Un nouveau puzzle dans l'univers de Mankiewicz, All about Eve est suffisamment connu pour qu'on n'ait pas à
s'étendre sur son exceptionnel destin: ça a été un succès, il a obtenu l'Oscar du meilleur film, et c'est un indécrottable classique. Tant mieux: ce film exceptionnel est une vitrine fantastique
pour l'oeuvre ambitieuse de son auteur. Mais la diversité des thèmes abordés, la réussite de la narration particulièrement complexe, la réussite enfin de chaque scène en font le chef
d'oeuvre, haut la main. L'histoire est celle d'une actrice, dont on apprend comment elle est arrivée jusqu'au firmament, en s'incrustant auprès d'une autre, et en manoeuvrant subtilement afin de
devenir incontournable. il y sera question d'ambition au sens large, bien sur, de théâtre évidemment, du métier d'artsiste en général, et aussi, surtout, des femmes. on apprend à la faveur d'une
scène que
la jeune femme
qui donne pourtant son titre au film ne s'appelle pas Eve, mais Gertrude... Le film aurait donc pu s'appeler All about Gertrude, mais il n'en est rien; Eve, donc: on ne va quand
même pas imaginer que Mankiewicz a sélectionné ce prénom au hasard...
Une remise de prix, très solennelle, dont nous voyons le déroulement, pendant que la voix posée et polie de George Sanders commence la narration de ce film choral. L'énigme commence, tant sanders a le chic pour proférer des horreurs avec un ton d'une infinie politesse; c'était la personne idéale pour être le premier protagoniste de ce monologue à tiroirs avec le public. De fait, la scène de la cérémonie qui démarre le film assume le même rôle d'exposition des narrateurs que la scène de A letter to three wives durant laquelle les trois héroïnes se retrouvent à la rivière. Addison DeWitt, le critique dramatique interprété par Sanders, va donc expédier la présentation de la cérémonie, puis présenter les protagonistes qui vont de fait, pour certains, fournir les points de vue: Margo Channing, l'actrice; Max Fabian, le producteur; Bill, le metteur en scène; Lloyd, l'auteur dramatique; son épouse Karen, enfin, dont la belle voix (C'est Celeste Holm, qui interprétait l'énigmatique voix off de Addie Ross dans A letter to three wives) va commencer le jeu de massacre en racontant comment tout a commencé. mais contrairement à l'autre kaléïdoscope narratif, celui-ci n'a pas rangé les témoignages de façon bien propre, les uns à la suite des autres. non, les narrateurs s'insèrent au fur et à mesure, desinnant une histoire plus linéaire, et se passant le micro de façon imperceptible. ainsi, dans le premier segment lancé par Karen, celle-ci disparait à un moment de l'écran, devenant de fait incapable de transmettre son point de vue. La voix off qui la relaiera deveint celle de Margo, le personnage central de tout le film, interprétée comme chacun sait par Bette Davis, dans un de ces rôles-miroir dont Hollywood a parfois le secret... d'un autre côté, le film est de toute façon superbement dirigé et interprété par tous ses acteurs, davis, sanders, Holm et Baxter en tête...
Addison DeWitt: Wilder avait plus l'habitude que Mankiewucz de ces noms ouvragés, mais cette fois-ci la manipulation inhérente
au patronyme est évidente: Wit, l'esprit au sens de capacité intellectuelle ET humoristique, cette qualité essentiellement Wildienne dont Sanders est l'évidente incarnation à Hollywood (Voir son
Lord henry Wotton dans The picture of Doiian Gray de albert Lewin), est ici accompagné d'une allusion franchement directe (Addison) au personnage d'Addie Ross: de fait, DeWitt va
être un personnage-clé de la manipulation dont il est question dans le film,
prenant de plus en plus d'importance au fuir et à mesure que le
film avance. Le film commence dans une atmosphère d'amitié très solide entre les protaginstes, mais l'arrivéé d'Eve va déclencher une série de coups fourrés. Donc il y a manipulation, et très
ouvragée: Eve manipule, on s'en rend compte très vite, afin d'avancer sur son échiquier; Addison manipule, mais les bons amis eux-mêmes ne sont pas épargnés par la tentation: pour donner une
bonne leçon à Margo, Karen va être amenée à manipuler son amie au profit d'Eve, elle aussi... Ainsi, le jardin d'Eden du début se voit-il contaminé par une Eve diabolique dont le tentateur serait
plus ou moins Addison...
