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13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 10:05

Ce film est "l'autre" extrait du Décalogue, ensemble de dix téléfilms de Kieslowski et PIesewicz, à avoir bénéficié d'un remontage et d'une sortie internationale sous forme d'un long métrage. Tu ne tueras point est donc basé sur le plus célèbre cinquième commandement, mais celui-ci, originellement sixième film du Décalogue, est donc parti du sixième commandement, qui existe en plusieurs versions: le plus courant et plus direct étant Tu ne seras point luxurieux, mais on le retrouve aussi parfois sous le texte plus ambigu La pureté [tu] observeras, en tes actes soigneusement. Comme les neuf autres films du Décalogue, celui-ci est situé dans une cité de Varsovie, dans les dernières années du Communisme. Et comme les autres, ou du moins huit d'entre eux, le commandement illustré n'est qu'un prétexte: dans ce Brève histoire d'amour, Kieslowski et Piesewicz explorent la solitude et la difficulté d'aimer...

Tomek (Olaf Lubaszenko) est orphelin et postier, et il habite auprès d'une vieille dame, qui lui sous-loue une chambre. De là, tous les soirs, il observe avec fascination une voisine, dans le déroulement nocturne de sa vie intime. Magda (de son nom complet Maria Magdalena, interprétée par Grazyna Szapolowska) est une artiste, qui a plusieurs amants, et pas d'attache réelle. Entre le voyeur (Qui confesse avoir au début regardé par concupiscence, mais plus maintenant car il est amoureux) et sa victime (Qui elle reconnait qu'elle est "mauvaise", car elle n'aime pas, et ne croit ni en l'amour ni dans ses attaches), un lien complexe et souvent cruel va s'établir...

Hitchcock ou Powell? eh bien, aucun des deux en fait. Au voyeur de Peeping Tom, qui se punit en supprimant l'objet de son désir (donc en tuant), doublant le crime de voyeurisme de celui de meurtre, aux voyeurs de Hitchcock qui sont conscients de leur immoralité, au point de chercher à l'évacuer par des prétextes (en substance, si James Stewart dans Rear Window regarde avec insistance, c'est parce qu'il pense qu'il y a eu un crime, dit-il: ça fait de lui un justicier... ou un grand malade), Kieslowski ose opposer un voyeur délicat et attentionné...

Car "Peeping Tomek" n'est donc pas un voyeur au sens strict: quand ça devient trop intime, il a deux réflexes: le premier st de détourner le regard; mais le deuxième est de saboter les nuits de luxure de Magda, en lui envoyant des employés du gaz qui viennent vérifier une fuite imaginaire! Il a commencé à regarder en face de son appartement sur les conseils de l'ancien locataire, mais il a perfectionné la méthode, en utilisant une lunette volée. Il va multiplier les tentatives d'entrer en contact, en faisant venir Magda au bureau de poste sous des faux prétextes, en devenant laitier, en lui téléphonant même. Ce qui va culminer dans une rencontre directe, une soirée durant laquelle Tomek et Magda vont au restaurant. Lui va tout raconter, et elle, entre dégoût, défi, amusement et attirance, va l'attirer chez elle. Où ce qui se passe est pour elle une vengeance assez embarrassante, pour lui une tragédie: l'échec de son amour, et le sentiment d'avoir été attiré dans la luxure, plutôt que vers l'amour...

Le film court, la version du Décalogue, est structurée en trois parties: Tomek, Tomek et Magda, puis Magda: dans cette dernière partie, c'est la femme qui est désormais attirée par le jeune homme et qui tente sans vrai succès d'entrer en contact avec lui, soulignant l'insupportable solitude. Mais le long métrage s'autorise (à la demande expresse de l'actrice) une fin plus ouverte, dans laquelle la possibilité d'une relation se dessine. Le film se clôt, comme tant d'autres de Kieslowski, sur Magda qui vient de regarder, et en regardant, d'entrevoir l'espoir. 

 

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Published by François Massarelli - dans Décalogue Krzysztof Kieslowski
13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 09:19

Ce film existe en deux versions, l'une d'entre elle étant aussi connue sous le titre générique Décalogue V, partie intégrante de l'ensemble de dix films de Kieslowski réalisés pour la télévision Polonaise en 1988: un ensemble monumental qui prend prétexte des dix commandements pour aller s'intéresser à l'intime d'une série de personnages qui ne sont liés entre eux que par le fait qu'ils habitent un même ensemble d'immeubles, à Varsovie. Chaque film assume d'être un commentaire sur un commandement, mais sans jamais forcer la dose religieuse. Beaucoup s'amusent à détourner les injonctions divines, ou tout simplement à en souligner l'ambiguïté. Pas celui-ci.

Le choix des distributeurs français de titrer ainsi la version longue (de 25 minutes supplémentaires) est justifiée par le fait de renvoyer au Décalogue qui allait être distribué à son tour en salles, mais on peut lui préférer le titre retenu par Kieslowski lui-même, et appliqué dans de nombreux langages, dont l'anglais: "un court film sur le meurtre"... Dans ce cinquième film du Décalogue, Kieslowski ne rigole pas du tout, il va s'employer à donner sa vision des choses (Et celle du co-scénariste Krzysztof Piesewicz, cela va sans dire)... Un meurtre, dit-il est un meurtre, mais une exécution aussi. 

