Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 mars 2024 3 13 /03 /mars /2024 17:44

Clyde Griffiths (Phillips Holmes) est un jeune Américain qui a découvert, en effectuant les tâches qui incombent à un groom dans un hôtel chic, qu'il ne déplait pas aux dames... Mais lors d'une soirée un peu trop arrosée il se trouve sur les lieux d'un accident (le conducteur de la voiture dans laquelle il se trouve provoque la mort d'un enfant, et tous les jeunes fêtards, dont Clyde lui-même, s'enfuient... Prenant la fuite, il enchaîne petit boulot sur petit boulot avant que son oncle aisé ne lui donne un poste à responsabilité dans son entreprise de confection... Là, en dépit des règles très strictes sur la "fraternisation sociale" dans l'entreprise, il séduit la jeune Roberta Alden (Sylvia Sidney), qui va vite tomber enceinte de lui... Problème: il a entretemps rencontré et séduit une jeune et riche héritière et n'envisage pas aussi facilement de lâcher cette proie pour épouser Roberta, qu'il n'aime pas spécialement. La tentation de la tuer commence à faire son chemin. Sauf que la tentative sera en quelque sorte un échec. Reculant sur son envie de l'éliminer, il provoque sans le vouloir sa mort accidentelle... La justice se met vite en route.

Sternberg n'aurait jamais fait ce film de son plein gré, il ne lui a pourtant pas été imposé, il s'girait plutôt d'un concours de circonstances. J'y reviendrai, mais pour commencer peut-être faudrait-il commencer par situer la raison d'être de l'existence de ce film... Et du crédit de Sternberg. A la base, le film est adapté donc d'un roman important de 1925, écrit par Theodore Dreiser, l'un des principaux auteurs du courant naturaliste, avec un petit quelque chose en plus: un socialisme militant, qui explose de page en page dans le roman! Le livre ayant été un énorme succès de librairie, la Paramount en a acheté les droits, et comme à l'époque ils étaient en contact avec Eisenstein, il a semblé naturel de confier l'adaptation au grand cinéaste soviétique, qui s'en réjouissait: Dreiser et lui s'entendaient comme larrons en foire. Mais l'adaptation proposée par Eisentstein, basée sur un traitement par le britannique Ivor Montagu, déplaisait tellement à Adolph Zukor, qu'il a bien fallu se rendre à l'évidence, il y avait erreur de casting! 

Si on a confié le film ensuite à Sternberg, c'est tout simplement parce que depuis 1927, le metteur en scène avait été l'un des principaux atouts du studio pour sauver les films du désastre: il avait par exemple pu intervenir dès son arrivée pour des retakes, aussi bien sur It (Clarence Badger) que sur Children of divorce (Frank Lloyd) et était aussi responsable du remontage d'une partie de The wedding march (Stroheim) en 1928... Et Marlene Dietrich étant partie pour un séjour en Allemagne, le réalisateur avait les mains libres. Dreiser a détesté son adaptation, dont il estimait qu'elle trahissait le roman... en particulier pensait-il, en enlevant complètement une thématique autour de la corruption par le rêve Américain, ou encore l'importante filiation du héros, fils d'une mère rigoriste et à la morale religieuse omniprésente, et rejeton d'une bonne famille de petits bourgeois!

Sauf que justement, si Sternberg a atténué la teneur sociologique de ce film, en plaçant moins d'emphase sur ces aspects chers au coeur du romancier, il ne les a pas occultés pour autant, rééquilibrant son film en en faisant la trajectoire d'un lâche militant, un homme qui passe son temps à fuir aussi bien la réalité, l'altruisme, que ses désirs quand ils ne l'arrangent pas: ainsi il pourrait sauver Roberta de la noyade, mais il choisit de ne pas le faire parce que trois minutes avant il voulait qu'elle disparaisse... Griffiths est un anti-héros particulièrement négatif, une belle ordure même, et il est bien le produit d'une certaine vision de l'éthique Américaine.

