
Les jouets qui deviennet fous, c'est bien sur un passage obligé du bestiaire d'horreur, dont on attendait qu'à un moment ou un autre Joe Dante s'y attelle. En 1998, le metteur en scène est un peu mal en point, passé de façon répétée par la case télévision de sa carrière, faute de soutiens. Son denier long métrage était justement un film acclamé (The second Civil War) pour HBO, signe que les temps sont en train de changer. Et effectivement, tous les films qu'il fera après sont, d'une certaine manière, beaucoup plus marqués par le compromis que son travail de télévision, qui respire une certaine liberté... Pourtant, il y a peu de raisons de bouder notre plaisir devant cette poduction Dreamworks. Et le studio faisant appel à Joe Dante, on tendrait donc à penser que Spielberg lui a finalement pardonné d'avoir en quelque sorte "cassé" les Gremlins avec sa suite furieuse et infernale de 1990...
C'est vrai, on y revient toujours. Gremlins, c'est un peu le sommet de la carrière de Dante: sans doute pas le film qu'il préférait parmi ceux qu'il a réalisés, mais un classique, un énorme succès, et une oeuvre dont la thématique et le déroulement sont finalement une excellente introduction à son style. Un film marqué par son époque, assez typique du milieu des années 80, mais auquel on peut revenir sans crainte 30 ans plus tard. Alors ici, on ne va pas s'en priver: dès les dix premières minutes, le mot "Gizmo" est prononcé, voire souligné. Une clé dont on n'avait d'ailleurs pas besoin, par certains côtés, Small soldiers ressemble presque à un remake raisonnable de Gremlins. Presque, parce que le film va loin par certains côtés: on y fait quand même des expériences dégueulasses sur Barbie! ET les poupées ainsi créées deviennent folles, homicides et particulièrement moches...
Alan est un jeune homme assez typique de l'univers de son metteur en scène: un peu en porte-à-faux avec ses parents, avec l'autorité en général, il a été exclu de plusieurs écoles et comme tout se sait, il n'est pas très apprécié au lycée. ...donc il est seul. Il fait des efforts pourtant, en particulier auprès de ses parents, car il veut montrer qu'il a changé, et qu'il est devenu responsable. Son père vend des jouets en bois, des classiques, donc il ne vend rien ou presque, et Alan passe souvent du temps à tenir la boutique, c'est l'un des moyens qu'il utilise pour montrer qu'il est devenu plus raisonnable. Un jour, le convoyeur apporte une livraison, et par hasard, Alan aperçoit une cargaison de jouets modernes qui ont l'air très intéressants: il négocie afin d'en détourner une caisse, ce qui permettra sans doute à la boutique de faire un peu d'aargent pour une fois. Ce qu'il ne sait pas, c'est que ces jouets, un petit commando de soldats d'un côté, et des créatures extra-terrestres de l'autre, pas encore lancés sur le marché, sont dotés d'une puce ultra-sophistiquée qui leur donne des capacités bien au-delà d'un jouet moyen, et surtout sont programmés pour se faire une guerre totale et sans merci. Ce qu'ils vont faire, justement, de façon incontrôlable! Sale temps pour Alan, qui va en plus faire la connaissance de sa petite voisine Christy, une jolie ado "qui sort avec des garçons plus agés", selon ses propres termes, mais qui aime manifestement bien passer du temps dans la boutique...