Nous suivons trois personnages: un jeune homme, Jacek (Miroslaw Baka), qui traîne apparemment sans but, commettant un certain nombre de petites saletés et incivilités, avant de commencer manifestement à préparer quelque chose de plus sérieux; un chauffeur de taxi (jan Tesarz) qui brique sa voiture, se prépare à faire une ronde, se promène sans but, sélectionne ses clients (il part sans demander son reste quand il voit deux types complètement saouls s'approcher de son véhicule) et finit par prendre Jacek dans sa voiture; enfin, nous faisons la connaissance de Piotr (Krzysztof Globisz), un jeune avocat qui vient tout juste de décrocher son diplôme, et qui se demande, comme Auguste dans Trois couleurs: Rouge (1994) qui sera son premier client... 

Et bien sûr, ce sera Jacek, qui va tuer de sang-froid, durant sept longues minutes et sous nos yeux, le chauffeur de taxi, dans le seul but de lui piquer sa voiture pour partir le plus loin possible avec une petite amie. Celle-ci a vu la voiture avant, et connaissait bien le chauffeur. Jacek est donc arrêté, jugé et condamné à mort. 

Ah oui, mais ça on ne l'a pas vu, puisque dans une ellipse impressionnante, on passe directement d'une scène de nuit durant laquelle Jacek parle avec la jeune fille dans la voiture qu'il a récupérée, à la scène qui suit l'énoncé du verdict à son procès... Le reste est facile à reconstituer... Et Kieslowski s'est ingénié à lier les deux parties les plus importantes du film en ayant recours à une série d'images-miroirs, pendant la première partie...

Le meurtre est sordide: Kieswloski retient la leçon d'Hitchcock qui souhaitait souvent rappeler qu'il était non seulement immoral, mais aussi très difficile de tuer... Et il était rendu encore plus terrible si c'était possible, par le choix du metteur en scène et de son chef-opérateur Slawomir Idziak, spécialiste des filtres (à l'oeuvre aussi sur La double vie de Véronique en 1991 et sur Trois couleurs: Bleu en 1993): les scènes sont filmées à travers des panneaux de verre soit teintés de vert, soit noircis partiellement; le résultat est que le monde du Décalogue, déjà passablement glauque, devient de la sorte insupportablement sale et répulsif. Mais cette teinte délibérée n'est pas limitée aux séquences de violence qui nous montrent l'acte répréhensible, répugnant, et presque gratuit de Jacek: tout le film bénéficie de ce traitement. Et après avoir consacré méthodiquement la première moitié de la narration au meurtre, on s'intéresse dans la deuxième partie à son inévitable conséquence, c'est à dire à l'exécution de Jacek. Et si la Pologne a justement suspendu la peine de mort en 1988, il faut dire que le mode de fonctionnement tel qu'il nous est montré ici nous semble quasi médiéval, le seul moment d'humanité durant la procédure étant l'offrande d'une dernière cigarette au condamné. Le reste est décrit avec minutie, et est aussi insupportable que le meurtre lui-même: les préparatifs méthodiques de l'échafaud, avec sa corde et sa trappe... Quatre gardes qui viennent prendre le condamné dans sa cellule, puis l'amènent brutalement vers le lieu d'exécution... La promptitude des "techniciens" à se saisir de lui quand ses jambes ne le portent plus... L'énergie professionnelle déployée par celui qui actionne la manivelle qui enroule la corde afin d'amener la bonne tension, puis le geste sûr et implacable d'ouvrir la trappe sous les pieds de Jacek.

C'est à travers l'expérience de Piotr (qui essaie de maintenir le contact avec Jacek après sa condamnation, d'abord parce que c'est son travail, et aussi parce qu'il se sent coupable de ne pas avoir obtenu de lui empêcher la condamnation) que nous voyons l'exécution, et le comble du sordide, est que quelques minutes après la mort de Jacek, nous voyons des matières fécales couler de son pantalon sur la faïence qui couvre le fond de la trappe... Rien, donc, ne nous aura été épargné, pas plus dans l'exécution que dans le meurtre...

Piotr permet au moins d'apporter un semblant de dialectique et de drame dans ce qui est par ailleurs la démonstration toute-puissante des convictions des deux auteurs: il se sent coupable, en dépit du fait qu'il a tout donné, et s'en ouvre au juge. Celui-ci lui dit que sa plaidoirie était la meilleure qu'il ait entendue sur la peine de mort, et l'encourage à s'endurcir... Mais ce qui importe dans ce film (dont Kieslowski voulait que des spectateurs choqués ne puissent pas le voir jusqu'au bout, comme l'a rapporté Jeanette Insdorff, sa traductrice Américaine), c'est bien sûr la mise en parallèle implacable et décisive, d'un meurtre... et d'un autre meurtre.

 

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Published by François Massarelli - dans Décalogue Krzysztof Kieslowski
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 12:48

Rouge est le troisième film de la trilogie  imaginée par Kieslowski, avec son complice Piesewicz: représenter, à travers trois films et trois héros ou héroïnes, les concepts de liberté (Bleu), égalité (Blanc) et Fraternité (ce dernier film donc). Fêté par tous les critiques, il a semble-t-il été victime du battage médiatique unanime qui l'a entouré, et n'a pas obtenu la Palme d'or que tous lui prédisaient. Une leçon à retenir, sans doute, mais Kieslowski l'a interprétée comme un coup d'arrêt, puisqu'il a arrêté le cinéma peu de temps après...

