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20 avril 2017 4 20 /04 /avril /2017 17:20

On a gardé tellement peu de ces petits westerns qui s'enchaînaient à une cadence infernale, tournés entre 1917 et 1919 par Ford pour Universal, qu'en découvrir un nouveau est toujours une occasion à ne pas rater. Pour la plupart d'entre eux, ils montraient les aventures de personnages (Souvent nommés "Cheyenne Harry") interprétés par Harry Carey, qui subissait la forte influence de William S. Hart dont les films étaient toujours soignés. Cette influence s'exerçait essentiellement dans la parcours du héros, souvent une fripouille (Ici c'est un joueur poursuivi pour l'ensemble de son oeuvre!), mais doté d'un fort sens moral, qui le faisait revenir en arrière et se racheter... Mais contrairement à Hart, lors de sa rédemption, Carey n'en fait pas tout un plat!

Dans Hell Bent, Harry s'installe dans une petite ville tenue par des bandits, dont Beau Ross. Parmi les citoyens, une jeune femme, Bess (Neva Gerber) vit avec son frère Jack (Jack Pegg). Mais celui-ci état incapable d'assumer un rôle de chef de famille, elle est obligée de travailler... au saloon, en tant que danseuse. La première fois qu'il la voit, Harry lui manque singulièrement de respect mais se ravise le lendemain, honteux... et amoureux. L'intrigue s'emballe lorsque après un coup fumant, les bandits partent, emportant la jeune femme avec eux...

Le film est assez difficile à comprendre aujourd'hui, la faute n'incombant pas qu'aux cinéastes: on ne dispose de ces premiers films Universal, la plupart du temps, que dans des copies retrouvées en république Tchèque, en Hongrie ou en Pologne. Ils ont fait l'objet de tripatouillages à leur sortie (Par exemple, le personnage de Carey, dans Straight shootin', s'appelle Hal Philips!); Mais ce qu'on comprend, c'est un cahier des charges western très bien rempli: dès le départ, Ford nous propose une étonnante introduction, qui voit un auteur de romans recevoir une lettre d'un lecteur qui se plaint du manque de réalisme de ses personnages. Pour y remédier, il regarde une reproduction du tableau de Remington, A misdeal... qui s'anime sous nos yeux, et le film peut commencer! Et il y a des inventions jusqu'au bout, lorsque le héros pourchasse son ennemi jusque dans le désert, dont il ne réchappera que de justesse. Le tout est pimenté de surprenantes ruptures de ton: à l'humour bon enfant du début, succédera bientôt un climat plus oppressant quand Harry se transforme de cow-boy solitaire en homme dévoué à la femme qu'il aime et qui est en danger. Hell-bent, après tout, est un adjectif qui veut dire qu'on est déterminé à aller jusqu'en enfer s'il le faut, pour faire triompher sa cause.

Bref, Ford fait ses gammes, et avec la complicité toujours précieuse de Carey, évite la monotonie, tout en devenant tranquillement l'un des meilleurs cinéastes du monde, tout bonnement.

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Published by François Massarelli - dans Muet John Ford 1918 Western **
20 avril 2017 4 20 /04 /avril /2017 14:16

Tom Mix, à la Fox dans les années 20, c'était un peu le cowboy passe-partout. Une énorme vedette, dont l'authenticité souvent impressionnante des films (Décors naturels, grands espaces, et tant d'endroits encore préservés qui rendaient la triche de studio inutile pour qui cherchait des endroits sauvages) contrastait cruellement avec le côté fabriqué de son personnage: grand chapeau, costume exagéré, et bons sentiments érigés en médaillon inamovible... Mais Tom Mix a tourné pour Ford!

Rappelons qu'en 1923, le grand metteur en scène (Qui signait ses films "Jack" Ford, préférant le diminutif à son pseudonyme pourtant copié d'un auteur de renom) n'a pas encore réalisé The iron horse, le film qui allait faire de lui un auteur remarqué; il est arrivé à la Fox en 1920, et s'est vu confier des tâches qui tournaient autour du western: Just pals, son premier film Fox, par exemple se situe dans une petite ville qui pourrait très bien être une ville de l'Ouest après la pacification. De même pour The village blacksmith, quand à Cameo Kirby, il raconte les aventures picaresques d'une fripouille sur les bateaux à aube du Mississippi... North of Hudson Bay appartient à cette veine, confrontant le Cow-boy Tom Mix aux grands espaces du Grand Nord...

Michael Dane (Tom Mix) se rend vers le nord de la baie D'Hudson, où il envisage de retrouver son frère Peter (Eugene Palette). Mais avant l'arrivée du petit frère, Peter est tué. On accuse son partenaire Angus McKenzie, mais celui-ci jure être innocent du crime. La punition de ces pionniers est une marche forcée, sans arme ni moyen de subsistance, dans la nature: Angus va pourtant y survivre, et il est secouru par Michael... Le problème, c'est que selon l'usage, toute personne qui porte secours à un condamné à la "piste de la mort" doit désormais s'y soumettre lui aussi...

Michael Dane déjouera tous les pièges, et sauvera du même coup son ami Angus, ainsi que la jolie Estelle McDonald (Kathleen Key), une jeune femme qu'il a rencontré au début. Certes, le script passe-partout est particulièrement mélodramatique, mais il a la qualité de permettre à Ford et Mix de faire exactement ce qu'ils voulaient faire: tourner un film en liberté, dans la neige, au milieu des montagnes et des rapides! Et il y a des loups, et les tribus Indiennes locales (Du Nord, oui, mais celui de la Californie, j'imagine) sont venues prêter main forte à l'entreprise... Un bon bol d'air, pour des images saisissantes... Mais il y a aussi, dès le début, une scène domestique qui montre comment maman Dane s'apprête à dire adieu à son deuxième fils: une scène qui se répétera de film en film, et qui montre un attachement viscéral du metteur en scène à l'idée de famille, aux racines.

