Chaplin, à la Keystone, va essayer toutes les facettes de ce nouveau médium qui l'enthousiasme tant, y compris un registre plus dramatique... Situé dans un décor de banque, ce film est une petite merveille, mais il faut lui rendre justice: oui,The new janitorest une grande date chez Chaplin, mais la maladresse de la mise en scène y est d'autant plus palpable que les ambitions sont importantes...
Il joue le nouveau concierge de la banque, qui essaie de s'atteler à ses tâches domestiques tout en se laissant aller à des langueurs pour une jolie secrétaire (Helen Carruthers); pendant ce temps, un drame se joue: un employé de bureau (John T. Dillon), accablé de dettes, va forcer un coffre, sous les yeux de ladite secrétaire.
On le voit, avec ce film, Chaplin est le seul vecteur de comédie, entièrement lié à son caractère, mais le reste est de la narration dramatique classique, et c'est là que le bât blesse. Le casse est filmé en un seul plan, les acteurs sur-jouent, et sont déjà anachroniques en 1914; quant à la scène remarquée par l'historien Jeffrey Vance, qui voit Chaplin jouer dangereusement avec la mort en risquant de rester suspendu dans le vide, il faut dire qu'elle reste plutôt suggérée que vraiment montrée, et elle est un tant soit peu gâchée par quelques fautes de grammaire: l'inversion de la perspective la rend un peu moins lisible. Il fera beaucoup mieux. Par contre, il joue avec adresse de son personnage un peu décalé pour créer du suspense, lorsque le concierge viré hésite à répondre aux appels (dont nous savons que ce sont des appels à l'aide) de la secrétaire...
Mais ce qui compte, c'est après tout le fait que pour Chaplin il n'y a plus lieu de tenter de rester coincé dans le carcan de la comédie lourdingue; de fait, le film n'est pas du tout comparable au reste de la production Keystone, et le metteur en scène reviendra sur le scénario pour le filmThe bank, l'année suivante, en allant plus loin dans la sophistication. A noter toutefois qu'ici, il sauve réellement la banque, et gagne le coeur de la belle... Admettons que ce n'est pas si souvent.
La "nouvelle profession" du titre, en fait, est celle de garde-malade, puisque l'intrigue de ce petit, tout petit film tourne autour de la situation suivante: un jeune couple souhaitant folâtrer se débarrasse du vieil oncle (Jess Dandy) en chaise roulante, que le jeune homme (Charles Parrott, futur Charley Chase) est censé accompagner, en le confiant à un vagabond, qui n'a de cesse de se débarrasser à son tour de sa charge pour aller boire un coup.
Pas de surprise, et retour donc à du classique, un peu lourd et vulgaire, autour d'un lieu emblématique et utilisé jusqu'à la corde dans le film: en l'occurrence, une jetée en bois.On regrette bien sur qu'il n'y ait pas plus d'interaction entre Chase et Chaplin, mais pourquoi y en aurait-il eu? L'un est un anonyme en 1914, l'autre est déjà une star.
Adaptation d'un poème de Hugh Antoine d'Arcy, ce film d'une bobine est la première intrusion de Chaplin dans la parodie. Mais quand on sait le soin que le metteur en scène mettra dansThe gold rush, qui est une authentique comédie ET un vrai film sur la ruée vers l'or, on comprend vite que ce n'est pas un terrain de prédilection pour lui. Le film, une fois de plus se démarquant au maximum de la production Keystone, est pourtant assez fascinant, par la subtilité du décalage, apporté par de simples détails, des ajouts faits au comportement par ailleurs fortement histrionique de l'acteur Chaplin, qui joue ici le drame comme s'il y croyait: En plein geste ultra-dramatique, il rote, ou s'assoit sur sa palette, et se retrouve couvert de peinture, etc... Pour le reste, le film est joué de façon directe, le metteur en scène seul se réservant le droit de dériver vers la comédie...
L'histoire: un vagabond apparaît dans un bar, et supplie les hommes présents de l'écouter: il était un peintre de renom, jusqu'au jour ou la femme de sa vie l'a quitté pour un homme qu'il avait peint. depuis, il boit pour oublier. Dans le poème, le vagabond meurt en dessinant à la craie le visage de sa bien aimée. Ici, Chaplin a réservé une fin différente, mais pas illogique, à son héros. En tout cas, quelles que soient les limites du film, il est remarquable ne serait-ce que pour la tentative de diversifier ses films.
Avec ce premier effort en deux bobines, totalisant 24 mn, Chaplin situe son personnage dans un cadre professionnel lié au spectacle, autant dire que le comédien est à la maison. On le sent beaucoup plus à l'aise qu'avec les courses poursuites à vocation extra-conjugales qui étaient de mise chez son employeur...