Si Sternberg a moins montré dans ce film assez réaliste son talent pour une certaine vision éthérée des répports humains, située habituellement dans des cadres plus artificiels, il le signe malgré tout par son impeccable photographie qui prend particulièrement soin de nous montrer de superbes paysages et des environnements qui sont autant de représentations en miniature de la douceur de vivre Américaine dans les années 20 avant le réveil douloureux de la crise (Que Dreiser n'anticipait pas), et il utilise un procédé qu'il affectionnait depuis ses débuts en 1925, des fondus enchaînés qui nous montrent le parcours lamentable de Griffiths comme étant une émanation de son destin.

...Un destin américain.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg Pre-code
16 août 2023 3 16 /08 /août /2023 18:16

La carrière de Sterberg commence avec un film que d'aucuns pourraient qualifier d'expérimental, voire d'amateur. Les "stars" en sont George K. Arthur et Georgia Hale (The Gold Rush), ce qui explique peut-être le soutien de Chaplin à un film qui très honnêtement ne devait pas beaucoup attirer la profession à l'époque des studios. C'est par le biais de United Artists que le film a été finalement distribué nationalement.

Le film conte les "mésaventures" de marginaux dans une zone portuaire, un homme ("the boy", George K. Arthur), qui vit au milieu des restes de naufrage et de la boue drainé par les bateaux qui draguent incessament le port; une femme ("the girl", Georgia Hale), qui traine dans les mêmes eaux, garde une certaine dignité qui passe pour de la froideur. Elle oppose une certaine passivité à tout ce qui passe autour d'elle. Ils sont rejoints par un jeune garçon ("the child", Bruce Guerin), un orphelin qui a été secouru d'une correction par une brute épaisse par le héros. 

Ils décident de quitter les environs du port pour se rendre en ville et atterrissent dans un taudis où ils prennent un appartement ensemble. Mais leur logement est tout proche d'un bordel, et quand l'homme cherche du travail, la menace pèse sur la jeune femme...

C'est apparemment un mélodrame, mais l'absence d'émotion visible, et parfois l'absence d'action des personnages, sont rares et assez déstabilisantes. Le propos de Sternberg, qui a tourné le film dans des conditions proches deu système D absolu, étaient de photographier la pensée. On comprend ce qu'il voulait dire quand on voit la façon dont il multiplie les plans statiques, mais il fait aussi une utilisation inventive du décor et des accessoires, montrant par exemple un proxénète adossé à un mur, avec un porte-manteau du plus mauvais goût qui lui dessine des cornes...

Le film ne manque pas d'humour non plus, comme ce plan des trois "héros" qui sont vautrés les uns sur les autres, impassibles, immobiles, avec un cadre au dessus de la tête, qui clame "Home sweet home"... mais il est de travers.

Mais ça reste une vision inconfortable, un film qui s'échappe en permanence des entiers battus. Sternberg y fait la preuve d'un talent évidet dans la composition, et d'une capacité à exploiter le décor, mais l'ensemble reste statique et très énigmatique... Mais tout le film tend vers une résolution qui viendra du fait qu'à un moment, George K. Arthur prendra la bonne décision, au bon moment...

Cette originalité quasi suicidaire n'a pas empêché Chaplin d'y voir bien plus... Il a non seulement fait en sorte que le film soit distribué pour être vu par le plus grand nombre (ce qui n'a pas été le cas) et a engagé Sternberg dont il souhaitait produire un film. Ce sera The Woman of the sea (ou The seagull?) qu'il devra détruire par décision de justice. Non seulement la carrière de Sternberg commençait, mais ses ennuis aussi...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg Muet 1925 *
28 juillet 2023 5 28 /07 /juillet /2023 19:02

La ville de Madison, Indiana, sur la rivière Ohio, est filmée dans ses moindres détails, et dans un faux point de vue documentaire, on assiste à une leçon de vivre ensemble, assénée par le département de la défense dans le cadre de l'effort de guerre.