On regrettera évidemment que ce film de cinq bobines n'ait pas été conservé en entier, même si l'intrigue telle qu'elle est aujourd'hui, resserrée sur quatre bobines, fonctionne encore. Mais, et il est toujours le moment de le rappeler, si on a aujourd'hui récupéré environ 25 films muets de John Ford, dont certains sous la forme de fragments, combien manquent encore à l'appel?

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Published by François Massarelli - dans Muet Western John Ford 1923
1 juillet 2016 5 01 /07 /juillet /2016 09:31
She wore a yellow ribbon (John Ford, 1949)

On repart donc à Monument Valley, pour l'un des films centraux de l'oeuvre de John Ford, un nouveau western avec John Wayne, encore une fois (la quatrième) situé à Monument Valley, et comme Fort Apache tourné l'année précédente, une histoire située dans le quotidien de la Cavalerie. Fort Apache était inspiré de la bataille fameuse de Little Big Horn, cet affrontement dans lequel Custer avait entraîné tout un régiment, dont Ford montrait le mécanisme fatal dans son film. Ce nouveau chapitre de l'histoire (Ou des histoires pour être plus juste) de la Cavalerie commence justement en pleine actualité, en 1876 au moment ou la nouvelle de la défaite spectaculaire de Custer et du 7e de Cavalerie se répand sur la Frontière. Dans un petit fort, on assiste à des mouvements de troupe des tribus Indiennes Kiowa, Arapaho, Cheyenne et Comanche qui mettent de côté leurs différences, et on craint une nouvelle attaque sur l'armée. Le fort étant aux premières loges, le risque est grand. Et justement, le Major Allshard (George O'Brien) commandant le fort est doublement inquiet. Il fait d'une pierre deux coups, il charge son second le Capitaine Nathan Brittles (John Wayne) de patrouiller pour observer les indiens, et leurs trafics avec des contrebandiers qui leurs fournissent les armes, tout en véhiculant deux femmes que le commandant du fort souhaite éloigner de l'éventuel théâtre des opérations: sa propre épouse (Mildred Natwick), et sa nièce (Joanne Dru). Pour Brittles, la période est particulière: il est à cinq jours de la retraite. Une retraite bien méritée pour ce vieux soldat qui prépare activement sa succession en couvant les trois jeunes loups les plus brillants de sa troupe, interprétés par Ben Johnson, John Agar et Harry Carey Jr, mais veut-il vraiment prendre sa retraite? Et surtout, les circonstances vont-elles vraiment le lui permettre?

La patrouille, le risque de guerre Indienne, l'ombre de Little Big Horn... tout ça n'est finalement que prétexte, voire contexte. Une façon comme une autre d'amener les deux véritables sujets du film: la vie quotidienne d'un poste avancé de l'armée Américaine, sur la frontière, dans le territoires qui ne sont plus tout à fait des terres à prendre, mais pas encore des états de l'Union. Cette vie tourne autour d'une certaine dose de discipline, mais tempérée de bon sens: une scène montre Nathan passer sa colère de devoir transporter des civiles dans une mission dangereuse en faisant une réclamation en bonne et due forme, sous les yeux de son supérieur hiérarchique, cible de sa diatribe mais qui lui corrige impassiblement ses fautes, avec une certaine tendresse... L'atmosphère de camaraderie, de solidarité masculine, éclate au grand jour dans l'une des scènes les plus simplement poignantes de tout le cinéma Fordien, lorsque le matin de sa retraite, Brittles voit face à lui toute la troupe, impeccablement rangée, avec un cadeau pour lui... Et la façon dont Nathan couve son soldat préféré (Ben Johnson), le sergent Tyree (Bien que Brittles ait été un soldat du Nord, et Tyree soit du Sud), ou encore l'impayable et sempiternel sergent Quincannon, vieille baderne Irlandaise et alcoolique, interprété comme de juste par Victor McLaglen, tout va dans cette même direction de montrer des hommes unis dans et par l'adversité, dans laquelle la discipline et les éventuelles sanctions ne sont finalement que des pudeurs d'homme. Tous ces gens meurent d'envie de s'embrasser à la moindre occasion... Et pas loin, les Indiens qui se massent en l'attente d'une éventuelle bataille ne sont pas beaucoup plus menaçants. Oui, le danger est là, mais une scène montre Brottles qui va repérer les lieux, et deviser avec le chef Pony-That-Walks (Chief Big Tree) comme on retrouve un vieux camarade. Les deux hommes philosophent au sujet de la vieillesse, leur lot commun...

Avec son troisième film de long métrage en couleurs, Ford a trouvé la palette juste, et ce film est d'une beauté plastique impressionnante, avec des effets de brume et d'orage (Rajouté en post-production!), des crépuscules d'un rouge très vif, et comme toujours chez Ford cet oeil de peintre qui sait tirer parti de n'importe quel environnement pour créer des images inoubliables: Cette façon de faire contraster les rochers gigantesques de Monument Valley, et la petitesse des cavaliers en contrebas, ces jeux de couleurs inspirés de Frederick Remington, qui mettent en scène des Indiens sur le sentier de la guerre, certains d'entre eux d'ailleurs authentiques, car Ford a, en cette période, un carnet d'adresses impressionnant... Il n'oublie pas non plus de continuer à nous montrer ces hommes qui visitent la tombe d'une femme qu'ils ont aimée, comme dans Young Mr Lincoln, une figure courante dans le cinéma Fordien, et qui parfois s'étende à d'autres liens familiaux (Dans My Darling Clementine, Fonda-Earp visite la tombe de son jeune frère). La mort fait partie de la vie de ces soldats, aussi bien dans l'exercice de leur métier, que dans leur vie privée... Elégie à un soldat sur le départ, réflexion désabusée mais tendre sur le crépuscule d'un homme, et l'héroïsme quotidien des obscurs et des sans-grade, ce film est le plus beau des trois films de Cavalerie inspirés de James Warner Bellah, haut la main.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Western John Wayne
29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 19:52
3 godfathers (John Ford, 1948)

C'est après l'échec public retentissant de leur première production en commun, The fugitive (Objectivement, l'un des pires films de Ford, adapté de Graham Greene) que Merian Cooper et Ford ont renchéri avec un film clairement taillé pour le succès, un conte de Noël déjà tourné une fois à la MGM par Chester Morris... Ford disait souvent que Marked men (1919) qu'il avait tourné avec Harry Carey, était aussi une version de la même histoire, mais le film étant perdu, on pourra juste le croire sur parole, ce qui n'est jamais garanti! Le deal avec la MGM, après l'aventure du flop précédent, était une bonne affaire, et le film (Dédié au passage, à Harry Carey, décédé quelques mois plus tôt) ressemble quand même beaucoup à du sur-mesure pour le box-office. De fait, c'est un classique, sur lequel je ne peux pas m'empêcher d'avoir deux avis...

