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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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18 juin 2011 6 18 /06 /juin /2011 08:03

Un nouveau puzzle dans l'univers de Mankiewicz, All about Eve est suffisamment connu pour qu'on n'ait pas à s'étendre sur son exceptionnel destin: ça a été un succès, il a obtenu l'Oscar du meilleur film, et c'est un indécrottable classique. Tant mieux: ce film exceptionnel est une vitrine fantastique pour l'oeuvre ambitieuse de son auteur. Mais la diversité des thèmes abordés, la  réussite de la narration particulièrement complexe, la réussite enfin de chaque scène en font le chef d'oeuvre, haut la main. L'histoire est celle d'une actrice, dont on apprend comment elle est arrivée jusqu'au firmament, en s'incrustant auprès d'une autre, et en manoeuvrant subtilement afin de devenir incontournable. il y sera question d'ambition au sens large, bien sur, de théâtre évidemment, du métier d'artsiste en général, et aussi, surtout, des femmes. on apprend à la faveur d'une scène que la jeune femme qui donne pourtant son titre au film ne s'appelle pas Eve, mais Gertrude... Le film aurait donc pu s'appeler All about Gertrude, mais il n'en est rien; Eve, donc: on ne va quand même pas imaginer que Mankiewicz a sélectionné ce prénom au hasard...

 

Une remise de prix, très solennelle, dont nous voyons le déroulement, pendant que la voix posée et polie de George Sanders commence la narration de ce film choral. L'énigme commence, tant sanders a le chic pour proférer des horreurs avec un ton d'une infinie politesse; c'était la personne idéale pour être le premier protagoniste de ce monologue à tiroirs avec le public. De fait, la scène de la cérémonie qui démarre le film assume le même rôle d'exposition des narrateurs que la scène de A letter to three wives durant laquelle les trois héroïnes se retrouvent à la rivière. Addison DeWitt, le critique dramatique interprété par Sanders, va donc expédier la présentation de la cérémonie, puis présenter les protagonistes qui vont de fait, pour certains, fournir les points de vue: Margo Channing, l'actrice; Max Fabian, le producteur; Bill, le metteur en scène; Lloyd, l'auteur dramatique; son épouse Karen, enfin, dont la belle voix (C'est Celeste Holm, qui interprétait l'énigmatique voix off de Addie Ross dans A letter to three wives) va commencer le jeu de massacre en racontant comment tout a commencé. mais contrairement à l'autre kaléïdoscope narratif, celui-ci n'a pas rangé les témoignages de façon bien propre, les uns à la suite des autres. non, les narrateurs s'insèrent au fur et à mesure, desinnant une histoire plus linéaire, et se passant le micro de façon imperceptible. ainsi, dans le premier segment lancé par Karen, celle-ci disparait à un moment de l'écran, devenant de fait incapable de transmettre son point de vue. La voix off qui la relaiera deveint celle de Margo, le personnage central de tout le film, interprétée comme chacun sait par Bette Davis, dans un de ces rôles-miroir dont Hollywood a parfois le secret... d'un autre côté, le film est de toute façon superbement dirigé et interprété par tous ses acteurs, davis, sanders, Holm et Baxter en tête...

 

Addison DeWitt: Wilder avait plus l'habitude que Mankiewucz de ces noms ouvragés, mais cette fois-ci la manipulation inhérente au patronyme est évidente: Wit, l'esprit au sens de capacité intellectuelle ET humoristique, cette qualité essentiellement Wildienne dont Sanders est l'évidente incarnation à Hollywood (Voir son Lord henry Wotton dans The picture of Doiian Gray de albert Lewin), est ici accompagné d'une allusion franchement directe (Addison) au personnage d'Addie Ross: de fait, DeWitt va être un personnage-clé de la manipulation dont il est question dans le film, prenant de plus en plus d'importance au fuir et à mesure que le film avance. Le film commence dans une atmosphère d'amitié très solide entre les protaginstes, mais l'arrivéé d'Eve va déclencher une série de coups fourrés. Donc il y a manipulation, et très ouvragée: Eve manipule, on s'en rend compte très vite, afin d'avancer sur son échiquier; Addison manipule, mais les bons amis eux-mêmes ne sont pas épargnés par la tentation: pour donner une bonne leçon à Margo, Karen va être amenée à manipuler son amie au profit d'Eve, elle aussi... Ainsi, le jardin d'Eden du début se voit-il contaminé par une Eve diabolique dont le tentateur serait plus ou moins Addison...

 

Cette assimilation biblique n'est commode qu'en surface, le propos de Mankiewicz n'étant pas de faire allusion à cette hypothèse peu crédible de la femme née de la côte de l'homme, encore moins de faire de cette mijaurée la représentante de l'éternel féminin. Non, si éternel féminin il y a, c'est dans l'assemblage entre les femmes du film qu'il sagit: à Eve et son insatiable ambition individualiste, viennent s'ajouter les frustrations de Margo qui a tout ce qu'elle pourrait avoir, mais souhaite désormais une vie rangée et pépère pourvu qu'elle ait l'homme qu'elle aime dedans; à ce titre, Mankiewicz a donné à Bette Davis de très belles répliques, mais aussi des petites phrases équivoques qui situent le débat sur le plan sensuel de temps à autre. On continue sur ce terrain avec Karen, l'amie à laquelle tout sourit ou du moins tout a souri depuis longtemps; sa solidarité qui la pousse à aider aussi bien Eve (c'est à elle qu'on doit la présence de la jeune femme auprès de Margo dans un premier temps, puisque karen l'a repérée attendant auprès de la loge, et l'a prise en pitié) que Margo, n'empêche pas la jeune femme d'avoir à se battre contre l'une de ces femmes lorsqu'ele menace de lui voler son mari. A ces trois femmes, viennent s'ajouter des portraits savoureux, de personnages secondaires: Birdie, la maquilleuse-confidente-femme de chambre de Margo, interprétée par Thelma Ritter, et Claudia, une starlette amenée par Addison à une party, interprétée par Marylin Monroe. Donc, All about Eve, c'est all about women... L'éternel féminin ne pouvait être confié à une seule femme, c'est la leçon de cette construction magistrale. La séquence finale, qui voit la jeune aspirante actrice dont le reflet est renvoyé par des miroirs multiples, reprend cette idée.

 

L'ambition a ses revers: c'est sur, Eve Harrington gravit les échelons très vite, et devient donc la meilleure, c'est la leçon de cette cérémonie dont Mankiewicz se plait à interrompre un plan (En faisant un arrêt sur image, dont le plan est litttéralement interompu dans osn déroulement) afin de faire clarifier l'historique par ses multiples narrateurs. Cette ambition a ses compromis, ceux prévus par la manipulatrice elle-même (en gros, jouer tous contre tous, et s'apprêter à apparaitre le moment venu comme l'odieuse manipulatrice qu'on est vraiment); tous ces moments durant lesquels Eve apparait au grand jour voient Anne Baxter assumer avec fierté sa duplicité... Mais il y a aussi des compromis inattendus, et à ce titre, Eve trouve en DeWitt un adversaire de poids. enfin, nous dit Mankiewicz, le final du film est très symbolique, qui donne à Eve une autre Eve, ce dont Dewitt peut témoigner. La continuité sera assurée... Mais si Eve a elle aussi une jeune ambitieuse dans les jambes, l'inévitable comparaison avec Margo fait qu'on peut finalement s'interroger sir le propre parcours de la star: on nous dit que Margo a en effet été sur les planches depuis l'age de quatre ans, mais quelles compromissions ont été nécessaires pour s'y maintenir? Le caractère essentiellement dictatorial de Bette Davis est l'un des indices d'une volonté de fer, pas si éloignée de celle de la jeune "Eve", oiseau tombé du nid, qui devient une louve au fur et à mesure du film. Mais l'humanité de Margo ressort dans son amour pour Bill, l'homme de sa vie... qui a huit ans de moins qu'elle. Combien de "Bill" a-t-elle eu dans sa vie?