Si la présentation des coulisses d'un minable vaudeville ramène forcément Chaplin en arrière, au temps des planches avant la célébrité des années Karno, il convient de noter que le comédien interprète un accessoiriste, et laisse donc le cabotinage à d'autres. D'ailleurs un détail me frappe: exactement comme son personnage dans le film Mutual Behind the screen, en 1916, l'accessoiriste ici joué par Chaplin est entièrement grimé en Chaplin, à trois détails près: il a tombé la veste, ne porte pas systématiquement de chapeau, après tout on est en intérieurs, mais surtout il fume la pipe en permanence: Chaplin a senti le besoin d'établir une bonne fois pour toutes le coté sédentaire du personnage, et la pipe est un outil essentiel à cet effet.
Mais bien sûr, on est encore à la Keystone, et si le film se passe de catastrophe en catastrophe, toutes liées plus ou moins au fait que les comédiens et le théâtre qui les emploie sont minables, ce qu'on retiendra en particulier c'est l'extrême agressivité, de tout le monde en général, et de Chaplin en particulier: voilà le trait de caractère qu'il lui faudra éliminer une fois qu'il aura quitté l'usine à gags, celle ou on envoie des briques et des tartes à la crème plus vite que son ombre. Pour l'instant son personnage est campé, qu'il soit vagabond ou pas importe peu, mais il lui manque un soupçon d'humanité qu'il saura lui conférer bientôt.
Chaplin, en plein raffinage de son personnage, interprète un locataire d'une petite pension de famille, tenue par Minta Durfee. Celle-ci n'est pas spécialement tendre, sauf avec un de ses locataires: devinez lequel... Le fils de la dame va donc observer la maison, où tout le monde flirte avec tout le monde, et innocemment prendre des photos de toutes les situations scabreuses possibles et imaginables, pour la séance de lanterne magique de la veillée...
Il n'est pas difficile de deviner que la film se clôt sur une poursuite... A cette époque, Chaplin insiste pour réaliser ses films, ne se sentant pas à l'aise dans les courts métrages des autres. Il a raison: ce sujet ne lui convient qu'à moitié, même s'il rejouera 33 ans plus tard les verts galants dansM. Verdoux... En cause, le fait que le comédien ne soit qu'un des protagonistes de l'action, et qu'il doive s'intégrer à un ensemble dont l'homogénéité est loin d'être le point fort, sous la direction purement fonctionnelle de George Nichols.
Un bourgeois (Chaplin) veut se suicider en buvant du poison, car sa petite amie (Minta Durfee) lui interdit de venir chez elle, suite à un quiproquo: elle l'a surpris avec la bonne, et a pris une conversation innocente pour une tentative de séduction. Mais le poison est-il vraiment du poison?
...Non, c'est de l'eau. Chaplin est ici bien différent de son personnage de plus en plus fréquent, avec son costume de plus en plus reconnaissable. Sa moustache est effilée sur les côtés, il porte monocle, une redingote claire et un haut de forme, plus des guêtres, ce qui immédiatement l'identifie aux yeux du spectateur moyen de 1914 comme un homme de la bonne société.
Le film est un mélodrame jovialement crétin, particulièrement exagéré, qui me semble par bien des côtés comme une réponse parodique narquoise de la Keystone à la biograph. D'ailleurs, Chaplin ferait un Henry B. Walthall tout à fait acceptable, notamment dans la scène du poison, où l'acteur qui s'imagine mourir, se voit déjà en enfer... L'année précédente, Walthall avait joué le tourment d'un personnage de Poe dans The avenging conscience.
Voilà un film qui tranche non seulement sur les autres productions Keystone, mais plus encore sur l'ensemble de la carrière de Chaplin: c'est le seul de ses muets dans lesquels le comédien apparaît, du début à la fin, ou presque, au naturel: maquillé, certes, habillé bien sûr, mais surtout sans moustache. Et il n'est pas le seul du reste: Ford Sterling et Roscoe Arbuckle ont droit aussi d'abandonner les costumes ou postiches. Et ironiquement, l'essentiel de ce court métrage d'une bobine se situe sur le lieu d'un bal... costumé, où l'on remarquera que Chester Conklin est venu déguisé en Keystone cop!
Justifiant le titre, le tango était la danse scandaleuse à la mode, soit quelques années après l'Europe, quand même; mais il n'y a pas de tango dans la salle de bal qui est le lieu de l'action; juste un petit orchestre de danse dont Ford Sterling, cornettiste, est le chef, et Roscoe Arbuckle le clarinettiste. Et Chaplin, lui, est un danseur bien habillé, mais... saoul. Voilà pourquoi je disais plus haut qu'il apparaissait presque au naturel, car l'un des secrets de Chaplin a toujours été de fusionner costume et jeu d'acteur. Ainsi, en apparaissant en costume de ville mais feignant l'ébriété il est déguisé. On peut appliquer cette idée à l'apparition de Chaplin en Hitler dans The great dictator, ou à son interprétation fabuleuse d'un poulet plus vrai que nature dans The gold rush...
