Mine de rien, ce petit film (Cinq bobines, 49 minutes et 39 secondes) est le premier pas de John Ford vers le cinéma de prestige: après tous ses petits films pour la Universal le plus
souvent avec Harry Carey en cowboy plus ou moins redresseur de torts, il inaugure en effet son contrat avec la compagnie de William Fox avec cette petite histoire qui met en valeur l'un des deux
cowboys de la firme, Buck Jones. C'était sans doute grâce à ses efficaces petits westerns humanistes que le réalisateur avait été recruté, et jusqu'à 1924, il allait surtout réaliser des petits
films et des films de série, mais un simple visionnage de celui-ci, à mi-chemin entre le western contemporain (Des chevaux et des automobiles) et la chronique rurale montre bien que ce qui
faisait son talent était déjà bien là...
Bim (Buck Jones) est le vagabond officiel du village, estampillé bon à rien, et militant de fait: il refuse de lever le petit
doigt, sauf éventuellement pour impressionner Mary Bruce, l'institutrice du village (Helen Ferguson) pour laquelle il a un faible. Celle-ci est également courtisée par Cahill (William
Buckley), un homme en apparence bien sous tout rapport mais qui va précipiter la jeune femme dans les ennuis. de son côté, Bim se retrouve flanqué d'un jeune vagabond, Bill (George Stone), un garçon auquel il va s'attacher
et qui va aussi lui permettre de se rapprocher de l'institutrice. Mais celle-ci est bien vite soupçonnée de détournement de fonds lorsque l'argent de la commune qu'elle a prété à Cahill ne lui
est pas rendu. contre toute attente, c'est Bim qui va agir alors en justicier...
Indolence du personnage principal, un décor rural dans lequel toute menace vient fondamentalement de l'extérieur... on pense
bien sur à un autre film Fox avec Buck Jones, Lazybones de Frank Borzage. Mais c'est une bien différente affaire! Ici, Ford s'attache à la peinture d'une petite communauté dans
laquelle le paria auto-désigné va s'avérer empreint d'une grandeur d'âme que peu de gens possèdent, et le quasi-lynchage dont il va être victime nous montre que même dans cette Amérique
tranquille là, le mal peut finalement venir de n'importe où. Et Ford oppose ainsi le bon à rien officiel, bouc émissaire qui montrera sa vraie valeur sans même l'avoir recherché, et les "braves
gens" menés par un shériff gâteux, qui finiront bien par découvrir quel brave homme est Bim.
La mise en scène du jeune Ford, passé par la formation accélérée des westerns de la Universal, est bien sur rompue à tous les
artifices. Il sait installer une ambiance, composer un plan de façon inventive, il fait déjà une équipe soudée avec son chef-opérateur George Schneiderman, et a déjà un savoir-faire enviable pour
les scènes nocturnes; son talent en matière d'action éclate dans les deux dernières bobines, qui voient Bim s'attaquer à tous les problèmes de front: démasquer le véritable voleur de l'argent,
empêcher une bande de malfaiteurs d'opérer un hold-up, réhabiliter miss Bruce, et bien sur faire en sorte que Bill ne soit pas placé dans n'importe quelle famille d'accueil: du pain sur la
planche, donc! Et Ford, qui fait déjà preuve d'une personnalité peu commune, se paie le luxe de s'auto-citer (Voir illustration ci-dessus!) lorsqu'il fait rejouer à son shériff, pour un gag
final, une pirouette qui marquait l'arrivée de Harry Carey dans son premier long métrage, Straight shooting...
Seule une bobine subsiste de ce film, le 47e et le 11e de Ford pour la Fox. Entre Just Pals (1920) et Cameo Kirby (1923), ces quelques minutes sont les seules auxquelles on ait accès concernant cette période forcément mal connue de l'auteur de The Searchers... Une bobine sur 6, comment s'étonner qu'on n'y comprenne rien? pourtant ces 14 minutes sont un plaisir pour les yeux, offrant le climax plein de péripéties d'un mélodrame à l'ancienne, situé dans une Amérique rurale déjà présente au coeur du film Just pals. Les règlements de compte y sont bien présents, avec un homme handicapé qui se traine littéralement jusqu'à la maison de ses ennemis, une jeune femme évanouie qu'on transporte en urgence d'une maison à l'autre, et un jeune homme accusé par son propre père (Tully Marshall) d'être une fripouille... Il y a de fortes chances qu'on ne puisse jamais voir le reste! Mais l'impression qui domine, c'est que ce film est assez proche de ce qu'on pourrait attendre d'un film contemporain de King Vidor, la dimension sensuelle en moins (En dépit de la présence de la toujours charmante Bessie Love), ou d'un film de Henry King, sans la spiritualité: bien sur, tout le monde finit dans une église, mais c'est pour un double mariage qui permet à la comédie de reprendre ses droits.
Au final, un passage émouvant d'un film qu'on ne verra jamais, une découverte qui serait due à l'infatigable quête de Henri Langlois, qui aurait identifié le film rien qu'en jetant un coup d'oeil sur la pellicule et en y reconnaissant Tully Marshall. Une anecdote probablement à vérifier...
Le troisième film de John Ford en cette année 1928 est sans doute le plus noir de toute sa production muette, en même temps qu'un nouveau retour en Irlande, après The Shamrock Handicap et Mother Machree. Mais si l'Irlande de ses rêves, fantasmée et sublimée par la distance était aussi présente dans ses autres films par la présence de personnages-clichés de braves Irlandais cabochards et bagarreurs (George O'Brien dans Three Bad Men, The blue eagle), de vieux consommateurs de Whisky au coeur d'or (J. Farrell Mc Donald dans The Iron Horse), ici Ford plonge ses personnages au coeur du drame de l'Irlande, la lutte entre les oppresseurs et les opprimés... Lutte jamais identifiée par une date, c'est essentiellement une question d'atmosphère, un mot qui convient parfaitement à ce film hérité du style de photographie, de décoration et de composition que Ford a retiré des leçons de Murnau.
Victor McLaglen y incarne 'Citizen' Hogan, un soldat exilé qui revient en Irlande ou il est hors-la-loi (Pour son engagement politique contre la couronne, sans aucun doute) afin d'y tuer un homme, après avoir reçu un message dont la teneur restera longtemps énigmatique. On assiste donc à son arrivée, déguisé en moine, dans un conté dont l'ancien juge, le très sévère Baron O'Brien (Hobart Bosworth) apprend qu'il n'a plus qu'un mois à vivre. Hanté par les nombreuses morts qu'il a causées (On l'appelle "le Bourreau", the Hangman), il est obsédé par l'idée de 'placer' sa fille Connaught (June Collyer). Il ignore l'amour simple et pur que celle ci éprouve pour le jockey Dermot McDermot (Larry Kent), et veut la marier à John D'Arcy (Earle Foxe), identifié dès le départ comme un traître (il ne passe presque jamais de temps en Irlande, préférant voyager en Europe, et il vise une place à Londres...). Le soir du mariage, assailli par ses "victimes", le vieux juge décède, et D'Arcy veut comme de juste passer la nuit avec Connaught, mais celle-ci, aidée par les domestiques de la maison, se refuse. C'est dans ces circonstances que Hogan fait son apparition, et commence à tourmenter D'Arcy; on apprendra ensuite que celui-ci s'est marié en France avec sa soeur, et qu'elle est ensuite morte lorsque il l'a abandonnée...
