un homme s'enfermer dans un système déstabilisant sur lequel il n'avait aucun contrôle... Donc Panic room est la concrétisation d'un thème cher au metteur en scène, son expression la plus pure aussi. Un film sans second degré, d'une certaine manière, dans lequel il ne faut pas chercher midi à quatorze heures... Tous les acteurs sont fantastiques, Jodie Foster en tête, qui remplaçait pourtant au pied levé Nicole Kidman.

Outre Meg (amère face à son mariage foutu en l'air) et Sarah (préado un rien cynique et diabétique), les autres personnages qui comptent dans ce film sont les cambrioleurs, parfaitement définis: nommé « Junior » du début à la fin, l'héritier (Jared Leto) est sans doute le plus caricatural, un fort en gueule qui a cru amener le plan du siècle à deux autres personnes, et qui a négligé suffisamment de détails pour que l'opération tourne à la catastrophe. Il avait prévenu Burnham (Forrest Whitaker), un technicien qui a travaillé sur la maison, précisément à l'élaboration de la « panic room », et qui a de sérieux besoins financiers, sans pour autant lui dire qu'il faisait appel à un troisième homme, un chauffeur de bus nommé Raoul (Dwight Yoakam) qui passe les trois quarts du film avec une cagoule sur le visage, et qui ne rigole pas du tout: c'est un psychopathe, d'autant plus inquiétant qu'il est laconique et que son visage est caché. Le contact ne passe pas bien entre Raoul et Burnham, celui-ci ayant des principes. L'alchimie des trois personnages commence par tirer le film vers la comédie, avec des échanges savoureux, puis le danger représenté par Raoul finit par tout emporter. Bien sur le plus humain reste Burnham, qui refuse de cautionner des meurtres, et il est d'autant plus amer qu'il va constamment à l'encontre de ses principes. Une scène le voit aider Sarah qui a besoin d'une piqûre d'insuline, le rapport est étrangement facile entre eux...

Dès le départ, le générique inscrit les nom des acteurs, techniciens et participants du film à hauteur d'immeuble, dans des vues majestueuses de Manhattan, puis on assiste à l'arrivée de Meg (Jodie Foster) et Sarah (Kristen Stewart) à la maison en compagnie d'un agent immobilier afin de visiter. On ne quittera plus la maison jusqu'à la fin, tout le script de David Koepp s'organisant autour de cette fameuse soirée qui va virer au cauchemar pour la mère et la fille. Le réalisateur s'est plu à donner à ses caméras une mission: celle d'alterner en les liant les points de vue (Divergents, on l'a vu) des trois cambrioleurs, ceux des deux femmes, Meg en particulier, ceux enfin... de la maison. L'intrusion des hommes est en effet vécue de l'intérieur, sans que Meg le sache, et la caméra virevolte d'une pièce à l'autre au fur et à mesure de l'avancée des intrus. Fincher a effectué quelques clins d'oeil à ce sujet, passant d'une façade à l'autre en passant par tous les objets, allant jusqu'au fond d'une serrure où on voit une clé qui tente de faire son office, etc... Cette virtuosité se sent aussi dans la façon d'envelopper les personnages, de les cadrer au plus près, toujours au meilleur endroit pour appréhender aussi bien l'action en elle-même que les pensées des personnages. Il se place aussi en maître du temps, en ralentissant à un moment crucial l'action jusqu'à l'extrême, se faisant l'impasse au passage sur des dialogues jugés redondants ou inutiles (Le moment ou Meg, retranchée avec Sarah dans la "panic room", tente une sortie pour récupérer son portable alors que les trois hommes sont dans l'escalier à débattre). Enfin, il manifeste son contrôle absolu d'une situation où les deux camps sont bien sur un peu metteurs en scène eux-mêmes, la maison étant bien entendu dotée de nombreuses caméras et d'un circuit vidéo interne, dont les écrans sont évidemment dans la chambre forte. Le film est totalement dominé par la mise en scène de Fincher, qui savait ce qu'il voulait au point de remplacer le directeur de la hotographie Darius Khondji (Son complice de Seven) par Conrad Hall, Khondji n'ayant aucune envie de n'être qu'un participant au projet, dont Fincher refusait de laisser la moindre parcelle de responsabilité sur l'image...