Le film commence comme les deux précédents par un mouvement, celui des ondes qui voyagent d'un téléphone à l'autre, depuis l'Angleterre jusqu'à Genève. On les suit, et le téléphone va jouer un rôle considérable dans cette histoire qui tourne autour de la fraternité, mais aussi des liens entre les êtres... Les deux personnages en sont d'une part Valentine, une jeune modèle (Irène Jacob) fiancée à une homme extrêmement jaloux et compliqué qui vit de l'autre coté de la Manche, et d'autre part Joseph Kern, un vieux juge (Jean-Louis Trintignant) retraité et misanthrope, qu'elle rencontre et qui passe le plus clair de son temps à écouter les conversations téléphoniques de ses voisins. Une intrigue apparemment secondaire nous intéresse à Auguste, un jeune juge (Jean-Pierre Lorit) qui a une relation avec une jeune femme de deux ans son aînée (Frédérique Feder), mais elle le trompe... Valentine et Auguste, que la caméra rapproche aussi souvent que possible dans de virtuoses plans-séquences, sont faits l'un pour l'autre, et le destin, sous la forme du vieux juge qui a un faible pour Valentine, va précipiter les choses... 

Kieslowski était très fier de ce dernier film, qui aborde une foule de sujets, et revient en les raffinant sur un certain nombre de traits déjà vus dans les deux films précédents mais aussi dans La double vie de Véronique: ainsi Auguste et le vieux juge sont ils présentés par l'auteur comme un seul et même homme: même relation amoureuse compliquée, suivie de fuite en Angleterre, même circonstances aussi durant lesquelles ils ont obtenu de devenir juges... et logiquement, Valentine sera un point commun entre eux elle aussi. Sinon, après tant d'années et de films à montrer des personnages (Weronika, Julie dans Bleu, puis Karol dans Blanc) assister sans pouvoir -ou vouloir- l'aider au triste spectacle d'une vieille dame qui essaie de placer une bouteille dans un container destiné au recyclage du verre, Valentine va l'aider, et triompher de la difficulté. Le thème de la fraternité est abordé de multiples façons: obsédée par le problème du mal-être de son frère qui l'a conduit à l'héroïne, Valentine est aussi celle qui va tenter de contrer le cynisme du vieux juge en essayant de le persuader qu'il a tort d'espionner ses voisins, et d'ailleurs elle va au moins réussir à le faire revenir à la vie...

Valentine partage avec les autres héros de Kieslowski le fait d'avoir une histoire de famille compliquée, et de ne pas savoir organiser les choses pour revenir au calme et à la simplicité: elle affronte d'ailleurs deux tempêtes dans le film: celle qui va couler le ferry-boat dont elle réchappera en compagnie des autres héros de la trilogie, mais aussi le fait que son frère s'enfonce dans la spirale de l'héroïne, délaissant de plus en plus sa mère. Mais celle-ci habite à Calais: comme Julie (Bleu) impuissante devant la maladie de sa mère, Valentine a fui, loin de sa famille dont elle assiste à distance à la destruction programmée... Le film raconte comment elle va commencer à se prendre en charge pour aider les autres. Un chien, par exemple, puis un vieil homme qui bien besoin d'un coup de pied aux fesses...

Rouge aborde de fait non seulement le thème de la fraternité à travers les mésaventures d'un certain nombre d'êtres humains, mais il est aussi l'histoire d'un vieil homme qui assiste à d'autres vies, sans les juger, en ayant le sentiment de ne pas avoir vécu comme il le voulait. C'est à Trintignant que revient le final, avec ce plan du vieux juge souriant face à une de ses fenêtres brisées par ses voisins, une larme sur la joue, après qu'il ait vu l'une des images les plus belles, mais aussi les plus énigmatiques du cinéma de Kieslowski... 

Unique point commun visible entre Rouge et les deux autres films, l'épilogue durant lequel un ferry coule, avec à son bord les héros de chacun des films, ainsi réunis pour un sauvetage télévisé: sont enfin réunis, Julie et son collaborateur et amant Olivier, Karol et Dominique, et bien sur Valentine et Auguste... Sans doute le film souffre-t-il de venir en queue de peloton, et d'avoir été peut-être un peu trop mûri: mais on ne va pas se plaindre de la virtuosité d'un cinéaste passionnant, qui aime à jouer avec son spectateur comme aucun autre artiste ne le fait.

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 12:37

Le deuxième film de la trilogie 'européenne' Trois couleurs de Krzysztof Kieslowski commence par une énigmatique vision, celle d'une grosse valise véhiculée sur un tapis roulant dans un aéroport... un point commun entre les trois films, celui de commencer par un mouvement lié à une idée-clé du film. La valise, symbole à la fois du voyage, du dénuement, du déracinement, et de la ressource du personnage principal, s'imposait...

Blanc partage une scène avec Bleu, dans un tribunal au début du film; dans le premier film, Julie cherche une personne au tribunal, ouvre une porte et interrompt brièvement une audience: on aperçoit donc Juliette Binoche dans Blanc, qui interrompt l'audience du jugement de divorce de Karol Karol (Zbigniew Zamachowski) et Dominique (Julie Delpy)... Blanc aborde le thème de l'égalité sous l'angle... de l'inégalité! Karol est venu à Paris, mais tout autour de lui se casse: son épouse divorce parce qu'il n'est plus capable de la satisfaire sexuellement, elle garde tout, il perd son salon dans des circonstances peu glorieuses, et par dessus le marché, il ne comprend rien à rien... il retourne en Pologne, ou la malchance continue brièvement, avant que les rôles ne se renversent. Puisqu'il ne peut conquérir son épouse par l'amour, il choisit de la faire venir d'une autre manière, et va prendre effectivement le dessus sur elle.