Rappelons l'histoire: trois hommes (John Wayne, Harry Carey Jr et Pedro Armendariz) arrivent dans la sympathique petite ville de Welcome Arizona, et conversent quelques minutes avec le shériff (Ward Bond) et son épouse (Mae Marsh) avant de se tuer sur la banque et de la dévaliser. En fuite, ils se précipitent dans le désert, qu'ils envisagent de traverser en allant d'un point d'eau à l'autre... mais la malchance les poursuit, l'eau vient à manquer bien vite, es chevaux s'enfuient, et l'un d'entre eux (Harry Carey Jr) est sérieusement blessé. Ils trouvent un chariot, dans lequel une femme (Mildred Natwick) enceinte, agonisante, va donner vie en leur présence à un garçon. Ils décident de le suver, même s'ils doivent tous mourir pour ça...

Donc d'un côté, un conte fortement teinté de Christianisme pour cous d'écoles, dans lequel "trois parrains" vont se donner à fond pour un enfant, rachetant du même coup tous leurs péchés, même si cela ne semble pas du tout être l'intention! Un conte simpliste, fait de bons sentiments, de coïncidences et de miracles téléphonés...

De l'autre, c'est un film de John Ford, certes pas forcément de la meilleure eau, mais on sent qu'il a aimé tourner cette histoire, et que ses acteurs l'ont aussi apprécié. On aime toujours voir John Wayne en baroudeur du désert de l'ouest, on sent que ce n'est jamais un rôle de composition. De même, Ward Bond en shériff bourru est fantastique, et le Technicolor rutilant (C'est le deuxième film de Ford en couleurs après Drums along the Mohawk), vu par son oeil unique mais légendaire fait merveille avec les teintes du désert et la nuit d'un bleu pâle inattendu, mais si esthétique... Alors on se laisse gentiment aller, bien entendu...

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Published by François Massarelli - dans John Ford Western John Wayne
29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 13:33

Rares sont les films adaptés d'une oeuvre littéraire considérable et qui parviennent à ce degré de perfection. La première erreur serait bien sur de croire comme le font régulièrement les béotiens (Et de nombreux anglo-saxons) que le film est un film de Steinbeck. L'auteur n'a été que consultant sur la production. Il serait aussi idiot de s'imaginer, comme les tenants de la littérature le font régulièrement, que le film est moindre, par rapport au livre. Le Ford est pour moi aussi important que le Steinbeck. Enfin, non, l'oeuvre n'a en aucun cas été trahie, amoindrie, édulcorée. C'est la parfaite traduction, dans la style des studios, d'une profonde indignation: celle de Steinbeck, oui, un peu bien sur. Mais surtout celle de John Ford. C'est d'autant plus paradoxal que le metteur en scène est venu au projet par demande de Darryl F. Zanuck, celui-ci n'ayant découvert le roman qu'à la faveur d'une rumeur: on racontait partout qu'alors que tous les studios avaient boycotté purement et simplement l'adaptation de l'énorme succès de librairie qu'était le roman, Zanuck mettait en chantier une sulfureuse version pour la Fox. le dirigeant du studio, qui n'avait même pas entendu parler du roman, s'est procuré une copie, a jugé l'histoire passionnante, et... a demandé au metteur en scène le plus prestigieux qui soit, John Ford, de le mettre en scène.

Tom Joad (Henry Fonda) revient chez lui après quatre années à l'ombre. Condamné à sept ans de prison pour homicide, il a été libéré pour bonne conduite. Ce qui ne l'empêche pas de s'emporter après un camionneur un peu trop curieux qui le harcèle de questions après l'avoir pris en stop... Mais sa famille habite en Oklahoma, en plein dust bowl, donc les choses ont bien changé depuis son départ. Toutes les familles qui ne sont pas parties, ou n'ont pas été expropriées de façon musclée, crèvent la faim, et les Joad sont sur le point de partir à leur tour... Toute la famille, les deux parents, les grands-parents, les enfants et même quelques autres (La mari d'une des soeurs, et Jim Casy (John Carradine), l'ancien prêcheur qui questionne sa foi) partent vers la Californie, là où on a besoin de main d'oeuvre, là ou la vie sera forcément plus belle... Tous n'arriveront pas au terme du voyage, et en Californie, on déchantera très vite...

"To see how the other half lives", est une expression qui désigne une curiosité culturelle, qui divise d'une certaine façon les gens en deux: car oui, bien des gens liront un livre, ou un article de journal, ou verront un film, dans le souci de s'intéresser à l'autre, de voir comment il (elle) vit. Mais combien seront intéressés par la vie des gens qui sont moins bien lotis? C'est ce qui fait bien souvent du cinéma classique un art du luxe, encouragé par des patrons de studios qui jurent leurs grands dieux que leur clientèle ne souhaite pas qu'on lui parle de la vie des pauvres gens, et qu'ils préfèrent un spectacle qui les fasse s'évader plutôt que de leur montrer la vie des défavorisés. Il y a eu, ben sur, surtout au début des années , des peintures de la misère dans le cinéma Américain, chez Wellman, par exemple. Mais la misère, c'est surtout dans la comédie qu'elle se montre... A ce titre, ce film est phénoménal: adapté du roman à succès, certes, mais qu'on brûlait dans certains comtés, et qui montrait sans la travestir la condition des "Okies", ces paysans venus en Oklahoma pour profiter du rêve Américain, et qui furent brisés par le détonnant mélange de l'agriculture intensive d'une part, et de la sécheresse d'autre part, The grapes of wrath ne pouvait bien sur plaire ni à l'intelligentsia de droite, qui s'est déchaîné aussi bien contre le film que contre le livre, ni aux patrons des studios, parce que ce film ne pouvait être que communiste (Ce qu'il n'est absolument pas, du reste, pas plus que Ford ni que Steinbeck). A ce titre, le choix par Zanuck de mettre le film en chantier est un véritable acte de courage, et une fois de plus, il avait parfaitement raison...

