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22 août 2018 3 22 /08 /août /2018 11:28

Rien n'est simple? Voire... Dans ce film épique où, finalement, pas grand chose ne se passe, il me semble que Michael Cimino a limité la portée symbolique, l'interprétation grandiose, ou même qu'il se soit contenté de réaliser une épopée du quotidien, qui tourne mal. Il l'a fait en particulier, avec le projet de rendre hommage à la classe ouvrière, ce qui n'a rien de banal, et il a aussi réalisé le premier film d'importance autour du traumatisme du Vietnam. Bien sûr, The green berets est sorti en 1967, mais c'est un abominable navet, et Apocalypse now, commencé avant le film de Cimino, ne sortirait que l'année suivante...

Le film prend ses racines en Pennsylvanie, dans une communauté russophone et orthodoxe, dont Nick (Christopher Walken), Michael (Robert de Niro), Steven (Jon Savage) sont les représentants. Ils travaillent dans une fonderie, et partagent la même vie et les mêmes loisirs. En particulier, ils aiment se rendre à la chasse, un sport pour lequel Nick et Michael ont développé toute une philosophie et tout un code d'honneur. Et les trois jeunes hommes vont partir pour le Vietnam: ils se sont engagés, et sont fiers de partir pour leur pays... Tout de suite après le mariage de Steven, en fait, et après la partie de chasse que les copains du marié s'offrent avant même d'avoir enlevé leurs smokings...

Au Vietnam, les choses tournent justement au chaos indescriptible pour les trois hommes. Ils sont faits prisonniers, et torturés avec un moyen inattendu: une partie permanente de roulette russe, pour le bénéfice de leurs geôliers qui parient sur les résultats. Mais ils réussissent à s'évader. Par contre, ils ne parviennent pas à rester ensemble. Steven, amputé des deux jambes, est ramené au pays; Michael revient quelques temps plus tard... Et Nick ne donne pas signe de vie, à part des liasses de dollars qu'il envoie en Amérique, chez Steven. Michael décide de tirer ça au clair.

Dans la première heure, entièrement consacrée aux 48 heures tournant autour du mariage de Steven et Angela, le metteur en scène privilégie le plan séquence, et obtient un naturalisme inédit dans la peinture d'un microcosme Américain saisi dans une vérité impressionnante. Comme dans Heaven's gate, l'utilisation du folklore et des rassemblements (ici, la fête après le mariage) joue un rôle crucial dans la dimension naturaliste, et nous permet d'assister à la façon dont une communauté Américaine fait corps. Un écho à cette situation est bien sûr la pathétique scène finale, lorsque les survivants trinquent ensemble à l'un d'entre eux, et entonnent avec un manque d'enthousiasme notable, un chant patriotique... La plupart des scènes tournées en Pennsylvanie sont notables pour leur utilisation du cadrage, qui n'omet jamais de nous rappeler la présence de l'usine, qui devient beaucoup plus qu'un décor. A elle seule, elle semble jouer un rôle important dans la caractérisation de toute une communauté.

Car le véritable sujet n'est pas le Vietnam, mais plutôt la façon dont une partie de la population, celle qui a a toujours le plus à perdre bien qu'elle n'ait pas grand chose, a traversé la période, en prenant souvent une tragédie pour une opportunité: opportunité de compter, de faire quelque chose pour son pays, de s'élever... Cimino rend hommage à la classe ouvrière en montrant ses hommes comme ce qu'ils sont: ce qui caractérise ces protagonistes, ce n'est pas l'absence de sophistication, mais l'absence de prétention. Ils partagent une culture, pour commencer. Des doutes? Ils en ont, bien sûr. De l'honneur? Ca oui! Michael, qui considère que la seule façon de tuer un cerf est de ne s'autoriser qu'une seule balle, a un code moral très strict. Du courage, évidemment, mais aussi une certaine insécurité, comme le montre le personnage de Stanley (John Cazale, dans son dernier rôle, était mourant lors du tournage) qui se rassure comme il le peut, avec une arme toujours chargée qu'il emporte sur lui, mais dont il ne sait pas forcément quoi faire! Lui aussi a de l'honneur, d'ailleurs: mais ça non plus, il ne sait pas trop quoi en faire...

