Le vieux Sud, avant la guerre civile... Le planteur Van Horn s'est installé depuis sa Pennsylvanie natale, et bien il vit remarié avec une (insupportable) ancienne "belle" locale, et avec son grand fils Carl. Celui-ci a rencontré une jeune femme, Dixiana (Bebe Daniels), qui est chanteuse à New Orleans. Avec le soutien de son père, il la ramène chez eux pour se marier, mais la belle-mère s'oppose au mariage quand elle apprend que Dixiana a travaillé dans le cirque... Elle doit quitter la plantation et décide de le faire sans Carl, dont elle pense qu'il ne doit pas mettre son avenir en danger.
Cinématographiquement, c'est du pur Musical de 1930, cette fois servi par la RKO: intrigue vague d'opérette, répartition parfois hasardeuse des ingrédients (chants, danse, comédie, et intermèdes de music-hall) dans laquelle les trois vedettes sont Bebe Daniels (compétente en dépit du matériau usé jusqu'à la corde qu'on lui confie), et les insupportables comiques pas drôles Wheeler et Woolsey, dont je ne vais pas plus parler parce qu'ils n'en valent pas la peine. Everett Marshall, le chanteur qui joue Carl, est nul. Le film vaut sans doute plus par ses vingt minutes finales en Technicolor qu'autre chose, et son méchant est épouvantablement fade...
Sinon, c'est le Sud tel que le cinéma s'est toujours obstiné à le représenter: douceur de vivre, mint juleps, et "mes esclaves chantent mieux que les esclaves des autres, c'est parce qu'ils aiment leur maître"... Bref.
Eve (Emily Browning) est australienne, elle vit en Ecosse, pour ses études du moins c'était l'idée. Internée dans un hôpital où elle est soignée pour son anorexie, elle fait le mur et rencontre dans un concert James (Olly Alexander), un guitariste-auteur-compositeur qui souhaiterait percer. Elle aussi... Une fois remise sur pied, au début de l'été, elle se met en quête de le retrouver pour lui exposer son projet: chanter, faire de la scène, arranger et enregistrer ses chansons. Avec leur amie Cassie (Hannah Murray), les deux s'y mettent...
C'est un projet de longue date, subliminalement autobiographique, de Stuart Murdoch, chanteur et auteur compositeur du groupe de Glasgow Belle and Sebastian. Il souhaitait élargir sa palette en créant un nouvel univers en chansons; le film s'est fait grâce à la création des service de Kickstarting...
On retrouve la patte du groupe Belle and Sebastian, d'ailleurs, cette pop sucrée, allusion permanente aux grands moments d'une sunshine pop des années 60 (un single de The left banke, pourtant un authentique groupe Américain, est visible sinon audible dans une scène). Le film semble nous montrer un univers parallèle sur une sorte de planète pop... Où les gens courent après les groupes de rock dans les rues, ce qui nous rappelle fortement quelque chose...
Emily Browning et Hannah Murray prêtent leur étrangeté et leur gentille excentricité au projet: Browning en particulier est, visuellement totalement compatible avec un projet qui tente de se reconnecter avec la pop de 1966, mais tout ça est bien léger, trop sage et souvent trop retenu... Comme Stuart Murdoch lui-même, tiens donc.
1861: la Comtesse Angelina de Bergamo (Betty Grable) épouse le Baron Mario (Cesar Romero), et tout le monde se réjouit... Sauf que c'est le moment choisi par une colonne de Hongrois pour prendre le château. Avant même le début de la lune de miel, le Baron doit fuir... Inspirée par la légende locale, selon laquelle 300 années plus tôt, la Comtesse Francesca (...Betty Grable) aurait tenu tête à une autre invasion, Angelina se prépare à accueillir les Hussards, menés par le Colonel Teglash (Douglas Fairbanks Jr) à sa façon...
Le script est de Samson Raphaelson, adapté d'une opérette de 1919; comme on le voit, Lubitsch en retournant à la comédie musicale avec ce film renouait à plus d'un titre avec les racines de son art, renvoyant non seulement à l'époque de son règne sur le cinéma Allemand et de ses comédies de 1919-1920, mais aussi au cycle fabuleux de comédies musicales qu'il avait dirigées au début des années 30. D'ailleurs, le metteur en scène souhaitait qu'Angelina et Francesca soient interprétées par Jeannette MacDonald.