Oui, un faux point de vue documentaire... Comment pourrait-il en être autrement, quand le film nous présente une ville qui est certes admirablement tranquille, et à l'en croire un idéal de démocratie directe, alors qu'on sait qu'en ces difficiles années 30 et 40, la ségrégation sévissait de manière sèvère, au point d'avoir occasionné la photo lugubre et tristement célèbre d'un lynchage assumé fièrement par la population?

...Mais cette photo n'est pas le sujet de ce qui, pour Sternberg, est à la fois une commande (honorée) et un exrcice de style (riche en aspects typiques de ce qu'on attend d'un documentaire "commenté" en voix off, de l'époque). Et l'idéal de démocratie, de liberté et de vivre ensemble, affiché même si probablement déplacé dans un tel lieu, reste le but à atteindre, encore aujourd'hui. Ou demain...

D'ailleurs, "demain", ça comptait déjà quand le metteur en scène est parti dans l'Indiana faire son fiml, à en croire le plaisir qu'il a pris à filmer et monter en succession rapide ces mines d'écoliers réjouis...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg
8 août 2021 7 08 /08 /août /2021 09:28

La petite amie du gangster Jim "Thunderbolt" Lang (George Bancroft), Ritzy (Fay Wray), voit en secret Bob Moran (Richard Arlen), un jeune banquier sans aucun lien avec le crime. C'est le début d'une série d'événements qui conduiront le généralement prudent chef de la pègre au couloir de la mort... Mais il a de la ressource, même en prison: peu de temps après, Moran se fait piéger et le rejoint...

Pour son premier film parlant, Sternberg a tout de suite pris les choses en main, en intégrant le son à sa mise en scène. Il réalise d'une part un film de gangsters très proche de ce qu'il avait réussi brillamment avec Underworld, et du reste la présence de Bancroft est tout sauf un hasard; il y montre un parcours étonnant, celui d'un gangster qui n'a rien à perdre, mais agit en permanence selon des codes complexes qu'illustrent ses actions et son regard. Bancroft, finalement, parle peu... D'autre part, la mise en scène intègre les dialogues comme un choeur grec mais mis en situation, la plupart des personnages en place servant à véhiculer de l'information, faire avancer l'intrigue, etc... Si le dialogue souffre de la lenteur propre à la prudence conseillée par les techniciens qui pensent qu'un débit rapide serait dommageable à la compréhension (ce qui va changer), Sternberg se résout à limiter les répliques, comme le fera Lang deux ans après dans M...

En choisissant de commencer par suivre Fay Wray et Richard Arlen, Sternberg baigne le film de romantisme, mais qu'on ne s'y trompe pas: le héros reste Thunderbolt, et son destin flamboyant... Cela étant les deux tourtereaux s'en tirent bien, surtout Fay Wray en fiancée d'un gangster. L'attitude ferme et décidément aguerrie qu'elle affiche dans la scène située au poste de police nous change de ces sempiternels rôles qui la voient crier plus souvent que parler (cela étant dit avec le respect, bien entendu, qui est dû aussi bien à King Kong qu'à Doctor X). La deuxième moitié du film est dominée par les scènes tournées à Death row, où Sternberg trouve des moyens d'utiliser le son d'une manière novatrice: le dialogue et les bruits ambiants sont partagés entre les personnages vus à l'écran (le plus souvent Bancroft et un savoureux directeur de prison dépassé par les événements, incarné par Tully Marshall), et tout leur environnement, fait largement de voix et de son off. Il en sort une vision forte de cette situation humaine si particulière, qui sied bien au romantisme si original de Josef Von Sternberg...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg Pre-code
21 octobre 2019 1 21 /10 /octobre /2019 11:30

Et donc, L'ange bleu, film paradoxal: fêté comme un grand moment du cinéma d'un côté, un fort ennuyeux exercice de style qui est l'un des plus vides de tous les films de son auteur, 107 minutes interminables, pesantes, probablement utiles, mais à quoi?

Un professeur de lycée dans une petite ville Allemande tient son rang d'éducateur avec rectitude, courage et un soupçon de présomption: la façon dont sa femme de ménage le traite, et le taudis dans lequel il vit, nous renseignent sur son personnage. Ses élèves ne l'aiment pas mais le craignent: on est en Allemagne, et il est le Professeur, Der Professor Doktor Immanuel Rath, un nom que derrière son dos, les élèves raillent...