 

Le théâtre est ici une métaphore pour tous les arts, et Mankiewicz rêgle de fait un peu ses comptes avec le cinéma. N'a-t-il pas fait de Max, le producteur, un homme qui est certes sympathique, mais présenté comme un béotien dont la motivation est avant tout pécunière? Mankiewicz utilise les antagonismes entre auteur dramatique (Lloyd) et metteur en scène (Bill), comme un homme qui a été dans les deux positions (Il gagnera d'ailleirs deux Oscars à ce titre pour ce film!!); il présente l'amour entre Margo et Bill comme indissociable de leur fonction d'actrice et vedette, et Eve ne s'y est pas trompée, puisqu'elle tente de séduire Bill avant d'entamer une courte relation avec Lloyd... nfin, les trois témoins que sont Birdie (Maquilleuse et ancienne actrice de vaudeville), Karen (Epouse de Lloyd) et Addison (Critique dramatique exigeant et impitoyable) finissent de dresser le portrait d'un métier, de ses coulisses, et d'une certaine façon de son public... Le fait que tout s'y rêgle par les conflits, manipulations et autres coups bas est évidemment à mettre sur le compte d'un maitre du réalisme éclairé, qui a mis beacuoup de lui-même dans le film, à commencer par le personnage de Sanders... ce n'est pas un hasard si celui-ci ouvre et ferme la narration, et se promène parfois au coté de starlettes évervélées: Mankiewicz connaissait bien toutes les possibilités offertes par le métier. En attendant, ce film lui a donné un sucès largement mérité, certaines possibilités de liberté à l'approche de la fin de son contrat avec la Fox, et ce film a donné au cinéma l'un de ses chefs-d'oeuvre absolus...

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
12 juin 2011 7 12 /06 /juin /2011 12:20

Cette nouvelle incursion dans le film noir s'inscrit clairement dans le cycle de films à grands sujets de la Fox, un projet passionnael piloté par Darryl F. Zanuck, et que Mankiewicz ne revendiquait pas pour sa part... Après Gentleman's agreement, le film d'Elia kazan sur l'antisémitisme (1947), puis Pinky (1949), du même Kazan sur les conditions des noirs au quotidien dans le Sud profond, ce nouveau film adresse une fois de plus avec courage et lucidité le problème du racisme et de ses conséquences sociales: ostracisme, émeutes, préjugés... un brûlot, et pas forcément d'une grande subtilité donc. Mankiewicz a beau avoir préféré ses films plus intimistes ou plus tragiques, il n'en a pas moins fait un film intrigant, souvent excitant, et dans lequel la confrontation entre un Sidney Poitier constamment sur la défensive et un Richard Widmark déchaîné suscite forcément l'intérêt...

 

Le docteur Brooks (Sidney Poitier), un jeune médecin Afro-Américain fraichement promu, veut croire en ses chances d'être accepté comme médecin au même titre que les blancs. Il est interne dans un hôpital carcéral lorsqu'on lui apporte deux cas: deux frères, blessés à la jambe pendant qu'ils effetuaient un cambriolage. L'un d'entre eux est dans un état grave, sans que la jambe ait été plus touchée que celle de son frère, et il décède pendant que le jeune médecin s'occupe de lui. profondément raciste, le frère (Richard Widmark) l'accuse aussitôt, et va lui pourrir la vie en utilisant toutes ses connections à l'extérieur de la prison afin de venger ce qu'il considère comme un meurtre, pendant que le jeune médecin va devoir essayer de prouver qu'il n'est en rien dans le décès, devant une famille non seulement hostile, mais carrêment malhonnête...

 

Le début installe, dans le réalisme décidément de rigueur à la Fox en ces années 45-55 dès qu'il s'agit de film noir, un climat de vie quotidienne et d'urgence, dans lequel les personnages exposent adroitement la situtaion. Poitier interprèrte avec conviction, comme on le connait, un personnage diablement bien écrit par Mankiewicz: constamment tiraillé entre une hiérarchie (blanche) qui lui fait confiance, et un environnement (noir) qui sait qu'à un moment ou à un autre, on lui fera payer sa couleur, il a fort à faire pour non seuelemtn se faire accepter, mais aussi accepter de voir sa situation en face; dans un premier temps, il manifeste sa totale confiance en la hiérarchie de l'hôpital, mais une conversation très "politique" entre ses supérieurs montre qu'il est, même accepté, en tout cas toujours sous surveillance.

 

Mais le film le montre assez bien, si le propos est très vite d'empêcher des émeutes raciales qui menacent, tant par la faute des provocateurs de la famille du défunt que des noirs eux-mêmes qui sentent venir le vent et souhaitent s'armer par avance, on sait que la société fracturée entre les noirs et les blancs qui est explorée par le film survivra à la résolution de ce drame. Le rôle du film est donc de poser les bonnes questions, et il le fait avec adresse et efficacité, mais pas de proposer une utopie: on n'est pas vraiment chez Capra. un film courageux, utile, un peu lourd, mais avec de très grands moments, les premières 30 minutes à l'hopital en particulier; avec le très grand Richard Widmark en manipulateur vicieux, on peut même prendre beaucoup de plaisir, tout en s'identifiant avec révolte au personnage incarné par Poitier...

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 08:45

Somewhere in the night avait beau être, dans l'intention de Mankiewicz, un film noir destiné à lui faire apprendre les ficelles du métier, il véhiculait d'intéressants prototypes, notamment dans le fait d'utiliser l'intrigue pour construire un puzzle avec narration comme il aime tant les faire. Celui-ci aborde d'autres thèmes, qui sont passionnants, et qui renvoient aussi bien à la Bible, à Shakespeare, qu'à des valeurs Américaines: on parle ici de rêve Américain, de meurtre symbolique du père et de partage de la dépouille (Quatre ans avant Julius caesar) et d'ascension suivie de chute. Le film a la réputation d'être mineur, un exercice imposé. C'est sur qu'entre A letter to three wives et All about Eve, on sent bien qu'il n'est pas à la même hauteur, mais il vaut bien plus que ce qu'on en a parfois dit.

 

Max Monetti, plus que le héros de ce film, est l'ancrage. Interprété par Richard Conte qui lui confère son aspect rugueux, brutal dans ses mots et sa manière d'être, il est un avocat, l'un des quatre fils de Gino Monetti, un immigrant Sicilien qui a construit une banque à partir de petits prèts de voisinage. dans l'introduction du film, il sort de prison (Ou il a passé sept années), et vient rêgler ses comptes auprès de ses frères. On ne sait pas encore pourquoi, mais on apprend que le père est mort, et que la banque appartient désormais aux trois autres Monetti: tous les fils, moins Max... La fin de l'introduction voit Max se rendre à la maison familiale, ou il entame un flashback, qui va prendre les trois-quarts du film.

 

Gino Monetti, on le sent très vite, est le héros du film. Edward G. Robinson prète sa bonhomie à un personnage très ambigu, insaisissable, dont le caractère profond semble varier sur un certain nombre de critères, comme selon le point de vue: philantrope, il prète à ses voisins comme on donne à ses amis. Riche, il règne sur le quartier, mais estime ne pas enfreindre la loi. Pris en faute, il se défend par le bon sens. Finalement, il apparait coomme un rapace, qui a fait sa fortune sur le dos des petites gens, qui lui versent des intérêtes exorbitants... Pour Max, il est un père exigeant mais qui le soutient; tous les autres fils souffrent, et Mrs Moneti estime que la richesse a fait perdre son humanité à son mari. voilà, c'est all about Gino Monetti, dont Robinson fait un sans faute, si ce n'était l'accent Italien forcé.