Un prologue obligatoire nous explique la créations des "Gorgonites" et du commando de soldats qui les pourchassent: une petite entreprise qui fabriquait des jouets a été racheté par un gros ponte de l'électronique, un sale crétin d'ailleurs, qui entend bien leur demander de créer un jouet rentable. Les deux seuls rescapés de la boîte, deux concepteurs que tout oppose (L'un utilise l'informatique et crée les soldats, l'autre dessine au crayon et a créé les "Gorgonites", des créatures un peu plus poétiques) ont trois mois pour donner vie à un jouet "qui fait exactement ce qu'on montre dans la pub", comme le demande le nouveau propriétaire. C'est là qu'intervient un gimmick en forme de McGuffin: comme les Gremlins qui pour exister ont besoin que les mogwais mangent après minuit et d'un peu d'eau, les jouets créés par ces deux-là vont bénéficier d'une puce ultra-secrète et aux propriétés phénoménales, ce qui excuse par avance tout ce qui arrive dans le film! On s'en accomode très bien... Le groupe de créatures extra-terrestres est sympathique, mais autant le dire, ils sont assez laids. C'est le cas pour le commando, mais ce sont des militaires, donc on s'yattendait un peu! Par ailleurs, ils feraient passer Buzz Lightyear pour le clown Baptiste des Enfants du Paradis! En plus de Tommy Lee Jones, Dante a fait appel pour leurs voix aux acteurs de The dirty Dozen...
Une fois de plus, le film est situé dans une petite ville, pas dans la mégalopole. Depuis The 'Burbs on sait à quel point Dante est inspiré par l'Amérique moyenne; On sait aussi à quel point il réserve sa tendresse pour les petits, les exclus et les gens qui sont, gentiment marginaux, qu'ils soient ados (Explorers, The hole, Runaway daughters, Matinée), enfants (Piranha), adultes mal dégrossis (Innerspace) et en chômage technique (The burbs)... Il oppose ici les parents: ceux d'Alan sont des braves gens, certes un peu excentriques, mais ceux de Christy (Interprétée par la jeune Kirsten Dunst) sont en revanche atroces: madame noie son stress dans le gin, et le père est obsédé par son confort et la technique de pointe érigée en signe extérieur de richesse... Et il est un fort mauvais voisin, le genre à tronconner votre arbre sans vous demander votre avis! Pourtant, Dante aime bien les gens, les petites gens, s'entend. ceux qu'il n'aime pas, ce sont les puissants, mais comme le metteur en scène est gentil, il en pousse les caractéristiques jusqu'à les rendre si caricaturaux qu'ils deviennent inoffensif. Dante a depuis toujours un art consommé pour noyer le poisson. Ca lui permet de prendre des libertés comme ici de montrer un commando de jouets de 15 centimètres de haut qui se livre à une orgie de destruction, et en particulier à des expériences à la Frankenstein sur des Barbies (Nommées ici "Gwendy", mais on les a reconnues!). Il fait appel à ses acteurs fétiches, qui font des apparitions: Dick Miller, Robert Picardo, Belinda Belaski et Wendy Schaal sont tous là... Et surtout, le film décalque Gremlins: même situation de base, un jeune ado se retrouve avec des créatures sympathiques mais encombrantes, et très vite la violence et le chaos vont s'inviter autour de lui, et c'est la banlieue qui va trinquer. Et comme si on avait aussi recours à ce qui arrive dans Gremlins 2 the new batch, le commando infernal va faire appel à ...d'autres commandos sortis d'usine, qui sont exactement de la même trempe. Donc ça va péter dans tous les coins...
Le film est donc une fois de plus un portrait tendre et loufoque de l'adolescence perturbée, ce passage terrifiant de tout humain et en particulier des Américains, mais aussi une énième variation sur le monde de l'entertainment Américain, et sa capacité à générer la violence et le chaos, qui sont partie intégrantes de son ADN. Je ne pense pas qu'il y ait ici un "message" au sens philosophique du terme, mais la façon dont Joe Dante accomplit son film, en extrapolant autour d'un postulat simple, en maintenant jusqu'au bout son esprit de comédie et sans qu'aucune personne ne meure, est bluffante. Donc si ce n'est pas un chef d'oeuvre, voilà un film avec lequel on passe beaucoup de bon temps, en fort belle compagnie, et si c'est une redite, elle a au moins le mérite d'être effectuée avec un talent fou.