Ford installe donc une intrigue assez compliquée, mais dont on constate qu'elle ne joue pas uniquement sur l'idée d'un "camp à choisir": Hogan et beaucoup de ses amis, les gens du village, sont tous des Républicains, et le héros n'a aucun mal à échapper jusqu'à un certain point à la police. Mais lorsque dénoncé par D'Arcy, il se fait arrêter, il n'oppose pas vraiment de résistance; d'une part il doit savoir qu'il s'évadera, et d'autre part les policiers sont des ennemis politiques certes, mais il sait qu'on peut parler avec eux: appréhendé durant une course de chevaux, il demande l'autorisation à l'officier d'assister à la fin de la course, faisant appel à ses sentiments avec un grand sourire comme seul McLaglen savait les faire... C'est d'ailleurs durant cette course qu'on apprend à quel point D'Arcy est infréquentable: il a parié contre son cheval, Le Barde. Lorsqu'il voit Dermot monter le cheval, ce qui n'était pas prévu, il sinsurge, puisqu'il ne peut pas perdre! il fait donc une scène à son épouse, et après la course, abat le cheval à bout portant, ce qui lui vaut l'inimitié de tous, Républicains comme Loyalistes!
D'un coté, un héros insaisissable, un homme perpétuellement en partance pour des ailleurs exotiques, qui incarne l'Irlandais exilé et romantique dont l'attachement au pays ne peut naître que d'une distance amenée par les péripéties, et de l'autre Dermot, un jeune homme du pays, aimé et soutenu de tous, qui de plus triomphe symboliquement de toutes les oppressions en gagnant une course avec l'appui de toute la population... au milieu, un homme menteur, manipulateur, buveur même, qui est symboliquement considéré comme le prolongement de l'âme noir et torturée du vieux juge: le visage du compromis, en quelque sorte! Le Juge était Irlandais, sa fille en témoigne, mais détesté par la population: D'Arcy ira plus loin encore, allant jusqu'à nier son appartenance à l'Irlande d'une part, et à se comporter d'une façon systématiquement méprisable d'autre part... Il périra dans les flammes du château du vieux juge, la fameuse Maison du Bourreau du titre, la séquence étonne par sa violence fascinée: Ford nous y montre l'homme aux abois qui tente de trouver une sortie par le balcon de la maison en flammes, avant de plonger dans le vide pour éviter les flammes; un suicide par défaut, aussi pragmatique et lâche finalement que pouvait l'être sa vie entière. De l'autre côté de l'étang, son épouse regarde sans broncher, et sait qu'au bout de la route elle sera libre de se marier avec Dermot.
Pour mettre en images cette complexe intrigue qui joue beaucoup sur les contrastes entre sentiments et la dignité, Ford peut compter sur George Schneiderman, son complice depuis Just pals (1920), un maître en la matière qui a su accompagner l'évolution stylistique du metteur en scène. cette évolution est plutôt une adaptation qu'une réappropriation du style de Murnau, comme il est souvent dit: les intérieurs situés pour la plupart dans le château du vieux juge jouent plus sur l'impression d'isolement des personnages au milieu des vieilles pierres, que sur des dispositifs visuels complexes. C'est toutefois dans la vieille demeure que le premier acte de la confrontation entre Hogan et D'Arcy va se jouer: D'Arcy aperçoit par une fenêtre la figure fantômatique du 'moine', et prend peur: il vient de comprendre que Hogan est revenu en Irlande. Voilà qui va précipiter son alcoolisme!
Par ailleurs, le recours à des surimpressions pour mettre en images les tourments du jge peuvent étonner: on n'a pas l'habitude de voir Ford s'adonner à ce type d'expérience, tout comme sa visualisation de la mort du juge: le vieil homme vient de voir dans la cheminée les images des hommes qu'il a envoyé à la mort, et s'écroule sur son fauteuil: le plan devient flou...
Les deux complices se sont ingéniés à recréer dans les décors de la Fox (Là même ou les marais de Sunrise et de Four Sons, et sans doute le village de Mother Machree avaient été fabriqués!) une Irlande sublimée, à la brume omniprésente, un paysage rural dans lequel la vieille pierre se mélange à des collines qu'on imagine vertes... Peu de vrais extérieurs dans le film, la Fox laissait à cette évoque les cinéastes réinventer le monde à leur guise. Le résultat est proprement superbe! Les nuances de gris ainsi obtenues, mélangées au talent de Ford pour la composition permettent d'obtenir de beaux effets de chiaroscuro...
Le plus noir donc, des films "Irlandais" de Ford tournés su temps du muet, Hangman's house est du concentré de romantisme, qui nous éclaire sur le vrai lien de Ford à son vrai-faux pays (Il est né dans le Maine, après tout!): ce n'est pas tant dans la haine des Anglais et des protestants qu'il souhaite s'installer. La lutte politique existe, bien sûr, mais elle est considérée dans le film comme une lutte de bon aloi, une sorte de climat inévitable qui n'empêche pas le fair-play (McLaglen faisant appel aux sentiments de l'officier, et celui-ci acceptant de bonne grâce) voire les coïncidences de vue entre ennemis (Les Anglais sont aussi méprisants vis-à-vis de D'Arcy après son idée folle de tuer un cheval devant tout le monde, et tous refusent de lui serrer la main!). Ford oppose donc les hommes qui trichent, mentent et trahissent, et les idéaux romantique de Hogan, mais il ne manque pas l'occasion de nous dire que ni l'un ni l'autre ne trouveront jamais la possibilité de rester au pays: ils n'y ont pas leur place, l'un est exilé de fait et l'autre est persona non grata... L'Irlande, c'est le pays rêvé qui ne sera jamais atteint. Le chemin vers la plénitude de The Quiet Man est long, mais ce film est finalement aussi peu réaliste. Et Ford reviendra vers l'Irlande par son versant politique a deux reprises, pour deux films également noirs, mais très différents l'un de l'autre: The informer en 1935, et The plough and the stars en 1936.