En choisissant une intrigue plus resserrée autour de l'histoire des Joad, sans se livrer à toutes les digressions qui racontent l'atmosphère de crise de l'Amérique entière, Nunnally Johnson fournit un script en or à Ford, qui va faire son film probablement le plus ouvertement progressiste: mais on le sait, depuis le début des années, Ford a le coeur à gauche. De là à le considérer comme un communiste, il y a un pas qu'on en peut pas raisonnablement franchir... Le film est d'ailleurs très clairement inscrit dans la ligne Rooseveltienne, en prenant fait et cause pour le New Deal et ses camps de travail à visage humain, centres d'entraide qui permettent aux gens déclassés de se refaire, et qui permettent un vrai retour à la vie, car les gens que nous voyons dans ce film ne sont pas des gens qui ont vocation à créer des manière permanente des phalanstères fouriéristes! ce sont des travailleurs dépossédés, qui pour reprendre pied s'unissent, mais ont vocation, une fois la crise finie, à repartir sur leurs propres bases. Comme dans le roman, par contre, l'opposition à ces associations de travailleurs existe dans le film, et on voit comment les autorités locales encouragent les forces de l'ordre à tenter de casser ces initiatives d'entraide comme on briserait une grève. On verra aussi dans le film de quelle façon des associations sans scrupules, et autres exploitants agricoles, ont trouvé dans l'extrême misère des Okies une main d'oeuvre à exploiter jusqu'à ce qu'elle crève! Autant de vérités qui ne sont pas souvent représentées au cinéma...

Mais c'est du Ford, chimiquement pur. Qu'il ait été de gauche (Le Ford des années 30 était un démocrate pur jus, à l'esprit rebelle hérité de sa culture Irlandaise) ou de droite (Le Ford d'après la guerre prendra ses distances publiquement avec les idéaux "progressistes", tout en continuant à y adhérer via ses films...), Ford était de toute façon un indigné, qui comme Capra (Sérieusement à droite, lui) aimait les gens, surtout quand ils se regroupent pour faire front contre l'adversité. Tant de films de Ford nous parlent justement de ce voyage métaphorique ou physique dans une contrée hostile, celui-ci ne fait évidemment pas exception. Le lyrisme Fordien est à son niveau le plus paradoxal, ici, car le metteur en scène nous raconte des histoires qui se situent sur les routes arides et moches de l'ouest des années 30, on n'y verra pas Monument Valley... L'indignation devant ces miséreux, devant les conditions dans lesquelles ils sont dépossédés de leurs terres, devant les conditions hallucinantes dans lesquelles ils sont amenés à survivre, voilà ce qui motive la mise en scène du film... Et rares sont les films qui montrent deux heures durant des acteurs Holywoodiens en haillons. Et pour finir sur ce point, Ford est ici présent à travers le personnage de Ma Joad (Jane Darwell) qui comme d'autres mères avant, et après elle, porte sur ses épaules toute la misère, sinon du monde, en tout cas de son monde à elle. Une figure Fordienne à part entière...

Mais quel sens du cadrage! quelle composition! Et avec Greg Toland à la caméra, Ford utilise avec génie l'ombre (Une famille, après le passage des bulldozers sur ses terres, n'est vue qu'à travers les ombres de ses membres sur le sol tout sec), la lumière (la scène durant laquelle, dans une cabane abandonnée, Joad et Casy rerouvent l'un des voisins (John Qualen) qui refuse de partir, donne l'impression d'avoir été tournée à la bougie!); certaines scènes clé sont tournées de préférence au soir pour profiter de l'ombre étendue, et il en ressort une luminosité très particulières. Bien sur, la direction d'acteurs est parfaite, dans des scènes qui ont le plus souvent été prises une ou deux fois afin de préserver le naturel. Dans une scène mythique, Jane Darwell et Fonda ont trouvé en une prise le ton absolument juste. L'éternel cabotin John Carradine trouve en Jim Casy (J. C.!!) le rôle de sa vie, celui d'un homme qui a perdu foi en dieu, mais réaffirme sa foi en l'homme pour qui il se sacrifie...D'ailleurs, Ford retrouve, autour de Fonda, toute sa troupe, de Charley Grapewin à O. Z. Whitehead, Mae Marsh, John Qualen, Russel Simpson, Ward Bond...

Bien sur, Tom Joad, Henry Fonda, est l'élément qui retiendra le plus l'attention. Il possède tout ce qui est nécessaire pour le personnage; sa jeunesse, mais sans être juvénile. C'est un homme qui a vécu, suffisamment pour pour voir avoir l'autorité ou la menace nécessaire quand le besoin s'en fait sentir. Il sait montrer mieux que quiconque (Sauf peut-être John Wayne!) la retenue des sentiments trop forts pour pouvoir convenablement être exprimés. Il incarne, grâce à ce fameux monologue qui aurait du être le point d'orgue du film, l'esprit même de la résilience sociale, de l'humanité qui refuse de plier quand elle souffre. Tout ça, c'est Fonda, c'est Tom Joad, et Steinbeck a d'ailleurs toujours dit à quel point il retrouvait son Tom Joad en Henry Fonda...

