(textes déja publiés en novembre et décembre 2009 sur l'extraordinaire forum de DVDClassik)
Babes in Toyland/March of the wooden soldiers
(Goodtimes DVD) Novembre 1934. Réal: Charles Rogers & Gus Meins ; 79 minutes.
Après la comédie burlesque, l’opéra comique (The devil’s brother), la comédie
sentimentale (Pack up your troubles), voici un nouveau genre exploré par Roach, Laurel & Hardy : le film catastrophe.
J’ai déjà fait part ici de mes réserves devant The devil’s brother, mais devant ce
nouvau film musical à grosse production, force est de constater que décidément, ce « fra Diavolo » n’est qu’un film médiocre de Laurel et Hardy, ce qui n’est déjà pas si mal. Babes in Toyland est peut-être l’un des plus appréciés
(Aux USA) de tous leurs films, mais en ce qui me concerne je trouve cela incompréhensible : c’est d’un ennui mortel, d’un mauvais goût permanent, et Laurel et
Hardy sont sous-employés, et aucun des grands seconds rôles mythiques ne les accompagne ici, même si cela a un temps été prévu. Le merveilleux a toujours été une
alchimie complexe au cinéma, et la frontière entre mièvrerie et indigence d’une part, et fantastique de l’autre, est la ligne à ne pas franchir. Les décors et costumes de ce film (Situé
rappelons-le au pays des jouets) sont laids, les acteurs jouent mal ou pire (Le pompon étant l’acteur Henry Brandon qui joue ici le méchant de service), et ce n’est pas drôle.

Le film est co-signé par Charles Rogers, donc Stan Laurel, et Gus Meins. Rogers avait en charge
les scènes de comédie, et Meins, par ailleurs réalisateur des Our Gang durant les années 30, le reste. Tous les acteurs ont salué le travail de cet artisan, qui ne s’énervait jamais, restait
poli, et faisait très gentiment son travail, mais quel ennui…
L’histoire de la production de ce qui devait être le fleuron de la production des studios Hal roach a été émaillée d’incidents,
d’acteurs qui quitte le plateau en actrice malade, de Roach qui écrit le scénario en Laurel qui le fait ré-écrire, et au final, le produit obtenu ne satisfaisait
pas le producteur. A tel point que Roach, lorsqu’il a fallu renouveler le copyright des films Roach de Laurel et Hardy, n’a pas levé
le petit doigt, laissant le film tomber dans le domaine public… A ce sujet, il existe trois versions de ce film : une, sous le titre de Babes in Toyland,
totalisant 79 minutes, et probablement projetée à la preview. La deuxième, ressortie quelques années après sous le titre de March of the wooden soldiers,
et ne durant que 69 minutes. Celle que j’ai vue provient d’un DVD Américain qui restitue le montage original, mais sous le deuxième titre, et constitue une troisième version. Elle est colorisée,
mais j’ai pu la voir en noir et blanc, et j’en frémis encore.
The live ghost (VOLUME 16) Décembre 1934. Réal: Charles Rogers. 2 bobines.
Bonne idée, revenons à du court métrage basique, avec un scénario simple, un méchant grandiose joué par Walter Long, une ou deux
apparitions des acteurs maisons, les Leo willis, Charlie hall et Mae Busch, ajoutons à cela un décor parfait : un vieux port dans la brume, un bateau, et la cerise sur le gâteau : Arthur Housman,
saoul comme d’habitude. Et on obtient quelque chose qui tient la route… Laurel et Hardy sont employés par le loup de mer Walter Long,
qui ne parvient pas à embaucher des marins sur son bateau, qui a la réputation d’être hanté : cela l’énerve tellement de l’entendre qu’il fait le serment de tordre littéralement le cou de ceux
qui prononceront le mot « Ghost » en sa présence, de telle sorte que « lorsqu’ils se dirigeront vers le Nord, il regarderont vers le sud… ». depuis Going
bye-bye, on sait ce que vaut ce gere d'avertissement de la part de walter Long... les deux hommes mettent au point un stratagème afin de forcer la main des clients d’une taverne de marins, mais
vont bien sur se retrouver engagés de force à leur tour. A noter ici, une confrontation à coup d’œufs crus entre Hardy et Hall, et le numéro habituel d’Arthur
Housman, dont Laurel assurait qu’il jouait effectivement l’homme ivre : il exagérait en fait son état normal, puisqu’il était en état constant d’ébriété.