Michael Cimino, qui peindra un autre désastre quelques années plus tard avec l'un des films les plus controversés, et aussi les plus beaux qui soient (Heaven's gate), n'a pas besoin de pousser le bouchon trop loin pour montrer la catastrophe qu'était le Vietnam, une catastrophe sur l'homme d'abord. L'homme, qu'il soit revenu intact (Michael), qu'il soit revenu en morceaux (Steven) ou qu'il ne soit pas revenu du tout (Nick), participe au conflit sans trop le comprendre, et n'en retirera qu'une impression de gâchis.

Cimino, beaucoup attaqué par tous les côtés pour avoir introduit l'idée de roulette Russe, et pour le coté fragmentaire de sa vision du conflit, a pourtant bien limité sa partie sur le Vietnam à l'expérience chaotique d'une poignée d'hommes; il a par ailleurs beaucoup utilisé, avec efficacité, l'image médiatique de la guerre du Vietnam, qui reste pour toujours liée à la façon dont l'inconscient collectif à refaçonné cette période de l'histoire: l'exode final, l'anecdote de l'hélicoptère jeté à la mer, etc... Quant à la roulette Russe, quelle meilleure métaphore pouvait-il y avoir?

Le film, d'une profonde honnêteté quant à toutes les interprétations qui peuvent s'en dégager, est l'un des plus beaux témoignages qui soient, précisément parce qu'il n'est ni fermé, ni exhaustif. Chacun amènera avec lui ses doutes, ses certitudes, et ses impressions...

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Cimino
5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 17:14

Ne rentrons pas dans les détails de l'histoire compliquée de ce film, et de son destin plus que contrarié: rappelons juste que suite à une décision d'un studio désireux de reprendre le contrôle d'un film dont le budget avait été un sérieux problème, Heaven's gate a été amputé avant sa sortie comme tant de films avant lui, et comme d'autres après (et d'autres à l'avenir aussi, n'en doutons pas). Pourquoi, comment, par qui, peu importe: ce sont là des questions qui méritent certes qu'on s'y attarde, mais qui justifieraient un livre à elles seules...

Concentrons nous plutôt sur le film tel qu'il nous est enfin restitué suite à une restauration digne de ce nom, orchestrée par Michael Cimino lui-même, et qui restitue sinon l'intégralité des 219 minutes du montage de 1980, au moins 216 minutes, dans ce que Cimino appelle sa version favorite. Au moins c'est clair... Et le film (Via une copie positive, seul le négatif de la version amputée ayant pu être localisé) a fait l'objet d'un ré-étalonnage numérique qui rend justice à l'extraordinaire photographie de Vilmos Szigmond, le chef opérateur avec lequel Cimino avait déjà travaillé précédemment pour The deer hunter.

Heaven's gate a souvent été qualifié de film qui montre la mort du western, comme si le genre pouvait réellement mourir... C'est le propre des westerns d'après 1960 d'être souvent qualifiés de "crépusculaires", mais ne faudrait-il tout simplement pas mieux admettre que comme tous les genres, celui-ci a tout simplement évolué? Cimino, en en montrant sa vision personnelle en 1980, se situe à mon sens dans les pas ô combien classiques de John Ford, qui a avant lui montré à sa façon de quelle façon l'évolution, la marche en avant des Etats-Unis se faisait en parallèle avec la violence sous ses nombreuses formes, tout en dépeignant une société Américaine marquée aussi bien par ses conflits de classe que par son multiculturalisme. Tous ces thèmes sont justement ce qu'on retrouve dans ce beau film de Cimino...