En illustrant superbement le roman, et en fournissant de façon inédite des images des expériences humanistes du New deal, ce film est une somme, aboutissement à la fois de la branche "rooseveltienne" du cinéma Américain, dont il est le meilleur représentant, et de la branche la plus réaliste et a plus progressiste du cinéma de John Ford, celui d'avant les doutes. L'année suivante, Ford allait tourner un film raté, Tobacco Road, dans lequel la misère sociale devenait la cible de la comédie maladroite. La preuve que le grand metteur en scène, y compris dans ces riches années, n'était pas toujours infaillible...

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Published by François Massarelli - dans John Ford
25 juin 2016 6 25 /06 /juin /2016 18:10

Je n'irai pas par quatre chemins: ce film est une merveille, le deuxième d'une imprssionnante série de films de Ford réalisés entre 1939 (Stagecoach) et 1946 (My darling Clementine); dans ces oeuvres, Ford au somment de son art avant que sa carrière ne devienne erratique, disons, avec le très embarrassant The fugitive de 1947, affirme ses valeurs, laisse éclater son lyrisme, et assume avec brillance son extraordinaire sens de la mise en scène. Et Young Mr Lincoln, pourtant pas le film le plus connu ni le plus accessible de Ford (Il n'y a pas John Wayne, et ce n'est pas un western!!) brille d'un éclat singulier, prenant le prétexte d'une promenade biographique dans les premières années du futur Président Abraham LIncoln, interprété par un nouveau venu dans l'univers de "Pappy" Ford, Henry Fonda. Un jeunot qui va vite devenir un intime, entendez par là qu'il sera fréquemment invité sur le yacht Araner, et qu'il participera à quelques bitures mémorables... Et bien sur il sera amené à travailler souvent avec le metteur en scène, plus précisément 6 autres fois, sans compter une participation entant que voix off à un documentaire en temps de guerre.

Je me suis arrêté sur Fonda, car ici plus que jamais, l'acteur est crucial. Ford a tout fait pour qu'on puisse prendre Fonda comme un plausible jeune Lincoln, tant dans les suggestions au jeune acteur, que dans l'éclairage, et c'est par moment frappant. L'idée n'est pas, à mon sens, de vouloir faire croire que c'est bien Lincoln, quel sens cela aurait-il du reste, non: il s'agissait de le rendre indiscutable, et qu'on puisse ensuite voir le film sans même s'en préoccuper... A ce niveau, c'est parfaitement réussi...

Le parcours est donc le suivant: le très jeune Lincoln est chez lui dans un patelin de l'Illinois, où il hésite entre la politique locale, avec le parti Whig (Ancêtre du parti Républicain), le commerce de proximité et le droit. Poussé par sa petite amie, Ann Rutledge (Pauline Moore), il poursuit dans cette voie, finalement, aidé par une manne providentielle: des gens de passage qui lui ont acheté des denrées ont payé avec des vieux livres de droit... Il développe assez rapidement une philosophie sommaire du droit: le bien, le mal... Ann Rutledge ne survivra pas longtemps, elle est emportée par la fièvre typhoïde en 1835. Lincoln, coiffé de son fameux chapeau "tuyau de poêle", arrive donc à Springfield où il s'installe en partageant un cabinet d'avocat avec un ami. La providence va lui fournir une occasion de se faire remarquer, au-delà des participations de bon voisinage aux fêtes du 4 juillet (Concours de tartes, dont il est un juge courtois et impartial): lors de la fête nationale, deux jeunes hommes sont accusés par la ville d'un meurtre, et on veut les lyncher. Lincoln intervient, d'une part pour empêcher la justice expéditive, d'autre part pour devenir l'avocat des deux frères...

On retrouve tous les thèmes de Ford, son humanisme catholique, son ouverture d'esprit, son anti-conformisme aussi, qui pousse Lincoln à tisser plus facilement avec les vieux trappeurs soiffards (Francis Ford, bien sur) qu'avec les gens de la bonne société. Tout le film, qui montre le jeune avocat traiter ses affaires judiciaires avec une philosophie de bon voisinage qui n'est finalement rien d'autre qu'un populisme léger, montre d'ailleurs Lincoln affirmant les valeur Américaines en prenant appui sur les petits, les obscurs, es sans-grade, ce qu'il est du reste, contre les bourgeois, les riches, les notables, et les partisans d'un ordre établi venu d'en haut. Bref, le film prolonge le message de Stagecoach, avec brio, sans jamais en rajouter, et comme dans Stagecoach, l'humour est là et bien là...

Et pourtant c'est poignant, depuis le début, avec ce discours en demi-teintes d'un type trop grand qui ne sait pas quoi faire de ses mains quand elles ne sont pas cachées dans ses poches, avec cette scène séminale (A laquelle Ford reviendra encore et encore dans de nombreux films, en en citant notamment la musique, comme dans The man who shot Liberty Valance, par exemple) de visite sur la tombe d'Ann Rutledge... C'est comme si Ford ne se cachait jamais le destin réel de Lincoln, et comme si ce destin était déjà en marche, derrière ces concours de tartes durant lesquels "Abe" tente de dé, partager les concurrentes sans les vexer, derrière cette ode d'un homme qui aperdu sa mère et sa soeur à la famille aimée, derrière cet homme qui tente de révolutionner les gens par le coeur, et qui fait triompher la vérité. Oui, c'est naïf et patriotique, de finir un film comme celui-ci en faisant hurler par des choeurs "His truth is marching on", comme le premier Capra venu. C'est aussi sincère, et généreux, comme Capra du reste, et de toute façon on ne fera jamais, jamais, jamais de Young Mr Trump, ou de Young Mr Bush. Alors voyez moi cette merveille!!

