Un immeuble Parisien, rue Contrescarpe, dans les années 60. Ceux qui y vivent se présentent à nos yeux, et le film passe de l'un à l'autre, d'un petit secret à l'autre aussi, puisque dans ce lieu, les véités inattendues ne manquent pas: le magot de faux billets de M. Armand, collectioneur d'oiseaux (Paul Meurisse), les coucheries à répétition de la blonde ambitieuse... mais un peu gourde (Dany Saval), le fait que Mlle Pain (Jeanne Fusier-Gir), l'infirme, prétende avoir un magot quelque part pour qu'on s'occupe d'elle (et d'ailleurs, "infirme", c'est vite dit), le gigolo Italien (Franco Citti), le truand (Pierre Duncan) qui sort juste du trou, le couple de bouchers (Jean Richard et Suzy Delair) qui se trompe mutuellement, le garçon boucher (Dany Logan) qui voudrait tant devenir une vedette, et l'écrivain quis'envoie à lui-même des pneumatiques pour faire venir les jeunes facteurs dans on apartement... Et dans tout ça, une mort suspecte va attirer l'inspecteur Robert Dalban...
C'est décevant, sur un certain nombre de points. Bien sûr, la trame (ou plutôt les trames) choisie donne d el'intérêt à l'ensemble, et le film reste assez lisible. Mais derrière la gouaille et la vulgarité calibrée de l'intrigue et des dialogues d'Antoine Blondin, derrière une certaine aisance pour se déplacer dans cet immeuble si évidemment Parisien, il y a une certaine vacuité: et pour commencer il n'y a pas grand monde à sauver là-dedans, même pas le complice de Carné, Roland Lesaffre, qui interprète un illuminé qui va révéler tous les pots-aux-roses à la fin...
Je ne vais pas une fois de plus me réfugier derrière l'excuse habituelle: non, ce n'est pas seulement parce que Blondin n'est pas Prévert, que ce film est gentil mais poussif. C'est peut-être tout simplement parce que Carné, qui était un génie en son temps(avec ou sans prévert, prenez Hôtel du nord, par exemple), a perdu bien des repères, et cède un peu à la facilité: le film choral, c'est une mode, e c'est tellement propice à se faire peupler avec des stars et des noms reconnus... Mais voilà, c'est bien sympathique: pas plus.
Michel (Gérard Philippe) a volé dans la caisse du magasin qui l'emploie, car il voulait satisfaire une envie de vacances de sa petite amie Juliette: celle-ci ne savait pas qu'il était un petit employé... Quand le film commence, il ne l'est plus, car son patron a porté plainte et le jeune homme est en prison. Il souhaite dormir car comme le dit un camarade c'est le seul moyen sûr d'évasion...
La porte de la prison s'ouvre, et il est dans les Alpes de Haute-Provence, à Entrevaux, une superbe citadelle médiévale. Mais aucun des autochtones qu'il rencontre ne semble connaître le nom du village. Quand il arrive au bourg, il demande après Juliette, mais personne ne semble la connaître. Un musicien des rues (Yves Robert) lui explique qu'il est au pays de l'oubli, où personne ne semble pouvoir fixer un souvenir, et que lui seul le sait car la musique le maintient en phase avec son passé... Mais Juliette (Suzanne Cloutier) est là, et si elle ne le sait pas encore car elle ne se rappelle pas de lui, Michel est bien l'amour de sa vie.
Sauf qu'il y a un autre personnage, plus inquiétant celui-ci, qui en veut à la jeune femme: le Prince Barbe-Bleue (Jean-Roger Caussimon) qui vit dans la citadelle, a décidé de faire de la jeune femme sa septième épouse...
C'est un bien étrange univers que celui de ce film, par ailleurs tourné dans un des plus beaux villages de France (non, je ne me prends pas pour Stéphane Bern, regardez vous même, vous verrez comment l'oeil du cinéaste, un homme qui aimait Murnau, Feyder et Lang, s'est emballé pour ce lieu magique et hautement cinématographique): on attribue souvent les mondes créés par Carné (et singulièrement ses plus magiques) à Prévert mais c'est le même univers, commun aussi bien aux Visiteurs du soir, aux Enfants du Paradis, au Quai des brumes, aux Portes de la nuit, et même à certains aspects de Drôle de drame qu'on retrouve ici: un amour impossible voire maudit, un destin plus que noir, un deus ex machina (incarné par Yves Robert, après Jean Vilar ou Marcel Herrand), une logique de l'absurde érigé en principe...