En lieu et place, Betty Grable, favorisée en raison de sa popularité contemporaine, se débrouille comme elle peut, et est au moins une actrice énergique, dotée d'un partenaire exceptionnel: je sais que Fairbanks a souvent dit à quel point ce film était un ratage (j'y reviendrai), mais il a au moins le mérite de montrer aujourd'hui à quel point le fils du grand Doug était un acteur fin, capable, versatile et souvent unique dans son style. Le reste de la distribution est tout à fait adéquat et donne vraiment l'impression que le maître à bord était, de bout en but Lubitsch: les servant, domestiques, aides de camps et sous-fifres sont donc une faune abondante, qui relaie en permanence la vie de leurs maîtres, gradés et employeurs, avec les sous-entendus de rigueur...
Et le film ose parler d'adultère, le centre même du film. Nous savons dès le départ qu'aussi poli et respectueux qu'ils soient, les deux jeunes mariés ne s'aiment pas, du moins la Comtesse n'aime-t-elle pas son mari. L'arrivée du flamboyant colonel de hussards va donc être un catalyseur puissant pour précipiter le drame, aidé par le fantôme de la première Comtesse... Car c'est l'un des atouts de ce film, et c'est là encore un trait foncièrement Lubitschien: la réalité, le rêve, la fantastique et la chanson s'y mêlent intimement, créant un univers constamment décalé, régi par ses propres lois, ce qui permettrait d'expliquer comment la production a réussi à imposer la coquinerie ambiante...
Mais Lubitsch ne verra jamais le film terminé, puisqu'il est décédé après 8 jours du tournage des scènes principales. Otto Preminger a été désigné pour prendre le relais et s'est engagé à scrupuleusement respecter les plans du maître, son style et a été jusqu'à refuser de signer le film, afin qu'il ne soit crédité qu'à Ernst Lubitsch... Et ça y ressemble fort. Les récriminations citées plus haut sont liées à la rancoeur du principal acteur contre le metteur en scène de remplacement: bon, Preminger n'était pas Lubitsch, mais surtout leurs méthodes, leurs humeurs dirons-nous, n'étaient pas les mêmes. S'il a réussi à pasticher le style de Lubitsch, c'est évident, la façon d'y parvenir a dû sérieusement différer... Mais quoi qu'il en soit, le film tient sérieusement la route, tout en étant un peu une certaine forme d'anachronisme. Encore un trait Lubitschien?
Dans un music-hall, le ventriloque Gabbo n'arrive plus à retenir son égocentrisme et manifeste à l'égard de Mary, son assistante, une froideur et une méchanceté de tous les instants. Le couple se disloque et Mary s'éloigne... Deux ans plus tard, ils partagent la vedette d'une revue: Gabbo s'est rendu compte de son erreur et tente de la faire revenir vers lui, mais Mary est mariée à son partenaire, et souhaiterait trouver le moyen de le dire à celui qui continue, malgré leur histoire commune si compliquée, à la fasciner...
A côté de cette intrigue, il y a Otto: la poupée articulée de Gabbo, en effet, est la raison pour laquelle le film a souvent été mis un peu à tort et à travers dans la case fantastique. Le rapport entre le ventriloque et sa marionnette est impressionnant et pose forcément des questions au spectateur: quand il est seul dans sa loge, Gabbo lui parle et Otto lui prodigue généralement des conseils. Quand Mary s'en va, Otto lui témoigne la sympathie que Gabo lui refuse. Et quand elle est définitivement partie, Otto devient, plus que jamais, le confident de l'artiste. Un artiste qui est détesté par tous ceux qui l'approchent: ses voisins dans les coulisses se moquent de lui, et les danseuses et chorus-girls 'apprécient pas sa morgue et se moquent de son côté hautain... Seul contre tous, Gabbo adopte une position de repli, parlant toujours plus à Otto sans se rendre compte qu'il devient peu à peu complètement fou...
De son côté, Mary écoute Otto, car elle sait qu'il exprime le côté positif de son propriétaire. Quand elle dit adieu à Gabbo, c'est à Otto qu'elle le dit. Du coup, le doute est permis, et ni Cruze ni Stroheim ne nous diront jamais clairement si Otto est doué de vie ou si c'est tout simplement une histoire, littéralement, de fou. La solution s'impose de toute façon d'elle-même, le personnage de Gabbo étant, comme un Svengali malchanceux, totalement fascinant... Un mélange de folie, donc, mais aussi d'une pudeur malvenue, celle d'un personnage qui s'enferme dans un amour impossible...