Mother Machree est perdu, mais trois bobines et un fragment d'une quatrième ont été préservés. Elles constituent essentiellement l'exposition du film, et le fragment est probablement tiré du dernier acte. Au-delà du fait que la perte de tout film est scandaleuse, on le regrette d'autant qu'il s'agit d'une période charnière de la carrière de Ford: Ce film, situé entre Upstream (1927, retrouvé récemment) et Four sons (1928), nous montre comment le réalisateur, qui s'est essayé avec un certain bonheur à intégrer un nouveau style inspiré de Murnau avec Upstream, continue à intégrer dans sa mise en scène des éléments inspirés du cinéma Européen, jeux de lumière, décors en trompe l'oeil, et angles de caméra très étudiés, tout en poursuivant une oeuvre personnelle: le prologue de Mother Machree, situé en Irlande, est du pur Ford, tendance Irlandaise. Belle bennett y joue Ellen McHugh, une jeune femme dont le mari est retrouvé mort un soir; les copies actuellement disponibles ne font que le suggérer, mais il a probablement été tué lors d'un affrontement avec les forces de l'ordre Anglaises... elle part donc avec son fils Brian (Le jeune Philippe de Lacy) pour les Etats-Unis. Lors de ce prologue, Ford utilise les studios Fox ou il reconstitue un village; on soupçonne le décor d'être en partie un recyclage des décors de Sunrise (Ce qui se fera encore pour le film suivant, Four sons). Le metteur en scène nous montre dans une très belle séquence un orage qui va souligner le drame familial, à travers un beau plan: au fond du champ, le fils regarde au dehors, la fenêtre devenant une source de lumière intermittente; à gauche, l'héroïne se tient près de la cheminée. Mais à cette quiétude familiale, l'orage substitue bien vite l'angoisse: Brian dit à sa mère que les gouttes d'eau sur la vitre sont comme des larmes, appuyé en cela par un plan qui visualise la métaphore, et elle pressent alors le drame...
La deuxième et la troisième bobines contiennent essentiellement trois épisodes qui nous montrent la décision de partir aux etats-unis, suivis d'un passage au cours desquels ils rencontrent trois artistes de cirque, dont le "géant" Terence O'Dowd (Victor McLaglen) qui tombe amoureux d'elle. Ils l'escortent jusqu'à Queenstown ou elle prend la bateau avec le jeune Brian. On retrouve Ellen et Brian aux Etats-Unis: un intertitre nous prévient: la déconfiture est au rendez-vous pour nos héros. Une séquence simple mais effective visuellement nous trahit le désespoir des deux immigrants dont la mère ne trouve pas de travail: ils sont vus en plongée, du haut d'un escalier; à gauche dans le champ, le reflet d'une fenêtre. Ils montent lentement, et une fois arrivés à ce qui est sans doute un bureau de placement, ils apprennent qu'il n'y a rien. ils redescendent par la même escalier, aussi lentement, suggestion de la résignation et de la routine... Mais une fois arrivés chez eux, ils reçoivent la visite de leurs amis du cirque, qui viennent de faire la traversée à leur tour, et vont leur offrir une position: Ellen devient "half-lady", ou fausse cul-de-jatte, et va faire partie de la galerie des monstres du cirque (Dans une séquence ou la composition renvoie aux séquences de fête foraine de Sunrise dont il y a fort à parier que là encore le décor a été réutilisé...
La séquence est suivie, en ce qui nous concerne, d'une longue ellipse, au cours de laquelle Ellen mise en confiance va rassembler suffisamment d'argent pour inscrire son fils dans une école huppée, mais les dirigeants de l'école vont l'exclure lorsqu'ils apprennent que sa mère est une artiste de cirque. Désespérée, elle laisse le directeur de l'école adopter son fils, qui sera désormais connu sous le nom de Brian van Studdiford: il va grandir loin d'elle, et elle va devenir gouvernante loin de son fils. Jusqu'au jour ou la jeune fille de la famille qui l'emploie revient à la maison avec un beau grand jeune homme, Brian Van Studifford... La séquence des retrouvailles (Seule la mère reconnait son fils) est l'unique scène sauvée du reste du film, et possède l'un des arguments chocs de la publicité de la Fox: le jeune Neil Hamilton y chante une chanson, Mother Machree, en son synchrone. C'est de loin aussi la séquence la plus faible visuellement qui reste dans ces fragments...
On sent bien que Ford expérimente ici, mais il le fait moins apparemment qu'avec son film précédent; il est à la recherche d'un compromis, et après tout l'adoption d'un style visuel savant et sophistiqué, qui apparaît en particulier dans les scènes Irlandaises, va de pair avec une narration linéaire dépendante de l'univers propre à Ford, déjà mis en valeur par The Iron horse, Three bad Men, The Shamrock handicap... Le film est aussi pour lui l'occasion de peindre le folklore Irlandais décalé qu'il avait déjà montré dans The shamrock handicap, de façon bien sur plus dramatique, mais avec un certain humour, quand même: il fait se succéder dans une scène de veille funèbre, des plans d'une cohorte de vieillards à longue barbe blanche qui se tiennent près du défunt, et les plans d'un vieillard qui tire sur sa pipe, avec un oeil malicieux, et dit (Trois intertitres): Quand je serai mort... Si je meurs un jour... je voudrai qu'à ma veillée funèbre ce soit la grande hilarité! L'irlande, ses larmes, sa mort, son humour, ses petits vieux qui semblent échapper au temps... et ses lutins: quand Brian tombe nez à nez avec un nain de cirque, celui-ci se comporte comme un lutin. Les intertitres reprennent un Anglais malmené par les personnages (la mise en avant des adjectifs par Terence, par exemple: "It's Grand you look")... Le film est un jalon essentiel de la relation de Ford au pays d'origine de ses parents, aussi peu crédible en soit la peinture. Deux films plus tard, avec Hangman's house, il y reviendra, et son style aura enfin parfaitement intégré ces recherches. Pour l'instant, les extraits disponibles de ce film sont bien frustrants, mais ils nous montrent un jeune metteur en scène qui fait avec un certain bonheur ses gammes.
Avec ce petit film (Situé après The Shamrock Handicap, puis Three bad men, et avant Upstream, le premier film dans lequel Ford
s'appliquera à retranscrire dans son style l'influence Européenne, dont celle de Murnau), Ford dit semble-t-il adieu à un certain style de cinéma, auquel il reviendra de façon sporadique dans sa
carrière : un certain cinéma d'aventures sans grande prétentions... Il y retrouve certains de ses interprètes des films précédents, notamment George O'Brien (The Iron Horse,
Three bad men) et Janet Gaynor (The Shamrock Handicap). L'intrigue est centrée sur deux marins, des « blue eagles », George et Big Tim, qui sont rivaux
depuis des années, notamment auprès de la jolie Rose Kelly, qui n'a pas encore réussi à choisir entre les deux. Rentrés au pays après la guerre, les deux Américano-Irlandais vont pourtant devoir
mettre leur diférent de côté afin de s'unir contre les mauvaises influences du gangstérisme et de la drogue qui menace la jeunesse Américaine...