Mais Prévert n'est plus là, c'est bien Carné qui a imaginé cette intrigue avec George Neveux. Les dialogues ont le bon goût d'être souvent parfaitement efficaces, débarrassés de cette tendance du cinéma fantastique à vouloir tout expliciter de peur que le public ne comprenne rien! Pas de gratuité Coctalienne comme dans l'affreux La belle et la bête, non plus, ni perte de substance en cours de route comme dans les films de René Clair où le cinéaste semble avoir perdu la main dans les dernières demi-heures (Les Belles de Nuit, La Beauté du diable)... Non, Juliette est bien construit, et reste sur le même cap du début à la fin, à la fois onirique et même loufoque (ah, le garde-champêtre incapable de retenir le nom de Juliette, incarné par Delmont!), et profondément noir et désespéré. En ce jeune homme qui fait face à l'impossibilité de faire cohabiter le bonheur et l'amour, Carné a trouvé un nouvel avatar personnel. Et les artistes qui l'assistent ont un talent fou: Trauner et ses décors, Kosma et sa musique constamment appropriée, et Alekan dont la photo est sublime.
Si le film déçoit quand même un peu, c'est à travers le personnage de Juliette, qui donne pourtant son titre au film: volage, pour ne pas dire stupide, cette jeune femme oublieuse et pour cause (elle vit, pour la majorité du film, au pays de l'oubli) est quand même une sacrée gourde. Une fois de plus, l'homme se meurt d'amour pour une ombre, et la femme ne sort pas grandie d'un film de Marcel Carné...
Chatelard (Jean Gabin), brasseur de Cherbourg, accompagne sa maîtresse Odile (Blanchette Brunoy) à Port-en-Bessin où on enterre son père. Il l'attend dans un café sur le port, et fait la rencontre de Marie (Nicole Courcel), la petite soeur d'Odile: le coup de foudre est immédiat. Il achète un bateau à un patron-pêcheur lessivé (Julien Carette), sans doute pour faire une affaire mais plus sûrement pour avoir un prétexte pour revenir sur place... Mais la petite ne sera pas facile à séduire: en porte-à-faux avec sa famille paysanne, dotée d'un fiancé coiffeur timoré et d'un mauvais caractère, elle sait ce qu'elle veut. Mais que veut-elle, exactement?
C'est une bonne question: souvent chez Carné la femme paraît volage car insondable, et la petite Marie, du haut de ses 18 printemps, en est un cas d'espèce! Après l'onirisme malaisé des Portes de la nuit, la tentative avortée de La fleur de l'âge, ce nouveau film est une modeste production de l'auteur des Enfants du Paradis, située dans une Normandie assez réaliste, mais qui peine à rivaliser avec les décors hantés de ses premiers films. Notons que les extérieurs ont en effet été tournés sur les lieux de l'action (qui ont bien changé, cela va sans dire) mais que l'essentiel de l'action se passe dans des décors intérieurs un peu trop passe-partout (même si Trauner les a soignés): le Café du port, à Port-en-Bessin, où Julien Carette fait partie du décor; la brasserie de Gabin qui possède aussi une salle de cinéma où l'on passe Tabou, clin d'oeil à un lointain passé pourtant distant seulement de 18 ans, et à un ailleurs aussi bien géographique que cinématographique...
Il y a du pis-aller dans ce film qui en remplace un autre, le maudit La Fleur de l'âge, qui n'a pu se faire et dont il ne reste aujourd'hui rien du tout si ce n'est les souvenirs des uns et la rancoeur des autres. Kosma, Trauner sont encore là, Gabin aussi, et si George Ribemont-Dessaigne a signé les dialogues de cette adaptation de Simenon, l'ami Prévert était présent bien que non crédité; mais le coeur n'y est pas. D'une art le film manque d'enjeu clairement défini et semble dynamiter les possibilités dramatiques les unes après les autres. Gabin, qui peinait à faire son retour, est comme coincé entre deux âges, et sa romance avec tout ce qui porte jupe et qui passe à sa portée serait même gênante. D'autant que l'image qu'il finit par projeter, au fur et à mesure, est celle d'une certaine impuissance! Reste quelques bribes de l'univers de Carné, quelques séquences plus intéressantes que d'autres, Carette qui illumine l'écran de sa déprime admirablement grandiose, et un plan mobile superbe et inattendu de Nicole Courcel dans un bus qui profite d'une idée de montage que je qualifierai d'absolument géniale et que je vous laisse découvrir...
Une nuit, en février 1945, dans le nord de Paris. Un camelot marié et heureux père d'une ribambelle d'enfants cherche sa fille, il sait bien qu'elle est probablement avec un garçon, mais son épouse ne le laissera pas rentrer tant qu'elle ne sera pas au bercail; un couple aisé, dont la voiture est immatriculée à Londres, se sépare: l'épouse, qui veut quitter son mari, en profite pour faire une visite impromptue à son père, un vieux collabo qui tente de passer entre les gouttes de l'épuration; le fils de ce dernier, un triste voyou qui s'est acheté on ne sait comment la réputation d'un héros, sait très bien que son rôle durant l'occupation, à laquelle il a participé en dénonçant des résistants et en prêtant main forte à la Gestapo pour torturer, va le rattraper tôt ou tard, et il va prendre la décision de fuir en Espagne, "là où il a de vrais amis"; un prisonnier de guerre venu annoncer à l'épouse d'un camarade le décès de son mari a la surprise de voir ce dernier bien vivant, et en pleine forme, et va passer la soirée avec eux. Au milieu de tout ça, un couple va se former, et le destin, qui est incarné en un vagabond qui joue de l'harmonica, va nouer et dénouer ses fils...