Un jour, il a trouvé dans les affaires de son meilleur élève (un blanc-bec à lunettes, voué à effacer le tableau comme le premier censeur venu) des photos (Glissées là par des farceurs) d'une chanteuse qui passe dans un cabaret local. Il s'y rend dans le but de faire entendre raison à des artistes qui corrompent la jeunesse, et tombe amoureux de Lola Lola...

Et on se demande pourquoi, elle chante comme une crécelle.

Donc une bonne fois pour toutes, Jannings fait du Jannings, Dietrich du Dietrich, le cadre est splendide, autant la photographie que le décor vaguement inspiré des glorieux temps de l'Expressionnisme, et l'histoire est celle d'une déchéance. Mais quelle purge! que ennui! une fois admises les qualités plastiques, circulez, il n'y a plus rien à voir, ni surtout à écouter.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg
5 octobre 2019 6 05 /10 /octobre /2019 16:45

En 1951, une poignée de soldats et marins Japonais qui "défendaient" depuis 1944 l'île isolée où le naufrage de leur navire les avait forcés à se retirer, ont été retrouvés et sauvés: ils avaient ignoré tous les indices éventuels de la fin des conflits, croyant à un piège de l'ennemi! Secourus et rendus à leurs familles, leur cas avait attisé la curiosité de Josef Von Sternberg qui y avait vu un prétexte formidable pour un film... Il avait certainement raison.

Donc ce long métrage, tourné à Kyoto, quasiment intégralement en studio, raconte le naufrage, puis la découverte sur l'île d'un couple, deux personnes marées, mais pas ensembles, qui survivaient déjà sans que la raison de leur isolement soit claire... Et entre l'homme et les marins, la quête de la survie allait aussi se doubler d'une lutte de pouvoir sur la femme, Keïko.

J'émets ici une hypothèse, que la copie personnelle du film (fortement érotisée) qui était en possession de Sternberg lui-même, mais aussi son histoire personnelle, et les toiles érotiques qu'il a lissées derrière lui (Car il était aussi peintre) tendraient à corroborer: si les hommes avaient survécu seuls, probablement Sternberg n'aurait-il pas été intéressé par cette histoire au point d'en faire un film à des milliers de kilomètres de chez lui, et d'en être le narrateur omniscient, ainsi que le metteur en scène - scénariste - décorateur et chef opérateur.

Car Keïko est le centre du film, son sujet et son objet, et à partir du moment où elle apparaît, on peut argumenter du fait que la narration stagne! coincée sur l'île, où les hommes hésitent entre regarder ailleurs, et s'entre-tuer, pendant que Keïko, habillée ou non, déambule au milieu de ces mâles qui sont manifestement plus attirés par le pouvoir qu'elle leur confère, que par les sentiments qu'elle éveillerait chez eux. Et la narration froide et détachée, souvent répétitive du metteur en scène, en parallèle avec le côté artificiel du film, en rajoute une couche. 

Non que le film soit irritant ou ennuyeux, c'est juste que son étrangeté (notamment le fait que Anatahan a été conçu non pour les Japonais mais pour les Anglophones, et donc le Japonais des dialogues n'a absolument aucune importance, le seul fil langagier reste l'anglais monocorde de la voix off) nous en dit probablement plus long sur le metteur en scène que sur son intrigue...

Et devant une telle fuite en avant, un tel effort pour aller à l'encontre de tout, on comprend sans doute un peu comment il a pu être si difficile, et finalement impossible, pour le metteur en scène de cet étrange objet cinématographique, de revenir à son métier à partir de la sortie (plus que confidentielle) de ce film, un pur OFNI.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg
11 septembre 2019 3 11 /09 /septembre /2019 16:09

Tout a une fin... Comme la période dite pre-code, par exemple, qui s'est finie en 1934-1935 lorsque les studios ont été priés de cesser de ruer dans les brancards et de se conformer à un certain nombre de règles édictées par un groupe de pères-et-mères-la-pudeur... Comme par hasard, c'est aussi la période durant laquelle la collaboration légendaire mais probablement un brin vénéneuse entre Sternberg, Dietrich et la Paramount prend fin. Et c'est avec ce film que l'histoire cesse...