 

Le film commence, de façon inattendue, dans l'Est: à Harvard en 1870, des jeunes hommes obtiennent leur diplômes de fin d'études, et vont, sous l'impulsion de leur doyen, affronter la vie, aller loin et se mettre en quête de faire profiter les Etats-Unis de leurs richesses, et de leurs intellects. 20 ans plus tard, nous retrouvons l'un d'eux: James Averill (Kris Kristofferson), un homme richissime dans l'Est est devenu marshall de Johnson County; un endroit ou il aime à venir s'encanailler, en particulier en compagnie de la prostituée Ella Watson (Isabelle Huppert). De retour après un long voyage (Il est parti pour trouver un Tilbury de luxe pour l'offrir à Flora), il constate que le lieu a changé: de plus en plus d'immigrants se pressent dans les villes et les prairies, et des agents de la loi sont amenés à abattre certains de ces européens, qui ont procédé à des vols de bétail pour survivre, sans sommations. Mais bien vite, la situation va se compliquer encore plus, puisqu'avec l'appui du gouvernement fédéral, le chef d'un groupe d'éleveurs a obtenu de dresser une liste de 125 de ces immigrants à abattre sous le prétexte qu'on les soupçonne de trahison, d'anarchisme, ou d'être une bande organisée de voleurs. Parmi eux, la belle Ella...

Outre James Averill, on fait aussi la connaissance d'un certain nombre de personnages, dont certains peuvent lui être assimilés: ainsi son camarade d'université, William Irvine (John Hurt) est-il lui passé, bien qu'il le fasse par dandysme plus que par conviction, du côté des éleveurs; d'autre part, Nate Champion (Christopher Walken) est lui un agent de la loi, qui au début du film exécute les ordres, mais se refuse à participer à la tuerie finale, qu'il estime illégale, quelle que soit l'implication du président lui même (le Républicain Benjamin Harrison a en effet soutenu l'initiative du plus fort, ici, dans ce qui est resté célèbre dans l'histoire sous le nom peu glorieux de Johnson county war)... Ces hommes, d'une part et d'autre, auraient pu être Jim Averill lui-même... Mais celui-ci, par ennui, ou par romantisme, a décidé de se situer du côté des petits, et soutiendra jusqu'au bout la cause de ces déshérités du rêve Américain. Le parallèle est encore plus fort entre Averill le riche et Champion, un homme de loi illettré, intègre mais amer: les deux aiment la même femme, et celle-ci passe une bonne partie du film à hésiter entre eux.

La violence, dans ce film, est indissociable du progrès. De même que le crime semble indissociable de la conquête des espaces, et que si le rêve Américain existe (Le chef des éleveurs, Canton, vit le sien, qui l'autorise à tutoyer les grands de ce monde et à désigner qui vivra et qui mourra, un barman entreprenant fonde un dancing-patinoire afin de gagner de l'argent tout en fournissant de l'amusement à toute une ville en devenir...), il peut aussi être mis en question: il est évident qu'Averill a vécu le sien, mais qu'il en est revenu: d'ailleurs, il s'st marié dans l'Est et a fui. Tout le film renvoie à l'idée de civilisation: des villes se construisent et se peuplent, des commerces fleurissent sous nos yeux; Averill croit en la locomotion et en offre un moyen à Ella, qui de son côté souhaite rester afin de continuer à contribuer à la vie d'un endroit qui est clairement son chez elle (Elle est d'ailleurs une notable à bien des égards...); mais de l'autre côté, aussi bien les éleveurs et leur volonté de garder le Wyoming libre pour des prairies où faire paître leurs troupeaux, que les petits immigrants qui utilisent du fil barbelé pour délimiter leurs parcelles, tous font oeuvre de civilisation. Comment s'étonner qu'à un moment on réalise la vérité des Etats-Unis: il ne fait pas bon y être pauvre... un constat explicite dans le film, noir, mais qui renvoie aussi à une conclusion en forme d'ironique cauchemar: pour le riche Averill, seul véritable survivant d'une boucherie inutile, on n'échappe pas à son destin... et même si la démonstration s'enrichit (comme The deer hunter) d'une illustration du melting-pot folklorique à travers les langages européens nombreux et mélangés, et la présence de danses et musiques venues en particulier d'Irlande, le système de classes, inique et impitoyable, a le dernier mot dans cette fresque lyrique et monstrueuse. Et l'Amérique, lieu de réalisation de l'individu, devient ici le mouroir des individualités face aux grosses machines collectives... 

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Published by François Massarelli - dans Western Michael Cimino Criterion