C'est après Les enfants du paradis et son triomphe que Carné et Prévert ont mis en chantier ce nouveau film, à nouveau avec la même troupe de collaborateurs (Kosma, Trauner sont de la partie), et avec un solide groupe de comédiens: Carette, Bussières, Jane Marken, Pierre Brasseur, Saturnin Fabre, et des nouvelles têtes, dont Serge Reggiani, Nathalie Nattier et Yves Montand. Ces deux derniers sont donc le couple vedette, deux personnes qui se rencontrent dans le chaos d'une journée, s'aiment, et puis... Les deux auteurs reviennent donc en partie au fantastique de Les visiteurs du soir, sans le prétexte médiéval, et tissent une intrigue très contemporaine, empreinte des préoccupations particulières d'une douloureuse après-guerre, dans laquelle un personnage étonnant, mi-lutin, mi-diable, est en fait une incarnation du destin par Jean Vilar. Jean Vilar qui passe son temps à jouer la musique obsédante de Kosma, et qui provoque des réactions de rejet entre moquerie et agacement partout où il passe... Ce qui se comprend, et j'hésite à l'écrire, c'est un peu comme le film. Car on e demande un peu si on avait vraiment besoin de cet étrange bonhomme pour que le film fonctionne! Car Carné et Prévert, si on fait exception de ce sacré destin, ont plutôt bien réussi leur film sur la première heure.
Ca se gâte avec l'apparition de Malou (Nathalie Nattier), qui a le redoutable honneur de devoir donner la réplique non seulement au novice Montand, mais aussi à Saturnin Fabre (royal, voire Fabresque), Serge Reggiani et Pierre Brasseur: c'est sans surprise qu'on dira qu'elle ne fait en aucun cas le poids, et comme les auteurs l'ont assignée au strict minimum, elle n'en est que plus fade encore. Montand, remarquez, avec tout le respect du au monstre sacré qu'il n'était pas encore, n'est pas non plus très à l'aise... Ce qui renvoie aux Visiteurs du soir, là encore, dont le principal défaut était incarné dans l'abominable pesanteur des deux amants qui en étaient les héros, face à l'énormité du diable de Jules Berry. Et le fait que Carné ait explosé le budget avec ses rues reconstituées et sa station de métro, ne fait rien pour arranger les choses. Pourtant, quand on croise Carette et sa gouaille, les retrouvailles Montand-Bussières en "camarades", Fabre en insupportable fasciste désabusé, on a très envie d'aimer ce film! Mais il reste désespérément coincé dans un inconfortable entre-deux, entre le bonheur d'une réplique et la fadeur d'un acteur, entre le plaisir de la musique et l'horreur d'une interprétation par une des protagonistes. Pour raconter à leur façon, poétique mais réaliste selon la formule consacrée, leur après-guerre, nos deux cinéastes avaient-ils besoin de tout ce fatras?
François (Jean Gabin) est barricadé chez lui, tout là-haut, car il vient de tuer un homme et les autorités ont peur qu'il ne s'en prenne à la population, ou pire, qu'il ne dégomme un ou deux pandores... Pendant qu'en bas on s'actionne, on évalue et on essaie de trouver une solution, en haut François se souvient. Comment un jour à l'usine où il travaille, il a vu arriver un petit bout de bonne femme -Jacqueline Laurent) qui venait livrer des fleurs à la femme du patron, comment ils ont sympathisé parce que c'était leur fête à tous les deux, elle s'appelait Françoise. Et comment en la suivant par frustration (elle n'a pas voulu qu'il passe la nuit avec elle) il a découvert qu'elle avait de drôles de fréquentations...
Françoise, pour François, c'est celle qu'il n'aura jamais: dès le départ, toute communication est impossible entre eux, vu le bruit dans l'environnement où ils se sont rencontrés. Et ce défaut d'entente, en quelque sorte, se retrouvera tout au long de leur relation au contraire de la clarté aveuglante de la mini-idylle avec Clara (Arletty), la femme avec laquelle François va se consoler. Au contraire de la mystérieuse Françoise, Clara est offerte, comme dans cette scène censurée par ces salauds de Vichy, durant laquelle Gabin arrive chez elle, la porte est ouverte, et il voit depuis l'entrée la jeune femme, nue dans sa salle de bains, à peine voilée à un endroit sensible par une éponge, tout sourire dehors... Mais cette femme qui n'a rien à cacher est aussi celle qui va, doucement, se sacrifier.
Quant aux mauvaises fréquentations mentionnées plus haut, c'est un bateleur, dompteur de chiens (Jules Berry) de son état. Un sale type, en vérité, qui profite de son talent pour bien parler et séduire les innocentes. Enfin, innocentes, c'est vite dit: connaît-on vraiment la petite Françoise? En tout cas, c'est lui, le sale type Valentin, que François tue dans la première scène, que nous entendons plus que nous ne la voyons, du moins au début car elle reviendra par l'entremise du flash-back.