Adapté du roman La femme et le pantin de Pierre Louys, déjà adapté deux fois auparavant (et ce ne serait pas la dernière fois), il raconte les amours hautement improbables de Concha Perez (Marlene Detrich), intrigante collectionneuse, et de toute l'Espagne: toreadors, fascistes ou révolutionnaires, militaires ou brigands, tout le monde y passe semble-t-il. La première partie est un peu un passage de relais: Don Pasqual (Lionel Atwill), qui connaît bien la belle, raconte à son ami Antonio (Cesar Romero) ses aventures malheureuses avec celle qui lui a brisé le coeur. Antonio qui était auparavant intrigué, jure qu'il n'essaiera pas de la séduire, mais... se précipite dans ses bras quand même. Les deux hommes iront jusqu'au duel.

C'est un bien étrange film, trop riche sans doute pour être honnête, et dont les coutures sont parfois soulignées par d'évidentes coupes. Pas étonnant dans la mesure où, en cette époque de tentative de coup de frein sur les turpitudes du cinéma, Sternberg n'a pas choisi un matériau très présentable... Il est donc court, et apparaît très concentré. De plus, l'atmosphère semble constamment hésiter entre le mélo baroque à la Morocco, et la comédie, pour laquelle un personnage (irrésistible) a été confié à rien moins que Edward Everett Horton soi-même!

Sternberg (qui avec une certaine ironie s'est débrouillé pour que Lionel Atwill lui ressemble étrangement) signe non seulement la direction mais aussi la photographie, et c'est le point fort du film: son style qui se joue de tout (les décors stylisés et étouffants, les costumes excessivement étranges de Travis Banton pour l'actrice, et bien sûr il maîtrise les éléments: pluie, brume, lumière et ombre. mais cette intrigue dans laquelle Lionel Atwill doit se battre contre Cesar Romero, pour une intrigante qui fait aussi Espagnole que moi je ressemble à un Inuit, et qui par-dessus le marché chante horriblement mal, me laisse froid, mais alors froid... Comme un igloo.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg Edward Everett Horton
4 septembre 2019 3 04 /09 /septembre /2019 16:15

1931, un certain nombre de personnages quittent Pékin en train pour se rendre à Shanghai: le docteur Harvey (Clive Brook), médecin militaire en route pour soigner un haut dignitaire, un major français (Emile Chautard) en déshérence, qui dissimule un secret qu'il aura du mal à avouer, d'autant qu'il est l'un des rares à ne pas parler anglais; un industriel Américain, Sam Salt (Eugene Palette); Baum (Gustav Von Seyffertitz), un Allemand qui trafique de l'opium; Mrs Haggerty, une Anglaise (Louise Closser Hale), la propriétaire bien comme il faut d'une pension de famille; un pasteur, le révérend Charmichael (Lawrence Grant); un mystérieux Eurasien, Chang (Warner Oland)... Et deux femmes qui vont tout de suite se faire remarquer: Shanghai Lily (Marlene Dietrich), et Hui Fei (Anna May Wong). Deux prostituées de luxe, qui vont immanquablement provoquer la colère des uns, l'ironie des autres, et... la confusion de Harvey, qui a connu Shanghai Lily sous le nom de Madeline, et qui l'aime encore.

Mais c'est la guerre civile, et tout ce petit monde va être mis à rude épreuve lorsque Chang va s'avérer être un chef rebelle important, et qu'il va réquisitionner le train et prendre tous les passagers en otage afin d'obtenir la libération d'un lieutenant...