On voit bien à la lecture de ce résumé que le film est
à prendre au second degré, un petit film (Sept bobines à l'origine, dont 6 survivent) destiné à donner une fois de plus une impression de couleur locale dans la peinture des immigrants d'origine
Irlandaise, leur tempérament un brin volatil, et leur bon cœur proverbial. Erotisé à l'extrême dans une première séquence qui le voir tomber la chemise et suer dans la fournaise de la salle des
machines d'un bateau, George O'Brien prête son imposante musculature à un personnage de grand frère un peu trop vertueux pour ne pas être totalement ennuyeux, et il ne fait aucun doute que c'est
lui qui gagnera le cœur de Janet Gaynor, même si le film est loin d'être Sunrise!Au passage, mentionnons que parmi les autres personnages, Margaret Livingston est
également présente, mais dans unrôle bien éloigné
de la "vamp de la ville" qu'elle jouera dans le chef d'oeuvre de Murnau. Dans ce qui reste un petit film sans prétentions qui n'apporte ni n'enlève quoi que ce soit au mythe de John Ford, on
remarquera peut-être une petite touche de mise en scène, un petit rien : un personnage resté à l'écart d'une salle où figurent des gangsters s'approche un peu trop près de la vitre pour
regarder à l'intérieur : deux trous viennent soudain marquer la vitre, et l'homme s'effondre... Pour le reste, pour un film mené tambour battant et dans lequel Ford réussit à éviter de trop
se laisser aller à son sentimentalisme proverbial (Ici, il n'en a décidément pas le temps), on ne se plaindra pas !
Three Cedars, Arkansas 1917: Mrs Hannah Jessop (Henrietta Crosman) en veut à son fils Jimmy (Preston Foster) de passer du
temps avec une fille qu'elle méprise (Son père est un alcoolique notoire). Elle le chasse, et va jusqu'à faire en sorte qu'il parte en France pour combattre afin de briser le couple. Peu de temps
avant son départ pour le front, Jimmy apprend de sa petite amie (Marian Nixon) que celle-ci est enceinte. Quelques mois plus tard, la jeune femme accouche, alors que de son coté Jimmy est tué. La
mère ne s'ouvrira pas pour autant, et se contente de regarder son petit-fils grandir au loin, d'un air méprisant. Dix ans après, un comité décide d'envoyer des "gold star mothers", des mères de
soldats disparus au Front, en France afin de commémorer leur sacrifice. Hannah hésite à partir, puis se décide, pour un voyage qui va transformer sa vie...
Le remise en circulation de films méconnus de Ford a été l'un des évènements les plus significatifs de la décennie passée. On a
fini de considérer l'oeuvre d'un des cinéastes les plus importants et reconnus comme tels uniquement sous l'angle de ses quelques classiques et films les plus vus, de cette trentaine d'oeuvre qui
pour beaucoup sont majeures, mais resteaient la partie visible de l'iceberg. Certes, dans ce qu'on ne voyait pas, il y avait aussi des films embarrassants (When Willie comes marching
home), des films irrémédiablement datés (Black guard, du parlant typique de 1929, statique, lent et bavard) et des films sans gran intérêt, tout court... Mais on a pu
enfin mettre la main sur cette rareté, un film pourtant essentiel, qui d'une certaine façon fait le lien entre plusieurs tendances chez Ford, son gout pour la comédie Américaine et son sens du
drame; son sentimentalisme et sa veine symboliste, et bien sur l'influence de Murnau transposée dans un cadre rural Américain, plus tangible et réaliste que les décors symboliques des films du
maitre. Et Pilgrimage est un émouvant portrait, qui nous montre le parcours d'une femme qui a tenté de remplacer l'amour qu'elle voue à son fils disparu par de la haine et
de la rancoeur, vers une nécessaire rédemption qui lui permettra de s'ouvrir enfin à l'autre, et en particulier à la petite amie de son fils, et à leur enfant naturel, qu'elle embrasse enfin
avant qu'il soit trop tard dans un final tourné essentiellement en un plan. Henrietta Crosman est formidable, aidée par d'autres acteurs tous excellents. Marian Nixon aurait pu n'avoir pas grand
chose à faire, mais Ford lui a assigné autant d'émotions que celles refusées par la mère: tentation, affection, souffrance, résignation... De son coté, la mère ne parviendra pas seule à sa
catharsis, il lui faudra lors d'une escapade Parisienne voir un jeune couple vivre, qui lui rappellera étrangement son fils et sa petite amie...
La photographie de George Schneiderman se situe dans la droite ligne de ce qui se faisait à la Fox sous l'influence de Murnau,
et l'intelligence de la reconstituion des univers en studio est remarquable. On notera la façon superbe dont Ford et Schneiderman diffusent la lumière permettant notamment dans la première
séquence bucolique et pastorale d'indiquer au spectateur qu'on assiste presqu'à un rêve, à la vision idéale d'un fils par sa mère. Et bien sur ça ne durera pas. Le passage des saisons marqué par
la neige, l'utilisation des éléments (La tempête lors de la naissance qui arrive en écho à la guerre qui fait rage, et qui va tuer Jimmy) sont en droite ligne de leur usage traditionnel dans le
mélodrame à l'époque du muet, mais peu importe: c'est dans la ligne du style visuel et dramatique du film.
Le film est un duel à distance entre deux femmes, mais la plus forte personnalité aura finélamane l'intelligence de reconnaitre
la vérité des sentiments. Film sur la rédemption, sur la part de l'individu dans l'errance collective (Ces séquences à la gravité soulignée de mères qui partent en silence pour se recueillir en
groupe sur les tombes de leurs fils en Europe), Ford en a soigné la mise en scène en usant avec gourmandise de ruptures de ton, en particulier dans la deuxième partie en France, aidé par la
gouaille de Lucille La verne en copine délurée de l'héroïne, qui lui rend la vie en France supportable. De la même manière, l'escapade Pariesienne de la mère commence sous le signe du
renoncement (Elle se refuse à aller sur la tombe de son fils) et de la comédie (Elle aide un jeune Américain échoué à Paris, saoul à rentrer chez lui), pour aller vers une paix
intérieure retrouvée, et vers un ton dramatique apaisé. Portrait de femmes, portrait de mères: comment s'étonner que ce film soit si important dans les années 30 de Ford?
The quiet man commence par l'arrivée d'un homme en Irlande, quelque part dans les années 20 ou peut-être 30; il est Américain, et il ne tardera pas à être confronté au charme particulier du lieu. Sitôt sorti du train, il fait face à une redoutable troupe de gens (Conducteur de train, chef de gare, clients...) qui se mettent en quatre pour l'aider à retrouver son chemin, vers le petit village d'Innisfree. Mais la conversation va rapidement tourner au désastre, par la faute de trop de digressions, jusqu'au moment où, surgi de nulle part, un drôle de petit homme, Michaeleen Oge Flynn, prend d'autorité ses bagages et l'amène à Innisfree...