Il fallait, pour un tel personnage, un monstre sacré comme Stroheim. Celui-ci est royal, jouant de son accent et de sa raideur comme rarement... Il semble apprécier le fait d'utiliser enfin sa voix, d'ailleurs: c'est son premier film parlant, et il réussit brillamment le test... Le personnage a sans doute bénéficié de ses idées, et on trouve des touches personnelles dans son costume et son maquillage: en plus de l'aspect cérémonial de son costume de scène (une veste blanche impeccable, une culotte de velours noir avec des as jusqu'aux genoux, et une paire de chaussure à la dernière mode du XVIIIe siècle), il a ajouté des médailles sur lesquelles nous ne saurons rien, et qui ajoutent un peu plus à la dimension mythique et passée du personnage: il a vécu, et il ne sait pas lui-même qu'il est en bout de course... Comme pour confirmer ce dernier point, la cicatrice de l'acteur, située sur le front, au-dessus de l'oeil droit, est accentuée par le maquillage et justifie une fois de plus de manière éclatante la présence d'un monocle...
Betty Compson est formidable, et il est dommage qu'elle n'ait pas pu prolonger cette carrière de premier plan... Ici, elle est doublée aussi bien pour les scènes chantées que pour la danse. Car c'est la particularité, mais aussi la malédiction, de ce film: c'est aussi une comédie musicale... Typique de 1929, c'est à dire qu'on y considère le spectacle comme devant être à l'imitation de ce qui se passait à New York chez Ziegfeld: des danseuses habillées de mousseline, qui marchait en rythme, accumulées de tableau en tableau. Une spirale de mauvais goût au goût artistique réduit à néant... Ces scènes était rehaussées de couleurs dans la version originale disparue, mais en noir et blanc, elles sont des tentations coupables de zapper, malgré l'extravagance des moyens mis en oeuvre: des mises en scènes délirantes (l'un de ces numéros montre les danseurs et danseuses évoluer sur une toile d'araignée...) et les clins d'oeil à la permissivité de Ziegfeld (les statues nues et vivantes, maquillées de blanc). Ces scènes ont probablement joué pour la bouche à oreille du film, mais aujourd'hui elles l'alourdissent considérablement.
Ce qui est aujourd'hui considéré comme un classique, paradoxalement, n'a pas eu une très belle carrière en salles. C'était un pari risqué pour Cruze, et il a payé le prix: après un ou deux films indépendants voire tournés pour des compagnies de seconde zone (Republic ou Tiffany, par exemple), et quelques productions occasionnelles pour Universal ou Paramount, la carrière de l'ambitieux metteur en scène de The covered wagon et Old ironsides était finie...
Un mariage va avoir lieu en Arizona, chez les bous... pardon, les cow-boys, d'ailleurs tous préservés de la poussière et de la saleté, portant tous le même costume... Mais ce mariage arrangé n'a rien d'une occasion de se réjouir, car il séparera définitivement deux amoureux: l'un est un indien (un peu) et l'autre une, je mets des guillemets parce que je ne suis pas Eric Zemmour, "blanche"...
Pendant ce temps, Eddie Cantor joue un hypochondriaque qui chante les pures sous-entendus de la planète en roulant des yeux gracieusement, les girls chantent et dansent, Busby Berkeley cherche mais ne trouve pas encore. Ce serait anecdotique à l'extrême si le film n'avait pas été intégralement préservé dans son Technicolor d'origine, et franchement c'est un miracle. ...Pas le film.
Apparemment, ce court métrage (querelle d'amoureux dans une cantina, sur fond de danse typique Mexicaine) ne paie pas de mine... Mais c'est en fait une date importante: c'est après tout la première oeuvre de fiction réalisée en Technicolor, procédé 4 (le premier à incorporer toute la palette, à partir de trois et non deux bandes)...
Donc c'est l'ancêtre direct de Gone with the wind. La copie actuellement en circulation est d'une beauté impressionnante, ce qui ne rend avouons-le pas le film très folichon pour autant...