Tit for tat (VOLUME 2 ) Janvier 1935.
Réal: Charles Rogers. 2 bobines.
Voici donc la glorieuse suite de Them that hills, encore meilleure : Laurel et Hardy ouvrent un magasin
d’électricité, situé par hasard à coté de l’épicerie tenue par Charlie Hall et Mae Busch. Si cette dernière se réjouit de retrouver les deux compères, ce n’est pas le cas de son mari, qui leur
fait comprendre qu’il ne tolérera rien de leur part. Très vite, la confrontation va dégénérer en une bataille de « tit for tat » (L’expression est
utilisée explicitement par Hardy), de l’épicerie au magasin d’électricité, et les basses vengeances et mauvaises action vont pleuvoir, de coups bas en coups bas,
pour notre plus grand bonheur : jet de crème, barbouillage au saindoux, montres passées au mixeur… Rien n’est trop beau pour ce chef-d’œuvre. Tout au long de la bataille, un « client » de
Laurel et Hardy profite de la confusion pour se servir. Il vient vite avec une brouette, et termine par se servir avec un camion de
déménagement.
The fixer-uppers (VOLUME 10) Février 1935. Réal: Charles Rogers. 2 bobines.

Un moindre film enfin, leur avant-dernier court. Au moment de sa conception, le couperet est tombé : une fois le « deux-bobines » suivant achevé, aucun court
métrage de Laurel et hardy n’est prévu. Une page se tourne… Pour l’instant,
ce film est un remake du lointain Slipping Wives de 1927, dans lequel Priscilla Dean ravivait la flamme de son mariage en provoquant la jalousie de son mari avec Stan
Laurel. Ici, c’est Hardy qui est mobilisé par Mae Busch , malgré une scène surréaliste durant laquelle l’actrice se lance dans une
démonstration sur Laurel du type de baiser qu’elle envisage d’effectuer afin de provoquer son mari. Après une étreinte d’une minute, Stan s’évanouit… Le mari est
joué par Charles Middleton, toujours aussi cabotin, et un voisin saoul qui promène son regard embué est interprété par l’inévitable Arthur Housman. Il n’y a pas de quoi faire la fine bouche… on
remarquera aussi un rare rôle parlant du grand Noah Young en barman, devenu bien rare depuis 1928. Mais il ne fait hélas que passer…
1935 est une année noire pour Laurel et Hardy. Quatre films
seulement sont sortis cette année, mais ce n’est pas le plus grave. Aucun n’est un chef d’œuvre, mais ce n’est toujours pas ça le problème ; non : Thicker than
water est le dernier court métrage de Laurel et Hardy. La forme toujours privilégiée durant les années 20 par Hal Roach, les
deux bobines si amoureusement construites par Laurel, ses scénaristes, gagmen, et ce format si propice à l’éclosion poétique d’un univers délicat fait de gags
idiots et de bourre-pifs, tout ça c’est fini.