Le film est une comédie, comme l'était du reste Décalogue X, la précédente collaboration de Kieslowski avec Zamachowski; ce dernier s'appelle Karol Karol, ce qui revient selon Kieslowski à l'appeler doublement comme Charles... Chaplin. La photo du film est baignée de blanc, mais ce film central du dispositif est aussi marqué par un nombre incroyable d'objets bleus et rouges... les bleus revoient le plus souvent au passé (Paris et l'échec du mariage), les rouges à l'avenir: lors de sa rencontre dans le métro Parisien avec Mikolaj, l'ami qui va lui permettre de retourner à Varsovie, ce dernier porte une écharpe rouge; à Varsovie, quand ils se retrouvent, Mikolaj a brièvement une écharpe bleue, qui redevient rouge lorsque les circonstances s'améliorent; la maison du frère de Karol (Jerzy Stuhr, vieux complice depuis L'amateur en 1979, et qui jouait déjà avec Zamachowski dans Décalogue X) est envahie d'objets rouges aussi: le drap dans lequel Karol se remet de ses émotions, l'évier... Le film est au centre de la trilogie, et Kieslowski nous le rappelle constamment.

La deuxième citation de Bleu est un gag, qui donne le ton satirique du film: lors d'une scène d'amour, Dominique a (Enfin!!) un orgasme. Fondu au blanc, comme lors des épiphanies de Julie, et l'écho du gémissement tient lieu de musique. Sinon, tout comme l'expérience douloureuse de la liberté dans Bleu, ce nouveau film tend à démontrer que Karol et Dominique sont condamnés à l'absence d'égalité: si Dominique méprise le Karol Parisien, ce dernier une fois revenu en Pologne a trouvé un moyen définitif de la conserver... prisonnière! Le dernier plan montre Karol qui pleure en contemplant avec ses jumelles la femme qui l'aime, dans une cellule de prison, qui lui dit avec le langage des signes qu'elle l'aime aussi... Une fin délicate pour un film dans lequel Kieslowski retrouve sa jeunesse, avec un vrai sens de l'humour iconoclaste qu'on lui reconnait assez peu!

Ce film est peut-être, de toutes les dernières oeuvres de Kieslowski, la plus pure, ou en tout cas celle avec laquelle il réussit à aller au bout de son propos avec le plus d'aisance. Le langage, sans doute, et aussi cette atmosphère particulière des scènes Polonaises, à la fois ouatées (c'est l'hiver!) et d'un réalisme sordide, l'aident dans sa démarche. Et puis tous les acteurs sont excellents, au service d'une tragi-comédie au ton si particulier...

Reste, pour les maniaques, une interrogation: comment Karol Karol, supposé mort mais bien vivant, et Dominique Vidal, son épouse accusée de son meurtre, vont-ils se sortir de cette situation et se rendre capables de prendre le fameux ferry dans la Manche, dont ils échapperont au naufrage dans le film Trois couleurs: Rouge? Nous ne le saurons bien sûr jamais...

 

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 12:27

En 1994, au moment de sortir le dernier film de sa trilogie Européenne, Kieslowski est sans doute épuisé: il vient, depuis 1987, de sortir pas moins de 14 films, dont cinq sous le format de long métrage, et a été le centre de l'attention cinématographique, en France mais aussi à l'étranger. Les festivals se le sont arraché, il est consacré grâce au Décalogue, à La double vie de Véronique, vu et apprécié un peu partout, et presque muséifié grâce à une triplette extravagante de longs métrages... Mais il y a des ombres au tableau. Comme Pedro Almodovar ces derniers temps, Kieslowski ne recueille pas à Cannes la symbolique mais convoitée Palme d'or pour Rouge. Trop attendue? Peu importe. En tout cas, il annonce un peu partout qu'il ne fera plus de cinéma, et de fait tiendra parole puisqu'il décédera deux ans plus tard; trop tôt, cela va sans dire... Aujourd'hui, la trilogie est sans doute son oeuvre la plus "grand public", la plus connue, et la plus diffusée. Et les trois films ultimes de ce créateur obsédé par les séries (Le hasard et ses multiples possibilités, le Décalogue et ses dix films, ou encore la Double vie de Weronika et Véronique...) sont aussi bien visible comme des films indépendants les uns des autres que comme trois parties d'un tout.