Cette adaptation d'un conte d'Andersen a beau se cacher derrière un titre accrocheur et passe-partout, on constatera que les traducteurs s'en sont retournés vers le titre initial: en français c'est donc La reine des neiges... Le plus énorme des succès Disney de ces dernières années est donc, aussi, une grande réussite.
Le scénario, plus ou moins adapté d'Andersen, concentre tout son pouvoir magique sur une relation, mais elle n'est pas celle de la belle cruche et d'un prince charmant: au contraire d'ailleurs puisque dans le film le prince en prend sérieusement pour son grade. Non, la relation cette fois est celle qui unit ou devrait unir deux soeurs, dissemblables et complémentaires, qui autrefois s'adoraient, mais aujourd'hui ne se voient jamais: Elsa la blonde, princesse héritière d'un royaume Nordique, et sa petite soeur Anna la rousse, qui ne comprend pas pourquoi sa grande soeur la boude...
Nous le savons, nous, car un prologue magistral nous l'a appris: Elsa a des pouvoirs magiques qu'elle ne contrôle pas, et manque de tuer Anna lors d'une séance de jeu; Elsa peut en effet geler à volonté tout ce qu'elle touche, voire tout ce qui l'entoure, un pouvoir lié à ses émotions et qu'elle contrôle très mal; une malédiction qui la condamne à vivre seule ou cloîtrée, et dont elle ne peut parler à personne. La mort de la petite Anna a été empêchée par les trolls, mais elles ont été séparées pour permettre à la petite d'oublier... Le film commence vraiment par le couronnement d'Elsa, qui voit Anna faire la rencontre d'un prince un peu pressé de se marier, ce qui va précipiter bien des ennuis, puis des malheurs...
L'animation est superbe: du moins, une fois acceptée l'horripilante manie de tous les studios Américains de donner la même tête (grands yeux, petit nez retroussé) à tous les personnages féminins importants depuis l'avènement de Pixar, une fois acceptés les tendances et autres tropes (le meilleur ami du héros masculin est donc un animal sympa presque doué de parole, l'hyperactivité de a jeune femme fantasque, la créature décalée, etc); on est chez Disney, donc on se repose un peu sur les vieilles recettes, mais dans ce monde de neige et de froid (en plein été), le script permet au décor de passer d'un été enchanteur et un peu trop beau, à un hiver cauchemardesque qui nous réserve un bon nombre de surprises splendides.
Et pour une fois cette satisfaction s'étend à la bande originale d'un film qui repose énormément sur sa musique (composée par Christophe Beck), et les chansons (Kristen Anderson-Lopez et Robert Lopez); celles-ci sont parfaitement intégrées dans le tissu narratif et (en anglais en tout cas) d'un e grande qualité: on n'y fait, pour une fois, pas trop.
Pour finir, si comme toujours il convient de ne pas trop prendre tout cela au sérieux, le fait est que si Anna cherche au bout d'un moment, à trouver l'amour, comme toute héroïne Disney qui se respecte, donc auprès d'un gaillard pas trop crétin, Elsa elle a d'autres préoccupations, liées en particulier à son évidente incompatibilité avec le monde: c'est vrai qu'elle jette un froid. Une petite ouverture métaphorique de Disney vers une autre humanité, une autre sexualité?
Le plus ancien des films parlants encore existants de Michael Curtiz est aussi son premier gros succès à la Warner, et sa première expérience en couleurs... C'est aussi un de ces musicals de la première heure, alors qu'entendre la voix synchronisée d'un acteur était encore relativement nouveau...
Une troupe de music-hall parcourt les Etats-Unis: parmi eux, Al Fuller (Al Jolson), la vedette de la troupe, amoureux de la fille du patron (Lois Moran) mais qui a accepté de mettre ses sentiments en veilleuse parce qu'elle est amoureuse de son meilleur copain (Lowell Sherman)... Mais le destin rôde et va semer la zizanie, allant jusqu'à laisser Al se faire injustement accuser d'une tentative de meurtre...
Al Jolson: c'est le premier écueil du film; il est, pour qui ne l'aime pas, difficilement supportable quand il chante. Maintenant, c'est un bien meilleur acteur que chanteur, et le film bénéficie d'une mise en scène rythmée... c'est un très bon point, tant les films qui vont vite sont rares en 1930, mais Curtiz a très vite maîtrisé les techniques du parlant, au point d'adopter avec son film un montage qui est très proche du muet...