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Bonnie Scotland (TCM ARCHIVES) Aout 1935 Réal: James W. Horne. 80 minutes
Tout comme Sons of the desert a succédé à The devil’s brother en 1933, Bonnie
Scotland poursuit l’alternance entre films musicaux et comédies plus traditionnelles. C’est dire si je suis beaucoup plus disposé à être indulgent avec ce film, par ailleurs l’un des deux
seuls de la période Roach dont les droits ont été conservés par MGM, puis Turner, l’autre étant justement The devil’s brother. Indulgent, oui, mais pas
aveugle :ce film est manifestement plein de trous, et je ne pense pas que les pièces manquantes du puzzle soient des scènes impliquant Laurel et Hardy. Après avoir exposé les deux comédiens aux risques de la guimauve, du mauvais goût et diverses autres exactions malencontreuses dans divers longs métrages plus ou moins
dispensables, Roach était prêt, en 1935, à en faire des seconds rôles. Cette hypothèse n’en est pas une : l’acteur William Jeanney (Alan Douglas, dans le film) a révélé à Randy Skretvedt que le
premier montage mettait l’accent sur l’intrigue amoureuse parallèle entre lui et June Lang, au détriment des gags et apparitions de Laurel et Hardy : la preuve que pour Roach, après avoir fait de ses deux principaux acteurs des faire-valoirs de films musicaux, il était semble-t-il impossible de construire un film
autour d’une intrigue dominée par Laurel et Hardy. Et Pardon us? Et Sons of the desert? Et Beau Hunks? I est ironique de constater que ce que Roach reprochaità la MGM au temps de The rogue song, on doive désormais le reprocher à Roach lui-même. De plus, les rapports entre le producteur et Laurel sont désormais
totalement hostiles, et chaque film devient un prétexte à empoignades.
L’intrigue, donc, concerne un héritage dans la famille McLaurel : Lorna McLaurel, jouée par June Lang, est l’héritière principale de la fortune du vieux Angus McLaurel, et le sœur de son tuteur
va tout faire pour que ledit tuteur, le général Gregor McGregor, l’épouse, malgré le jeune amour tout frais tout rose entre la jeune femme et le gentil Alan Douglas. De leurs cotés, Oliver
Norvell Hardy et Sandy « Stan » McLaurel ont débarqué des USA (ils y étaient en prison) afin de toucher « leur » part d’héritage : en fait, une cornemuse et une
boite de tabac à priser. Privés de ressources, ils s’engagent malgré eux dans l’armée, et participent à une campagne en Inde, aux cotés de Alan Douglas, qui s’est engagé lui afin de recontacter
Lorna qui est en Inde elle aussi. Les scènes en Ecosse sont un mélange inacceptable d’accents, de l’avoué qui parle avec un accent façon Ecossais, les tourtereaux qui parlent un Américain léger
(Lang : je voudrais tant rester en Ecosse, ou j’ai passé toute ma vie ! Sic !). Heureusement, dans tout ce fatras, on a un James Finlayson qui lui, est un
authentique Ecossais.
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L’interaction entre Laurel, Hardy et l’intrigue est limitée à la scène de l’héritage, et quelques dialogues entre Alan et les deux
compères. Tout porte à croire que le film actuel a été remonté afin d’intégrer un peu plus Laurel et Hardy dans l’histoire. Mais
celle-ci est incomplète, parfois illogique ou boiteuse, et en réalité, ce n’est pas grave : elle est nullissime, et qui plus est prise au premier degré. Ce qui compte, ce sont bien sur les
quelques 50 minutes dévolues, ou concédées à Laurel et Hardy : leur première apparition est d’ailleurs une digression, très jolie :
on quitte le bureau de l’avoué, chez lequel la lecture du testament vient de s’achever, et on se retrouve sans aucune explication chez un maréchal-ferrant : celui-ci entonne, an tapant
adroitement le marteau sur l’enclume, la « cuckoo song », le fameux thème de Laurel et Hardy
: au fonds de l’atelier, une porte ouverte sur la roue noues révèle soudain deux silhouettes familières. Sinon, les eux hommes vont cuire un poisson à la bougie sur un sommier, découvrir ce
