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Clyde Griffiths (Phillips Holmes) est un jeune Américain qui a découvert, en effectuant les tâches qui incombent à un groom dans un hôtel chic, qu'il ne déplait pas aux dames... Mais lors d'une soirée un peu trop arrosée il se trouve sur les lieux d'un accident (le conducteur de la voiture dans laquelle il se trouve provoque la mort d'un enfant, et tous les jeunes fêtards, dont Clyde lui-même, s'enfuient... Prenant la fuite, il enchaîne petit boulot sur petit boulot avant que son oncle aisé ne lui donne un poste à responsabilité dans son entreprise de confection... Là, en dépit des règles très strictes sur la "fraternisation sociale" dans l'entreprise, il séduit la jeune Roberta Alden (Sylvia Sidney), qui va vite tomber enceinte de lui... Problème: il a entretemps rencontré et séduit une jeune et riche héritière et n'envisage pas aussi facilement de lâcher cette proie pour épouser Roberta, qu'il n'aime pas spécialement. La tentation de la tuer commence à faire son chemin. Sauf que la tentative sera en quelque sorte un échec. Reculant sur son envie de l'éliminer, il provoque sans le vouloir sa mort accidentelle... La justice se met vite en route.
Sternberg n'aurait jamais fait ce film de son plein gré, il ne lui a pourtant pas été imposé, il s'girait plutôt d'un concours de circonstances. J'y reviendrai, mais pour commencer peut-être faudrait-il commencer par situer la raison d'être de l'existence de ce film... Et du crédit de Sternberg. A la base, le film est adapté donc d'un roman important de 1925, écrit par Theodore Dreiser, l'un des principaux auteurs du courant naturaliste, avec un petit quelque chose en plus: un socialisme militant, qui explose de page en page dans le roman! Le livre ayant été un énorme succès de librairie, la Paramount en a acheté les droits, et comme à l'époque ils étaient en contact avec Eisenstein, il a semblé naturel de confier l'adaptation au grand cinéaste soviétique, qui s'en réjouissait: Dreiser et lui s'entendaient comme larrons en foire. Mais l'adaptation proposée par Eisentstein, basée sur un traitement par le britannique Ivor Montagu, déplaisait tellement à Adolph Zukor, qu'il a bien fallu se rendre à l'évidence, il y avait erreur de casting!
Si on a confié le film ensuite à Sternberg, c'est tout simplement parce que depuis 1927, le metteur en scène avait été l'un des principaux atouts du studio pour sauver les films du désastre: il avait par exemple pu intervenir dès son arrivée pour des retakes, aussi bien sur It (Clarence Badger) que sur Children of divorce (Frank Lloyd) et était aussi responsable du remontage d'une partie de The wedding march (Stroheim) en 1928... Et Marlene Dietrich étant partie pour un séjour en Allemagne, le réalisateur avait les mains libres. Dreiser a détesté son adaptation, dont il estimait qu'elle trahissait le roman... en particulier pensait-il, en enlevant complètement une thématique autour de la corruption par le rêve Américain, ou encore l'importante filiation du héros, fils d'une mère rigoriste et à la morale religieuse omniprésente, et rejeton d'une bonne famille de petits bourgeois!
Sauf que justement, si Sternberg a atténué la teneur sociologique de ce film, en plaçant moins d'emphase sur ces aspects chers au coeur du romancier, il ne les a pas occultés pour autant, rééquilibrant son film en en faisant la trajectoire d'un lâche militant, un homme qui passe son temps à fuir aussi bien la réalité, l'altruisme, que ses désirs quand ils ne l'arrangent pas: ainsi il pourrait sauver Roberta de la noyade, mais il choisit de ne pas le faire parce que trois minutes avant il voulait qu'elle disparaisse... Griffiths est un anti-héros particulièrement négatif, une belle ordure même, et il est bien le produit d'une certaine vision de l'éthique Américaine.
Si Sternberg a moins montré dans ce film assez réaliste son talent pour une certaine vision éthérée des répports humains, située habituellement dans des cadres plus artificiels, il le signe malgré tout par son impeccable photographie qui prend particulièrement soin de nous montrer de superbes paysages et des environnements qui sont autant de représentations en miniature de la douceur de vivre Américaine dans les années 20 avant le réveil douloureux de la crise (Que Dreiser n'anticipait pas), et il utilise un procédé qu'il affectionnait depuis ses débuts en 1925, des fondus enchaînés qui nous montrent le parcours lamentable de Griffiths comme étant une émanation de son destin.
...Un destin américain.
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