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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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23 octobre 2022 7 23 /10 /octobre /2022 21:40

Quatrième long métrage de Martin McDonagh, ce film partage avec ses trois prédécesseurs (ainsi qu'avec le court métrage Six shooter, premier film du metteur en scène en 2004) un format de comédie d'humour très noir dans des circonstances dramatiques...

A Inisherin, une île isolée à quelques encablures des côtes Irlandaises, deux hommes sont amis. Et le fermier Padraic (Colin Farrell) vient chercher le musicien Colm (Brendan Gleeson), pour se rendre au pub, parce qu'à 14h, c'est ce qu'ils font tous les jours. ...mais pas cette fois! Padraic voit bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, et sa soeur (Kerry Condon) lui dit d'ailleurs "peut-être qu'il ne t'aime plus"... 

C'est exactement ça: Colm ne souhaite plus perdre son temps avec Padraic, qui le prend très mal. Afin d'enfoncer le clou, Colm explique à son ami qu'il ne doit plus lui parler, ou alors il se coupera les doigts un à un... ce qui pour un violoniste est un problème! Mais Padraic ne voulant pas perdre cette amitié, s'acharne...

On retrouve un peu la dynamique déjà établie dans In Bruges, entre les deux acteurs principaux! Mais à la richesse visuelle et la sophistication décalée de la Venise Belge, ici, se substitue une Irlande certes de cartes postales, mais aussi d'une incroyable austérité. Ces murets qui délimitent les terrains et les chemins, qui semblent tracer des vies dont on ne peut dévier, donnent un cachet particulier à cette magnifique mais terrible région côtière! 

Et justement, dévier, c'est ce que veut Colm, qui interroge la fatalité et se dresse contre une sorte de destin qui le pousserait à regretter toute sa vie de ne pas remettre en question une amitié bizarre avec Padraic, qui, il faut bien le dire, n'est pas à première vue un prix Nobel... pas à seconde vue non plus d'ailleurs. Le film, cruellement, le montre tromper l'ennui dans lequel son amitié perdue le place, en passant du temps avec Dominic, le fils du gendarme local, qui est officiellement l'idiot du village. Et Siobhan, la soeur, part de l'île, parce qu'elle ne supporte plus de vivre avec son frère...

Le film est riche en dialogues noirs mais hilarants, ciselés en répétitions magiques, qui enfoncent le clou d'un point de non-retour. On comprend que Colm en ait assez, mais on comprend que Padraic ne se laisse pas faire! Et dans cette querelle de voisinage qui dégénère en guerre civile (pendant qu'une autre, authentique guerre civile celle-là, se déroule en coulisses), on en vient à constater qu'à travers cette parabole, McDonagh nous parle ni plus ni moins que de ruptures, de fins de ban, d'une amitié qui arrive au bout, et de la difficulté de prendre son indépendance... Quel pays mieux que l'Irlande peut prétendre à être idéal pour une telle thématique? Et s'il est inévitable, compte tenu de sa place dans l'histoire du cinéma, qu'on pense parfois à The quiet man et à John Ford, on ne pourrait pas être plus loin de cette Irlande-là, qu'avec cette histoire amère...

Le film est plus austère que jamais, et en particulier plus difficile à passer que Three Billboards outside Ebbing, Missouri, mais il vaut la peine d'être vu... Ce qui ne sera pas possible avant le 28 décembre, date de la sortie générale; pour l'instant il n'a été montré que dans des festivals...

 

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Published by François Massarelli - dans Martin McDonagh Comédie
3 avril 2021 6 03 /04 /avril /2021 08:36

Avec un titre pareil, difficile d'échapper à la tentation de l'énumération, elle viendra donc, en temps et en heure... Mais avant, on peut affirmer qu'au regard de celui qui précède (In Bruges) et de celui qui suit (Three billboards...), ce deuxième long métrage de Martin McDonagh cède assez volontiers à une démarche de digression permanente qui donne assez souvent une impression d'un certain laisser-aller... Même si j'insiste bien sur le terme "impression". Quoi qu'il en soit le fait que le principal personnage soit scénariste en panne, Irlandais, et surtout s'appelle Martin n'est sans doute pas anodin. Et ça explique la tendance de ce film à naviguer constamment entre une narration directe d'une histoire linéaire et un certain nombre de bifurcations vers le méta-film, un commentaire obsédant et hilarant sur le genre pratiqué par Martin: le film, vous l'aurez deviné, de psychopathes.