Cette assimilation biblique n'est commode qu'en surface, le propos de Mankiewicz n'étant pas de faire allusion à cette hypothèse peu crédible de la femme née de la côte de l'homme, encore moins de faire de cette mijaurée la représentante de l'éternel féminin. Non, si éternel féminin il y a, c'est dans l'assemblage entre les femmes du film qu'il sagit: à Eve et son insatiable ambition individualiste, viennent s'ajouter les frustrations de Margo qui a tout ce qu'elle pourrait avoir, mais souhaite désormais une vie rangée et pépère pourvu qu'elle ait l'homme qu'elle aime dedans; à ce titre, Mankiewicz a donné à Bette Davis de très belles répliques, mais aussi des petites phrases équivoques qui situent le débat sur le plan sensuel de temps à autre. On continue sur ce terrain avec Karen, l'amie à laquelle tout sourit ou du moins tout a souri depuis longtemps; sa solidarité qui la pousse à aider aussi bien Eve (c'est à elle qu'on doit la présence de la jeune femme auprès de Margo dans un premier temps, puisque karen l'a repérée attendant auprès de la loge, et l'a prise en pitié) que Margo, n'empêche pas la jeune femme d'avoir à se battre contre l'une de ces femmes lorsqu'ele menace de lui voler son mari. A ces trois femmes, viennent s'ajouter des portraits savoureux, de personnages secondaires: Birdie, la maquilleuse-confidente-femme de chambre de Margo, interprétée par Thelma Ritter, et Claudia, une starlette amenée par Addison à une party, interprétée par Marylin Monroe. Donc, All about Eve, c'est all about women... L'éternel féminin ne pouvait être confié à une seule femme, c'est la leçon de cette construction magistrale. La séquence finale, qui voit la jeune aspirante actrice dont le reflet est renvoyé par des miroirs multiples, reprend cette idée.
L'ambition a ses revers: c'est sur, Eve Harrington gravit les échelons très vite, et devient donc la meilleure, c'est la leçon de cette cérémonie dont Mankiewicz se plait à
interrompre un plan (En faisant un arrêt sur image, dont le plan est litttéralement interompu dans osn déroulement) afin de faire clarifier l'historique par ses multiples narrateurs. Cette
ambition a ses compromis, ceux prévus par la manipulatrice elle-même (en gros, jouer tous contre tous, et s'apprêter à apparaitre le moment venu comme l'odieuse manipulatrice qu'on est vraiment);
tous ces moments durant lesquels Eve apparait au grand jour voient Anne Baxter assumer avec fierté sa duplicité... Mais il y a aussi des compromis inattendus, et à ce titre, Eve trouve en DeWitt
un adversaire de poids. enfin, nous dit Mankiewicz, le final du film est très symbolique, qui donne à Eve une autre Eve, ce dont Dewitt peut témoigner. La continuité sera assurée... Mais si Eve a
elle aussi une jeune ambitieuse dans les jambes, l'inévitable comparaison avec Margo fait qu'on peut finalement s'interroger sir le propre parcours de la star: on nous dit que Margo a en effet
été sur les planches depuis l'age de quatre ans, mais quelles compromissions ont été nécessaires pour s'y maintenir? Le caractère essentiellement dictatorial de Bette Davis est l'un des indices
d'une volonté de fer, pas si éloignée de celle de la jeune "Eve", oiseau tombé du nid, qui devient une louve au fur et à mesure du film. Mais l'humanité de Margo ressort dans son amour pour Bill,
l'homme de sa vie... qui a huit ans de moins qu'elle. Combien de "Bill" a-t-elle eu dans sa vie?
Le théâtre est ici une métaphore pour tous les arts, et Mankiewicz rêgle de
fait un peu ses comptes avec le cinéma. N'a-t-il pas fait de Max, le producteur, un homme qui est certes sympathique, mais présenté comme un béotien dont la motivation est avant tout
pécunière? Mankiewicz utilise les antagonismes entre auteur dramatique (Lloyd) et metteur en scène (Bill), comme un homme qui a été dans les deux positions (Il gagnera d'ailleirs deux Oscars
à ce titre pour ce film!!); il présente l'amour entre Margo et Bill comme indissociable de leur fonction d'actrice et vedette, et Eve ne s'y est pas trompée, puisqu'elle tente de séduire Bill
avant d'entamer une courte relation avec Lloyd... nfin, les trois témoins que sont Birdie (Maquilleuse et ancienne actrice de vaudeville), Karen (Epouse de Lloyd) et Addison (Critique
dramatique exigeant et impitoyable) finissent de dresser le portrait d'un métier, de ses coulisses, et d'une certaine façon de son public... Le fait que tout s'y rêgle par les conflits,
manipulations et autres coups bas est évidemment à mettre sur le compte d'un maitre du réalisme éclairé, qui a mis beacuoup de lui-même dans le film, à commencer par le personnage de Sanders...
ce n'est pas un hasard si celui-ci ouvre et ferme la narration, et se promène parfois au coté de starlettes évervélées: Mankiewicz connaissait bien toutes les possibilités offertes par le métier.