 

Le flash-back possède un plan, lent et solennel, durant lequel alors que retentit de la musique (Gino Monetti est comme Little Napoleon, dans Some like it hot; il est un fan d'opéra), on monte un escalier, et on franchit le temps... Max est seul à la maison et se souvient. cet escalier reviendra, encore et encore, dans le film. Bien sur, il est associé à Gino et son ascension, et par contrecoups à la frustration des trois fils ratés. Il semble venir en écho à l'omniprésence de Gino Monetti, il est un symbole à la fois du rêve Américain, incarné par l'indéniable réussite de Monetti, mais aussi du ratage: le père n'a construit d'empire que pour lui-même, et refuse aux trois fils la moindre largesse; par ailleurs, au bout de cet escalier, le père sera rattrappé par une machine judiciare qu'il a trop longtemps ignoré. il a voulu se saisir de l'opportunité du rêve Américain, mais l'a fait à la Sicilienne... Plus dure sera la chute: L'escalier mène aussi le père à la trahison, indirecte, qui scelle son propre sort en envoyant Max, le chouchou,  en prison. Basse vengeance, qui fait d'une pierre deux coups, de la part des trois frères ligués.  Cet escalier, on le voit une dernière fois au terme d'un rêglement de comptes: Max vient de voir ses frères une dernière fois, leur abandonne toute part et toute vélléité de revanche. Il emprunte une dernière fois l'escalier, filmé pour une fois depuis l'étage, et on le voit disparaitre...

 

Une scène du film voit vers la fin du flashback, Max sortir de prison le temps de visiter sa famille, à la mort de son père. Dominée par le prétentieux portrait géant de Gino, fantôme très concret, la scène renvoie bien sur à Shakespeare, et Max est très sarcastique, contre ses frères qu'il sait responsables de la chute de son père, de sa présence en prison. C'est leur mère qui se fait l'interprète de la scène, renvoyant dos à dos la dépouille du père mort, le fils écarté, et les trois comploteurs. Une scène dure, dans laquelle la présence symbolique de Robinson est donc assumée par le portrait, et qui anticipe sur le traitement très partagé du Julius Caesar de mankiewicz, dans lequel la faute de la mort de César sera certes assumée par Brutus, mais aussi renvoyée à la faute de César lui-même, qui n'aurait pas du détruire la république, et aux complices de Brutus qui l'ont manipulé... dans cette maison des étrangers, que dénonce la mère, on vise donc assez haut, pour tomber très bas.

 

Les dialogues sont une fois de plus du pur Mankiewicz, qui s'amuse à donner cette étrange fausse bonhomie à son Gino Monetti, qui bien que banquier anticipe sur d'autres patriarches plus douteux. Le père sait comment distribuer en trois mots les bons points (max) et les tartes (Le pauvre pietro, qualidfié de Dumbhead, "andouille", dans toutes les phrases utilisées par son père pour s'adresser à lui), le tout enrobé dans un accent Italien et de constants appels au bon sens. La scène du repas montre parfaitement les mécanismes familiaux, avec le père qui impose à tout le monde le silence en écoutant des disques, pendant que les convives ont faim, et doivent se retenir de manger. La conversation qui suit, qui montre à la fois la frustration de certains des enfants de Gino, et la méchanceté aveugle du père, est un grand moment. Max, de son côté, est caractérisé par un tic de langage qui fait de lui non seulement un homme pressé et direct, mais aussi quelqu'un de foncièrement irritant, ce que ne manque pas de faire remarquer la petite amie (Susan Hayward) qui reprend son mot ("Period", point final) pour se moquer de lui à plusieurs reprises.

 

Même dans un film "mineur", la classe de Mankiewicz est là, et ce film dont les premières images ont été tournées à New York, sur un marché de Little Italy, avec la présence de Richard Conte, par Mankiewicz lui-même, ne sont que le début d'un film qui est bien supérieur à de nombreux films noirs de la Fox de Zanuck, avec cette obsession du naturalisme. Ici, Mankiewicz a pulvérisé ce réalisme pour imposer sa vision du monde, baroque, et bien sur, très très noire.

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 08:22

Revenant à sa double activité de scénariste et réalisateur, Mankiewicz annonce avec fierté la couleur: un carton en fin de générique claironne: Screenplay and direction: Joseph L. Mankiewicz. Les lettres occupent tout l'espace, et de fait c'est une signature, pas un crédit. Il peut en être fier, ce film l'impose de façon spectaculaire... Ce qu'on remarque d'abord, c'est la structure de ce film, divisé en cinq parties liées entre elles de belle façon: Trois femmes se retrouvent à une sortie scolaire; elles attendent une quatrième amie, qui ne viendra pas, mais leur a envoyé une petite lettre empoisonnée, dans laquelle elle leur annonce son départ définitif. Elle ajoute qu'elle est partie avec l'un de leurs maris, mais ne leur laisse aucun indice pour déterminer lequel. Elles ne peuvent se soustraire à leurs obligations, et vont passer toute la journée sur un bateau à angoisser et à se plonger dans des souvenirs, cherchant une réponse: On assiste à une scène domestique entre Deborah et Brad, puis un flash-back avec Rita et George, enfin Lora Mae et Porter. A la fin, une soirée prévue de longue date clôt le film et apporte une réponse au suspense inévitable de la petite énigme, en même temps qu'une fin particulièrement accomplie au film... Ajoutons à cette structure une cerise vénéneuse sur le gâteau: la voix off d'Addie Ross, l'absente, commente tout le film, c'est-à-dire ce qu'elle sait, ce qu'elle ne sait pas, et cela sans aucune explication logique à son commentaire omniscient (Journal intime, narration d'un souvenir, flash-back, voix d'outre-tombe comme celle de Joe Gillis dans Sunset Boulevard, etc). Par contre, Addie Ross, si elle est absente physiquement, est omniprésente dans les dialogues, et on sait que tous les maris ont fricoté avec elle dans le passé... 

On est frappé par l'humour du film, qui n'est pas qu'une comédie. On ne s'amusera pas à essayer d'en définir le genre, ce qui serait stérile. Cela confirme qu'avec A letter to three wives, Mankiewicz ouvre des portes. L'humour, typiquement, passe par des dialogues ciselés, mais aussi par des situations, et souvent comme dans la meilleure comédie burlesque, par l'embarras. Un personnage qui établit un lien entre deux des histoires, la bonne Sadie (Elle est une amie intime de la famille de Lora Mae, mais est employée par Rita et George), est interprété par Thelma Ritter, et elle est irrésistible. Un détail visuel et récurrent rythme l'histoire de Porter et Lora Mae: celle-ci habite près du métro, et assez souvent, les rames qui passent font trembler tout l'appartement, à des moments inopportuns, ce qui n'a aucun effet sur les protagonistes, qui se contentent de s'arrêter dans ce qu'ils font, en attendant la fin du passage du train.