Un hommage discret à Hitchcock, au moment où nous entrons dans la maison? Un homme assez corpulent, d'age moyen avec une moue boudeuse passe dans la rue alors que Meg et Sarah entrent dans la maison pour la première fois. Pas un hasard, ni un caprice, juste une façon, sans doute, d'annoncer que le jeune metteur en scène a relevé le gant. J'en suis pour ma part persuadé, et la suite de sa carrière l'a prouvé, David Fincher est l'un des plus importants metteurs en scène du cinéma actuel.

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Published by François Massarelli - dans David Fincher Jodie Foster
11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 10:39

Succéder à Amélie Poulain, ce n'était évidemment pas gagné; le succès phénoménal du film, dans le monde entier, a eu deux effets: d'une part, achever de présenter le cinéaste au grand public, en le détachant totalement du reste de son oeuvre, principalement représentée par trois autres longs métrages de styles divers; d'autre part, officialiser un quasi-divorce entre Jeunet et la critique Française, qui le voit désormais comme un truqueur, voire pire: un nouveau Besson. C'est d'autant plus injuste que Jeunet, lui, a du talent... la situation n'allait pas s'améliorer, puisque la profession cinématographique allait emboîter le pas à la critique en partant en croisade contre ce film, accusé de porter atteinte à la production Franco-Française en se faisant distribuer par Warner.... ce qu'on n'a jamais reproché à Tavernier en son temps, par exemple, voire à Chabrol, de même qu'on a semble-t-il toujours revendiqué Les félins de René Clément (production MGM tournée en anglais) comme un film Français, sans parler de The big blue ou The Fifth Element, de Luke Besson, pas spécialement tournés en Français non plus... Tout ce préambule est là pour situer, il y a bien sur des problèmes plus importants, mais lorsque Jeunet se dit, en 2004, victime d'un acharnement médiatique, il n'a peut-être pas tout à fait tort.

L'un des problèmes auxquels le film devra faire face de toute façon, c'est bien sur le fait qu'il ne soit en aucun cas Amélie II. Il y a un monde entre Delicatessen et la Cité des enfants perdus, puis entre ce dernier et Alien Resurrection. Jeunet a déja prouvé sa versatilité... Mais ici, il se livre à quelque chose de nouveau: finie la science-fiction, finie la fantaisie liée à la création d'un monde fantastique sans nom... Avec ce film, on recrée un monde qu'on connaît, voire qu'on croit bien connaître... il y a du Tardi dans le Jeunet qui s'engage à recréer avec maniaquerie la guerre des tranchées. Du reste, il y a du Tardi aussi dans la représentation du début des années 20 en France, avec ses décors qu'on croirait repris d'une version prolongée d'Adèle Blanc-Sec, qui se continuerait dans les décennies suivantes... Alors le film n'est pas que cette reconstruction maniaque, mais elle a été accomplie avec un tel soin (et le renfort notable d'effets spéciaux pointus, qui n'ont pas manqués d'être reprochés au cinéaste, bien entendu) qu'elle entre en compte de façon importante dans le puzzle ainsi obtenu.

Oui, parce que ce nouveau film de Jean-Pierre Jeunet est un puzzle, à la fois par son histoire (Une "enquête" menée après la guerre par une jeune femme qui recherche son amant disparu) et par son déroulement (un ensemble de points de vue qui sont centralisés par la jeune femme et sa famille, mais pas seulement, le spectateur ayant parfois droit à des avant-premières qui renforcent le mystère). Un puzzle qui est certes complexe, mais qui reste en permanence d'une grande lisibilité. Et bien sur, ce puzzle est propice à l'utilisation des obsessions de Jeunet, qui nous présente un grand nombre de boîtes à secrets (telle celle qui contient les objets laissés par cinq condamnés à mort à leurs proches), et utilise les ressources améliorées du split-screen, façon 1915 pour montrer le cheminement des associations d'idées dans la tête de Mathilde.