Le film ne nous laisse pourtant que peu de chances d'apprécier la subtilité du jeu de l'acteur, car le sujet de l'intrigue ne le permettra pas: le chef d'orchestre, le clarinettiste et le poivrot de la haute société ont tous en commun de trouver la même femme (Probablement interprétée par Sadie Lampe) à leur goût; étant des personnages d'un court métrage Keystone ils vont se résoudre à traiter l'affaire en se battant d'une manière particulièrement agressive (Ford Sterling, qui donne toujours l'impression d'improviser la sauvagerie, mord le nez de Chaplin à un moment): pas un concours de subtilité, vous vous en doutez. Néanmoins, à ce petit jeu, c'est quand même Chaplin qui gagne, et sur plusieurs niveaux: d'une part il est vraiment meilleur que Sterling, c'est évident. Mais surtout il est désormais amené à jouer aux côtés des vétérans, ceux qui attirent les foules, foules qui ne vont pas tarder à se mobiliser pour venir voir les films du nouveau comédien de la Keystone, en masse.
On le sait bien, les gags se recyclent comme un rien dans le Hollywood burlesque. Un gag apparu chez Billy West dans les années 10 peut très bien se retrouver ensuite aussi bien chez Charley Chase, Max Linder, voire les frères Marx. C'est d'ailleurs précisément le cas... Mais il ne s'agit en rien d'un plagiat, juste d'un vaste bien commun, dans lequel puisent à volonté des gagmen qui doivent fournir, et qui bien souvent passent d'ailleurs d'un studio à l'autre. Mais les décors? Eh bien, et les travaux formidables de l'historien John Youngson sont là pour le prouver, oui, les décors se recyclent d'un film à l'autre... Ce film en fait la preuve.
Etant un film de Del Lord, on ne va s'attarder ni sur la finesse, ni sur l'intrigue. Mais ce qui me frappe en le voyant (Outre une énième occasion pour Madeline Hurlock de faire la démonstration de sa sexytude), c'est que les deux personnages principaux, interprétés par Andy Clyde et Billy Bevan, sont des livreurs de glace (D'où le titre), qui doivent monter et descendre en permanence un escalier très impressionnant, situé à flanc de colline...
Aller d 'un point à un autre, ou pas, un bon vieux ressort de la comédie, sachant qu'en route il peut arriver bien des déboires. Et comme en 1926, pour traverser tout le continent Américain d'est en ouest, on fera bien sur confiance à la voiture, ce qui attend Billy Bevan, entre les mains du spécialiste de la cascade automobile sera du plus haut burlesque...
Pas tant que ça, remarquez: pour une fois, Lord a poussé Bevan a créer un personnage, celui d'un insupportable boute-en-train. Il est tellement irritant, que son patron le mute sans lui demander son avis... en Californie. Ce qui peut paraître étrange si c'est une punition, mais je crois qu'il nous fait laisser toute lecture logique au vestiaire avant d'aborder un film comme celui-ci. Sur la route (qui passe, bien sur, par monts, vaux, marais et canyons, sinon ce ne serait pas du plus haut intérêt...), lui et sa famille (Epouse et belle-mère sont fournies avec le tacot) rencontrent en permanence une autre famille: un couple, dont l'irascible élément mâle est Vernon Dent. Et il va souffrir, toute la route durant, du sens de l'humour inapproprié de Bevan...
La chute sera prévisible et inévitable car après tout rappelons que le héros du film n'a jamais mis les pieds dans la branche Hollywoodienne de son entreprise, il ne connait donc pas encore son patron...
C'est en une seule bobine que l'équipe de Del Lord a fait ce film, un cas d'école en matière de crétinisme total, en même temps qu'un film tellement bouffon qu'on ne peut que rendre les armes. L'intrigue est située dans une île des mers du Sud donc on peut dire qu'il y aura des gags liés à une vision noire de l'anthropologie... C'est exactement ce qui se passe: Andy Clyde et la troupe de Sennett y jouent une tribu locale. Clyde se contente d'un peu de maquillage, mais les autres possèdent... un T-shirt "noir" du plus étrange effet, et d'abominables perruques afro! Sur l'île, donc, la princesse (Madeline Hurlock, pas du tout maquillée, comprenne qui peut), a vu dans un magazine un portrait de Billy Bevan, et ne voudra pas d'autre homme. Vernon Dent, puni, a pour mission de le ramener, ce qu'il fait.
Une fois Bevan arrivé, le film devient un peu plus surréaliste encore, et une bonne partie voit l'acteur plonger pour effectuer une épreuve d'admission: plonger au milieu des requins. Et il craque même une allumette sous l'eau, c'est dire! La dernière partie du film est consacrée à une rencontre de l'acteur avec une sirène.
Et e pire, devant ce qui est un festival de n'importe quoi qui dure douze minutes, c'est qu'on a parfois le sentiment qu'il a pu être plus long, coupé soit par l'outrage des ans, soit par un monteur quand même un peu plus lucide que tout le reste de l'équipe!