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17 février 2024 6 17 /02 /février /2024 18:34

Ca commence par une vision profondément noire d'un couple bourgeois, dans lequel l'homme (servi par une armée de bonnes à tout faire en costume traditionnel) se plaint du comportement de son épouse, qui manifestement ne trouve plus son bonheur dans leur couple... Il va jusqu'à dire devant elle, à leur médecin, que c'est la fin du couple. Du couple, on passe brièvement au comportement équivoque de l'épouse qui flirte plus ou moins ouvertement avec un jeune employé de son mari; ce qui est observé par une jeune femme, Oyaka (Isuzu Yamada). celle-ci est amoureuse du jeune homme, et le met en garde contre une aventure avec "la patronne"...

Oyaka, qui a besoin d'argent (son père a commis un délit qui risque de lui valoir de la prison, s'il ne rembourse pas), est approchée par le patron qui souhaite ouvertement en faire sa maîtresse. Elle refuse, mais après une querelle avec son père, elle quitte le domicile familial et va s'installer chez son patron, cherchant à éviter les potins, les soupçons de l'épouse, mais aussi ceux de son petit ami. Elle a commencé une descente aux enfers...

C'est l'un des premiers films parlants de Mizoguchi, qui est déjà très intéressé par une thématique bien précise: la façon dont la société du Japon a institutionnalisé le rapport dominant des hommes sur les femmes, au point de pousser celles-ci vers la prostitution, sous une forme ou sous une autre. On constatera dans l'exposition de ce film que les torts sont sans doute un peu partagés, dans ce film axé sur la débrouillarde Oyaka, qui est flanquée d'un père totalement irresponsable, et le réalisateur semble installer une situation sociale propice à des envies de transgression, ce qu'il ne fera pas aussi ouvertement dans ses films ultérieurs. Mais la façon dont il lie intimement, dès le départ de son intrigue, les destins d'Oyaka, du patron, de l'épouse, et du jeune homme, est magistrale.

 

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Criterion
19 août 2018 7 19 /08 /août /2018 09:54

Un seigneur Japonais, soupçonné d'entretenir le chaos et la sédition car il est bon avec ses sujets, est destitué. Il doit partir en exil, et sa famille est forcée de le quitter. Tamaki (Kinuyo Tanaka), son épouse, part donc sur les routes en compagnie d'une domestique fidèle et de leurs deux enfants, le garçon Shizu et la fille Anju. Leur situation, précaire, ne s'améliore pas lorsqu'un décret interdit aux particuliers d'accueillir des inconnus... Ils trouvent pourtant refuge auprès d'une vieille femme, mis c'est un piège: le lendemain, des pirates enlèvent Tamaki et livrent Shizu et Anju à un intendant, le cruel Sansho (Eitaro Shindo). Celui-ci va les exploiter, comme esclaves. Ils vont grandir: Shizu (Yoshiaki Hanayagi), qui fait rigoureusement ce qu'on lui demande, va-t-il devenir à son tour un bandit? Ou Anju (Kyoko Kagawa), qui n'a jamais renoncé à fuir, va-t-elle lui permettre de garder son humanité, et de retrouver le désir de liberté? Pendant ce temps, Tamaki devient une courtisane, mais ses jours ne sont-ils pas comptés?

Il faut toujours savoir se méfier des chefs d'oeuvre officiels... Pourtant, Sansho Dayu est un grand film, qui a gagné le lion d'or à Venise: la troisième fois consécutive pour son metteur en scène, Kenji Mizoguchi, un cas unique dans l'histoire du festival... Bon. Et ce film totalement ancré dans on œuvre brasse des thèmes importants, notamment celui de la résilience de l'homme, de la souffrance des femmes, et de l'injure qui leur est parfois faite avec la bénédiction de la loi. Après les années de guerre et de troubles divers (qui durent depuis bien longtemps au japon), le questionnement est pertinent. Mais si la première moitié du film ne souffre d'aucun défaut, c'est lorsqu'on se concentre sur le personnage de Shizu que le bât blesse. Celui qui revient progressivement à la vie, qui prend en charge son destin, et qui va finalement retourner la situation pour réparer, au moins partiellement, une injustice, n'était à mon avis pas le plus intéressant, et il suffit de voir le traitement accordé par le réalisateur au suicide de Anju, pour constater qu'il aurait sans doute lui aussi été plus intéressé par ce personnage, femme forte, véritable moteur de la rébellion de son frère, et dont le sacrifice va être l'élément déclencheur du retour de Shizu à sa mère...