De cette histoire, se dégage, comme dans Le quai des brumes, un parfum de mort, de condamnation en tout cas; certaines scènes donnent l'impression que cette mort ou cette fin est celle de la classe ouvrière, qui gronde en bas de l'immeuble où François vit ses derniers instants, mais encore une fois chez Carné, le mal qui ronge le héros est d'ordre privé, c'est la souffrance d'un seul homme, qui n'a pas pu réussir à aimer dans le bon ordre, qui est inadapté à l'affection de celle qui l'aime sans conditions (Clara) et qui s'obstine à vouloir celle qui n'est sans doute pas faite pour lui, qu'il idéalise au-delà du raisonnable, et qui d'ailleurs a le même prénom que lui; pas un hasard pour Carné qui continue à truffer ses films de petites allusions à l'homosexualité...
C'est un immense film, une sorte d'invention à lui tout seul d'un film noir à la française, sans aucun handicap face au film noir Américain, et qui prolonge vers le noir absolu le "réalisme poétique" des deux films précédents. A travers ce flash-back d'une logique et d'une lisibilité absolue, de deux ou trois rencontres (on croisera le jeune Bernard Blier et toute une faune tragi-comique dans l'immeuble où Gabin s'est retranché, des gens qui n'approuvent pas nécessairement le meurtre, mais qui comprennent, "et puis c'est un bon gars"), de quelques dialogues vertigineux (Arletty-Gabin, et puis surtout Jules Berry qui domine toutes les scènes où il apparaît) le film déroule une implacable destinée contrariée, une de plus. La photographie de Curt Courant (même s'il n'est pas crédité), la musique de Jaubert, les choix de Carné qui est l'un des rares cinéastes français à oser des montages muets (parce que ça bavasse, le cinéma français, vous avez remarqué!), tout concourt à faire du Jour se lève le chef d'oeuvre désespérant de son auteur!
Jean est un soldat qui arrive, de nuit, en catimini, au Havre. Il est secret, chatouilleux et se tient à l'écart du monde... Mais si son projet est de quitter la France, car il est déserteur, il va vite constater que là où il est arrivé, il a rendez-vous avec son destin...
C'est d'abord une formidable galerie de personnages, dont Carné et Prévert usent pour enchaîner les scènes et les situations, plutôt que le contraire: un peintre qui va servir de coup de pouce au destin de Jean, sera incarné par Robert Le Vigan, avec son excentricité habituelle: les phrases étranges qu'il prononce pour justifier son art (qui ne sont d'ailleurs pas les meilleures qu'aura écrit Prévert, "je peins les choses qui sont derrière les choses", hum), seront reprises par Gabin avant la fin du film, parce que celui-ci aura repris l'identité du peintre, auto-sacrifié sur l'autel du romantisme... Zabel (Michel Simon), en revanche, sous des dehors de victime fragile de la bêtise, est en fait un vieux salopard de la pire espèce, qui se présente en tuteur de la jolie Nelly, mais attend en réalité son tour de la violer. Nelly (Michèle Morgan) est une jeune femme qui a déjà vécu, et qui semble à même de comprendre Jean et son aspiration à partir. Elle va partager une histoire d'amour avec lui, presque en marge du film. Lucien, le gangster en rodage (Pierre Brasseur), fait son caïd, mais il va recevoir plus d'une leçon de la part de Jean: ça va l'énerver... Sinon, il y a ceux qui font passer les choses, un camionneur sympathique mais chatouilleux (Marcel Pérez), un étrange cafetier-ermite (Edouard Delmont), et un poivrot (Aimos) aux ambitions inattendues: il souhaite plus que tout dormir dans des draps propres, et réalisera son rêve avant la fin du film... Et il y a aussi un chien, un chien qui arrive et qui repartira comme il est venu.
Et c'est aussi l'un de ces films Français sur lequel plane l'ombre gigantesque du cinéma Américain des années 1927-28, des grands films de Sternberg, Borzage, ou Murnau: Salvation hunters, Docks of New York (auquel il doit sans doute beaucoup, quand on y pense), Seventh Heaven, Sunrise... Carné les a vus et aimés, ils l'ont bouleversé. Et ça se sent dans une production qui en constance fait la part belle à l'image, ce qui n'est pas facile dans un pays où on est persuadé que c'est le dialogue qui fait tout! Et en plus le dialoguiste du film n'est pas n'importe qui... Pourtant je reste persuadé que ce Quai des brumes aurait fait un merveilleux film muet, avec la perfection de la mise en scène, la justesse de son interprétation, la science des regards, la composition, et les splendides mouvements de caméra.