Le dialogue fourmille de grandes occasions pour Mankiewicz, qui différencie intelligemment les gens par les mots qu'ils utilisent; classes sociales: Rita demande à sadie d'avoir un peu de classe lors d'un dîner important, lui suggère un "Dinner is served", mais la bonne ne peut s'empêcher de proférer un "A la soupe!" (Soup's on!) le moment venu, sans qu'elle soit ridicule, du reste, ce sont plutôt les prétentions de Rita qui sont ici visées. Dans le même segment, George, instituteur, se paie la tête de la parvenue (une directrice de station de radio) qui emploie son épouse, en lui montrant qu'elle utilise le langage sans le connaître. enfin, Lora Mae et Porter utilisent le langage comme un champ de bataille, la jeune femme envoyant des piques permanentes à son mari, qui ne lui parle presque que pour lui enjoindre de se taire. Un autre personnage est identifié par le seul moyen du langage comme un inutile étouffé par son épouse: le mari de Mrs Manleigh, l'employeuse de Rita, ne parle que pour répéter de façon robotique des mots clés de la conversation de son insupportable épouse. Manleigh, d'ailleurs, c'est Manly: masculin, un nom qu'il porte, mais que son épouse semble honorer plus que lui. Tout au long du film par ailleurs, des saillies surnagent, mais honnêtement, c'est la fête permanente, et on ne peut pas choisir...

L'ensemble des histoires contenues dans le film et sensées apporter un éclairage au spectateur dans la reconstruction du puzzle sont en rapport avec la vie sociale, l'amitié entre tous ces gens qui remonte pour la plupart d'entre eux au lyvée. c'est d'ailleurs très clair dans l'ouverture, qui se concentre sur les préparatifs de Deborah et Brad: la jeune femme est la dernière addition au groupe, et est hantée, comme on le verra très vite, par une entrée dans le cercle qui ne fut pas sans problèmes. Tous les segments sont donc organisés autour d'occasions sociales: dîners, sorties, repas et autres. Cela permet en particulier de faire revenir les autres éléments du groupe, comme le dîner chez George et Rita qui ont invité, en plus de la patronne de Rita, leurs amis Lora Mae et Porter. Cela donne d'une part une vie aux personnages en dehors de leurs segments respectifs, tout en donnant de multiples angles d'approche, un point de fort du scénariste et réalisateur, comme on le verra dans ses autres films-puzzle. 

Les femmes sont donc la cible principale du sale coup joué par Addie Ross, comme le titre l'indique clairement. Deborah (Jeanne Crain), Rita (Ann Sothern) et Lora Mae (Linda Darnell) sont très dissemblables, tout autant que les actrices choisies. Si Mankiewicz s'est souvent plaint, de façon fort méchante, de Jeanne Crain, il faut constater qu'elle convient parfaitement à Deborah, une fille pétrie de complexes, qui angoisse à l'idée de rencontrer les amies sophistiquées de son mari, et se prend comme une claque dans la figure l'arrivée de Addie Ross, une femme dont elle aprend très vite que son mari et elle ont été très proches. Elle sera facilement intégrée par ses amies et amis, mais gardera un complexe d'infériorité que le film dévoile très vite: elle est persuadée que son mari est parti avec Addie, d'autant qu'il l'a prévenue de son empêchement éventuel pour la soirée prévue. Elle se réfugie un peu hâtivement dans le Martini... Rita est donc employée par la radio, et gagne plus que son mari, dont elle souhaite qu'il change son point de vue et laisse l'ambition lui permettre d'améliorer sa position. Rita est très indépendante, mais elle est aussi la femme qui connait son mari depuis le plus longtemps. le problème, c'est qu'elle sait que son mari a raison quand il dit qu'elle vaut mieux que ses employeurs... George, enfin, a eu une camaraderie intellectuelle avec Addie, ce qui fait de lui, pour Rita, un coupable potentiel... Enfin, Lora Mae vient d'une famille très modeste, et s'est mariée avec Porter d'une façon assez peu orthodoxe: chacun d'entre eux est persuadé qu'il a fait une concession à l'autre, et aucun d'entre eux n'a jamais avoué son amour profond pour l'autre. De plus, Lora Ma sait qu'elle vient après Addie, dont le portrait trône sur le piano à queue de Porter, le riche propriétaire d'une chaîne de magasins. Elle est indépendante, jusqu'à arriver seule en voiture au début quand ses copines font elles du covoiturage.... elle a les moyens, mais agit aussi comme si elle se préparait à tout moment à demeurer seule, quittée par son mari: elle est très surprise de le trouver à la maison, le soir... 

Les hommes, de leur côté, ont tous quelque chose qui ne va pas, y compris on l'a vu ce pauvre M. Manleigh. Le riche et flamboyant Brad (Jeffrey Lynn) selon Deborah souffre de se voir coincé avec une petite provinciale qui ne sait pas s'habiller, et elle croit qu'il lui préfère sa copine Addie. On n'en sait pas beaucoup sur Brad, le personnage le moins présent du film, encore moins présent de fait qu'Addie. la raison de cette quasi-absence tient dans le fait que Mankiewicz distribue ses cartes dès la première seconde, et qu'il a attribué un rôle à Brad qui le place à l'écart des autres. On découvre ensuite George, interprété par un Kirk Douglas des grands jours. il donne une classe folle à son instituteur, mais n'oublions pas qu'il est ici vu au travers du regard de son épouse. Son problème est, il l'avoue lui-même, de mal vivre d'être le second de son épouse au salaire conséquent. Il souffre aussi, en intellectuel militant, de l'appauvrissement du langage, et Mankiewicz s'est beaucoup projeté en lui... Son match avec l'insupportable Mrs Manleigh qui fait subir à ses hôtes deux heures de radio insupportables (dont elle n'apprécie réellement que les coupures publicitaires) sans jamais s'excuser d'avoir cassé un précieux disque, est splendide, dominé par Douglas. Les sorties contre la bêtise et la radio, de toutes évidences, renvoient à la pensée de l'auteur. Enfin, Porter Hollingsway, interprété par Paul Douglas (Aucune relation, mais cet acteur est un génie), est un homme qui s'est fait tout seul. La culture, pour lui, c'est juste un ensemble de signes de richesse qui s'achètent, et il trompe son monde en rapportant tout à l'argent. Il est aussi doté d'une pudeur intimidante, qui l'empêche notamment de trop dévoiler de ses sentiments à Lora Mae, ce qui les handicape tous les deux. Porter joue un rôle intéressant de confident vis-à-vis de Deborah, ce qui aide la jeune femme occasionnellement. Enfin, il fournit au film son moment le plus émouvant... 

Addie, enfin, est donc le paradoxal narrateur de ce film. Sa voix parfaitement posée est due à Celeste Holm, qui jouera dans All about Eve. Elle dose parfaitement la sophistication, la douceur et le fiel contenus dans son timbre, et le film s'en trouve encore plus solide. L'humour vachard du ton, c'est pour une large part à Addie Ross qu'on le doit. Elle commente tout et lit aussi les lettres qu'elle a écrite (D'une écriture calligraphiée, ultra-sophistiquée pour ne pas dire prétentieuse), mais également celles dont elle n'est pas supposée avoir connaissance. La jeune femme est le symbole même de la sophistication que les hommes veulent dans une femme: Porter dit qu'elle est la seule à avoir de la classe, et elle lui inspire un profond respect. George adorait leurs conversations littéraires à l'université, et elle lui envoie pour son anniversaire un coffret de 78 tours de Brahms, accompagné d'un mot de Shakespeare... Quand à Brad, il a eu une longue histoire avec elle qui n'a cessé que lorsqu'il est revenu marié de l'armée, avec Deborah rencontrée en France. Addie Ross, nous dit Mankiewicz en substance, est de celle qu'ion n'oublie pas, mais avec lesquelles on ne se marie pas. L'ambiguïté présente dans le final est relayée par les derniers mots d'Addie: elle lâche un au revoir qui peut autant être interprété comme un aveu d'échec que comme son contraire. Sur l'écran, une coupe de champagne vide tombe sur la table et se brise... 

Faut-il conclure? A letter to three wives est tout simplement un chef d'oeuvre.