D'où le titre.

Martin (Colin Farrell) est donc un scénariste miteux, coincé dans on projet que les commanditaires attendent de pied ferme: un script qui s'appelle Seven Psychopaths", et qui n'a rien d'autre de prêt que son titre! Il écoute souvent la conversation permanente de son meilleur ami Billy Bickle (Sam Rockwell) qui lui raconte de glorieuses et délirantes histoires de tueurs fous, que Martin tente de reprendre ensuite à son compte... Et sinon, Martin boit: comme le dit Billy, c'est son double héritage, étant à la fois Irlandais et scénariste à Hollywood! Du coup il est en train, lentement mais sûrement, de foutre sa vie en l'air, à commencer par son couple avec Kaya (Abbie Cornish).

De son côté, Billy aide un ami, Hans (Christopher Walken) qui gagne sa vie en kidnappant des chiens qu'il ramène à ses propriétaires en échange d'argent qu'ils lui donnent évidemment spontanément. Le problème c'est que Billy a kidnappé un chien, lui aussi: Bonny, le Shi-Tzu de Charlie Costello (Woody Harrelson), un mafieux dangereux, psychopathe n°3 sur la liste du film! Et il l'a fait, justement, dans le but d'embêter Costello, car Billy couche avec la petite amie de ce dernier (Olg Kurylenko). Du coup Costello se lance dans une vendetta sanglante et un brin déraisonnable, massacrant notamment l'épouse d'Hans.

Ce serait déjà compliqué, si l'on n'apprenait pas en plus que l'un des trois losers magnifiques qui composent le groupe de héros minables, est en réalité l'un (voire deux) des mythiques psychopathes contenus dans le titre du film! 

S'il y a une logique narrative dans ce film, elle est à géométrie variable et s'adapte à ce qui se passe sur l'écran. Le style de McDonagh tenant de la mécanique de précision, on en se perdra pas, c'est sûr, mais il faut parfois s'adapter aussi, et avaler les couleuvres d'un film qui ne se prive pas de laisser parfois les personnages admettre qu'ils font partie d'une fiction: Sam Rockwell en particulier, qui monopolise à lui tout seul une proportion impressionnante du grain de folie qui a présidé à l'accomplissement de ce film... Qui comme d'habitude oscille entre conversations rigoureuses, plans fixes, flambées de violence, comédie loufoque, humour noir, tragédie et danse de mort. Bref: tout un univers... Un univers qui ressemble beaucoup quand même à un film délirant qui serait né d'une diabolique crise d'inspiration, quand même.

 

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Published by François Massarelli - dans Martin McDonagh Comédie
21 mars 2021 7 21 /03 /mars /2021 09:16

Deux tueurs se planquent en Belgique, à Bruges, et doivent attendre les instructions de leur commanditaire: Ken (Brendan Gleeson), le plus âgé, veille sur son copain Ray (Colin Farrell), qui est en essence, un vrai gamin... Pourtant il souffre d'avoir commis une faute très grave dans l'exercice de son "métier". Alors que Ken, aussi ignorant que Ray de la finalité de leur présence dans la ville médiévale, profite des lieux en se livrant à des visites touristiques, Ray s'ennuie ferme, jusqu'à ce qu'il fasse une rencontre nocturne, sur un plateau de tournage en pleine ville: une jeune femme locale, Chloé (Clémence Poésy), avec laquelle il va fixer un rendez-vous. 

Le lendemain, alors que Ray et Chloé dînent en ville, Ken apprend par un coup de téléphone de leur commanditaire Harry (Ralph Fiennes) que la mission est de tuer Ray...

C'est d'abord un film noir, qui raconte comme les meilleurs du genre le crépuscule d'un ou plusieurs truands (je vous laisse découvrir qui et dans quel ordre), dans un lieu inattendu et habité par des siècles d'histoire. La ville y est le théâtre de la violence paradoxale qui ne va pas réussir à y changer le cours des choses... Mais le film noir se pare d'une merveilleuse comédie de caractères, qui associe mots qui font mouche, et rigueur filmique. McDonagh est un paradoxe dans le cinéma actuel, puisque dans ses scripts les mots ont tant d'importance qu'il refuse de laisser improviser les acteurs à la virgule près. C'était déjà le mode de fonctionnement de Wilder, donc c'est en soi une idée intéressante. Les acteurs, d'ailleurs, s'en sortent admirablement, avec pour chacun d'entre eux un autre terrain de jeu, celui de la comédie physique, à travers un jeu d'expressions formidables. On constate qu'en Gleeson, Farrell et Fiennes, McDonagh a choisi des cas particuliers! L'utilisation fréquente de gros plans permet de détailler le jeu tout en tranquillité de Gleeson, celui tout en tics nerveux de Farrell, qui est ici à son meilleur, entre le tragique de la culpabilité et le comique de son personnage; enfin Fiennes fait merveille avec son accent cockney, et le jeu irrésistible de ses yeux, sans parler de son impayable grossièreté langagière.