A l'origine, Krzysztof Piesewicz son co-scénariste et Kieslowski ont basé leur idée initiale sur une erreur naïve: ils attribuent aux couleurs du drapeau Français des associations avec les trois concepts de liberté, égalité et fraternité, et se lancent donc dans trois scénarios basés sur ces concepts. Le producteur Marin Karmitz les a éclairés sur cette erreur, mais les a aussi laissé faire. Si chacun des films peut donc être visible en toute indépendance, ils ont été tournés sur quinze mois en une seule traite, par ordre d'arrivée. Ils ont aussi un grand nombre de points communs, tant conceptuels que structurels: un début sous forme de mouvement, une fin qui tourne autour d'un motif, un des personnages qui pleure, face à une vitre ou un obstacle, à l'issue d'un changement drastique, ou d'une épiphanie; trois héroïnes, aussi: Juliette Binoche, Julie Delpy et Irène Jacob, la muse de La double vie de Véronique. Et sinon, Zbigniew Preisner revient à la composition, comme toujours depuis Sans fin en 1985... Mais les trois films auront aussi des spécificités: Slawomir Idziak est le directeur de la photo de Bleu, Edward Klosinski celui de Blanc et enfin Piotr Sobocinski celui de Rouge: Kieslowski renoue ainsi avec la tradition du Décalogue dont neuf directeurs de la photographies assurent les images... Compte tenu des délais, deux monteurs assureront le travail: Jacques Witta pour Bleu et Rouge, et Ursula Lesziak pour Blanc. Pour ce dernier film, tourné en majorité en Polonais, il importait sans doute à Kieslowski de s'assurer la collaboration d'un monteur qui connaisse la langue... et donc, dernier point de divergence entre les films, Bleu a été tourné en France, notamment à Paris, Blanc a Paris et en Pologne, surtout à Varsovie, et Rouge à Genève pour la plus grande partie...

Bleu commence par une séquence durant laquelle on voit une voiture, sur une autoroute... Puis sur une route de Campagne ou elle a un accident. On apprend ensuite que des trois occupants, deux sont morts: Patrice de Courcy, compositeur, et sa fille. La veuve, Julie, va donc décider après une tentative pathétique de suicide, de tirer un trait sur tout: la musique de son mari, dont une oeuvre importante était en cours d'achèvement, la maison, les souvenirs... Elle va faire l'expérience d'une vie de liberté totale, sans attache, sans famille, et va surtout constater à quel point cette liberté à l'écart de toute attache affective est contraire à l'être humain. Le film se veut son parcours, et le personnage principal ayant tendance à étouffer ses émotions, il est le plus froid des trois...

Les efforts de Juliette Binoche pour se détacher de tout et de tous seront difficiles, puisqu'elle devient copine avec une prostituée pétillante (Charlotte Véry) qui fait elle aussi l'expérience amère d'une certaine liberté, qu'elle se lie avec Olivier (Benoît Régent), un ancien collaborateur de son mari, qu'elle visite sa mère (Emmanuelle Riva), victime d'un Alzheimer manifeste, ironique quand on pense au désir de Julie d'oublier; enfin, elle va rencontrer une femme (Florence Pernel) qui a partagé l'intimité de son mari, et qui attend un enfant de lui.

Personnage du drame, la musique de Preisner prend énormément de place, et ce n'est peut-être pas son chef d'oeuvre. Mais le film est fascinant par le jeu des sens, de la subjectivité qu'il déploie. Et il est sans doute l'oeuvre la plus virtuose de son auteur, avec ces moments ou, tout benoîtement, le réalisateur semble "débrancher" son héroïne, qui se laisse envahir par le souvenir, ce qui est suivi d'un fondu au noir, accompagné par de la musique. Bleu marque aussi par l'utilisation de cette couleur, réservée le plus souvent aux objets qui forgent un lien avec le passé, notamment les objets liés à la fille de Juliette Binoche (Un lustre, une sucette trouvée dans un sac). Le film se conclut sur un plan de l'actrice, seule face à une vitre et envahie par l'émotion, elle a enfin réussi à faire son deuil de la mort de ses proches, mais aussi de son expérience hasardeuse de la liberté...

 

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
2 octobre 2015 5 02 /10 /octobre /2015 15:33

Il y avait un malentendu autour de Krzysztof Kieslowski, que ce film peut peut-être nous aider à écarter... ou à défaut alimenter: lors de sa découverte par l'intelligentsia Européenne, le cinéaste Polonais a tout de suite représenté un étendard pour plusieurs écoles, et il était de bon ton de lui attribuer toutes les vertus, tous les messages, mais surtout de faire de lui un compagnon de route des opposants Polonais du temps du communisme, notamment de Solidarnosc, tout en étant un porte-parole des Catholiques Polonais. Entre 1977 et 1988, il a en effet beaucoup fait tourner ses films autour de la période trouble de la fin des années 70 et du début des années 80, de l'arrivée de l'état d'urgence et de la montée en puissance de Jaruzelski qui allait précipiter la répression, mais aussi affaiblir considérablement l'image du Parti aux yeux du monde entier. Et Le Hasard, critiqué par le Parti et censuré de toute part, pouvait presque passer pour un pamphlet politique... Ajoutons à cela le Décalogue de 1988, ces dix films qui tournent autour des dix Commandements, et l'image d'Epinal d'un résistant catholique (Il ne croyait pourtant pas en Dieu, de son propre aveu) était née, avec la possibilité pour la presse Franco-française de se saisir enfin d'un cinéaste à sa mesure, avec les articles complètement bidons qui vont avec... Je ne cite pas de magazines, vous les reconnaîtrez.