On comprend pourquoi ce film est le préféré de Jean-Pierre Jeunet; il est d'abord la définition même de ce que faute d'autre genre on a appelé le réalisme poétique, une vision de la réalité, tournée dans de vrais décors (Le Hâvre), avec de vrais gens, mais en décalage constant avec la réalité. Quel conflit Jean fuit-il? Nous ne le saurons jamais, mais ce que nous savons c'est que son destin était d'arriver là, dans une ville qui aurait pu être accueillante, mais qui devient l'antichambre de la mort. Car Le Quai des brumes est sombre, et dépeint un monde sans espoir. Je disais plus haut que Michèle Morgan et Jean Gabin s'aiment en marge du film, car leur histoire, la seule chose qui aboutisse vraiment dans l'intrigue, est presque un incident à part. Bien sûr cette idylle charnelle ("T'as d'beaux yeux, tu sais" "embrassez-moi") est l'un des plus gros arguments de vente de ce film classique, mais Carné ne fait pas vraiment mystère du fait que tout ce qui se trame va vraiment se jouer entre hommes: entre Jean, qui s'improvise redresseur de torts le temps d'une baffe ou deux, Zabel dont le désir augmente lorsque l'objet de son obsession se retrouve dans les bras d'un homme, et Lucien, le minable qui va s'avérer, le con, devenir l'instrument du destin. Tout ici parle de la mort, du peintre qui dit peindre des noyés avant den devenir un, aux gangsters qui font tout pour supprimer ceux qui ne leur plaisent pas...
La fin annonce un peu la noirceur plus marquée encore de Le jour se lève, futur chef d'oeuvre de Carné et Prévert: à Nelly qui pleure de le voir blessé, Jean envoie un "Embrasse-moi, vite, on est pressés" qui trahit ce dont on aurait du se douter depuis le début: Jean savait qu'il avait rendez-vous avec la mort.
Au XVe siècle, on s'apprête à célébrer un mariage au château du baron Hugues (Fernand Ledoux): sa fille Anne (Marie Déa) doit épouser le baron Renaud (Marcel Herrand): ils ne s'aiment pas, et en ce qui la concerne, on la comprend totalement... Hugues, brave homme, apprécie pourtant l'impatient jeune homme, cassant et querelleur. Arrivent deux ménestrels, au pouvoir étrange, qui vont l'espace d'un instant figer la fête: Gilles (Alain Cuny) danse avec Anne, et Dominique l'androgyne (Arletty) danse avec Renaud, pendant que les autres convives restent figés. Leur mission, ramener l'âme deux deux futurs mariés au diable, en les tentant avec l'amour... La séduction a déjà commencé.
L'amour interdit comme antidote aux conventions d'un mariage arrangé... Si les deux auteurs, Carné et Prévert, ont cherché à s'éloigner au plus loin de leur terrain de prédilection contemporain et Parisien, un geste plutôt prudent en ce début d'occupation, on ne va malgré tout pas trop loin de la thématique habituelle de leurs films. Jusqu'aux Visiteurs du soir, tous les films de Carné et Prévert (ainsi qu'Hôtel du nord dont l'argument est dû à Jeanson) ont en effet tourné autour d'un couple qui défie son environnement. Mais là, au départ, la mission de Gilles et Dominique les identifie comme étant le mal. Il faudra que Gilles tombe amoureux d'Anne pour que le Grand Patron lui-même se déplace... Et c'est Jules Berry.
Sur le papier, Jules Berry en diable en collant, c'est étrange. Et c'est vrai qu'il a des mollets de coq, et qu'avec sa voix de titi Parisien forgée à la cigarette brune, on est loin de l'imagerie d'Epinal du diable médiéval de théâtre... Pourtant que acteur! Et sa présence, dans un film traité avec une extrême froideur avant son arrivée, illumine le film, le tourne vers la comédie par certains aspects, et en prolonge à loisir le côté fantastique. Bien sûr, c'est Dominique (Arletty) qui arrête le temps d'un coup de luth, dans une très belle scène; mais les pouvoirs du diable sont tels, et son obsession pour faire souffrir les amants si profonde qu'il en change le cours de la narration... Chacun des protagonistes devient son jouet.
C'est que l'enjeu pour Carné est de parler d'amour interdit, bien sûr, et celui de Gilles et Anne l'est, aussi bien pour le diable que pour les hommes. Anne l'a bien compris: Marie Déa incarne sans doute le personnage le plus fort du film, celui qui va finalement tenir tête au diable, et on se réjouit que l'actrice ait eu la carrure de tenir tête à Berry, parce que sinon, on était mal parti avec ce pauvre Cuny... mais je m'égare. Amour interdit, donc, comme dans Le jour se lève, Quai des brumes ou Les Enfants du Paradis qui viendra plus tard, mais aussi confusion des genres avec l'un des plus étonnants et frustrants rôles d'Arletty, qui passe à loisir de l'enveloppe d'un homme à celle d'une femme, utilisant les conventions mélodramatiques habituelles: comment voulez-cous que nous spectateurs, ne la reconnaissions pas? Mais dans le film, déguisée en ménestrel, elle trompe tout le monde.