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 10:27

Escape est l'un des films les plus obscurs de Mankiewicz (Si on s'en tient à la liste raisonnable de ses filmographies hors internet, ou on lui ajoute généralement un film fictif, et si on met de côté son documentaire sur Martin Luther King, rarissime, coréalisé avec Lumet). C'est pourtant une oeuvre peu banale: avec Rex Harrison, qui était à l'origine du projet, et dont on on sait l'estime dans laquelle le tenait Mankiewicz; premier film de la Fox réalisé en Angleterre selon les termes d'un arrangement fiscal, et dernier film de Mankiewicz dont le script est du à Philip dunne... et le moins bon des trois.

 

Matt Denant, un vétéran de la seconde guerre mondiale, croise un soir une inconnue, devise avec elle, et doit intervenir quand un policier veut arrêter la jeune femme pour racolage. dans la confrontation, il provoque la mort accidentelle du policier. Arrêté, il est condamné à trois ans de prison, et ne supporte pas la vie carcérale. en homme d'action, il ne peuyt que s'évader, mais il va croiser sur son chemin un frais minois, qui va l'aider, mais aussi lui faire changer de cap...

 

On est en pleine aventure avec ce film qui nous conte une poursuite qui ressemble beaucoup à une fuite en avant. La campagne Anglaise se prète admirablement à l'exercice, comme en témoigne Young and innocent, avec lequel ce film a beaucoup de points communs. mais la comparaison entre les deux révèle aussi une faiblesse de ce film, qui manque un peu d'humour, le parcours du gentleman évadé ressemblant à une épreuve initiatique démonstrative et ampoulée. Peggy Cummins est adorable, et loin d'être une mauvaise actrice, mais on n'échappe pas à la convention de l'association entre les deux fuyards... Des remarques figées sur la sacro-sanctitude la justice menacent dangereusement le film de devenir une grosse machine conservatrice, ce qui était plutot le job de Henry King (Wilson, 1945)à la Fox, que celui de Mankiewicz!

 

Le metteur en scène a semble-t-il détesté faire ce film, pour plusieurs raisons: il en voulait aux syndicats, rendus incontournables en Grande-Bretagne par la victoire des Travaillistes en 1945, et qu'il soupçonnait de saboter les tournages pour le simple plaisir d'assoir leur pouvoir délétère sur leurs employeurs... On est Républicain ou on ne l'est pas! Par ailleurs, Mankiewicz aurait dit à Harrison, durant le tournage: "C'est fini, maintenant j'écris tous mes scripts"... On ne va pas dire évidemment qu'Escape est un chef d'oeuvre... C'est au mieux un film plaisant, distrayant, et court. Si on a la chance de pouvoir le voir...

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Published by François massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 10:01

Evoquons pour commencer une scène célèbre de ce film dont il convient de rappeler que Mankiewicz n'a pas écrit le scénario, pas plus que la plupart des dialogues. Les deux personnages principaux Lucy Muir et Daniel Gregg sont occupés à rédiger un livre, et la jeune femme a des scrupules à taper un mot, le fait savoir. Gregg, dit que les personnages doivent parler comme ça, donc il faut l'écrire. "Je ne veux pas prononcer ni écrire ce mot", répond la jeune femme. "Quel mot utilisez-vous lorsque vous voulez dire dela?" "Je n'en utilise aucun!". La jeune femme finira pourtant par s'exécuter, et d'un air fataliste, tape, l'une après l'autre, les quatre lettres du mot incriminé. Une scène dont l'esprit n'échappera à aucun des spectacteurs, mais aussi qui contourne de la plus belle des façons la censure, certains mots de quatre lettres étant bannis non seulemnt des films, mais aussi du langage officiel, des écoles, de la télévision... Mais la scène est révélatrice d'autres thèmes d'un film décidément inépuisable, dont Philip Dunne revendiquait (A juste titre) la paternité, mais dont Mankiewicz n'a pas à rougir, loin de là: lui qui s'était attelé à plusieurs films dont il ne voulait pas écrire le scénario, prouve ici à quel point il maitrise les rouages du langage cinématographique. C'est aussi la première de quatre collaborations essentielles avec l'acteur que Mankiewicz appelait son "stradivarius", le grand Rex Harrison.

 

Au début du 20e siècle, à Londres; Lucy Muir (Gene Tierney), jeune veuve, souhaite s'affranchir de sa belle famille envahissante, et vivre seule avec sa fille Anna et sa domestique fidèle Miss Huggins. Elle a choisi le sud, et le bord de mer. elle trouve vite une maison, à un loyer dérisoire, et pour cause: elle est hantée. Le fantôme, Daniel Gregg (Rex Harrison), est un marin doté d'un caractère particulièrement trempé, mais en dépit de sa farouche volonté d'être seul dans sa maison (Il la hante volontairement afin de la préserver des autres, affirme-t-il), il se prend vite d'amitié pour la jeune femme, et va même l'aider dans un coup dur en lui fournissant le texte d'un livre à succès qu'elle n'aura qu'à faire éditer pour en récupérer les revenus. Mais la jeune femme rencontre à cette occasion un autre écrivain (George Sanders), qui la séduit, et le capitaine Gregg sent vite qu'il est de trop...

 

Le genre, ce sacro-saint empilage de cases identiques si cher aux américains, est ici perverti d'une façon intelligente, dans une appropriation particulièrement astucieuse: pas plus que Dragonwyck n'était un drame gothique vraiment convaincant, The ghost and Mrs Muir n'est un film de fantômes. On remarquera les pudeurs du titre Français, L'aventure de Madame Muir, qui cache au public la présence dans le film d'un fantôme, comme si il fallait maintenir l'effet de surprise. Pourtant, au-delà des premières vingt minutes, le film se débarrasse tranquillement de ses oripeaux de film fantastique, pour entrer dans une double identité, un film doucement onirique d'une part, et une rencontre amoureuse sublime d'autre part. Les gentils effets de peur, par ailleurs enrobés de comédie, de la première partie ne sont qu'une politesse de Mankiewicz à l'égard d'un genre dans lequel il n'a tout simplement pas envie de s'aventurer. Au moins nous gratifie-t-il de scènes impeccablement amenées dans l'exposition, et d'une progressive installation de Rex Harrison, avec d'abord un plan virtuose circulaire, qui voit Lucy Muir s'assoupir dans une pièce vide, et qui détaille la chambre avant de revenir sur Lucy, désormais observée par un mystérieux personnage. L'orage nous aide à assumer que... nous avons vu le fantôme!

 

L'évolution des personnages était l'une des caractéristiques les plus frappantes du film précédent de Manliewicz, The late George Apley: cette façon dont un air fredonné par les femmes de la maison, puis repris à son compte par Ronald Colman, semblait répandre un assouplissement des moeurs, ou encore l'apparition de nouveux intérêts, Freud en tête, qui montrait comment l'intransigeant George Apley se laissait séduire par les plus inattendues des nouveautés... Cet esprit de montrer de façon dynamique l'évolution des personnages passe ici par le langage, avec la bonne qui lâche par exemple une formule vaguement familière dont elle ne se rappelle pas la provenance, ou l'utilisation de plus en plus fréquente de termes venus bien sur de Daniel Gregg, qui les implante dans les petites habitudes de Lucy Muir (Qui en a conscience), ou de la bonne (A son insu). une façon pour les auteurs de départager ici les gens qui comptent, autour de la fragile bulle familiale de Lucy, et ceux qui seront exclus, comme en particulier Miles Farnley, qui lui a son propre langage, et n'est nullement disposé à se laisser influencer. Il est tentant d'attribuer cette façon de jouer sur la progression des personnages à Dunne, mais on retrouve cet esprit d'intégrer à l'intrigue et la mise en scène cette marche en avant, aussi bien dans les deux premiers films de Mankiewicz que dans les suivants, y compris dans les films qui reposent sur une série de flash-backs subjectifs ou de leçons du passé ( House of strangers, A letter to three wives, All about Eve, The barefoot contessa, Suddenly last summer); dans ces cas ultérieurs, Mankiewicz intégrera même l'évolution de la connaissance du spectateur dans sa démarche.