 

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Published by François Massarelli - dans John Ford Criterion
25 juin 2016 6 25 /06 /juin /2016 10:06

On peut imaginer pire, dans le déroulement d'une journée, que de regarder ce film... Mais il faut avoir conscience de son importance, tant pour la carrière de ses deux principaux protagonistes que pour l'histoire du genre dont il fait partie: avant Stagecoach, Ford a réalisé des films pendant 21 ans, et a fait son dernier western en 1926. Plus encore, on peut considérer qu'il ne tourne plus pour ce genre depuis son passage à la Fox en 1920; en effet, Cameo Kirby se passe dans le sud des Etats-Unis, The iron horse sera d'abord vendu pour ses aspects épiques et historiques, et Three bad men pouvait passer comme un film d'aventures classiques, même s'il mélangeait, plus efficacement que ne le faisait The iron horse les valeurs du western et celles de l'épopée historique. C'est donc un grand retour pour Ford, et en 1939, le western était motibond, confiné à part quelques rares films à la série B. Le résultat sera pourtant non seulement un énorme succès, tant critique que public, mais on peut aussi le considérer comme l'invention consciente du western moderne...

Ford y ménage bien son suspense, de façon magistrale, en jouant sur quatre enjeux: une diligence parcourt le pays en proie à la rébellion Apache, quand attaqueront-ils? Les passagers en réchappront-ils? Ringo Kid parviendra-t-il a assumer sa vengeance une fois arrivé à Lordsburg? Et enfin, quelle sera sa réaction lorsqu'il découvrira que Dallas, la femme dont il est tombé amoureux, est une prostituée? On peut ajouter un cinquième, voire un sixième enjeu, d'une part la façon de percevoir Dallas: quand va-t-elle être acceptée par les autres, et dans quelle mesure (On sait ce que le film doit à Boule de suif, de Maupassant)? Et enfin, le "major" Hatfield va-t-il trouver la rédemption dans le voyage, par le biais de l'amitié de la belle native de Virginie (qui n'est autre que la fille de l'homme sous les ordres duquel le jouer professionnel a jadis servi)? Autant de question qui trouveront à temps des réponses...

Purement Rooseveltien, avec ses luttes de classe dans une diligence, le film est aussi très Fordien, par sa symbolique construction d'une famille idéale, Américaine, faite de parias qui se rachètent (Le prisonnier évadé Ringo Kid, la prostituée Dallas, qui dorlote un nouveau-né pendant une bonne demi-heure, ce qui va faire changer d'avis toute la bonne société en ce qui la concerne). Ford attaque le mauvais esprit des conventions, opposant à la bigoterie et aux préjugés des "braves gens" (John Carradine, le "major", Berton Churchill, le corrompu banquier, Louise Platt l'oie blanche de Virginie) la simplicité et la véracité des sentiments humains du délinquant et de la femme déchue. On prend, une fois de plus, Ford en flagrant délit d'humanisme catholique! Par ailleurs, le réalisateur aimait à confronter un groupe communautaire en fuite à des forces négatives, on peut donc difficilement trouver meilleur exemple que cette diligence en proie à un groupe d'Apaches anonymes...

Et de nouveau confronté au western 13 années après Three bad men, Ford s'en donne à coeur joie: il installe ce sentiment d'urgence et de menace sur la frontière qui nous aggrippe dès l'ouverture du film, campe ses personnages les uns après les autres dans le cadre de la ville nouvelle dans laquelle la diligence va faire le plein de ses passagers, et laisse éclater son lyrisme dans les plans de Monument Valley... Où il orchestre une poursuite d'anthologie, ainsi qu'une charge de cavalerie de bon aloi. Le plan est célèbre, et mérite d'être rappelé: un panoramique tranquille, pris depuis les hauteurs d'une mesa, nous montre a diligence à vive allure... avant de brusquement se tourner vers la gauche: sur une hauteur, les Apaches que nous attendions depuis 75 minutes sont là, et ils vont enfin attaquer! Une autre scène va alimenter des centaines de westerns à venir: Luke Plummer, le bandit de Lordsburg, est prévenu que Ringo Kid est en ville. Il se met en chasse dans la ville obscurcie par la nuit. Ford nous rappele son influence expressonniste dans une scène paradoxale, puisque c'est le héros qui se fait cette fois attendre, et les trois bandits vont être ses proies. Après quelques minutes, Wayne, en silhouette, entre dans le champ par la gauche. On sait que les trois autres n'ont aucune chance. Quelques années plus tard, Ford tournera une variante de la scène pour l'un de ses ultimes chefs d'oeuvre... 

Mais il fait mieux encore: Revitalisant le western, John Ford en profite pour lui créer une star, vue dans le plus glorieux de ses moments dans le film: après 15 minutes passées à remplir une diligence, on se rendait bien compte qu'il y manquait quelqu'un: le bandit au grand coeur. Tout à coup, un homme arrête la diligence, et la caméra, comme prise par surprise, a du mal à faire le point. La Winchester virevolte, une voix dit "Oh, it's the Ringo kid!" A star is born. Magnifique plan!! Superbe film.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Western John Wayne Criterion
27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 17:08
The informer (John Ford, 1935)

Je considère ce film comme un malentendu. Sorte de chef d'oeuvre officiel pour compilateurs de questions destinées aux jeux télévisés, le film qu'on n'a pas vu mais qui est supposé synthétiser l'oeuvre entière, ou représenter l'ensemble de ce que John Ford a fait... Alors qu'un simple coup d'oeil à, disons 5 films de Ford, quels qu'ils soient, révélera un univers d'une richesse infinie, l'académie des Oscars, relayée par des critiques du monde entier, a décerné le certificat de Fordisme ultime à The Informer, au mépris de tant d'autres oeuvres tellement plus riches, complexes... et meilleures. Cela étant dit, ça ne doit en aucun cas nous empêcher de discerner des qualités réelles dans le film, et de fait il n'en est pas dénué...