Hors du temps, le village apparait comme un pays d'Oz à partir de là, un autre côté du miroir, dans lequel sans que ce soit jamais trop grave, tout est légèrement distordu: la voix off par exemple, qui est celle de notre ami Ward Bond, interprétant comme de juste le curé de la paroisse, a beau nous raconter l'histoire, le personnage sera pris plusieurs fois de cours, pêchant (Des poissons, bien sur) au lieu de se tenir au fait de l'histoire qu'il est en train de raconter... Le prêtre protestant et son épouse, qui à la base ne servent à rien (Et d'ailleurs ne font rien, à part se promener à vélo, jouer à des jeux de société, faire des visites sociales, parler de sport et même faire des paris et des stratagèmes tordus...) sont ici parfaitement intégrés, fêtés même par une population catholique prête à se mettre en quatre pour qu'ils restent au pays au lieu d'être mutés en raison de leur inutilité. Le tenancier du pub local, autant dire le troisième représentant d'un culte, est Juif (Il s'appelle CohAn, comme le fait remarquer Michaeleen Oge Flynn: "c'est comme ça qu'on le prononce ici") et lui aussi parfaitement intégré... Bref, on est dans une Irlande qui se joue des clichés, et qui joue sur la couleur locale, surtout du vert...
Donc, Sean Thornton (John Wayne) vient en Irlande parce qu'il est riche et retraité, même si toute la première moitié du film garde le silence sur ce qu'était son activité avant, et il souhaite rentrer au pays, celui qu'il a toujours considéré durant sa vie aux Etats-Unis comme le paradis qu'il n'aurait jamais du quitter. Il vient dans l'intention d'acheter sa maison d'enfance, ce qui ne va pas être facile puisqu'elle est la propriété d'une riche veuve, Sarah Tillane (Mildred Natwick) qui n'entend pas céder ses possessions aussi facilement; c'est à la faveur d'un contentieux que Sean va pouvoir accéder à son rêve: l'homme fort du pays va réclamer cette terre avec tellement de grossièreté que la veuve va décider de la céder à Sean...
L'homme fort en question, interprété par Victor Mc Laglen, s'appelle Will Danagher; il est un vrai despote, riche, dictatorial, mais surtout un vrai personnage de comédie, sans doute aussi sentimental et doux qu'il souhaite apparaitre menaçant et colérique. Mais il prend en grippe Sean, qui en plus a repéré sa (Très jolie) soeur, la flamboyante rousse Mary Kate (Maureen O'Hara): il n'aimait déjà pas être supplanté en affaires par ce yankee (re)venu de nulle part, alors l'idée de faire de lui son beau frère, il ne faut pas y compter. Et ce que va découvrir Sean, qui en pince vraiment pour Mary Kate, c'est qu'en Irlande (Ou du moins dans ce film) la soeur aura beau être majeure, rien ne peut fonctionner sans l'accord de principe du chef de famille, ici en l'occurence le frère. Ce sera le moteur du film, le seul accroc à cette belle balade dans les décors naturels du Conté de Galway... et ça promet du sport.
Innisfree n'existe pas, à tous les sens du terme, il a donc fallu aller le chercher, en Irlande bien sur. c'est que Ford voulait tourner ce film depuis les années 30, après avoir lu le roman de Maurice Walsh; Il l'avait acheté, mais n'a pas pu trouver de studio pour le faire avec lui. Une fois la guerre passée, la formation avec Merian Cooper de Argosy Productions va lui permettre de faire le film, dans des conditions inattendues: d'une part, il intègre (Pour trois films) la Republic Pictures d'Herbert Yates, le beau-père de John Wayne, soit un studio de très petite envergure; d'autre part, il va aller faire le film en Irlande, ce qu'il n'avait bien sûr pas pu faire pour The Shamrock Handicap (1926), Mother Machree (1928), Hangman's house (1928), The Informer (1935) et The plough and the stars (1936); il n'avait d'ailleurs pas non plus mis les pieds au Pays de Galles pour How green was my valley (1941), le petit cousin de ses films Irlandais... Mais après la guerre, les studios vont vers plus de réalisme, et Ford se saisit de l'occasion.
Ce ne sera pas facile de faire admettre à Yates de tourner le film en Irlande, ou même d'utiliser le Technicolor. Ce n'est pas seulement l'avarice qui motive le patron, mais une certaine façon de faire des films, économiquement, à l'ancienne (Et les droits sur un autre système de couleur)... Ford, pour montrer patte blanche, va donc tourner un film vite fait, qui rapportera suffisamment: ce sera l'inutile mais sympathique Rio Grande (1950), le troisième film de cavalerie de Ford, qui recycle des éléments de Fort Apache (1948) et She wore a yellow ribbon (1949). Le travail en Irlande sera pour Ford l'occasion de renouer avec ses origines, un grand moment d'émotion sans doute, ce qui se sent en permanence dans le film; Sean Thornton, c'est surtout Ford lui-même, un homme qui abandonne tout ce qu'il est aux Etats-Unis pour redevenir un Irlandais, mais dans une Irlande rêvée, idéale.
Les indices, comme je le disais, ne manquent pas pour souligner cette non-réalité, depuis le plan qui voit la carriole de Michaeleen au début qui passe sous un pont sur lequel passe un train, comme on passe à travers le miroir, jusqu'à ce salut des acteurs-personnages à la fin du film, en passant par le climat d'envoûtement de certaines scènes, et bien sûr certains personnages qui font déborder l'histoire du côté de la farce, de la comédie, et du fantastique: Michaeleen Oge Flynn (Barry Fitzgerald), qui dicte au compositeur Victor Young un air folklorique pour la grande scène de bagarre, après tout, est comme une bonne fée, non?
Et puis le film ne se contente pas d'être un retour à une Irlande qui n'existe pas, c'est une halte bienvenue dans les films de Ford, qui ronronnaient de plus en plus; ici, il s'est passionné pour l'histoire de cet amour contrarié d'un homme marié, mais avec une femme dont le frère n'a pas voulu qu'elle dispose de tous ses objets et de sa dot: elle va donc exiger de son mari qu'il défende l'honneur de son épouse, avec ses poings s'il le faut. Celui-ci refuse, pour des raisons qui nous seront expliquées à temps (Il est un ancien boxeur, et a quitté le ring parce qu'il a malencontreusement tué un homme), et aussi parce qu'il ne parvient pas à comprendre cette coutume Irlandaise d'un autre siècle. Tout rentrera dans l'ordre, d'une façon folklorique et comique, dans une bagarre homérique, pour reprendre l'expression de Michaeleen Oge Flynn... Mais surtout, l'histoire d'amour contée, confiée aux bons soins de John Wayne et Maureen O'Hara, va bénéficier non seulement d'acteurs sublimes, profondément physiques, mais aussi de séquences d'une grande beauté, dans lesquelles le lyrisme purement Fordien, les avantages du lieu (Ce vert! Ces petits murets! ces moutons!), une certaine sensualité (Maureen O'Hara enlève ses bas dans la plus pure tradition érotique du cinéma muet, puis le baiser fougueux dans le cimetière) les éléments ( Le vent, la pluie) et même un souvenir de cinéma muet (La fameuse séquence en tandem, dans laquelle les acteurs jouent mais ne parlent plus, est jouée comme dans les années 20) vont créer une des plus belles scènes d'amour qui soient... Et qui prend son temps, d'ailleurs, dépassant une bobine: Wayne et O'Hara ont le temps de couvrir beaucoup de terrain, que ce soit en carriole, en tandem, ou à pieds...