Donc, le film est hélas redondant, dans sa dernière demi-heure en particulier. Ce qui n'enlève rien bien sûr à la force du message, qui condamne toute attaque à la liberté, et scrute avec une certaine franchise les comptes du passé Japonais, et de ces époques médiévales qui s'accommodaient si bien de l'esclavage, de la prostitution, et de tous les mauvais traitements qui y sont liés. Et Mizoguchi utilise la nature avec génie, contrastant les premières séquences de la fuite en famille (tournées en studio, donc avec une nature sous contrôle), et les scènes de captivité des enfants, situées après la séparation (tournées en décors naturels, et d'un grand réalisme selon la tradition du film de période). C'est superbe, bien sûr... Mais je continue à préférer à cette belle reconstitution, le conte intérieur d'Ugetsu, ou le réalisme urbain de Akasen chitai. Question de goût, je suppose... Et peut-être aussi Mizoguchi visait-il directement et sciemment son troisième Lion d'or...

 

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Criterion
29 juillet 2017 6 29 /07 /juillet /2017 17:33

A Yoshiwara, le quartier chaud "officiel" de Tokyo, se tient le club "Dreamland", un bordel tout ce qu'il y a de classique. le patron y emploie cinq filles, certaines avec des heures de vol, d'autres plus jeunes. Chacune a son histoire, et ses soucis: Hanae (Michiyo Kogure) est mariée, et elle a un enfant... Mais le mari est sans emploi, et ils ont besoin de l'argent qu'elle ramène pour vivre. La veuve Yumeko (Aiko Mimasu) travaille avec acharnement pour subvenir aux besoins de son fils, qui arrive à l'âge de travailler. La plus âgée, Yorie (Hiroko Machida), se cramponne à une promesse de mariage, qui est son joker pour s'en sortir. De son côté, la plus jeune Yasumi (Ayako Wakao) abat un travail considérable en gérant de façon impressionnante son argent, ainsi qu'en manipulant tout le monde, le patron, comme les collègues, comme les clients. Enfin, la provocante Mickey (Machiko Kyo) a une vision assez rock 'n roll de son métier, mais c'est principalement par pudeur: elle a fui sa famille...

Et tout ce petit monde est sur la sellette: au parlement, on ne parle plus que d'un projet de loi qui envisage de mettre la prostitution hors la loi, et pénaliser les clients. Les filles, mais aussi leur patron et leur supérieure, tout le monde a un avis sur la question... Mais si la loi passe, qu'adviendra-t-il des filles qui travaillent au Dreamland. ...Et même si la loi ne passe pas, d'ailleurs?

Le dernier film de Mizoguchi, comme tant d'autres, parle de prostitution, de tous les aspects de la prostitution légale dans les années 50, soit l'exploitation de la femme par l'homme autant que l'exploitation de la concupiscence masculine par la femme comme dernier recours...Quoique... on n'est pas prêt à oublier le regard de la jeune adolescente qui commence sa première nuit, au moment d'aborder un client: c'est la dernière séquence du film, et elle fait froid dans le dos. C'est tout l'ambiguïté de l'oeuvre de Mizoguchi qui passe par ce regard, toutes les contradictions d'un homme qui a jeté un regard de compassion sur cette humanité-là, mais qui lui-même était un client régulier des filles qui travaillaient dans des clubs "sains" et "légaux" comme le "Dreamland". Du coup, le film acquiert un réalisme impressionnant, mais qui ne vire jamais au misérabilisme. Mizoguchi nous montre la prostitution de l'intérieur, comme un environnement. S'il ne s'approche pas de trop près, censure oblige, il appelle assez souvent un chat un chat, et le film est sans concession: certaines de ces femmes finiront mal dans le film... Et l'une d'entre elles se débrouillera en revanche très bien.

Le film aurait du être tourné sur les lieux même du commerce qu'il décrit, dans des conditions semi-documentaires. Ca n'a pas pu se faire, les professionnels locaux ayant eu peur des retombées. Le fait d'avoir reconstruit un club en studio permet au moins à Mizoguchi de contrôler la situation à 100%, et aux actrices de faire un travail remarquable. On ne fait pas que du sexe à Dreamland: on vit, on mange, on échange, on se chamaille, on rigole... Elles sont toutes fantastiques. 

Et pour finir, deux notes contextuelles: d'une part la loi dont il est question (Elle est battue dans le film) a été votée dans la réalité, quelques semaines après la sortie. Et Mizoguchi est mort d'une leucémie foudroyante trois mois après.