Les clés du film sont dans l'utilisation de ces décors magnifiques, la cohérence de l'intrigue qui nous annonce à sa façon la suite des événements en utilisant des sous-intrigues et des balises de sens: les personnages de tueurs sont tellement diserts qu'ils nous racontent non seulement leur vie, mais aussi leur principes: ça permet d'anticiper! Et mine de rien, confronté via l'oeuvre de Hyeronimus Bosch au Jugement dernier, les tueurs se préparent à affronter la mort...

Mais le dernier mot semble, dans ce film époustouflant, revenir à la morale, car au départ, s'il y a la mort d'un homme, un décès commandité pour de basses raisons économiques, mais donc prévu par le code des truands, il y a aussi la mort d'un enfant, un crime inattendu, imprévu, que Ray n'en finit pas de souhaiter expier. Le film va se rythmer sur des reprises de cette tâche indélébile: par exemple, Chloé dit à Ray que le tournage sur lequel il l'a rencontrée était un hommage à Don't look now. Il ne connaît pas le film de Nicolas Roeg, et donc ne sourcille pas, mais c'est l'histoire de deux parents hantés par la mort de leur enfant, dont ils s'estiment responsables, et qui se rendent à Venise; Venise, Bruges... 

Bref: des acteurs au plus haut de leur art, tous amenés à donner une interprétation hors de leurs clichés personnels, des accents ciselés pour accentuer le pittoresque, un endroit saisi dans tous ses avantages, une intrigue prenante et racontée avec expertise, et une mise en scène faite de la plus grande précision, sans un gramme de graisse: c'est le premier film d'un metteur en scène débutant, et c'est un chef d'oeuvre.

 

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Published by François Massarelli - dans Martin McDonagh Comédie Noir
3 mars 2021 3 03 /03 /mars /2021 16:21

Un homme vient de perdre son épouse: le médecin le laisse à son chagrin, c'est une rude journée: en plus du décès (plus ou moins programmé) de la dame, il y a eu deux morts infantiles et un matricide particulièrement carabiné... L'homme prend le train pour rentrer chez lui, et pendant le trajet, il se retrouve face à un abominable garnement, qui se moque de tout, et en particulier du chagrin d'un couple dans le wagon, qui viennent de perdre leur bébé... 

C'est un court métrage de 26 minutes, écrit et réalisé par McDonagh, et présenté triomphalement au festival de Cork; il a reçu un certain nombre de distinctions dont un Oscar en 2006... le metteur en scène agit ici, définitivement, en auteur, aussi bien d'un point de vue cinématographique (il se joue de devoir placer ses personnages dans un train en marche pendant environ 20 minutes de film, comme s'il l'avait fait toute sa vie) que d'un point de vue textuel. On le sait depuis le succès de ses longs métrages, McDonagh est comme Billy Wilder, le texte de ses films doit être respecté à la virgule près, et on le comprend particulièrement ici: le comique méchant et assez irrésistible du film se nourrit justement de cette précision verbale, qui installe magistralement, d'un côté la détresse notamment ressentie par le personnage principal (Brendan Gleeson), de l'autre une sorte de renoncement humain ultime, un pied-de-nez à toutes les convenances, incarné par le jeune Rúaidhrí Conroy.

Et comme dans les films des Coen, McDonagh a un talent incroyable pour la digression pertinente, ainsi ici, il installe une sorte de besoin pour le personnage principal comme pour le spectateur, d'entendre une histoire dont il est question à plusieurs reprises, avant qu'on ne l'entende. L'avantage du cinéma, c'est que non seulement on entend l'histoire de la vache qui avait trop de gaz, mais en plus on la voit, et sa chute est explosive... 