Pour finir, les commentaires critiques sur ce film ont souvent semblé décalés par rapport au plaisir qu'on prend et à l'importance du film pour Ford lui-même: oui, bien sûr, ce n'est pas exactement l'Irlande, d'ailleurs les Irlandais n'ont au départ pas vraiment accroché au film, jugé caricatural. Il l'est certainement, même si ce n'est sans doute pas volontaire. Ford était d'origine Irlandaise, pas Irlandais: il n'a pas vécu en Irlande, et s'y est fait des copains, notamment à la faveur de ce tournage, exactement de la façon dont il s'est fait des amis d'une tribu Navajo qui l'a adopté durant ses nombreux tournages à Monument Valley. Il est venu en vacances en Irlande, avec sa troupe (Barry Fitzgerald, Wayne, Mclaglen, Bond, et même dans son avant-dernier rôle, son vieux cabotin de frère Francis Ford) et tous les enfants Wayne apparaissent dans le film... Si à la façon de Flaubert, il est Sean Thornton, c'est comme on devient un personnage quand on joue étant enfant, ou comme on rêve. Comme d'autres films, des très beaux, de Powell ou Minnelli ou Borzage, ce film est beau comme un rêve, qui finit bien, et auquel on a envie de revenir depuis la première fois qu'on l'a vu; c'est un film sacré, d'autant plus sacré que jusqu'à ce début 2013 (Sortie du film dans un superbe Blu-ray aux Etats-Unis chez Olive films) on ne pouvait le voir que dans d'abominables copies toutes plus laides les unes que les autres, et ça, cest désormais du passé!
Bref, The quiet man n'est pas l'Irlande, cest en tout cas le premier film authentiquement Irlando-Américain, ou Américano-Irlandais: le reflet décalé d'une culture rêvée plutôt qu'authentique... Il donne aussi furieusement envie de partir en vacances à Cong, dans le conté de Galway, et pour ma part je le considère comme un sommet de l'oeuvre de Ford, ayant même l'outrecuidance de considérer que si on n'aime pas The Quiet man, alors on n'aime pas Ford!
En Irlande, Sir Miles O'Hara (Louis Payne) est au bord de la ruine; il tente bien de vendre sa seule richesse, le cheval
dark Rosaleen, mais heureusement pour sa fille, Sheila (Janet Gaynor), il n'y parviendra pas; l'acheteur potentiel (Orville Finch, inteprété par Willard Louis) ne partira pourtant pas les
mains vides, repartant aux Etats-Unis avec un des employés, Neil Ross (Leslie Fenton), dont la démonstration des talents de cavalier a particulièrement plu à Finch, qui envisage de le faire
courir pour lui. Ross part aux Etats-Unis, et la famille O'Hara va le rejoindre avec Dark Rosaleen pour une course importante, mais Neil a eu un accident très grave, qui l'empêche désormais de
courir...
L'Irlande et John Ford, c'est finalement une histoire plus compliquée qu'il n'y parait: le metteur en scène n'a jamais perdu une occasion de rappeler ses origines, et de donner
des gages d'Irlandisme en référant à sa naissance (Qui a eu lieu en fait dans le Maine), sa culture (La même que celle d'un John Wayne ou d'un Raoul Walsh, mais probablement racontée avec plus de
digressions...) et des opinions politiques qui tiennent plus du folklore que de la vraie réflexion; si The quiet man (1952), qui reste un admirable film, montre bien le coté
conte de fées de ses vues sur l'Irlande, relayé par l'inoffensif (Et assez ennuyeux) The Rising of the moon tourné sur place, on peut aussi voir de quelle manière la cause
Irlandaise a donné lieu à des films aux fortune artistiques variées durant les années 30: The informer (1935) et The plough and the stars (1936). Pour le reste,
Ford a surtout insisté sur les personnages d'Irlandais, toute sa carrière, dans les films de cavalerie notamment, avec l'inévitable Sergent Quincannon de Victor McLaglen, et a beaucoup poussé le
bouchon du sentimentalisme imbibé de whisky... Dès les années 20, J. Farrell McDonald jouait inavariablement des Irlandais alcooliques au gand coeur, dans The Iron Horse ou
Three bad men...
Durant la
période muette du réalisateur, à la Fox, trois films pourtant sont là pour témoigner d'une tentation déjà vivace de tourner des sujets Irlandais; l'un est artistiquement remarquable,
The hangman's house sous la nette influence de Murnau, l'autre est une aimable bluette, ce film; il est difficile de rendre compte du troisième, Mother Machree,
mutilé et préservé dans d'abominables copies incomplètes. Ce film est donc, en 1926, l'une des premières incursions de Ford dans l'Irlandisme de pacotille qui dominera son oeuvre; on note
qu'après tout la principale leçon du film reste qu'une fois arrivés aux Etats-Unis, les différences sociales entre "Sir" O'Hara et son employé Con O'Shea (J. Farrell McDonald) disparaissent au
profit d'une vraie égalité, qui n'empêche ni l'affection ni le respect de l'employé à son patron. On voit aussi que le passage par les Etats-Unis, puisque tous en reviennent riches, est une façon
de grimper l'échelle sociale à coup sur. Le film est charmant, drôle, avec de nombreux gags à connotation raciale, mais rarement méchants, souvent autour de la légendaire inimitié entre les Juifs
et les Irlandais; Leslie Fenton y est un héros assez pale, et Janet Gaynor, encore bien jeune, est sous-employée... Ca ne durera pas, heureusement. On voit ici un thème cher à Ford, le plus
souvent montré sous une lumière dramatique, celui d'une entraide assumée par un groupe en proie aux difficultés; ces difficultés sont ici économiques, le groupe étant une écurie de course, dont
les membres sont soudés autour de leur champion. Finalement, ces 66 minutes passent comme un petit nuage...