 

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Criterion
28 juillet 2017 5 28 /07 /juillet /2017 16:52

Le titre Japonais de ce film est une transposition de Yang Kwei Fei, le titre sous lequel il est le plus connu. Yang Kwei Fei, en Mandarin, veut à peu près dire "La première concubine Yang", et le film raconte comment une jeune femme est placée par une famille d'intrigants, les Yang, auprès de l'empereur de Chine. Elle ressemble tant à l'impératrice décédée, qu'il la choisit aussitôt comme concubine. Mais le peuple gronde, et l'armée menace de se révolter: non contre l'empereur, mais contre la famille Yang...

La principale motivation de Mizoguchi n'était pas, ici, de s'intéresser à ce parcours de femme, même si Machiko Kyo (qui retrouve en l'empereur son partenaire de Rashomon, Masyuki Mori) a interprété avec bonheur ce personnage tiré d'un conte de fées, de file de rien passée concubine de premier choix, mais qui reste jusqu'à la fin une femme au pedigree louche. Il y aurait eu des choses à dire pour l'auteur de tant de portraits de femmes à l'ombre de la prostitution! Non, la principale motivation du metteur en scène, c'était de faire sa première expérience avec le cinéma en couleurs...

Et de fait, on a le sentiment que tout ici est décoratif. D'ailleurs, l'histoire de la production de ce film peut très bien l'expliquer: souhaité par une compagnie de Hong-Kong, la Shaw and sons, le film a fini par échouer sur les bureaux de Daiei, et s'est vue confier à Mizoguchi. Le but des producteurs Chinois était de faire un film Chinois, sur une histoire Chinoise, interprétée en Mandarin... Au final, c'est en Japonais, uniquement interprété par des acteurs Nippons, et... ils jouent la carte de l'exotisme. A croire que Mizoguchi leur a demandé de jouer lentement pour faire Chinois!

Donc non seulement on ne dépasse pas le cadre du décoratif, mais en plus le film se traîne, en dépit de quelques jolies scènes, et... de couleurs superbes, ça va de soi.

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi
30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 22:08

L'un des rares muets conservés de Mizoguchi ne nous est parvenu que dans une forme sérieusement tronquée, coupée par son distributeur après son échec public. Il est difficile de se faire une idée du film, mais il est manifestement important; si Mizoguchi se repose ici sur un genre qu'il quittera, le mélodrame pur, il utilise un style très européen, fait de montage et d'impressionnisme, montrant qu'il a été fasciné par les recherches de Ruttman, Murnau mais aussi par le cinéma Américain de 1927/1928: son film s'ouvre sur une ville, non des personnages, et s'intéresse à un groupe humain avant d'en isoler les personnages.

Mais on est face à une bande-annonce étirée sur 27 minutes plutôt qu'à un film de 90 mn, et c'est le principal problème. les péripéties se succèdent trop vite, malgré la beauté du cadre et le jeu très retenu des acteurs, on sent qu'on manque quelque chose...

En voici l'intrigue, pour autant qu'on puisse lui rendre justice: Une jeune femme, "vendue" par ses tuteurs à une maison de Geisha, est aimée de deux hommes, mais doit choisir celui qu'elle n'aime pas: l'autre est son frère.

On le voit, la passion de Mizoguchi pour le destin de la femme dans le très phallocratique Japon est déja présente ebn es années de formation. Pourvu qu'un jour, une copie complète fasse surface...

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Muet 1929
29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 09:52

Fouiller la filmographie de Mizoguchi nous permet d’aboutir rapidement à la conclusion que la majeure partie de son œuvre muette est perdue. Sont aujourd’hui en circulation 5 de ces films, et tous ne sont pas complets. Les facteurs de cette perte importante sont connus : outre l’oubli immédiat dans lequel le muet est tombé après 1930 dans la plupart des pays, il faut ajouter les tremblements de terre successifs qui ont détruit la plupart des films japonais conservés dans les entrepôts des studios. Le Japon a pourtant produit des films muets ou seulement sonorisés jusqu’à 1935, pour tout un éventail de raisons. Ce film est un des films sonores de Mizoguchi: bien que muet, il est narré par des intertitres, lus et complétés par un bonimenteur (« Benshi »). C’est la principale source de gêne de cette version (Manifestement d’époque) : d’une part le Benshi est redondant, voire excessif dans son commentaire (Le final en particulier, un modèle d’économie et de subtilité à l’écran, devient franchement pesant avec l’ajout du boniment), et comme les éditeurs de la version publiée en France (Carlotta) on fait correspondre les sous-titres au boniment, au lieu des intertitres, cela se fait souvent au détriment de l’image.