 

Parce qu'il est temps, quand même, de le reconnaitre: Mankiewicz: est l'un des très grands de la  mise en scène, Ce film le prouve en permanence, et il ne s'agit en aucun cas d'une plate illustration d'un scénario. Les choix, on a déjà parlé de l'étrange traitement du genre, par exemple, sont typiques de sa patte, et le film est dirigé avec goût. Même Gene Tierney, actrice parfois erratique, s'en sort avec les honneurs, et pourtant, elle joue face à Harrison et Sanders!. La scène dans laquelle elle affronte le fantôme qui joue avec elle dans la pénombre bénéficie de l'élégance de la photographie, et l'apparition de Rex Harrison, caché dans un coin, et qui apparait à la lumière d'une bougie, est superbe... Le ton du film est marqué par l'humour parfois tendre, parfois plus méchant (la mère et la soeur de Mr Muir en font les frais). Les personnages secondaires (Mankiewicz lui-même a ciselé avec gourmandise des dialogues pour George sanders) sont doués d'une vie propre, d'une véritable identité: c'est l'un des forte de l'auteur, on le sait. Mankiewicz a aussi, 9 ans avant Hitchcock, utilisé au mieux l'imposante partition de Bernard Herrman, qui est un chef d'oeuvre, et dont le cinéaste a réussi, c'est un tour de force, à imposer qu'elle remplace la pompeuse introduction rythmée du logo Twentieth century Fox: une façon de laisser les hommes de cinéma prendre le pouvoir sur leur patron, et de mettre en avant l'extraordinaire atmosphère de ce film, qui doit il est vrai beaucoup à sa musique, qui joue en permanence sur l'inquiétude, le romantisme et la tristesse, dans lesquels on retrouve l'impression du rendez-vous manqué de Lucy Muir et Daniel Gregg.

 

Parce que voilà: ce film n'est pas un film de fantôme, c'est une histoire d'amour, mais une histoire d'amour entre un fantôme, donc un être immatériel, et une veuve, privée de l'affection de son mari trop tôt. La fameuse scène, qui a été évoquée plus tôt, tournait justement autour d'un terme, dont on ne trouve aucune trace concrète, mais dont le fait de taper les quatre lettres est une forme d'identification à coup sur: Ecrivons-le à notre tour: FUCK. Faisons un peu de linguistique sémantique. Ce mot est un verbe, une base verbale, donc l'énoncé générique d'une action. dans l'anecdote qui aurait inspiré à Dunne cette scène (Qui l'attribue à Hemingway, autre blasphémateur devant l'éternel), le mot incriminé est FUCKING, un verbe adjectivé par l'apport de la terminaison ING, qui sert d'apport de grossièreté, il n'a pas de sens en soi. Le choix, dans le livre de Gregg, de référer au verbe tel qu'il est, est donc motivé par le fait de non pas dire une grossièreté (ce que le capitaine fait en permanence avec l'euphémisme BLAST!) mais plutôt, probablement, de se référer à l'action désignée par le verbe, c'est à dire le fait d'avoir des rapports sexuels. D'ailleurs, Lucy Muir, ensuite, nous apporte une précision sur cette anecodte de la jeunesse du capitaine: "Vous aviez besoin d'aller à l'étage?", demande-telle. L'épisode concerne probablement le déniaisage de Gregg, raconté par le menu. Lorsque Gregg lui a demandé "Quel mot utilisez-vous?", comme je le disais plus haut, la réponse de Lucy Muir est un aveu: elle ne le fait pas, ce qui est une évidence, souhaiterait le faire, ce qui apparait dans ses relations avec Miles, et ne le fera pas, comme le démontre le film. Quant au fantôme, "il ne la trouve pas déplaisante", comme il le dit lui-même. Voilà comment le film nous parle, en toute délicatesse, sans tomber le moins du monde, de sexualité, de veuvage, de frustration, voilà pourquoi le rendez-vous manqué  ne peut se terminer que par les retrouvailles au-delà de ces deux amants, qui ont un peu, quand même, fricoté avec les mots: comme le dit Lucy au capitaine, une fois le livre fini, cette communion à l'écrire va lui manquer...

 

Certains (Philip Dunne le premier) ont dit ça et là que le film avait des défauts, structurels (Une fois qu'on perd Rex harrison, il y a un gros vide), dans le jeu (Gene Tierney, encore elle), que le film est un peu vert. Zanuck, pour sa part, n'aimait décidément pas la propension du jeune Mankiewicz à faire le virtuose avec la caméra. Moi, je le prends tel quel, et je pense que ce film est tout bonnement la première réussite totale du metteur en scène, un film d'une richesse considérable, et un classique auquel nous sommes très nombreux à rendre souvent visite, un film au ton unique, qui nous parle d'une héroïne qui comme souvent chez Mankiewicz est prise entre deux feux; partiellement engoncée dans un carcan de formalité de classe, suite à des décennies de rigidité morale, mais prète aussi à s'engager dans une indépendance militante, avec la fougue des révolutionnaires; Une femme forte, mais dont la fragilité est parfois soumise à des déconvenues, à cause d'un manipulateur, par exemple.. Tout ça est bien un film de Mankiewicz.

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 09:13

Le premier de trois films dont le script est du à Philip Dunne, The late george Apley inaugure donc cettte période d'auto-apprentissage, Mankiewicz étant désireux de travailler sur les scripts des autres afin de parfaire sa connaissance des ficelles du métier de réalisateur. Ses deux premiers films ont montré de  nombreuses promesses, mais Mankiewiz, face à la compétition, face à Zanuck aussi, sait qu'il doit viser la perfection. Ca peut paraitre paradoxal, tant on connait aujourd'hui l'immportance du script et du dialogue dans l'univers du metteur en scène, mais après tout cette période d'apprentissage a engendré au moins un classique, un film aimé par beaucoup: The ghost and Mrs Muir.

 

Réglons tout de suite son compte à une bizarrerie, dont Mankiewicz n'est pas responsable: le titre Anglais veut bien dire Feu george Apley, et c'est le titre de l'oeuvre adaptée (Une pièce de John Marquand et George Kaufman) dans laquelle la dernière scène, amère, est située après la mort du personnage principal. Tel quel, le film (Dont le titre Français est Mariage à Boston) serait selon Kenneth Geist une trahison de cette oeuvre-source, avec un protagoniste adouci, rendu aimable par la grâce du casting de rien moins que Ronald Colman. A ce sujet, on remarque une petite manie des Hollywoodiens, qui rendait Mankiewicz furieux: pour incarner un Bostonien, on se précipite sur un acteur Anglais, auquel on ne demande aucun effort pour dissimuler son accent. c'est la même chose avec la fille de George Apley, en plus amusant: Peggy Cummins est de Dublin, et parfois cela s'entend un peu... Pour un Californien moyen, l'Est et le Royaume-Uni, c'est finalement la même chose...