Le fantastique, ici, est froid, comme je le disais plus haut. Encore une fois, Carné et Prévert se sont tenus à l'écart de toute tentation d'allusion à l'époque délicate dans laquelle ils vivent. Et leurs premiers films, surtout Le jour se lève, étaient riche en velléités d'insurrection, qu'elle soit poétique ou plus politique. Mais le choix d'une intrigue médiévale est un tour de passe-passe qui fonctionne. Les décors, désolés mais authentiques, de la Provence, et le contraste avec cet étrange château blanc dans lequel se passe l'intrigue, la lenteur contemplative de la narration, et les effets spéciaux excellents font le reste.
On est pourtant sur sa faim: le choix d'un jeu souvent trop retenu, où seul Berry laisse libre cours à sa verve, peut-être. La fadeur de Cuny, qui est abominable, certainement, tout comme le sentiment qu'Arletty n'est pas tout à fait à sa place. Le fait est qu'on parle le plus souvent d'un chef d'oeuvre, ce que le film n'est pas. Trop long, parfois trop bavard, parfois pas assez... Quant à la polémique soulevée par ce bon Desproges, je ne m'y risquerai pas. Le coeur qui bat à la fin, sous la pierre, est-il celui de la résistance? J'en doute fort. Par contre, le film fantastique comme antidote à l'époque, à l'écart du tout-venant? Ca oui.
Jenny (Françoise Rosay), de son vrai nom Jeanne, est un grand nom d'une certaine idée du tout Paris: dans un hôtel particulier du XVIe arrondissement, elle a un bar qui met en relation des clients masculins avec des jeunes femmes... De manière plus ou moins officielle. Mais sa fille Danielle (Lisette Lanvin), une pianiste en vue qui vit à Londres, ignore cette partie de la vie de sa mère, alors quand elle se rend à Paris, Jenny doit improviser, et notamment déménager en urgence afin d'éviter que Danielle ne soit confrontée à la réalité. Par ailleurs, elle s'aperçoit que son jeune protégé Lucien (Albert Préjean) se lasse d'être sous sa tutelle, et voudrait mieux qu'un arrangement avec une femme mûre. Pour compliquer les choses, la boîte de Jenny est au coeur d'une lutte de pouvoir avec les gangsters Benoît (Charles Vanel) et le bossu "Dromadaire" (Jean-Louis Barrault)...
Ce résumé un peu compliqué donne l'impression que le film est soit une comédie graveleuse, soit un assez classique mélodrame. C'est plutôt un drame, mais d'un genre inédit... Assistant de Feyder en 1928, puis de nouveau à partir de 1934, Carné a rongé son frein durant plusieurs années, possédé d'une passion absolue pour le septième art, et il avait des idées, des envies et de l'ambition: pour lui la mise en scène venait en droite ligne des Etats-Unis et d'Allemagne, de Sternberg d'un côté et de Murnau de l'autre, des cinéastes qui le passionnaient.
Jenny est donc, après un exercice de style sous la forme d'un documentaire muet en 1929 (Nogent), le premier film d'un metteur en scène futur surdoué, et il est assez difficile de croire qu'il s'agisse d'un novice, tant la mise en scène est assurée, riche et maîtrisée. Il sait installer une atmosphère, et tout en bénéficiant d'un dialoguiste exceptionnel (Prévert!) avec lequel il va écrire quelques-unes des plus belles pages du cinéma Français, il réussit à ne pas se vautrer dans la facilité qui consisterait à laisser le dialogue faire tout le travail! Il se sort fort bien de sa direction d'acteurs, et ce n'est pas peu dire quand on voit les monstres sacrés accumulés au générique.
Et sous le vernis d'un mélodrame populaire, Carné fait déjà poindre son envie d'ailleurs, à travers deux amoureux à contre-courant, un gigolo qui n'a jamais rencontré de femme qui lui plaise et qui accepte l'amour d'une femme plus âgée par désoeuvrement, et une jeune femme ignorante du milieu, soudainement confrontée à une réalité sordide, dans laquelle Lucien servira de chevalier blanc. Leur coup de foudre est le premier d'une longue série, et si Préjean et Lisette Lanvin sont un peu à côté, ils sont malgré tout très bons et excellemment dirigés.
Carné se sert aussi de ce film pour commencer à montrer, en contrebande, des couples d'hommes plus ou moins évidents. Ici, pas moins de deux: les deux malfrats, Vanel et Barrault, l'un ne va jamais sans l'autre; et Lucien est souvent flanqué d'un marquis pique-assiette qui ressemble à une parodie de sa relation avec Jenny. Le film ne fera sans doute pas trop de vagues, mais c'est malgré tout, en même temps qu'un croisement de Feyder et Carné, la naissance évidente d'un grand cinéaste, et de son univers: Paris, saisi dans ses contradictions, des paillettes d'une fausse boîte de nuit, au Paris de ceux qui travaillent, qui ressemble à Londres; les malfrats qui n'arrivent pas à empêcher qu'on les trouve sympathiques, et qui naviguent en eaux troubles en affichant leur différence ("et si ça me plaît à moi, de me faire toucher la bosse?"), l'évidence des regrets quand Françoise Rosay découvre à quelle point sa fille, qui lui ressemble tant, a contrairement à elle réussi à devenir une artiste sans se salir...