John Ford avait quitté la cavalerie en 1950, sur un Rio Grande pas vraiment convaincant dont le principal avantage était d'offrir à la republic Pictures d'Herbert Yates un film vite fait à donner en pature au public, avant d'entamer un autre opus qui lui tenait tant à coeur, The quiet man. Ce petit film inspiré comme l'étaient Fort Apache et She wore a yellow ribbon des récits de james Warner Bellah terminait une trilogie aux résonnances internes nombreuses, et les histoires en étaient tellement proches qu'on irait facilement jusqu'à parler d'auto-plagiat si on ne se retenait pas. Mais avec The horse soldiers, le propos s'éloigne des trois films de 1948, 1949 et 1950: il y est cette fois question de guerre civile: John Wayne y est le colonel d'un bataillon de soldats de l'union qui doivent s'introduire en territoire sudiste afin de préparer une offensive musclée par des opérations chirurgicales de sabotage et de reconnaissance. Il est flanqué d'un médecin (William Holden) avec lequel il s'accroche très vite, pour un oui ou pour un non: les deux hommes n'ont pas la même vision des choses et la présence d'un gradé qui n'est pas vraiment un militaire a tendance à irriter le vieux soldat; alors lorsque ce petit monde se retrouve accompagné d'une femme, Hannah Hunter (Constance Towers), une "Southern Belle" qui les a accueillis le temps d'un bivouac et qui essaie par tous les moyens de leur nuire (Espionnage, évasion, etc), la rivalité entre les deux hommes s'exacerbe...
Ce film, situé dans la dernière partie de la carrière de Ford, est loin d'être son meilleur, c'est du reste une cause entendue. L'argument est inspiré du reste d'une anecdote authentique: le raid mené par le Colonel Grierson sur les chemins de fer du Mississippi, et le film se tient à l'écart de tout "westernisme" excessif, en situant l'essentiel de son action dans un sud rural, au plus près du fleuve, et avec une certaine logique géographique: pas de Monument valley cette fois-ci! Le point culminant de l'action concerne ici la deuxième moitié du film, lorsque le bataillon conduit par Marlowe (Wayne) se trouve à la gare de Newton et doit affronter une horde de sudistes appelés en renfort et qui ne sont finalement que de bien pouilleux soldats, et bien sur deux autres moments situés à la fin du film restent en mémoire: la bataille autour d'un pont, qui ne semble pas vraiment inspirer Ford, et surtout une pittoresque charge menée par des cadets d'une école militaire, sans doute le meilleur moment du film, tout en étant inspirée là encore d'un fait réel: des garçons de 8 à 16 ans en uniforme de parade s'attaquent aux troupes nordistes, qui préfèrent fuir plutôt que de risquer de les tuer...
C'est d'ailleurs là que le bât blesse: on a souvent le sentiment que ce film, pour lequel on est prêt à avoir une grande indulgence, rate sa cible en prenant trop le parti de s'en foutre un peu... C'est lent, la première partie possède peu d'attraits, à part la constante bataille entre les deux héros, et l'impression qui domine est que Ford pousse un peu trop John Wayne à assumer un rôle de monolithique vieux bougon: Ethan Edwards (The searchers), lui, avait au moins une certaine carrure et des circonstances atténuantes.
Mais ce qui sauve finalement le film, c'est inévitablement son image. Non que le film soit d'une grande beauté visuelle; d'ailleurs certains plans apparaissent gâchés par les ombres mal placées, et une fois de plus on est sûr que Ford s'est systématiquement limité à une prise de chaque plan. Non, l'intérêt est ici dans la représentation réaliste, non-spectaculaire, de cette guerre de sous-bois qu'était la guerre de Sécession: les sources citées par Ford ne manquent pas: les tableaux de Kunstler et autres, qui représentent ces petits moments de la vie quotidienne sur le front (Par exemple un bivouac d'officiers nordistes, attablés autour d'un plan, déjà contaminés par la douceur du Tennessee); les photos de Mathew B. Brady, d'ailleurs présent nommément et physiquement dans le film; et enfin les courts métrages de David Wark Griffith, dont Ford cite le type de plan en réglant la première bataille du film en un plan parfaitement orchestré: au centre, un chemin, à droite, de la végétation, à gauche le fleuve. Les Nordistes s'engagent sur le chemin, mais des sudistes cachés dans la végétation les prennent par l'arrière. D'ailleurs le film est marqué par une économie légendaire qui fait mouche dans certains plans; de plus, le réalisme des uniformes (Réglementaires dans le nord, et de fortune dans le Sud, qui dépendait beaucoup des volontaires auto-proclamés aux habits bricolés) renvoie à l'image d'une guerre qui était rappelons-le vécue comme une agression par les citoyens des états du Sud.
Tout dépend donc, avant de voir ou revoir ce film, de ce qu'on en attend. On y passe gentiment le temps, on y voit un reflet relativement authentique de la guerre, mais... si le pittoresque surnage (Cette anecdote des cadets, bien sur, avec cette mère inquiète qui demande à ce que son fils soit exempté contre son gré, par exemple), l'impression qui domine est que tout ça c'est une guerre de gentlemen, qui font tout pour ne pas s'agresser, et on ne peut pas être plus loin de la vérité: tous les historiens s'accordent, et les archives le prouvent, c'était une boucherie sans limite, et le romantisme qu'on a attribué à cette guerre durant un siècle de fiction n'y changera rien... Et le plus embêtant, c'est quand même que le film se traîne!
L'image d'Epinal de ce film, c'est bien sûr cette bêtise souvent répétée que Ford, supposé avoir tant massacré d'Indiens durant sa longue et fructueuse carrière de metteur en scène, aurait tenté de racheter son âme de vieil Irlandais en produisant et réalisant ce film pro-Indien au crépuscule de sa vie... C'est réducteur, pour ne pas dire faux: d'une part, Ford a depuis les années 20 toujours considéré les peuplades d'Américains natifs comme des civilisations à part entière, même s'il a occasionnellement sacrifié à quelques clichés (le bon sauvage tout juste évangélisé dans Drums along the Mohawks, les Apaches sanguinaires de Stagecoach, qui soit dit en passant sont surtout sanguinaires hors champ, etc); il a dès 1955, à travers The Searchers, opposé deux jusqu'au boutismes, celui des Comanches d'une part, maraudeurs, violeurs et assassins vus du point de vue de John Wayne, et celui d'Ethan Edwards et des autres Blancs racistes, qui vont jusqu'à étudier les us et coutumes des Indiens afin de profaner les dépouilles mortelles...