 

Le début du 20e siècle, à Boston. George Apley, citoyen Bostonien avant d'être Américain, est un homme satisfait de sa petite vie, régie par des habitudes héritées de son grand-père, de  son père: membre d'un club d'ornithologie, d'un club social, riche et fier de son rang, ne se mélangeant absolument pas à d'autres personnes que celles de son rang, encore moins avec des non-Bostoniens. Sa fille et son fils, pourtant, ont des vélléités d'indépendance: Elanor veut se marier à un jeune homme, un intellectuel qui a été à Yale, non à Harvard (Sacrilège!), et il souhaite donner une vision  moderne des grands penseurs locaux, en particulier d'Emerson, l'écrivain préféré de George Apley; le fils John souhaite se marier avec la fille d'un industriel qui habite à Worcester, Massachussetts, et non avec la cousine Agnes, comme c'est programmé depuis des lustres. Au hasard des rencontres, des occasions sociales et d'appartés familiaux, on va voir à certains moments un George Apley qui applique ses règles sans concessions, à d'autres un homme qui assouplit son rigide code de vie, voire parfois de petites révolutions, selon l'influence des uns et des autres...

 

Autant le dire de suite, le film est absokument délicieux, se boit comme du petit lait, et on comprend assez vite pourquoi Mankiewicz a eu du plaisir à le faire. Tous ces conciliabules entre les uns et les autres, renvoient à un style de film qui n'est certes pas étranger au coeur de l'auteur de All about Eve et A letter to three wives. Les différences et évolutions marquées du perosnnage de Apley, au fur et à mesure de l'intrigue, sont dues à ses échanges avec un certain nombre de personnages, son épouse Catherine, son beau-frère Roger, l'industriel de Worcester, Mr Dole (Encore pire qu'Apley lui-même, il pratique un conservatisme acquis, et non hérité: c'est un parvenu!), voire Agnes, sa nièce. certaines scènes installent la nostalgie d'une aventure passée, qui humanise un peu plus le personnage... Et pourtant à aucun moment les coutures n'apparaissent, le charme et l'humour pince sans rire fonctionnent à fond. Le fredonnement contagieux d'une chanson sert à mettre en valeur l'air du changement, qui pousse Apley dans des scènes très drôles à s'intéresser à ...Freud!

 

Quant au message de ce film Bostonien par ailleurs impeccablement réalisé, il n'est pas éloigné non plus de certains thèmes déja présents dès Dragonwyck: en gardien du temple Bostonien, soucieux de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, George Apley est une version rose de Nicholas van Ryn, la bonhomie Bostonienne en plus... Un homme dépassé par son siècle qui va devoir accomplir un effort surhumain pour se raccrocher aux branches. De plus, l'évolution n'est pas sans dangers, puisque si on peut constater dans le film la belle vision du progrès dans les relations humaines représentées par le parcours d'Eleanor et de son howard, on voit aussi une autre Amérique, représentée par Mr Dole, qui admet que sa fille aurait probablement les mêmes préjugés qu'Apley, et ne souhaiterait pas se marier avec john: John ne souhaite sans doute pas, comme son père, quitter Boston. De son coté, Myrtle ne voudrait de toute façon pas y mettre les pieds! Une fois de plus, rien n'est simple dans ce qui n'est pas seulement une querelle des anciens et des modernes: il y a modernes et modernes... enfin, Ronald Colman en vieux renard ici, c'est un manipulateur, un de ces personnages qui tire des ficelles, sans trop faire de mal, toutefois... admettons que chez Mankiewicz, il y en aura bien d'autres.

 

Pour finir, The Late george Apley possède un atout inutile, trivial, mais unique: on y prononce le mot Boston, un nombre impressionnant de fois. Inutile, mais c'est après tout un record auquel j'ai tenté personnellement de rendre hommage...

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 18:54

La motivation première de mankiewicz avec ce film est assez évidente: il voulait faire un film noir, comme deux ans avant lui Wilder avec son Double indemnity (Auquel le film fait d'ailleurs allusion). L'idée, c'est que ce genre était selon lui un prétexte à montrer de quoi il était capable en matière de mise en scène... Mais de là à considérer ce film comme jetable, il y a un pas que je ne franchirai pas. Selon la biographie de Kenneth Geist, Mankiewicz est sorti de Dragonwyck avec une impression désagréable, estimant que Lubitsch, le producteur attitré bien que non crédité du film, avait sérieusement empiété sur ses plates-bandes; il souhaitait donc faire un film sans aucune interférence, quitte à accepter un producteur en titre, à condition qu'il lui laisse une paix royale sur la plateau. pour la dernière fois avant A letter to three wives, Mankiewicz a participé au scénario, ce qui se sent dans le dialogue souvent incisif, et a su insuffler certains thèmes qui reviendront avant longtemps dans ses films.

 

Honolulu, pendant la guerre; Un homme se réveille dans un hôpital de fortune. Il est amnésique, et ne possède comme souvenir de sa vie d'avant l'armée qu'une lettre assassine, l'accusant de tous les maux. Instinctivement, il dissimule son amnésie au moment de retourner à la vie de civil, et cherche à découvrir l'identité de cet homme, lui-même, dont on lui répète qu'il s'appelle George W. Taylor, mais qui n'arrive pas à mettre la main sur ses souvenirs. Et bien sur, il tombe bien vite dans un impressionnant panier de crabes...

 

La quête de Taylor, interprété par John Hodiak, dont le physique passe-partout et l'étrange moustache sied très bien au scénario d'un homme perdu hors de ses souvenirs, est une quête du vide. Comme de juste, Taylor mettra beaucoup de temps avant de faire du sens avec tout ce qu'il va trouver; et le résultat de sa quête sera bien peu satisfaisant; Taylor est assez peu intéressant, mais Hodiak le joue de façon très appropriée, comme un brave type pris forcément malgré lui dans une affaire qui ne peurt que le dépasser! Autour de lui, l'hétérogénéité règne: Richard Conte fait de son rôle ambigu un personnage très séduisant, et le grand Fritz Kortner (Die Büchse der pandora, de Pabst, également connu sous le nom de Loulou, c'est avec lui!) compose une silhouete inoubliable, assez proche du personnage joué par Sidney Greenstreet dans Casablanca. Par contre, la maitresse du moment de Zanuck, Nancy Guild, n'a aucun intérêt. On se console avec les seconds rôles, toujours une source d'inspiration pour Mankiewicz. ici, des gens qui font une petite apparition sont dotées instantanément d'une vie propre, d'une identité, ce qui renforce l'idée de vide de "george Taylor"... A la fin du film, d'ailleurs, celui-ci disparait de l'écran, et on nous donne à voir ce qui aurait du rester dans les coulisses, une réflexion d'un policier à un de ses collègues, un clin d'oeil rigolard au fait qu'une fois qu'il a retrouvé son identité, le personnage de "George Taylor" cesse d'exister à l'écran.

 

Outre cette attraction du vide, cette quête d'un certain homme introuvable, insaisissable, responsable de tous les maux, qu'on appelle Larry Cravat, le film nous présente aussi l'idée d'une personnalité-puzzle, une idée qui reviendra sans cesse dans son oeuvre, sous de multiples formes, et bien sur en jouant constamment avec les souvenirs des protagonistes. Ici, cette tendance au kaléïdoscope sert aussi à n'en pas douter à masquer le vide plutôt qu'à le souligner... Cette quête des tenants et des aboutissants d'une affaire vieille de trois ans, qui a poussé des gens vers la fuite (Anzelmo) d'autres vers la folie (Michael conroy), d'autres enfin à disparaitre purement et simplement (Cravat) est en quelque sorte le faucon Maltais du film, c'est aussi une intrigue proche du mythe. un mythe à ne pas trop prendre au sérieux, bien sur, comme les fausses informations véhiculées dans Five fingers, ou les allégations délirantes dans People will talk...