Mais au-delà, le film est souvent étonnant, par l’audace de sa structure, avec deux flash-backs imbriqués l’un dans l’autre : L’histoire nous conte la rêverie d’un homme et d’une femme, réunis à leur insu sur un quai de gare par une panne d’électricité, et chacun d’entre eux associe le lieu à leur passé commun lorsque Geisha la jeune femme avait étudié le jeune homme étudiant, et lui avait sauvé la vie, tout en sacrifiant la sienne. A un moment, l’homme jeune génère un flash-back pour expliquer les circonstances dans lesquelles il a quitté sa grand-mère au village natal.

Egalement à noter, Mizoguchi en 1934 fait dire beaucoup de choses à ses plans, changeant de point de vue, en utilisant beaucoup l’arrière-plan, et bougeant la caméra de façon significative : on sait l’importance du plan-séquence dans les chef-d’œuvres futurs : ici, le vagabondage de la caméra dans une échoppe de nouilles nous montre d’abord un client qui demande l’addition, puis qui quitte le restaurant précipitamment lorsqu’il ne trouve pas sa bourse ; la caméra nous emporte alors à travers un rideau vers le couple de héros qui mange, pour une fois, à sa faim : la jeune femme fournit la nourriture : on sait qu’elle a volé, afin de nourrir son ami.

Avec ce mélodrame, la thématique de Mizoguchi est déjà en place, et cette histoire d’un couple qui va essayer de lutter contre le déterminisme social qui pousse les femmes vers la prostitution en annonce bien d’autres. Osen, la Geisha qui se rebelle contre les proxénètes-escrocs qui l’emploient, n’est pas encore un personnage aussi fort que Oharu, et ce film apre n’est pas aussi définitif que les œuvres des années 50, mais c’est une expérience qui en vaut bien la peine. Parmi les acteurs, il faut faire particulièrement attention à Isuzu Yamada, qui prête son beau visage à Osen, et qui brille de tous ses feux dans la séquence la plus sublime du film, lorsqu’au moment de son arrestation, elle sort de son kimono (Avec les dents) une cigogne en papier qu’elle fait s’envoler en soufflant vers son ami pour lui signifier que son ame veillera toujours sur lui. La cigogne, préparée de longue date, devient du même coup le symbole de la fatalité, mais nous rappelle que c’est en se saisissant d’un rasoir avec les dents qu’elle s’est enfuie et a déclaré son indépendance. Ces deux scènes nous montrent la limite du champ d’action d’une prostituée dans le japon de ce début de siècle…

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi 1934 Muet *
13 mai 2015 3 13 /05 /mai /2015 15:57

Au XVIe siècle, des paysans vivent dans un village cerné par les conflits. L'un d'eux, Genjuro (Masayuki Mori) réalise le profit qu'il peut tirer de la situation politique, quand tous les régiments en campagne peuvent acheter des denrées. Il est marié à Miyagi (Kinuyo Tanaka), une femme qui l'assiste avec bonne volonté mais qui s'inquiète de voir les conflits se rapprocher et devenir de plus en plus violents... Pris de rêves de grandeur, et potier à ses heures perdues, Genjuro décide de tenter de vendre des pots par dizaines avec l'aide de son voisin Tobei (Eitaro Ozawa), un homme qui n'est pas contre un petit profit de temps en temps mais dont l'ambition serait plutôt de devenir samourai... Comme il est d'extraction modeste son épouse Ohama (Mitsuko Mito) essaie de lui faire comprendre qu'il lui faut revenir sur terre. Un jour qu'une troupe vient piller le village, le hasard fait que les pots de Genjuro sont cuits à la perfection, il décide de jouer le tout pour le tout, et les deux couples, accompagnés de Genichi, le fils de Genjuro et Miyagi, se rendent à la ville pour y placer des marchandises. Il leur faut traverser un lac en bateau, mais pendant la traversée, ils croisent un bateau à la dérive. A l'intérieur, un homme mourant les exhorte à rebrousser chemin, avant de succomber. Miyagi décide de repartir, mais les trois autres se rendent en ville... Ce n'est pas une bonne idée.

A partir de là, Mizoguchi va séparer ses protagonistes, incluant Miyagi, qui va faire une bien mauvaise rencontre alors que le village est livré au chaos et au pillage. Tobei, le premier à quitter ses compagnons, va suivre une troupe de samourais, et concrétiser son rêve de devenir un seigneur de la guerre; Omaha pour sa part va rencontrer elle aussi une troupe de soldats en cherchant son mari, mais son destin en sera radicalement changé, d'une façon scabreuse; enfin, Genjuro, en honorant une commande d'une belle et noble dame, va mettre un pied dans le fantastique, et tomber entre les mains de spectres dangereux...