qu’est un mirage grâce à un accordéon invisible, se frotter à plusieurs reprises au sergent Finlayson, généreusement représenté dans le métrage : une scène montre les deus garçons, de corvée de
ramassage d’ordures, se mettre à danser (Avec grâce, bien sur ) au son d’un orchestre qui répète un air traditionnel Ecossais, sous l’œil de plus en plus furibard de Fin, qui explosera une fois
de plus en un feu d’artifice d’agressivité, le tout sans qu’aucun mot ne soit échangé. Laurel a également un gag « physique » bizarre : il souffle dans son pouce,
ce qui fait bouger son casque (Facile à faire chez soi), et sinon, il réussit à montrer son pouvoir de contagion : incapable de marcher au pas, il impose à tout un régiment son propre rythme ! On
a de quoi faire, donc, ce qui console, et ce qui rend la vision du film souvent agréable. La fin est un aveu très gênant de la part de Horne et Roach : on abandonne l’intrigue en plein vol pour
finir sur une cascade de gas et délires en tous genres, sans prendre le temps de conclure, en ajoutant quelques réminiscences de Beau Hunks et de
With love and hisses, qui inscrivent de fait le film dans une tradition de film troupier : on l’a échappé belle…
Sinon, un regret : un figurant, bien visible dans la scène de l’accordéon, n’a rien à faire d’autre que de rester assis sans se manifester. Dans son regard fatigué, je ne sais pas s’il faut lire
de la gène ou de la gaucherie, d’être là à ne rien faire, ou tout simplement le sentiment de ne plus être taillé pour la comédie depuis qu’elle parle : c’est Noah Young, dans son dernier film aux
cotés de Laurel et Hardy, son dernier film tout court.
Thicker than water (VOLUME 3) Aout 1935 Réal: James W. Horne. 2 bobines
Dernier film tout court pour Laurel et hardy, et film mineur, Thicker than water possède un
titre générique, comme Another fine mess: il s’agit d’une allusion au langage courant, l’expression Blood is thicker than water », occasionnellement
prononcée par laurel dans ses logorhées explicatives auxquelles personne pas même lui-même ne comprend jamais rien, sauf Hardy. C’est
aussi, avec l’adjectif thick (épais), une allusion à la bêtise, supposée, des deux garçons. Ce genre de commentaire est rare chez Roach, il deviendra
légion dans les scénarios des films ultérieurs, dans lesquels on n’hésitera pas, pour faire court, à parler de deux nigauds, deux andouilles, etc. Appelons ça l’effet Abbott & Costello, et
détournons le regard : pour l’heure, saluons le dernier court métrage de Laurel et Hardy.
Daphne Pollard, déjà aperçue dans Bonnie scotland (La bonne qui fricote avec Finlayson) joue Mrs Hardy. Elle n’est pas Mae
Busch, mais elle a cette agressivité cinglante qui lui permet efficacement d’incarner l’adversité face à Laurel et Hardy. Elle
reproche à son locataire Laurel de ne pas avoir payé son loyer, mais il se défend en admettant l’avoir payé à son mari, M. Hardy.
L’indépendance des deux hommes face à l’arrogante matrone occupe une large part de la première bobine, mais la deuxième est surtout consacrée à la question de l’indépendance financière :
Laurel conseille à Hardy de passer outre l’autorité matriarcale en effectuant une opération d’argent. Ce sera un désastre. Quelques
avantages de ce film un peu poussif : un créancier égressif est joué par Finlayson, et donne lieu à une scène au cours de laquelle un échange d’argent embrouillé devient un prétexte à un dialogue
nerveux et rythmé. Sinon, deux gags bizarres, du genre auquel Stan aimait à avoir recours parcimonieusement : lorsque les deux compères quittent une scène, l’un ou l’autre se rend à droite de
l’écran, et attrape la scène suivante, afin de permettre le changement de plan. C’est non seulement inattendu, mais aussi réussi. Et de plus, c’est cinq ans avant les gags similaires de Tex Avery
à la MGM. Le final est étrange également : suite à une transfusion, les deux hommes échangent leur personnalité : voir Laurel jouer Hardy, et Hardy jouer Laurel, ça n’a pas de prix.