L'intrigue provient du roman du même nom de Liam O'Flaherty, qui est situé à Dublin au début des années 20, durant ce que d'aucuns appelèrent l'insurrection, et d'autres la guerre d'indépendance. Tout est question, évidemment, de point de vue... Gypo Nolan, un bon à rien (Victor McLaglen), n'en peut plus d'être incapable de permettre à sa petite amie Katie (Heather Angel) de quitter sa vie de misère et la prostitution, pour se rendre en Amérique. Le voyage coûterait 10 livres, il en fait donc 20... Et 20 livres, c'est la somme précise que propose l'armée Britannique contre tout renseignement conduisant à la capture de Frankie McPhillip, un révolutionnaire de premier plan (Wallace Ford). Frankie est un copain de Gypo, mais la tentation est trop forte. Le problème, c'est ce qui va se passer après... Comment Gypo, qui avait été jeté à la porte de l'armée rebelle, va-t-il échapper à leur vengeance? Et comment va-t-il surmonter le sentiment de culpabilité, lui qui désormais est un Judas?

C'est précisément sur une allusion à l'apôtre préféré, celui qui au final allait trahir, que commence le film. On ne va pas attendre longtemps avant d'entrer dans le vif du sujet, mais ce qui est remarquable dans ces cinq premières minutes, c'est le silence dans lequel elles se déroulent. Plutôt que de silence, il faudrait sans doute parler d'absence de dialogues, d'ailleurs... Ford en se replongeant dans le style inspiré de l'expressionnisme, et du cinéma de Murnau, se replonge automatiquement dans sa période muette. Mais le dialogue va vite rompre le charme, dans un film bavard et surjoué, dont les fulgurances sont essentiellement question d'image et de rythme, ainsi la scène durant laquelle les "black and tans", les forces Anglaises, viennent chercher Frankie à son domicile, puis la violence de l'affrontement qui s'en suit. Dans une histoire qui passe par le crime de trahison, la culpabilité, le mensonge, l'oubli, le pardon, la rédemption puis la mort d'un homme, on suit beaucoup les égarements d'une brute épaisse qui tente par tous les moyens même les plus pathétiques de travestir la laideur de son geste, et c'est d'une infinie lourdeur. Et si, lors de la mort de Frankie, Ford et Joseph August placent la caméra du point de vue du révolutionnaire, montrant en quelque sorte de façon explicite de quel côté se situe la sympathie du metteur en scène, on peine à avoir envie de donner à tous les "rebelles" sentencieux et aveuglé par "la cause" la moindre circonstance atténuante. Ils portent la gabardine avec un peu trop d'aisance... Donc on a pitié pour ce gros sac à vin de Gypo, mais pas beaucoup plus. Je me risque à un dernier crime de lèse-majesté: Victor McLaglen, dirigé par Ford dans des prises qui sont sans doute rarement plus de deux, en fait des tonnes, vraiment des tonnes!

L'un des aspects les plus étonnants de ce film reste sans doute qu'il s'agissait d'un tout petit budget, pour Radio Pictures, filiale de RKO. Mais Ford et August ont su tirer partie des éléments les plus inattendus, convoquant un brouillard intense (Et métaphorique, à n'en pas douter!) pour cacher le carton-pâte de leurs décors, et ça marche plutôt bien. Car si le symbolisme lourdingue du film, le jeu empesé de tout ce petit monde, et la façon dont le personnage traîne sa culpabilité d'un bouge à l'autre sont hautement irritants, il n'en va pas ainsi de l'image, car comme d'habitude Ford est décidément l'un des plus grands metteurs en scène du monde, sachant instinctivement tirer partie de tous les environnements pour créer des images de toute beauté, et utiliser à la perfection l'ombre et la diffusion de la lumière, dans une histoire qui se déroule intégralement sur une nuit. Le travail au plus près des corps, les magnifiques gros plans de la séquence finale sur Una O'Connnor et McLaglen nous rappellent que derrière ce film bavard, il y a des artistes qui s'expriment... Et Max Steiner qui avait déjà travaillé sur The lost patrol, fait un boulot fantastique, comme d'habitude, pour accompagner comme il l'avait fait sur King Kong tous les mouvements de Gypo, et chaque émotion dans ce film, en ayant bien sur recours avec gourmandise à une véritable plongée dans le folklore! Donc on comprend, paradoxalement, que Ford ait eu au final un Oscar de la mise en scène pour son film, le seul problème c'est qu'on soupçonne du début à la fin que c'était précisément son but. Pourtant, si j'admets l'importance historique de l'attirance pour Ford des techniques héritées de Murnau et de son passage éclair à la Fox (un gout esthétique qu'il partageait d'ailleurs avec Hitchcock!), je pense que c'est d'une part à l'époque du muet, et d'autre part dans la diffusion de ces élans artistiques dans le reste de l'oeuvre que cet aspect de son style prend tout son sens.

Et quant à l'Irlande, ce pays rêvé par Ford, je la préfère cent fois de pacotille comme dans l'admirable film The Quiet Man, lui aussi traversé par la culpabilité d'un homme, mais qui ne devient pas en permanence le prétexte pour un metteur en scène aussi grand soit-il, à attirer l'attention de manière excessive, voire grossière...

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Published by François Massarelli - dans John Ford
23 janvier 2016 6 23 /01 /janvier /2016 08:55

Ceci est la première production indépendante de Ford pour la RKO, en collaboration avec son ami Merian C. Cooper et clairement les deux hommes y ont apposé leur marque... C'est un film d'hommes, d'une part parce qu'il n'y a pas une seule femme à l'horizon (Même si on parle d'elles parfois, en des termes d'ailleurs pas vraiment sacrés!), ensuite parce qu'il y est question d'aventures à l'ancienne, de situations dangereuses, et n'est-ce-pas, autres temps, autres moeurs... Le film commence bille en tête par la mort d'un homme: en uniforme colonial, un jeune officier à cheval s'avance dans les dunes, et soudain tombe: il a été frappé à mort par une balle. Un autre homme le rejoint et constate le décès, puis prend les commandes de la patrouille. Une dizaine d'hommes, jusqu'ici hors champ, les attendaient derrière. La situation est grave: l'officier était le seul au courant des données de la mission, et le sergent (Victor McLaglen) va devoir prendre la suite, sans rien savoir... Et les hommes, attaqués par des tireurs embusqués, vont se réfugier dans une oasis où ils vont se faire, les uns après les autres, tirer comme des lapins. Mais pas seulement: l'affrontement sera aussi interne, car le Sergent va devoir lutter aussi contre Sanders (Boris Karloff), un aumônier que le soleil a dangereusement transformé, et qui devient peu à peu un fou de Dieu irresponsable, qui va jusqu'à provoquer autour de lui la mort de ceux qu'il juge en permanence...