Ce quatrième long métrage de Marcel Carné est un film qu'on a tendance à réduire à une seule scène et surtout un seul échange de dialogues, exactement de la même façon qu'on aura tendance à parler du "cinéma d'Audiard" en parlant des longs métrages de George Lautner. C'est gênant, c'est la raison pour laquelle il ne sera pas question de cette histoire d'atmosphère ici, ou si peu: c'est une sale manie de vouloir réduire le cinéma Français à ses dialogues... Ou ses dialoguistes.
Tiens, parlons-en: Carné voulait Prévert, comme de juste, puisque depuis Jenny, et ensuite avec Drôle de drame et Quai des brumes, le duo a été l'âme même du "réalisme poétique", et j'imagine qu'il leur était facile de travailler ensemble au vu de l'effet de leur collaboration (même s(ils sont aussi les auteurs d'un des films les plus idiots de toute l'histoire, le détestablement nunuche Les visiteurs du soir)... Seulement voilà, Prévert absent, il a fallu à Carné accepter de travailler avec Jean Aurenche et Henri Jeanson. Ce qui ne modifie en rien le talent du metteur en scène, car si on ne parle jamais que de cette sacrée réplique, ici c'est tout le film qui brille, ou presque, de par la grâce d'un réalisateur qui sait parfaitement où il va, et qui s'est fixé une mission délicate, celle de rendre compte, par l'utilisation d'un microcosme spécifique (le quartier populaire du Canal St-Martin), de ce qu'est la classe ouvrière en 1938, deux ans après l'avènement du front populaire... Mais pas que.
Depuis le début, y compris quand il dépeint avec force ricanements les exactions de William Kramps, le tueur de bouchers, Carné parle d'amour. Des yeux de Michèle Morgan, du fil des Funambules, et même des amants qui s'aiment au-delà de la mort. Ce film ne fait pas exception à la règle, mais il s'accorde malgré tout une étrange pause: car Hôtel du Nord commence par mettre en place les circonstances d'un pacte suicidaire qui se passe mal, c'est à dire qu'il rate. Renée (Anabella) a suivi Pierre (Jean-Pierre Aumont) dont le boniment est que, puisqu'ils ne seront jamais heureux sur terre, autant chercher le bonheur ensemble dans l'au-delà. Ils ont donc choisi le petit hôtel vaguement miteux des bords du canal, tenu par les Lecouvreur (Jane Marken, André Brunot), des braves gens. La preuve, ils ne jugent pas, ou si peu, et leur pension permanente abrite une fille de joie, Raymonde (Arletty) et un proxénète, Edmond (Louis Jouvet), mais aussi un jeune homme (François Périer) qui ne s'intéresse pas du tout aux femmes, et partage ses soirées avec des camarades de l'université.
Donc, le suicide ne va pas marcher, et la suite des événements va bouleverser tout ce petit monde: Renée, rescapée, va s'installer et tourner la tête de plusieurs hommes. Même les habitudes de l'éclusier (Bernard Blier) et de son épouse (Paulette Dubost) vont être changées, puisque leur meilleur ami et amant Kenel (Andrex) va quitter Madame pour s'intéresser à Renée. Mais c'est surtout Edmond qui va tomber intensément amoureux de la jeune femme.
Mais le film n'est pas qu'une collection d'histoires d'amour dysfonctionnelles, grinçantes, tendres, tristes ou ricanantes: il est aussi une paradoxale étude de moeurs qui tourne à l'avantage des femmes d'une façon impressionnante, tous les hommes finissant par être décrits comme lâches (Edmond, Pierre et l'éclusier) impuissants (L'éclusier encore, mais aussi, métaphoriquement, Pierre) et tous promènent un instinct de mort plus ou moins envahissant. Jeanson, qui n'aimait pas Jean-Pierre Aumont, a malgré lui participé à ce travail de sape des hommes en lui donnant des dialogues d'une banalité affligeante! A côté, les femmes mènent leur monde par le bout du nez, et prennent généralement les bonnes décisions. Elles agissent en mère (Jane Marken qui a recueilli un orphelin Espagnol qui a fui Franco, mais aussi Raymonde quand elle console Blier qui la traite "comme sa mère"), et elles ont plus de jugeote que les hommes (à l'instar de ce policier qui traite tout ce qui l'entoure selon des convenances bien établies). Elle portent toutes un instinct de vie, y compris quand Raymonde "donne" Edmond aux deux gangsters qui veulent le tuer; elle a compris qu'il n'irait de toute façon pas loin...
Et en même temps que cet étonnant portrait de femmes fortes et d'hommes asexués, Carné livre un tableau intéressant de la classe ouvrière en autarcie, dans son milieu, où rien ne manque: le langage, certes, puisque ça a l'air si important au point que ne parle que de ça, mais aussi l'entraide, une certaine ouverture d'esprit (qui a bien disparu, regardez autour de nous), une bienveillance donc, qui s'exprime dans une petite scène touchante, où les Lecouvreur expliquent à Renée sur le départ qu'elle va bien leur manquer... Un tableau qui ressemble un peu à celui des boutiquiers de The shop around the corner, de Lubitsch, un microcosme dont on sait fort bien que quoi qu'on fasse, il est condamné, à plus ou moins brève échéance...