Or, d'une part pour bien comprendre le metteur en scène, il s'agit de rappeler deux choses: premièrement, Kieslowski aime les séries, en particulier s'il peut s'adonner à ce petit jeu d'accumuler les résonances et contradictions internes, c'est son péché mignon pour parler de l'humain. Le Décalogue, avec son arrière fond vaguement religieux, est la preuve que l'artiste souhaitait surtout parler... de la Pologne, pas vraiment de Dieu. Et sinon, Kieslowski est à la base un documentariste objectif, qui n'avait de cesse à ses débuts que de peindre l'univers tel qu'il était sous ses yeux. C'est exactement ça, Le hasard: une série de trois possibilités pour un être humain suivant les circonstances de son entrée en gare: il attrape son train, il le rate ou il prend la décision de ne pas lui courir après, et la suite sera différente à chaque fois. Le cinéaste nous montre donc les trois destins possibles d'un homme. Engagé dans le Parti, résistant ou simplement entre les deux, Witek aura, de toute façon, des ennuis... Mais Kieslowski se refuse à juger, il nous laisse à notre propre interprétation, dans un jeu stimulant avec le spectateur qui va ramasser les liens entre les trois histoires d'une même personne amenée à choisir trois voies si radicalement opposées. Il en ressort le portrait d'une humanité malade de ses propres contradictions, et si le film a été censuré, c'est surtout pour le portrait édifiant que le metteur en scène fait de la violence policière, ainsi que par la représentation d'une société corrompue dans laquelle chacun triche, composant avec un pouvoir auquel personne ne croit.

Le film est passionnant, mais si noir: on le voir lors d'un final glaçant, lorsque la dernière histoire, celle qui est la plus positive finalement, se termine sur une note d'espoir qui... Mais voyez plutôt le film, qui fera des petits: les dix films du Décalogue (1988), les deux héroïnes de La Double vie de Véronique (1991), et bien sûr les trois films de la trilogie tricolore Bleu (1993), Blanc (1993) et Rouge (1994).

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
25 août 2012 6 25 /08 /août /2012 16:50

En 1994, au moment de sortir le dernier film de sa trilogie Européenne, Kieslowski est sans doute épuisé: il vient, depuis 1987, de sortir pas moins de 14 films, dont cinq sous le format de long métrage, et a été le centre de l'attention cinématographique, en France mais aussi à l'étranger. Les festivals se le sont arraché, il est consacré grâce au Décalogue, à La double vie de Véronique vu et apprécié un peu partout, et presque muséifié grâce à une triplette extravagante... Mais il y a des ombres au tableau. Comme Pedro Almodovar ces derniers temps, Kieslowski ne recueille pas à Cannes la symbolique mais convoitée Palme d'or pour Rouge. Trop attendue? Peu importe. En tout cas, il annonce un peu partout qu'il ne fera plus de cinéma, et de fait tiendra parole puisqu'il décédera deux ans plus tard; trop tôt, cela va sans dire... Aujourd'hui, la trilogie est sans doute son oeuvre la plus "grand public", la plus connue, et la plus diffusée. Et les trois films ultimes de ce créateur obsédé par les séries (Le hasard et ses multiples possibilités, le Décalogue et ses dix films, ou encore la Double vie de Weronika et Véronique...) sont aussi bien visible comme des films indépendants les uns des autres que comme trois parties d'un tout.

A l'origine, Krzysztof Piesewicz son co-scénariste et Kieslowski ont basé leur idée initiale sur une erreur naïve: ils attribuent aux couleurs du drapeau Français des associations avec les trois concepts de liberté, égalité et fraternité, et se lancent donc dans trois scénarios basés sur ces concepts. Le producteur Marin Karmitz les a éclairés sur cette erreur, mais les a aussi laissé faire. Si chacun des films peut donc être visible en toute indépendance, ils ont été tournés sur quinze mois en une seule traite, par ordre d'arrivée. Ils ont aussi un grand nombre de points communs, tant conceptuels que structurels: un début sous forme de mouvement, une fin qui tourne autour d'un motif, un des personnages qui pleure, face à une vitre ou un obstacle, à l'issue d'un changement drastique, ou d'une épiphanie; trois héroïnes, aussi: Juliette Binoche, Julie Delpy et Irène Jacob, la muse de La double vie de Véronique. Et sinon, Zbigniew Preisner revient à la composition, comme toujours depuis Sans fin en 1985... Mais les trois films auront aussi des spécificités: Slawomir Idziak est le directeur de la photo de Bleu, Edward Klosinski celui de Blanc et enfin Piotr Sobocinski celui de Rouge: Kieslowski renoue ainsi avec la tradition du Décalogue dont neuf directeurs de la photographies assurent les images... Compte tenu des délais, deux monteurs assureront le travail: Jacques Witta pour Bleu et Rouge, et Ursula Lesziak pour Blanc. Pour ce dernier film, tourné en majorité en Polonais, il importait sans doute à Kieslowski de s'assurer la collaboration d'un monteur qui connaisse la langue... et donc, dernier point de divergence entre les films, Bleu a été tourné en France, notamment à Paris, Blanc a Paris et en Pologne, surtout à Varsovie, et Rouge à Genève pour la plus grande partie...

Bleu commence par une séquence durant laquelle on voit une voiture, sur une autoroute... Puis sur une route de Campagne ou elle a un accident. On apprend ensuite que des trois occupants, deux sont morts: Patrice de Courcy, compositeur, et sa fille. La veuve, Julie, va donc décider après une tentatvive pathétique de suicide, de tirer un trait sur tout: la musique de son mari, dont une oeuvre importante était en cours d'achèvement, la maison, les souvenirs... Elle va faire l'expérience d'une vie de liberté totale, sans attache, sans famille, et va surtout constater à quel point cette liberté à l'écart de toute attache affective est contraire à l'être humain. Le film se veut son parcours, et le personnage principal ayant tendance à étouffer ses émotions, il est le plus froid des trois...