Cheyenne Autumn par ailleurs a beau prendre en effet fait et cause pour les Cheyennes et contre l'Armée, les éleveurs, les groupes Humains sous toutes leurs formes, et le gouvernement aveugle, il n'en reste pas moins un film bricolé à partir de nombreux évènements historiques compilés, dont en particulier la fameuse "trail of tears" (la piste des larmes) des années 1830, lorsque le gouvernement des Etats-Unis s'est approprié des territoires entiers de nations Indiennes, en déplaçant contre leur gré les tribus vers d'autres terres. Le film est également rempli de ces tricheries de convenance dont Ford s'est fait la spécialité, et une large part de l'errance des Cheyennes qui y est décrite prend place... à Monument Valley, comme d'habitude. Enfin, le film est interprété par des acteurs d'origine Hispanique (Dolores Del rio, Sal Mineo, Gilbert Roland) et par quelques acteurs de second plan d'origine Navajo (Dont on sait qu'une tribu a accueilli solennellement Ford en son sein)... Pas de Cheyennes dans le film! Je ne m'en plains pas, le cinéma, surtout classique, se satisfaisant pleinement de ces petits arrangements avec la vérité historique. Reste que le film n'est pas le mea culpa souvent décrit... juste une réactualisation liée à une atmosphère des années 60 propice à ce genre d'interogations...
1878: Un parti de Cheyennes attend depuis longtemps que des émissaires du gouvernement Américain les accompagnent vers de nouvelles terres, qu'ont promis au groupement de leurs tribus. Sauf que, d'un millier environ, les maladies ont fait baisser leur nombre à moins de 300. ils prennent donc la décision de partir vers leurs terres d'origine, contre l'avis du Capitaine Thomas Archer (Richard Widmark), le chef de la garnison qui les surveille, ainsi que l'avis d'une institutrice Quaker, Deborah Wright (Caroll Baker). Alors que les Indiens partent, la jeune enseignante les accompagne, alors qu'Archer part à leur poursuite. c'est le début d'un périple à travers de nombreux états, durant lequel les Cheyennes vont se diviser, et les Blancs vont globalement montrer surtout une indécrottable hostilité à leur égard...
En 1878, soit après Little Big Horn (la fameuse bataille durant laquelle une colaition de tribus de plaines a mis une pâtée bien méritée au 7e de cavalerie de George Armstrong Custer), la fin des guerres Indiennes est déjà là. Il reste surtout des escarmouches, et quelques petites échauffourées, mais l'essentiel est passé. Désormais, les "affaires indiennes" sont gérées au sein du gouvernement, et la préoccupation autour du "danger" représenté par les populations natives n'a plus lieu d'être. On assiste bien à une sorte de baroud d'honneur dans le film, mais généralement, dans ces épisodes, le point de vue est bien celui des Cheyennes.
Impossible en revanche de fédérer à partir de ce film une véritable conscience de l'Amérique Blanche: le gouvernement ne comprend rien, l'armée se réfugie derrière des ordres, aussi inhumains soient-ils (Ce qui débouche sur un massacre lors d'un épisode situé dans la deuxième partie du film); les cow-boys Texans rencontrés en chemin par deux Cheyennes affamés qui leur demandent à manger prennent du plaisir à en tuer, puis scalper un, avant de répandre le bruit d'une attaque imminente d'une tribu assoifée de sang; à ce titre, l'épisode situé à Dodge City tourne à la farce cruelle, avec James Stewart en Wyatt Earp obsédé par une partie de cartes inachevée: toute la ville se met à courir dans tous les sens, sans savoir vraiment quoi faire, sans qu'un seul Indien ait fait son apparition. Un soldat, le lieutenant Scott (Patrick Wayne), se laisse emporter par la vengeance contre les Indiens, au lieu de réfléchir humainement à leur condition... Les seuls à s'en tirer à bon compte sont ceux qui laissent leur conscience agir: Lorsque Archer, excédé devant le traitement réservé aux Cheyennes pour lesquels il a du respect, décide de désobéir et d'aller porter l'affaire devant le ministre des affaires Indiennes (Eward G. Robinson), celui-ci lui avoue d'ailleurs ne rien comprendre à l'affaire, et décide enfin de venir sur place afin de traiter la chose comme il convient... La seule personne a avoir toujours fait ce qu'il fallait est miss Wright. elle sera une inspiration pour Archer qui en est amoureux, mais un autre personnage sera déterminant: le sergent Wichowski (Mike Mazurki), originaire de Pologne, et qui dresse un parallèle frappant entre le traitement des Polonais sous l'occupation Russe, et celui des Indiens dans l'Amérique de 1878... Toujours cette conscience immigrante de l'Amérique, si chère à John Ford, qui a toujours trouvé le ton juste à ce niveau.
Le film est long, très long: c'est le plus long de son auteur, et il bénéficie du traitement emphatique des Roadshows typiques aux années 60, avec prologue et entr'acte (il est donc ce que j'appelle un filmouth, espèce disparue des années 60). Il en existe des versions raccourcies, privées de la grosse comédie de Dodge City, ce qui n'enlève rien au propos du film; il est intéressant de noter qu'on y trouve quand même non seulement James Stewart (Un Wyatt Earp à contre-emploi de celui de son ami Henry Fonda dans My darling Clementine!), mais aussi Arthur Kennedy et John Carradine... Mais cet épisode est long, inutile, et un peu lourd, au regard de l'austérité de l'ensemble.
Ford, pour une fois, s'oblige (Ou a été forcé?) à utiliser le Panavision, en 70 mm, et de fait son sens de la composition n'a pas à en souffrir. Il en résulte une beauté picturale particulièrement marquée dans les épisodes situés à monument Valley, mais aussi une certaine lenteur, y compris pour un film de Ford. Mais la composition picturale, largement inspiré de toiles d'époques, et l'utilisation des décors, de la lumière, de la neige etc... Sont une fois de plus une source de plaisir Fordien. Cette nouvelle histoire d'un groupe humain en proie à une fuite en avant, participant ainsi de la geste Américaine chère à John Ford, est bien celle d'un groupe de Cheyennes, et non d'un groupe de blancs. Mais l'un des défauts majeurs du film, c'est d'avoir sans doute trop morcelé les intrigues. L'heure est, encore une fois, à une certaine dimension romanesque, et les sous-intrigues du film finissent par être trop nombreuses. Toutefois, l'une d'entre elles, celle du chef qui voit d'un mauvais oeil sa fille fricoter avec un jeune guerrier qui ne lui plait pas, ajoute une coda tragique au film, après la réconciliation d'usage... sage décision, tant on n'aurait pas compris que le film se termine sur une décision unilatérale du gouvernement Américain de traiter les peuplades indigènes avec humanisme, suivie d'effets. Ce n'aurait pas été très sage historiquement parlant...
La réputation du filmest mitigée, et on peut le comprendre. C'est un film de compromis, avec une surprenante modernité dans son humanisme, et une technique qui hasite entre le légendaire takent du metteur en scène pour la composition, et sa tout aussi légendaire tendance à bacler en faisant passer son refus de faire une deusième prie pour de l'efficacité. On tique donc devant une digression indigne (malgré James Stewart) et des transparences ratées dans les dernières séquences, mais l'intérêt réel du film, sa façon de donner enfin le point de vue de ceux qui ont toujours été traités en tant qu'antagonistes dans tant de films, continue paradoxalement à lui donner un statut particulier...