Pour finir, si la seule chose qu'on retient de ce film est l'échange entre arletty et Jouvet, c'est peut-être aussi parce que ces deux créatures, qui n'étaient sans doute que deux éléments de la tapisserie dans le roman adapté par Aurenche, ont pris avec l'arrivée de ces deux acteurs géniaux une importance bien plus grande. Ils y trouvent, l'un comme l'autre, un de leurs plus beaux rôles: la fille de joie au grand coeur qui fuit toute idée de sophistication et qui cherche confusément une vengeance, et le Jules arrivé en bout de course qui cherche une porte de sortie de sa vie, qu'elle soit la mort ou une jolie fille... Ils sont extraordinaires. ...ben tiens!
Comment rendre compte de ce film sans tomber dans les poncifs? Il est tellement fêté, tellement officiel, tellement officiellement génial, et on sent venir les clichés: les acteurs de génie, la beauté d'Arletty, le jeu de Barrault; l'ombre de la guerre et de la résistance, ou pourquoi pas l'anecdote inévitable du départ de ce salaud de Le Vigan...
Objectivement donc, le plus impressionnant des films de Carné, et son plus beau, naît un peu du succès des Visiteurs du soir. Je ne le comprends pas, étant donné que ce film de 1942 me donne des boutons, et est sans doute l'une des plus ineptes productions qu'il m'ait été donné de voir (A égalité avec l'inénarrable La belle et la bête, de... René Clément). Seulement voilà, Carné, Prévert et Arletty ont eu un succès non négligeable, et ça autorise le cinéaste, l'un des rares à être resté plus ou moins indépendant, à se lancer dans une production énorme, qui deviendra un film de trois heures en cours de route, d'une part parce qu'il devenait impossible de couper quoi que ce soit, mais aussi et surtout parce que le dialoguiste comme le metteur en scène se sont totalement pris au jeu...
Et c'est ainsi que naît cette évocation d'un Paris disparu mais éternel, au coeur d'une intrigue qui joue en permanence sur les contraires: le théâtre "noble", et la pantomime populaire; la comédie, la tragédie; la noblesse, le bas peuple; le parterre, le "paradis" (l'endroit le plus accessible financièrement au théâtre des Funambules, donc celui d'où les classes populaires viennent assister aux spectacles de pantomime...); la femme qui aime tout le monde, et celle qui n'aime qu'un seul homme, et veille jalousement sur lui. Et même si on peut regretter que le film soit souvent l'occasion pour le metteur en scène de laisser la parole à son dialoguiste (un pêché mignon des réalisateurs français, que voulez-vous), qui certes a souvent du génie, la beauté du film, la solidité de la charpente, et l'émotion qui se dégage du tout laissent quand même sérieusement admiratif.
Donc, oui, il y a des numéros d'acteur, mais il y a aussi une denrée rare: dans tant de films français (L'Herbier, Gance étaient des spécialistes) ou Européens, on vous assène que tel artiste a du génie. Et quand on vous dit ça, la moindre chose serait d'essayer de le prouver, ou tout au moins de trouver un moyen d'y faire croire: après tut, les scènes d'All about eve de Mankiewicz qui sont consacrées à la vie de Bette Davis dans les coulisses, tendent à nous persuader grâce au fourmillement des admirateurs, de la cour, et aux anecdotes. Mais que penser d'un film qui vous parle du génie d'une oeuvre d'art et vous coince le génie en question en travers de la gorge (un des défauts de Trois couleurs: bleu, de Kieslovski)?
Pas Les enfants du Paradis: avec Brasseur et Barrault, Carné et Prévert remontent directement le temps, et nous montrent un art théâtral ancien certes, mais dont on n'a pas le moindre mal à se convaincre qu'il est génial. Barrault surtout, dans le rôle de Jean-Gaspard Deburau, dit Baptiste... Ces deux-là nous sauvent de numéros d'acteurs certes fonctionnels, mais franchement douteux, Marcel Herrand en tête: il interprète avec un accent "qualité France" insupportable un personnage historique lui aussi, d'une importance capitale, le bandit pierre-François Lacenaire. Une idée de génie, du reste, d'avoir fait se croiser tant de personnages (Lemaître, Lacenaire, Baptiste...) qui ont tous vraiment vécu à l'époque. Mais je suis désolé, la prestation d'Herrand nous rappelle surtout à quel point en France, on aime les acteurs qui jouent comme des savates. Celle de Louis Salou ne vaut du reste guère mieux...
Mais au moins, en remontant jusqu'aux racines du théâtre moderne, et jusqu'au succès de la pantomime, Carné et Prévert se sont lancés dans une évocation magique du théâtre, donc de l'art (et un peu du cinéma aussi), qui n'est rien d'autre que la vie.