Les efforts de Juliette Binoche pour se détacher de tout et de tous seront difficiles, puisqu'elle devient copine avec une prostituée pétillante (Charlotte Véry) qui fait elle aussi l'expérience amère d'une certaine liberté, qu'elle se lie avec Olivier (Benoît Régent), un ancien collaborateur de son mari, qu'elle visite sa mère (Emmanuelle Riva), victime d'un Alzheimer manifeste, ironique quand on pense au désir de Julie d'oublier; enfin, elle va rencontrer une femme (Florence Pernel) qui a partagé l'intimité de son mari, et qui attend un enfant de lui.

Personnage du drame, la musique de Preisner prend énormément de place, et ce n'est peut-être pas son chef d'oeuvre. Mais le film est fascinant par le jeu des sens, de la subjectivité qu'il déploie. Et il est sans doute le film le plus virtuose de son auteur, avec ces moments ou, tout benoîtement, le réalisateur semble "débrancher" son héroïne, qui se laisse envahir par le souvenir, ce qui est suivi d'un fondu au noir, accompagné par de la musique. Bleu marque aussi par l'utilisation de cette couleur, réservée le plus souvent aux objets qui forgent un lien avec le passé, notamment les objets liés à la fille de Juieltte Binoche (Un lustre, une sucette trouvée dans un sac). Le film se conclut sur un plan de l'actrice, seule face à une vitre et envahie par l'émotion, elle a enfin réussi à faire son deuil de la mort de ses proches, mais aussi de son expérience hasardeuse de la liberté...

Le deuxième film commence par une énigmatique vision, celle d'une grosse valise véhiculée sur un tapis roulant dans un aéroport... Blanc partage une scène avec Bleu, dans un tribunal au début du film; dans le premier film, Julie cherche une personne au tribunal, ouvre une porte et interrompt brièvement une audience: on aperçoit donc Juliette Binoche dans Blanc, qui interrompt l'audience du jugement de divorce de Karol Karol (Zbigniew Zamachowski) et Dominique (Julie Delpy)... Blanc aborde le thème de l'égalité sous l'angle... de l'inégalité! Karol est venu à Paris, mais tout autour de lui se casse: son épouse divorce parce qu'il n'est plus capable de la satisfaire sexuellement, elle garde tout, il perd son salon dans des circonstances peu glorieuses, et par dessus le marché, il ne comprend rien à rien... il retourne en Pologne, ou la malchance continue prièvement, avant que les rôles ne se renversent. Puisqu'il ne peut conquérir son épouse par l'amour, il choisit de la faire venir d'une autre manière, et va prendre effectivement le dessus sur elle.

Le film est une comédie, comme l'était du reste Décalogue X, la précédente collabroration de Kieslowski avec Zamachowski; ce dernier s'appelle Karol Karol, ce qui revient selon Kieslowski à l'appeler doublement comme Charles... Chaplin. La photo du film est baignée de blanc, mais ce film central du dispositif est aussi marqué par un nombre incroyable d'objets bleus et rouges... les bleus revoient le plus souvent au passé (Paris et l'échec du mariage), les rouges à l'avenir: lors de sa rencontre dans le métro Parisien avec Mikolaj, l'ami qui va lui permettre de retourner à Varsovie, ce dernier porte une écharpe rouge; à Varsovie, quand ils se retrouvent, Mikolaj a brièvement une écharpe bleue, qui redevient rouge lorsque les circonstances s'améliorent; la maison du frère de Karol (Jerzy Stuhr, vieux complice depuis L'amateur en 1979, et qui jouait déja avec Zamachowski dans Décalogue X) est envahie d'objets rouges aussi: le drap dans lequel Karol se remet de ses émotions, l'évier... Le film est au centre de la trilogie, et Kieslowski nous le rappelle constamment.

La deuxième citation de Bleu est un gag, qui donne le ton satirique du film: lors d'une scène d'amour, Dominique a (Enfin!!) un orgasme. Fondu au blanc, comme lors des épiphanies de Julie, et l'écho du gémissement tient lieu de musique. Sinon, tout comme l'expérience douloureuse de la liberté dans Bleu, ce nouveau film tend à démontrer que Karol et Dominique sont condamnés à l'absence d'égalité: si Dominique méprise le Karol Parisien, ce dernier une fois revenu en Pologne a trouvé un moyen définitif de la conserver... prisonnière! Le dernier plan montre Karol qui pleure en contemplant avec ses jumelles la femme qui l'aime, dans une cellule de prison, qui lui dit avec le langage des signes qu'elle l'aime aussi... Une fin délicate pour un film dans lequel Kieslowski retrouve sa jeunesse, avec un vrai sens de l'humour iconoclaste qu'on lui reconnait assez peu!

Rouge commence comme les deux précédents par un mouvement, celui des ondes qui voyagent d'un téléphone à l'autre, depuis l'Angleterre jusqu'à Genève. On les suit, et le téléphone va jouer un rôle considérable dans cette histoire qui tourne autour de la fraternité, mais aussi des liens entre les êtres... Les deux personnages en sont Valentine, une jeune modèle (Irène Jacob) fiancée à une homme qui vit de l'autre coté de la Manche, et qui renontre un jour un vieux juge (Jean-Louis Trintignant) retraité et misanthrope, qui passe le plus clair de son temps à écouter les conversations téléphoniques de ses voisins. Une intrigue apparemment secondaire nous intéresse à Auguste, un jeune juge (Jean-Pierre Lorit) qui a une relation avec une jeune femme de deux ans son ainée (Frédérique Feder), mais elle le trompe... Valentine et Auguste, que la caméra rapproche aussi souvent que possible dans de virtuoses plans-séquences, sont faits l'un pour l'autre, et le destin, sous la forme d'un vieux juge qui a un faible pour Valentine, va précipiter les choses...