 

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Published by François Massarelli - dans Martin McDonagh Comédie
25 février 2021 4 25 /02 /février /2021 17:26

Une femme (Frances McDormand) est en colère: sa fille est décédée dans des circonstances tragiques, sept mois auparavant, torturée, violée puis immolée... Le crime a eu lieu en plein air, et pas loin de sa maison. Mais aucun suspect n'a été arrêté, et l'enquête, confiée à la toute petite brigade d'Ebbing, le petit village à côté, est au point mort. C'est dans cette ambiance de désespoir quant à la justice due à sa fille que Mildred, qui élevait seule ses deux grands enfants, décide de faire quelque chose: elle va louer les trois panneaux publicitaires désaffectés à deux pas de sa maison, sur le pré où sa fille a subi son calvaire, pour exprimer une année durant ses interrogations et son dégoût par rapport au crime... En grandes lettres, visibles et lisibles par tous, trois messages rappellent le cruel destin d'Angela, puis interrogent nommément le chef de la police locale, William Willoughby (Woody Harrelson). Personne ne mesure encore l'agitation qui va s'emparer de la petite communauté...

C'est la plume trempée dans le vitriol que Martin McDonagh a écrit son scénario, ainsi que ses dialogues: j'ajoute cette précision, parce que les scénaristes-dialoguistes qui font attention à la moindre virgule sont devenus rares dans le cinéma du monde entier. Je veux parler de ces auteurs à la Billy Wilder, qui avec ses partenaires successifs (Charles Brackett, Izzy Diamond...) écrivait un dialogue à ne plus toucher. Car aujourd'hui tous les metteurs en scène ont fini par considérer le dialogue comme étant à définir sur place lors du tournage avec les acteurs. Pas McDonagh, chaque mot, chaque effet est pesé, et pensé en fonction d'un interprète bien précis. Et clairement il les aime, puisqu'il ne les lâche plus... Ici, on retrouve Woody Harrelson, Sam Rockwell, Abbie Cornish... 

Mais concernant le vitriol, je pense qu'il n'y aura pas besoin de plus d'explication, quand j'aurai dit que le film dont vous pouvez lire un peu plus haut le synopsis est une comédie. Ou une dramédie, encore un mot à la mode, mais qui cette fois a l'avantage de vouloir dire quelque chose. C'est que chaque scène dramatique est ponctuée d'authentiques rires du public, que chaque gag (et il y en a!) est accompagné d'un rappel du drame, chaque annonce sérieuse assortie d'une anecdote absurde.

Dans le film, tourné en permanence à hauteur d'acteurs, avec une tendance de la mise en scène à s'effacer (une preuve d'efficacité), on est suspendu aux actions de ces personnages formidables: Frances McDormand compose une extraordinaire femme en colère, qui vit comme ses concitoyens, fort modestement, mais qui est consumée de l'intérieur par son drame; et si elle n'a pas la langue dans sa poche, elle n'est pas non plus du genre à rester inactive; Woody Harrelson, accent sudiste 100% authentique en bandoulière, interprète quant à lui un shériff juste, mais qui a été dépassé par les événements inhabituels dans un telle petite ville. Et surtout, il est mourant, atteint d'un cancer inopérable, et tout le monde le sait; de son côté, son adjoint, le turbulent Jason Dixon (Sam Rockwell) est un pur produit de la culture Sudiste, un de ces personnages qu'on aurait appelé White trash en d'autres temps, que sa mère a biberonné avec les idées du KKK dans sa tendre enfance... Personnage important, pourtant et pas que pour sa violence presqu'enfantine (il rejoint Ray de In Bruges, et d'ailleurs il y a un lien avec ce film sous la forme d'une allusion discrète à Don't look now, le film de Nicolas Roeg): lui qui bénéficie d'un spectaculaire plan-séquence, va effectuer un trajet vers une forme intéressante de rédemption. Et puis d'autres, bien d'autres, qui vivent une audacieuse comédie humaine sous nos yeux, où le rire s'étrangle entre les sanglots. Tous ces êtres font face à la noirceur du destin, sans réussir à rompre leur impressionnante solitude: quand on vous dit que c'est drôle...

Cette comédie dramatique de la vengeance, vengeance qui ne s'accomplira pas, d'ailleurs, où on confond Oscar Wilde et Shakespeare, est un authentique chef d'oeuvre. Un film qui, en moins méchant cependant, mérite de rejoindre au panthéon l'inoubliable Fargo des frères Coen.

 

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Published by François Massarelli - dans Martin McDonagh Comédie