Le film prend sur plusieurs traditions, toutes ou presque liées au mélodrame: c'est un hus clos, situé dans ou autour du train, et dans lequel Sternberg reconstruit à sa façon (et avec l'aide de nombreux inserts et de transparences filmées en Chine par le grand caméraman James Wong Howe) la Chine dangereuse des films d'aventure. Il alterne le chaud et le froid dans une intrigue qui concerne essentiellement Shanghai Lily, Hui Fei, Chang et Harvey, le reste du casting jouant les choeurs Grecs, notamment en situant les évolutions de l'opinion publique. Le metteur en scène qui à l'instar de Stroheim, sait quelle valeur les signes religieux peuvent avoir dans ce type d'intrigue, va donner un rôle clé au révérend Charmichael, l'homme qui est le plus décidé à vouer les deux "courtisanes" à l'opprobre, va comprendre plus vite que d'autres qu'elles auront sauvé leurs compagnons...

Peut-être ce très rigoureux pasteur, a-t-il lu Boule de Suif? Comme je le disais, les événements rigoureusement faux et baroques de ce film étrange et envoûtant ressortent tous OU PRESQUE du mélodrame, mais la nouvelle de Maupassant, qui allait aussi inspirer à des degrés divers des cinéastes aussi différents que Mizoguchi et Ford avant la fin de la décennie, fait une apparition inévitable, à travers les aventures des deux femmes... Chacune d'entre elle se partage d'ailleurs le lot de l'héroïne de Maupassant... le film, visuellement, donne aux deux actrices une présence phénoménale, et certes, c'est Marlene Dietrich qui est la plus mise en avant, mais Anna May Wong, dotée d'une grande quantité de dialogue, et qui garde longtemps ses mystères, évite l'écueil d'un "rôle exotique" de plus, ou de trop...

Quant à la science de la lumière et de la mise en scène de Sternberg, elle est à son plus haut niveau dans ce film, à l'égal de The scarlet Empress et des trois chefs d'oeuvre muets des années Paramount. Le réalisateur s'est plus à utiliser toutes les opportunités offertes par un train, pour jouer et rejouer avec le cadre, séparant ou rapprochant les voyageurs, emprisonnant les uns dans la morale et les autres dans le mépris ethnique ou de classe... La preuve en images...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Josef Von Sternberg Pre-code
28 août 2019 3 28 /08 /août /2019 19:06

Un décor ultra-codifié, des personnages dérivés d'archétypes, une histoire réduite à l'essentiel, et des dialogues souvent réduits à leur plus simple expression... Le premier film de Sternberg de retour de l'expérience de Der Blaue Engel, surprend forcément. Comme peut surprendre le fossé considérable entre l'apparence brute, non raffinée, de sa star dans le film précédent, et sa toute nouvelle sophistication, où a été gommée l'apparente indifférence de Lola Lola vis-à-vis du monde...

Au Maroc, dans une petite ville, se télescopent plusieurs personnes autour d'un cabaret: un légionnaire (Gary Cooper) qui tombe toutes les femmes sans exception (y compris celle de son adjudant et ce dernier, on s'en doute, ne le prend pas très bien); un peintre Français, richissime admirateur des femmes des autres, mais qui a fait le voeu de rester à l'écart du mariage (Adolphe Menjou); enfin, une chanteuse de cabaret qui vient d'arriver et qui a un numéro basé sur une approche provocante et cynique (Marlene Dietrich). Les deux hommes, chacun à leur façon, vont tomber amoureux de la jeune femme, et...

On ne sera pas surpris: Sternberg a privilégié l'atmosphère sur les scènes de son film, et c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le dialogue est à la portion congrue. Difficile de croire à ces situations qui semblent emprunter à toutes les images d'Epinal du film de légion (un genre très en vogue jusqu'à la fin des années 30), mais les personnages ont une tendance à nous attirer vers nous: y compris Marlene Dietrich, sauf bien sûr quand elle chante...