 

Ce qui compte, bien sur, c'est l'atmosphère, et à ce niveau Mankiewicz a mis le paquet... la mise en scène est en effet très solide, depuis les premières scènes qui mèlent avec bonheur caméra subjective (Une tendance très prononcée dans le film noir à cet époque, avec Daves et son Dark passage, ou The lady in the lake de Robert Montgomery) et prises de vue objectives. L'essentiel du film se passse de nuit, et dans des lieux propices au film noir. on peut dire que la copie rendue est de belle facture; Tout est dans le dosage, et on peut estimer que Mankiewicz ose moins que Wilder deux ans auparavant. Mais son film est beaucoup moins baroque, précurseur de films noirs de la Fox qui iront vite vers plus de réalisme selon la volonté de Zanuck (Nightmare alley, Call Northside 777), tout en ménageant une place pour l'atmosphère propre au genre. Donc, tout ceci fait un film qui remplit son office: montrer que Mankiewicz est un metteur en scène sur lequel on peut compter...

 

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 10:02

Au commencement, il y a un projet, que certains présentent comme celui de Lubitsch, même si on voit mal le grand Ernst s'aventurer en terre gothique, alors qu'il est plutôt à la Fox pour apporter une touche de comédie sophistiquée au studio de Darryl F. Zanuck qui en manque cruellement. D'ailleurs, en 1944, l'adaptation de The keys of the Kingdom, de A.J. Cronin, a encore ajouté au prestige du studio, et à cette époque tout le monde a encore en mémoire le doublé de Ford, prestige littéraire accompagné d'un évident prestige cinématographique, The grapes of wrath, suivi de How green was my valley. Pas le même type de livres, mais deux Ford de la plus belle eau. Mankiewicz a travaillé aux cotés de Nunnally Johnson à l'adaptation du roman de Cronin, et espérait sans doute en être nommé à la réalisation, mais celle-ci a été confiée au vétéran John Stahl, qui se partageait les tâches les plus nobles avec les autres "vieux", Ford et King, à la Fox en cette période. Donc de fil en aiguille, le premier job de réalisation de Joe Mankiewicz a fini par être ce Dragonwyck adapté d'un roman qui ne cache pas vraiment ses dettes: Jane Eyre et Rebecca sont passé par là...

Dragonwyck conte l'histoire de Miranda Wells (Gene Tierney), une habitante du Connecticut en 1944, dont les parents sont Anglo-Saxons, et assez rigoristes... surtout le père, interprété par Walter Huston. La famille reçoit une lettre d'une relation éloignée, le riche propriétaire Nicholas Van Ryn, qui demande à ce qu'une de ses cousines (Miranda ou sa soeur Tibby) vienne jusqu'à Dragonwyck, sa demeure, pour veiller à l'éducation de sa fille Katryn. C'est Miranda, plutôt motivée, qui est choisie, et elle arrive donc à Dragonwyck, New York, sur les bords de l'Hudson, ou de bien sinistres choses vont se passer, et ou Miranda ne va pas tarder à tomber sous la coupe de l'inquiétant Nicholas Van Ryn (Vincent Price)...

 

La mise en scène de Mankiewicz est déjà très en place dans ce film dont il a aussi écrit le scénario. Maintenant, si on a quelqu'un qui a force de fréquenter les plateaux est doté d'une solide métier (il est dans le circuit depuis 1929, et a été un producteur actif et important notamment à la MGM), le film brille surtout par ses scènes dialoguées, sans haut fait d'armes, mais superbement troussées. Le mystère de Dragonwyck, qui en fait l'essence gothique et aurait pu faire dévier le film vers le fantastique, reste un peu le parent pauvre, parfois amené par la musique, et les décors. Les scènes de fantôme sont volontairement laissées non résolues, même si la bande-son leur donne une certaine véracité (On raconte qu'un fantôme hante Dragonwyck, et se manifeste par de la musique et du chant, que seuls les Van Ryn entendent. C'est un fait: seuls Katryn et NIchola peuvent entendre, mais nous aussi...). de fait, l'épisode est plus du pittoresque qu'autre chose. La mise en scène reste décidément bien sage à cet égard. de plus, la présence de Gene Tierney, que Mankiewicz n'estimait pas du tout en tant qu'actrice, alourdit un peu le tout. Soyons juste, elle a fait bien mieux en d'autres circonstances, et... Mankiewicz aussi! Du reste, on se consolera avec la première interprétation cinématographique de premier plan du grand Vincent Price en cousin louche et jaloux de se prérogatives ancestrales, relayé par tout un pays. Il est génial...

 

Grandeur et folie, les deux ingrédients Shakespeariens qui se mélangent souvent chez Mankiewicz, sont déjà là, à travers le personnage de Nicholas Van Ryn, qui nous rappelle qu'à l'Est des Etats-Unis, certains territoires ont été longtemps des héritiers de l'Europe; la mainmise Hollandaise sur l'état de New York a mené à l'existence non seulement d'une véritable aristocratie, dépendant largement d'un système de quasi-servage local. ici, cette intrigue politico-économique sert à montrer Nicholas Van Ryn comme un roitelet local, craint et sujet parfois à des petites révoltes de "ses" fermiers. Mais cette situation trouve un écho dans la folie de Van Ryn, qui pousse l'identification à un monarque jusqu'à faire peser ses mariages sur la condition d'avoir un fils. Il a même trouvé un moyen, gothique bien sur, de se débarrasser de ses épouses si elles ont trahi (c'est-à-dire si elles lui ont donné une fille, comme Johanna, ou si l'enfant est mort-né...). Sa folie culmine dans une scène de mort digne de Shakespeare, dans laquelle Vincent Price, mais cela ne sera pas étonnant, est absolument royal...

 

A l'opposé de van Ryn, se trouvent d'autres révélateurs du personnage, qui lui sont opposé sen tout: le rigoureux et religieux père de Miranda, qui clame l'importance d'une farouche indépendance à l'opposé d'un van Ryn qui aime à rêgner sur ses sujets. Walter Huston est parfois souligné comme un homme du passé, par son épouse lorsqu'un mariage se profile à  l'horizon, et même par un gamin qui lui apporte une lettre... Mais il fera partie du camp des triomphateurs à la fin du film, comme si l'Amérique en perpétuel devenir faisait son choix parmi ses conservatismes. Egalement opposée à van Ryn, le personnage de la bonne incarnée par la fabuleuse jessica tandy, avec un accent Irlandais et une jambe boîteuse, se fait critiquer violemment par le très aristocrate Nicholas, qui la considère comme une dégénérée à cause de sa jambe. Elle est elle aussi très shakespearienne, incarnant un soutien fidèle à Miranda, une oppostition presque comique à Van Ryn, qui lui fait peur, et commente l'action, comme le fera Thelma Ritter dans A letter to three wives...

 

 

Un dernier mot, pour ajouter qu'il est toujours intéressant de constater à quel point la différence Est-Ouest aux Etats-Unis peut avoir de l'importance, en matière de fantastique. le courant gothique, avec ses vieilles demeures, ses fantômes et ses malédictions ancestrales, est quand même représenté dans le cinéma Américain, par ce film (Aussi timide soit-il en la matière) et d'autres (Y compris relativement récent: Sleepy Hollow, de Tim Burton, est un exemple flagrant, situé en ce même état de New York, avec ses Hollandais). Plus près de nous, M. Night Shyamalan a situé ses bizarres contes morbides, The sixth sense en tête, à Philadelphie... Mais le fantastique Californien est beaucoup plus tributaire de ses serial killers, voire de soudaines conditions climatiques, voire de fuite radioactive, etc... un rappel que les Etats-Unis sont un mélange de civilisations, et que le cinéma Américain est un reflet de la diversité sous toutes ses coutures. Un rappel aussi que si Joseph L.Mankiewicz est un peu un pur produit de Hollywood, la façon dont il commence sa carrière le situe d'emblée dans une sophistication très peu Hollywoodienne, pétrie de culture Européenne classique, comme on le reverra, et déjà très distinctive.

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