En attendant, ce film lui a donné un sucès largement mérité, certaines possibilités de liberté à l'approche de la fin de son contrat avec la Fox, et ce film a donné au cinéma l'un de ses
chefs-d'oeuvre absolus...

Les dialogues sont une fois de plus du pur Mankiewicz, qui s'amuse à
donner cette étrange fausse bonhomie à son Gino Monetti, qui bien que banquier anticipe sur d'autres patriarches plus douteux. Le père sait comment distribuer en trois mots les bons points (max)
et les tartes (Le pauvre pietro, qualidfié de Dumbhead, "andouille", dans toutes les phrases utilisées par son père pour s'adresser à lui), le tout enrobé dans un accent Italien et de constants
appels au bon sens. La scène du repas montre parfaitement les mécanismes familiaux, avec le père qui impose à tout le monde le silence en écoutant des disques, pendant que les convives ont
faim, et doivent se retenir de manger. La conversation qui suit, qui montre à la fois la frustration de certains des enfants de Gino, et la méchanceté aveugle du père, est un grand moment. Max,
de son côté, est caractérisé par un tic de langage qui fait de lui non seulement un homme pressé et direct, mais aussi quelqu'un de foncièrement irritant, ce que ne manque pas de faire remarquer
la petite amie (Susan Hayward) qui reprend son mot ("Period", point final) pour se moquer de lui à plusieurs reprises.
que le film dévoile très vite: elle est persuadée que son mari est parti avec Addie, d'autant qu'il l'a prévenue de son empêchement éventuel pour la soirée prévue. Elle se réfugie un peu hâtivement dans le Martini... Rita est donc employée par la radio, et gagne plus que son mari, dont elle souhaite qu'il change son point de vue et laisse l'ambition lui permettre d'améliorer sa position. Rita est très indépendante, mais elle est aussi la femme qui connait son mari depuis le plus longtemps. le problème, c'est qu'elle sait que son mari a raison quand il dit qu'elle vaut mieux que ses employeurs... George, enfin, a eu une camaraderie intellectuelle avec Addie, ce qui fait de lui, pour Rita, un coupable potentiel... Enfin, Lora Mae vient d'une famille très modeste, et s'est mariée avec Porter d'une façon assez peu orthodoxe: chacun d'entre eux est persuadé qu'il a fait une concession à l'autre, et aucun d'entre eux n'a jamais avoué son amour profond pour l'autre. De plus, Lora Ma sait qu'elle vient après Addie, dont le portrait trône sur le piano à queue de Porter, le riche propriétaire d'une chaîne de magasins. Elle est indépendante, jusqu'à arriver seule en voiture au début quand ses copines font elles du covoiturage.... elle a les moyens, mais agit aussi comme si elle se préparait à tout moment à demeurer seule, quittée par son mari: elle est très surprise de le trouver à la maison, le soir...
interprété par Paul Douglas (Aucune relation, mais cet acteur est un génie), est un homme qui s'est fait tout seul. La culture, pour lui, c'est juste un ensemble de signes de richesse qui s'achètent, et il trompe son monde en rapportant tout à l'argent. Il est aussi doté d'une pudeur intimidante, qui l'empêche notamment de trop dévoiler de ses sentiments à Lora Mae, ce qui les handicape tous les deux. Porter joue un rôle intéressant de confident vis-à-vis de Deborah, ce qui aide la jeune femme occasionnellement. Enfin, il fournit au film son moment le plus émouvant.../http%3A%2F%2Fimg4.hostingpics.net%2Fpics%2F707916EscapeMankiewicz.jpg)

Le genre, ce sacro-saint empilage de cases identiques si cher aux américains, est ici perverti d'une façon intelligente, dans une appropriation particulièrement astucieuse: pas plus
que Dragonwyck n'était un drame gothique vraiment convaincant, The ghost and Mrs Muir n'est

Outre cette attraction du vide, cette quête d'un certain homme
introuvable, insaisissable, responsable de tous les maux, qu'on appelle Larry Cravat, le film nous présente aussi l'idée d'une personnalité-puzzle, une idée qui reviendra sans cesse dans son
oeuvre, sous de multiples formes, et bien sur en jouant constamment avec les souvenirs des protagonistes. Ici, cette tendance au kaléïdoscope sert aussi à n'en pas douter à masquer le vide plutôt
qu'à le souligner... Cette quête des tenants et des aboutissants d'une affaire vieille de trois ans, qui a poussé des gens vers la fuite (Anzelmo) d'autres vers la folie (Michael conroy),
d'autres enfin à disparaitre purement et simplement (Cravat) est en quelque sorte le faucon Maltais du film, c'est aussi une intrigue proche du mythe. un mythe à ne pas trop prendre au
sérieux, bien sur, comme les fausses informations véhiculées dans Five fingers, ou les allégations délirantes dans People will talk...

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