Mizoguchi, consacré au Japon pour ses drames réalistes impliquant généralement le point de vue d'une femme amenée à la prostitution, change ici radicalement de registre, adaptant deux nouvelles fantastiques de Ueda Ukinari, publiées dans un recueil intitulé Contes de pluie et de lune. Il en profite aussi pour adapter une nouvelle de Maupassant, Décoré pour le segment consacré à Tobei et son épouse malheureuse. C'est pour le moins un film qui tranche complètement sur son oeuvre, et le point de vue de plusieurs critiques Japonais est que le metteur en scène a plus ou moins trafiqué un film pour plaire à l'occident, et ajouter à son succès récent avec Les amants crucifiés lors de festivals, un succès commercial planétaire... Je ne sais pas dans quelle mesure cette accusation est fondée. Si effectivement le film est bien différent des oeuvres habituelles du metteur en scène, il est un objet bien plus complexe que ses détracteurs ne le prétendent... Il est aussi une introduction magnifique à l'art et la thématique de l'un des plus importants cinéastes du pays, si différent aussi bien d'Ozu, de Naruse que de Kurosawa.

Pour commencer, réduire Mizoguchi à un commentateur sur le Japon contemporain serait absurde. il a déjà, après tout, donné dans tous les registres cinématographiques, adaptant déjà Maupassant dans les années 30 (Boule de suif), adaptant aussi Hugo voire Maurice Leblanc dans les années 20! Ses films tournent souvent autour d'un protagoniste féminin, et sont souvent un commentaire acerbe sur la prostitution ou du moins la condition féminine. Mais on rejoint souvent ce commentaire dans Ugetsu: l'intrigue picaresque de Tobei va avoir, dans la vie d'Ohama, une conséquence tragique, la poussant vers la prostitution, et l'ambition absurde (Et dénuée de vraie gloire, car il lâche la proie pour l'ombre, en se contentant d'une gloire dérobée) de l'homme devient ici la cause inévitable de la déchéance de la femme. Mais Mizoguchi en multipliant les personnages, et les intrigues diversifie aussi les points de vue, tout en changeant ave virtuosité de ton. Il passe d'une peinture d'un monde en proie au chaos à un récit fantastique, en passant par le conte cruel de l'homme qui retrouve sa femme dans un bordel! Et le récit nous laisse parfois dans le doute, dès l'anecdote du passage sur le lac embrumé, qui ressemble à s'y méprendre à un passage vers l'au-delà...

Mizoguchi, dont la maitrise en matière de direction d'acteurs n'est jamais prise en défaut dans ce film (Aux quatre acteurs cités ci-dessus, il convient d'ajouter la star Machiko Kyo pour un rôle intrigant et mémorable, comme d'habitude!), nous rappelle qu'il est aussi le maître du plan-séquence, montrant en plan d'ensemble les paysans du village qui bivouaquent pendant que les soldats pillent les maisons, ou encore la façon dont Tobei profite du chaos pour tuer un samourai vainqueur et lui dérober la tête d'un ennemi prestigieux. Et surtout, dans les deux plans-séquences les plus spectaculaires de son oeuvre, il fait passer un personnage vers l'au-delà en le faisant entrer un bâtiment en ruines qui devient avant la fin du plan un château ou une maison en parfait état, habitée par des êtres apparemment vivants. Le metteur en scène, aidé par la magnifique photo de Kazuo Miyagama, nous livre un film dans lequel il passe d'un monde à l'autre, du réalisme le plus tangible au conte, ou à l'histoire de fantôme, s'amusant à jeter le spectateur dans le flou le plus artistique concernant le passage du temps.

La beauté du film n'empêche pas le propos de Mizoguchi, comme d'habitude, de montrer par ses intrigues savamment cousues entre elle en dépit de leurs pedigrees si différents (Mizoguchi s'est fait aider de deux scénaristes, Yoshikata Yoda et Matsutaro Kawaguchi pour les lier) un point de vue innovant sur son thème de prédilection: non qu'il ait été féministe, mais le metteur en scène était à la fois fasciné et révolté par la condition de la femme au japon. Ici, il s'évertue à prouver que l'ambition débridée des hommes, qu'elle passe par un certain savoir-faire, par des considérations économique, par la rêverie quasi-enfantine ou par une sorte de narcissisme immature, mène immanquablement les femmes à la perdition, que ce soit la déchéance sociale ou la mort... une fois de plus, certes, mais avec quel brio!

 

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Criterion