...Si on peut appeler ça chanter. Reprenons:

Si je regrette que le chloroforme qui a été employé pour créer L'ange Bleu (de tous les classiques obligatoires, probablement le film que je déteste le plus) tend à plomber la première partie du film, j'apprécie de quelle façon Marlene Dietrich, par l'implication personnelle de son personnage de plus en plus évidente au fur et à mesure du film, finit par le sauver. deux scènes, en particulier, quasi muettes, sont fantastiques: la fin, sur laquelle je ne vis rien dire puisqu'il paraît que ça ne se fait pas, mais aussi une très belle séquence où elle entend, d'un salon, les clairons de la troupe qui revient. Elle se précipite dehors, et dévisage absolument tous les légionnaires qui reviennent d'une bataille, longuement, remontant le flot des hommes blessés.

...Si ce n'est pas de l'amour fou, ça y ressemble drôlement. Quels que soient les défauts occasionnels de ses films, leur kitsch assumé, Sternberg n'a pas son pareil pour nous envoûter autour d'un amour sensuel, brutal, entier et profane, qui faisait furieusement tâche à Hollywood. Et comme en plus il le faisait dans le cadre d'un effort photographique inédit (même si Morocco n'est pas le mieux préservé de ses films), le cinéphile a de quoi en profiter.

Tant qu'ELLE ne chante pas.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Pre-code Josef Von Sternberg
20 mars 2019 3 20 /03 /mars /2019 22:35

Helen Faraday a rencontré son mari alors qu'elle se baignait dans une rivière en compagnie d'autres danseuses; il était en vacances en Allemagne et elle faisait partie des curiosités locales... devenue mère de famille aimante aux Etats-Unis, il va falloir qu'elle redevienne une artiste car Ned Faraday est malade: exposé au radium, il risque même la mort; il faut financer un séjour à l'étranger pour le guérir... Elle retourne sur scène, et va rafler la mise en un soir: en effet, un playboy, Nick, est fasciné par l'artiste et lui donne un très gros chèque. Dès le lendemain, Ned part pour une cure, mais Nick est toujours là...

Un mélodrame, donc, mais un gros, un qui n'hésite absolument pas à faire dans l'excessif, le kitsch voire le franchement invraisemblable... Avec Herbert Marshall dans le rôle de son mari et un tout jeune Cary Grant dans celui de l'amant, Marlene Dietrich est encouragée à en rajouter dans les grandes largeurs. Il est évident que c'est un film pour la galerie, une sorte d'expérience qui multiplie les figures du style: ne serait-ce que pour passer de la ménagère Dietrich à la meneuse de revue Marlene, Sternberg fait en permanence le grand écart, et son film essaie de faire concurrence à tout ce qui se pratique à l'époque: Baby face, d'Alfred Green avec Barbara Stanwyck, Susan Lennox de Robert Z. Leonard avec Greta Garbo pour la fuite en avant, et Three on a match de Mervyn Le Roy pour la déchéance fulgurante de Ann Dvorak...

Tout y passe dans ce film dont une fois de plus l"esthétique prime fermement sur l'intrigue, et dont les scènes mémorables s'enchaînent sans vergogne: la scène inaugurale où Sternberg joue avec la nudité (et donc la censure) en montrant des Américains tout émoustillés devant des naïades en tenue d'Eve, mais aussi la célèbre danse avec Marlene Dietrich en orang-outang (mais oui!!!) qui joue d'ailleurs sur les pires clichés coloniaux, et d'autres: une scène nous rappelle le pouvoir de la mise en scène d'un auteur qui avait déjà un talent fou à l'époque du muet: le mari vient de reprendre son enfant à son épouse en fuite, et elle regarde partir le train en silence, mais en un ou deux gestes, l'immense douleur se fait sentir...

Ce n'est pas un grand film, c'est presque un état des lieux,une déclaration d'intentions, ou un catalogue. Mais la photographie est soignée à l'extrême comme de juste, les excès sont tellement voyants qu'ils en deviennent des prouesses, et de toute façon, dans ce monument de kitsch, personne n'est dupe: comment s'étonner qu'à sa façon ce film soit devenu un classique?

Hélas: elle chante, trois fois. Trois fois de trop.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Pre-code Josef Von Sternberg Cary Grant