C'est à porter au crédit d'Audrey Tautou de ne pas s'être noyée au milieu de toute cette construction complexe, pas plus d'ailleurs qu'aucun personnage. Jeunet les aime, ses protagonistes, depuis Mathilde et sa quête folle jusqu'à Germain Pire, le détective dont il a confié le rôle à Ticky Holgado mourant. Il a enfin réussi à s'attacher les services d'André Dussolier, dont la narration du Fabuleux destin d'Amélie Poulain est dans toutes les mémoires, et confie des rôles à un grand nombre d'acteurs, dont l'inévitable Dominique Pinon, mais aussi Chantal Neuwirth, Daroussin, Jean-Paul Rouve, le revenant Jean-Claude Dreyfus, Clovis Cornillac voire Jodie Foster. Car s'il est parfois reproché à Jeunet de privilégier son imposant château de cartes sur l'humain, il a soigné sa distribution, et une fois de plus a laissé la part belle à ses personnages, dont il sait faire de leurs passages parfois très courts à l'écran les reflets d'une vie tangible: ainsi en est-il de Benjamin Gordes dit Biscotte et de son ami Bastoche; pareillement pour le capitaine irascible (Dont le dialogue pétri de grossièreté renvoie explicitement à Tardi et à ses marginaux en colère: un échange en pleine tranchée entre lui et un soldat se résume ainsi:

Soldat: -Merde!

Capitaine: Ta gueule!

Soldat: -Merde!

Capitaine: Ta gueule!)

Tout ça a une importance, parce qu'en fait beaucoup plus que l'évocation d'une époque, ce film est une accumulation de puzzles humains, des gens qu'on nous présente et qui se présentent à nous dans leur fragments, que nous assemblons d'épisode en épisode, tels ce "paysan de la Dordogne" qui prend tant d'importance au fur et à mesure, ou l'énigmatique soldat Desrochelles... Le plus transparent des acteurs dans ce contexte, c'est Gaspard Ulliel qui joue l'objet de la quête, Manech.

Le puzzle n'est, pas plus que la reconstitution maniaque, le fond du film, mais on ne saura reprocher à Jeunet d'avoir voulu faire un cinéma formellement ambitieux. D'autant que c'est très réussi. Mais ce qu'il a voulu faire ici, c'est comme toujours raconter la lutte d'une personne contre le temps qui passe (d'où l'obsession de Bénédicte, la tante de Mathilde, pour que sa nièce se case, et cesse de vivre dans ce qu'elle estime être le passé), lutte qui était déjà un peu au coeur de tous les films personnels de Jean-Pierre Jeunet; ici, elle est évidemment l'apanage de Mathilde, et on sent comme des regrets chez tous ceux qui ont laissé filer des occasions, vus partir des gens qu'ils aimaient, etc: Elodie Gordes, quasi veuve de deux hommes; Tina Lombardi, lancée dans une vengeance inutile, et qui en mourra; et puis au milieu de tout cela, on trouve un autre humain qui a compris qu'il pouvait arrêter le temps, s'il le voulait. Plus: il a réussi; et sa machination fait probablement le sel du film... Jeunet, lui aussi, a réussi de film en film, à arrêter le temps, en nous montrant ses personnages obsédés par l'un ou l'autre aspect de la vie (la quête d'un amour disparu, faire oublier aux poilus la vie dans les tranchées comme le réussit si bien Célestin Poux, ou la bonne tenue du gravier pour l'oncle de Mathilde... Tout le monde a son petit jardin pas toujours secret). Il a aussi su une fois de plus construire un objet cinématographique aussi atypique que traditionnel, renvoyant à toute l'histoire du cinéma, qui sait aussi bien se jouer du spectateur que compter sur son intelligence, et qui se paie en plus le luxe d'être une représentation valide de la guerre: ici, pas de pitié pour l'officier. Car en plus d'être anti-guerre, son film est en plus furieusement antimilitariste, une immense qualité humaine comme chacun sait... Tout ça fait un film dans lequel il est indispensable d'aller se noyer de temps à autre...

 

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