Kieslowski était très fier de ce dernier film, qui aborde une foule de sujets, et revient en les raffinant sur un certain nombre de traits déja vus dans les deux films précédents mais aussi dans La double vie de Véronique: ainsi Auguste et le vieux juge sont ils présentés par l'auteur comme un seul et même homme: même relation amoureuse compliquée, suivie de fuite en Angleterre, même circonstances aussi durant lesquelles ils ont obtenu de devenir juges... et logiquement, Valentine sera un point commun entre eux elle aussi. Sinon, après tant d'années et de films à montrer des personnages (Weronika, Julie, puis Karol) assister sans pouvoir -ou vouloir- l'aider au spectacle d'une vieille dame qui essaie de placer une bouteille dans un container destiné au recyclage du verre, Valentine va l'aider, et triompher de la difficulté. Le thème de la fraternité est abordé de multiples façons: obsédée par le problème du mal-être de son frère qui l'a conduit à l'héroïne, Valentine est aussi celle qui va tenter de contrer le cynisme du vieux juge en essayant de le persuader qu'il a tort d'espionner ses voisins, et d'ailleurs elle va au moins réussir à le faire revenir à la vie...

Rouge aborde de fait non seulement le thème de la fraternité à travers les mésaventures d'un certain nombre dêtres humains, mais il est aussi l'histoire d'un vieil homme qui assiste à d'autres vies, sans les juger, en ayant le sentiment de ne pas avoir vécu comme il le voulait. C'est à Trintignant que revient le final, avec ce plan du vieux juge souriant face à une de ses fenêtres brisées par ses voisins, une larme sur la joue, après qu'il ait vu l'une des images les plus belles, mais aussi les plus énigmatiques du cinéma de Kieslowski...

Unique point commun visible entre Rouge et les deux autres films, l'épilogue durant lequel un ferry coule, avec à son bord les héros de chacun des films, ainsi réunis pour un sauvetage télévisé: sont enfin réunis, Julie et son collaborateur et amant Olivier, Karol et Dominique, et bien sur Valentine et Auguste...

 

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Published by François Massarelli - dans Krzysztof Kieslowski Criterion
16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 10:01

L'un de mes films préférés. Un jour, lisant un article prouvant que les rats ont une sorte de télépathie atavique, qui permet à un rat Européen de savoir instinctivement quel danger est représenté par un poison développé aux Etats-Unis, et s'en préserver, Kieslowski développe le scénario le plus délirant du monde: deux jeunes femmes sont nées en même temps, à des kilomètres de distance, et sont le double parfait l'une de l'autre. Sauf que l'une est Polonaise, et l'autre Française, que l'une va vivre, grâce à l'expérience de l'autre, et l'autre mourir dans une scène transgressive qui mêle de façon provocante mort et sexe, funérailles et rapports intimes, jouissance et tristesse. Interrogé au sujet de cette étonnante idée de leurrer le public en tuant une héroïne dès la première demi-heure, Kieslowski répondait par une pirouette qu'il avait fait son Psychose, voilà tout...

Le mystère reste entier, dans ce film, on ne vous expliquera rien, mais chaque vision révèle un peu plus de beautés, et cette étude à fleur de peau de l'âme féminine se transforme un peu plus en une chronique des rapports humains. Pourquoi est-on avec les autres, quelles chances a-t-on de leur apporter quelque chose, quel but poursuivent les autres dans leur rapport à nous-même, et pourquoi aime-t-on? Voilà quelques-unes des questions qui sont abordées visuellement dans ce film, emporté par une Irène Jacob qui joue le rôle de sa vie. Encore aujourd'hui, dans la rue, les gens l'appellent Véronique... Ou Weronika. 

On sait que Kieslowski, ouvert à toutes les propositions des acteurs durant les tournages, habitué à fonctionner en collaboration avec tous les techniciens, mais sûr de ce qu'il voulait obtenir, finissait toujours par bloquer au montage, un ensemble de décisions difficiles pour lui. Ce film aujourd'hui fermé par le fait d'être sorti, d'avoir été vu, et d'être désormais propriété intime de tous ceux qui l'ont aimé, a posé tellement de problèmes qu'il a failli le sortir sous plusieurs formes, dans dix-sept montages différents. Des pans entiers, des histoires parallèles, des scènes qui vont dans un sens puis dans l'autre... On l'a échappé belle, mais c'est aussi la définition de son cinéma depuis l'étrange film Le hasard (1984): chaque scène, comme chaque être, renferme son lot de possibilités, sa part d'hypothèses. Véronique et Weronika en sont donc deux.

Le film est beau, non seulement esthétiquement (Avec une responsabilité très forte du chef-opérateur Slawomir Idziak dont l'utilisation de filtres dorés dans certaines scènes leur confère un aspect inoubliable), mais aussi par sa mise en scène à la fois totalement maîtrisée, et ouverte: un jeu sur l'oeil, le regard, d'une grande cohérence, et bien sûr le refus d'imposer quoi que ce soit. Une transition parfaite pour le passage du metteur en scène de la Pologne vers l'Europe, mais aussi le début d'une nouvelle ère d'internationalisation du cinéma...

 

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