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1921, à Fairfax, dans le Comté d'Osage en Oklahoma, les Natifs Américains locaux (les Osage) sont devenus riches grâce à la découverte de pétrole. Le comté est une réserve "indienne", comme on disait alors, et les fortunes des Osage sont sous surveillance voire pour certains sous tutelle. La population blanche a été largement attirée par la situation, et de nombreux blancs ont commencé à se marier avec les héritères Osage. C'est dans ce contexte qu'Ernesr Burkhart (Leonardo Di Caprio) revient de la première guerre mondiale, pour s'installer auprès de son oncle William Hale (Robert de Niro), riche propriétaire et philantrope, mécène local et auto-proclamé "ami des Osage"... Mais c'est un ami observateur, qui fait rapidement comprendre à son neveu qu'il a en effet intérêt à se trouver une riche héritière, mais que ce ne sera pas suffisant... Et justement des morts de plus en plus nombreuses, jamais expliquées, frappent la communauté native de Fairfax à peu près à cette époque. Pourtant, quand il rencontre la belle Osage Molly Kyle (Lily Gladstone), Ernest semble bien tomber amoureux... Pourtant ça va être le début d'un bain de sang...
Scorsese varie une fois de plus les plaisirs de cinéma en s'attquant à sa façon à un genre qu'il n'a jamais abordé avant, même s'il en est clairement un fin connaisseur: le western. Mais un western qui est situé dans les années 20, une période durant laquelle dans certaines parties de l'Ouest (partout où ce n'était pas la Californie, en gros), le travail de construction du pays n'était pas vraiment achevé... Comme avec Gangs of new York, situé 60 années environ avant les faits racontés ici, le metteur en scène transpose dans cette intrigue d'un autre genre, son univers bâti autour du crime organisé... Car autour de Bill Hale, magistralement incaré par Robert de Niro, c'est bien un système quasi mafieux qui s'agite. Un système qui repose à la fois sur un racisme militant, et sur un double langage maitrisé en permanence: car s'il prétend constamment le contraire, Hale est absolument déterminé à prendre des mains des Osage cet argent du pétrole dont il estime qu'ils ne le méritent pas. Et il est aidé de façon étonnante par une population qui reste hostile aux "indiens", mais aussi, par des gens qui n'ont aucune difficulté, à envisager (ou à concrétiser) un plan qui se finirait par le meurtre d'enfants qui sont des héritiers du pétrole... Et à la dire à un policier, entre la poire et le fromage, comme si ça n'avait rien de choquant. Un monde dans lequel, incidemment, la banque est détenue par un homme qui se présente ouvertement comme le chef local du KKK.
Comme Mean Streets, Goodfellas, Casino, Gangs of New York, The Departed, The Wolf of Wall Street et The Irishman, le film est donc une fois de plus une exploration de la façon dont l'Amérique s'est construite sur des familles tentaculaires et criminelles, des groupes humains (et ici The wolf of Wall Street est bien sûr l'exception) dont l'affirmation d'identité passe par le crime voire le massacre. Et comme dans la plupart de ces films, la police, à travers un fonctionnaire consciencieux et méthodique du FBI (l'excellent Jesse Clemons), met du temps à les coincer, mais ira au bout de l'investigation. Mais entre temps, on aura vu de quelle manière des gens auront été loin dans une entreprise inhumaine d'extorsion à très grande échelle.
Et le plus intéressant, c'est que tout en jouant sur la fresque (un film de 3h26, c'est souvent souligné), Scorsese ne perd jamais de vue ses trois principaux personnages, à savoir Hale, Burkhart et Molly. Celle-ci aime son mari, qui le lui rend bien, et mettra du temps avant de le soupçonner d'être pour quelque chose dans le meurtre de sa mère, ses trois soeurs, et aussi dans la façon dont son diabète va empirer quand Hale lui fournira de l'insuline. Si elle ne soupçonne pas Ernest, en revanche elle comprendra assez vite que Hale est un hypocrite... Ce dernier est en effet en permanence à vanter son affection pour les Osage, mais on comprend assez vite que c'est lui qui tire les ficelles... Ernest, lui, est sans doute un esprit lent, capable de se fermer à la logique, et réussissant à faire abstraction du fait qu'il est en train de tuer son épouse à petit feu... Tout en étant sincèrement amoureux. Di Caprio, les dents jaunies et les traits tirés, le joue comme un homme monstrueux dans son inachèvement, son manque total de sophistication, et l'emprise que son oncle a sur lui, bien sûr... La dynamique entre ces trois personnages trouve son meilleur ancrage dans le personnage de Molly, et Scorsese réussit un tour de force narratif: nous faire adopter le point de vue de cette dernière alors qu'elle sera moins présente à l'écran que les deux autres. Mais Molly est bien le sujet et le révélateur du drame...
Enfin, le film participe d'une fascination du metteur en scène pour le double langage, qui est celui de la mafia, mais aussi de "Bill the butcher" dans Gangs of New York, ou de Jordan dans The wolf of Wall Street: cette capacité de prétendre constamment faire le bien, et être le bienfaiteur d'une communauté (ou le supérieur d'une entreprise), tout en se conduisant sans aucun scrupule en criminel, dans le seul but d'accumuler le plus d'argent possible. Le Catholique Scorsese (non pratiquant, certes, mais il est baptisé et a été élevé à Little Italy) est autant dégoûté que fasciné par cette espèce, dont au terme d'un carrière fascinante, il fait dans ses films, qu'ils soient inspirés ou non de la vérité (c'est le cas ici) les fondateurs d'une Amérique entièrement forgée dans le sang.
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