Filmé en Arizona et en Californie, le film est constamment situé en extérieurs, sous un soleil de plomb, dans des dunes dont on n'a aucune difficulté à admettre qu'elles sont authentiques. Sous le patronage de Cooper, Ford a tourné un film d'aventures qui est à des années lumières d'une honnête production ficelée en studio comme The black watch. Grâce à la collaboration avec RKO, Cooper a obtenu sans aucune difficulté la participation de Max Steiner, qui va d'ailleurs rafler un Oscar pour sa bande originale... Et le script signé Dudley Nichols, oppose avec adresse les caractères, en permettant bien sur les numéros d'acteurs. Outre les deux plus spectaculaires, on remarque une belle brochette d'acteurs Britanniques, Irlandais, Sud-Africains ou Australiens, Billy Bevan, Brandon Hurst, Reginald Denny et Wallace Ford... Mais la prestation de McLaglen cimente le film, il est, comme toujours, impressionnant, en homme qui à l'origine n'est pas taillé pour assumer la responsabilité complète d'un groupe d'hommes, en éternel sergent, mais qui va devoir quand même, avec rigueur et énergie, relever le défi. Et on est loin des sergents de pacotilles de ses apparitions dans les films de cavalerie!

Très court, et entièrement composé d'images d'une beauté et d'une rigueur impressionnante dans leur composition, The lost patrol ne sacrifie pas encore, comme le fera The informer l'année suivante, à la tendance post-expressionniste de Ford, à laquelle il revenait de temps à autre depuis Upstream et Hangman's house. Relativement anodin, le film est très distrayant, et la plongée en enfer de ces hommes livrés à leurs démons, incarnés par un ennemi qui restera invisible pour l'essentiel de la durée du film, est une de ces études des groupes humains en difficulté qui sera toujours un thème intéressant pour Ford. L'arrière-plan religieux est ici, comme on s'en doute pour le Catholique Ford, d'une grande importance. Il oppose d'ailleurs, on ne s'en étonnera pas, les Irlandais pragmatiques et portés sur la fraternité, ainsi que l'athée Brown, au rigoriste Protestant Sanders, qui s'enferme dans le mépris intolérant pour tous ses camarades, au fur et à mesure de la montée de sa folie ...Qu'il me soit toutefois permis de dire à quel point je trouve Boris Karloff exécrable ici: il prouve que parfois, on ne peut pas trouver de limite à la notion de faire trop.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Pre-code Reginald Denny
9 janvier 2016 6 09 /01 /janvier /2016 16:45
Arrowsmith (John Ford, 1931)

Difficile a priori de reconnaître la patte de John Ford, qui est engagé par la Goldwyn pour réaliser son unique film avec Ronald Colman. C'est un résultat passionnant, parfois ambigu, et profondément attachant. Colman y interprète le héros éponyme du roman de Sinclair Lewis, un médecin obsédé par la trace à laisser dans l'histoire de la science, et qui malgré lui revient toujours à découvrir avec stupéfaction en lui l'humanité d'un médecin généraliste... Une fois passé du côté de la science pure, Arrowsmith va avoir à sa disposition du pain sur la planche, à la faveur d'une épidémie de peste bubonique qui va tester sa résolution: faire avancer la science à tout prix et donc faire profiter l'humanité toute entière, au détriment des malades sil le faut, ou traiter les gens de manière à empêcher qu'ils meurent, sans pour autant faire avancer les choses... Arrowsmith, dès le début du film, fait une rencontre qui sera déterminante: Leora Tozer (Helen Hayes) va, en effet, devenir assez rapidement sa femme. Elle le soutiendra, et d'une certaine façon sera toujours par sa présence la garante de l'humanité du médecin. C'est précisément parce qu'il la laissera derrière lui lors de son expérience avec la peste que la situation va dégénérer.

Difficile de considérer Arrowsmith comme un héros Fordien, en effet. Il manque singulièrement d'humanité et laisse trop tardivement le doute s'installer en lui. Il a un côté Malthusien, dont toute l'empathie semble conditionnée à la présence de son épouse. Et on n'a pas l'habitude de voir Ford s'attacher à la vie d'un scientifique... Mais si le metteur en scène a en effet été greffé au projet sur le tard, le film a des qualités, d'abord plastiques: toujours surdoué pour la composition photographique, Ford avec la complicité d'un chef-opérateur Goldwyn, Ray June, s'amuse avec la brume, avec la lumière et profite des changements d'ambiance du film avec une certaine gourmandise; no passe, après tout, du Dakota à New York, de la neige à la mousson dans les caraïbes... Colman est Colman, c'est-à-dire qu'il est aussi impeccable que Britannique, et Helen Hayes, figure tragique, semble ici dirigée d'une main experte, elle qui avait parfois tendance à en faire sérieusement trop, fait ici connaissance avec la méthode Ford: si ce n'est pas mal à la première prise, pourquoi en faire une seconde?

Maintenant, si j'en crois les filmographies, le film est semble-t-il à 98 minutes incomplet, manquant sans doute 10 minutes. Une sous-intrigue pourrait bien avoir été sérieusement rabotée. Lors de son éloignement, Arrowsmith fait la rencontre d'une jeune femme qui lui décoche des regards d'autant plus langoureux qu'il s'agit de Myrna Loy. Le film en l'état ne nous montre pas leur idylle, mais il est probable qu'elle n'était pas que suggérée dans la version sortie avant le renforcement du code Hays. En attendant, la rencontre est, en un seul mouvement de caméra des pieds à la tête de l'actrice (C'est Myrna Loy!!! Je l'avais déjà dit?), l'un des moments les moins spirituels de toute la filmographie de Ford...

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Published by François Massarelli - dans John Ford Pre-code