Curtiz et le musical, y compris à la Warner (le futur studio de Footlight Parade!), c'est toujours l'impression d'un rendez-vous manqué, comme si le metteur en scène, avide de réalisme avant tout s'interdisait de tricher. Les numéros musicaux, chantés et dansés, sont donc ici représentés en temps réel, sur scène, sans ce décalage créatif qui fera le génie de Busby Berkeley... Mais pour une certaine portion, ceux de ce film vont bénéficier de 15 minutes (tout compris) de Technicolor, et c'est au moins ça de pris... Donc ce film qui aurait pu n'être que vaguement accessoire, finit de toute façon par être un document sur un monde que Curtiz connaissait bien, celui de la scène et des saltimbanques... Avec quelques chansons insupportables et des tonnes de "blackface" dedans.
"Suspension of disbelief": c'est ainsi qu'on caractérise en Anglais la magie du cinéma: on sait que ce qu'on regarde est faux, mais on décide de suspendre notre incrédulité le temps de se faire prendre dans l'action et d'en récolter le plaisir d'évasion qu'on recherche. C'est la base, depuis Méliès, du cinéma narratif... Si cette suspension est facile, alors le film marche. Si elle ne s'effectue pas, c'est raté. Simple, non? Sauf qu'après c'est selon: croit-on que Yentl est un homme, sous prétexte qu'on l'a vue se couper les cheveux? Non. Mais justement: nous l'avons précisément vue se déguiser en homme, donc ce qui compte ce n'est pas que nous y croyions, mais que les personnages du film, eux, y croient...
1904, en Pologne: Yentl (Barbra Streisand) est la fille d'un homme qui, en cachette, lui a appris le Talmud. Dans une communauté Juive orthodoxe où la seule préoccupation reconnue comme utile pour une femme, aux yeux de tous, est la recherche d'un mari et donc les accomplissements domestiques qui y mèneront, il vaut mieux étudier les volets fermés, car "si Dieu comprend, les voisins, eux, ne comprendront pas"... A la mort de son père, Yentl fuit de peur d'être forcée à un mariage, et se déguise en homme. Elle se rend en ville, pour y entrer à l'université... Sous le nom d'Anshel, elle devient l'ami (e) d'Avigdor (Mandy Patinkin), un fringant étudiant dont elle tombe amoureuse... Mais Avigdor, qui ignore son identité, va introduire "Anshel" dans le cercle de sa future belle-famille, auprès d'Hadass (Amy Irving) sa fiancée...
L'enjeu va se déplacer, et devenir intime: déjà, Yentl vit dans la dissimulation de crainte qu'on ne découvre qu'elle est une femme; mais Avigdor vit lui aussi avec un secret: son frère, décédé un mois auparavant, n'est pas mort de pneumonie, comme il le prétend, mais il est suicidé: un péché mortel, et un stigmate pour toute la famille. Quand ils l'apprennent, les parents de Hadass décident de rompre les fiançailles. Avigdor demande à Anshel, par amitié, de devenir le fiancé à sa place afin que la jeune femme reste proche de lui...
C'est la partie la plus difficile à accepter, sur le papier, que le fiancé éconduit confie celle qui est supposée être l'amour de sa vie à son meilleur ami, mais pour toute personne qui a vu le film, il sera clair qu'on est ici devant un conte, qui aurait pu (s'il n'avait été situé dans la sphère du judaïsme bien sûr...) traité par le studio Disney! Mais il est aussi beaucoup question de sexualité dans le film, et sous plusieurs formes. D'une part, Yentl doit partager la chambre et l'intimité de son copain, une scène qui mise sur l'embarras de la jeune femme et qui est très drôle; ensuite il y a la fameuse scène du bain (là, je retire ce que j'ai dit sur Disney: ça, ils l'ont fait dans Mulan, mais avec beaucoup moins de précision graphique); mais surtout une bonne part de l'enjeu du film repose, dans sa dernière demi-heure, sur le fait que par la force des choses, Yentl-Anshel se marie avec Hadass et le risque que son secret soit découvert est à son maximum. La façon dont il/elle va s'en tirer fait le sel du film, d'autant que, pour détourner les attentions d'Hadass, "Anshel" prend sur lui d'éduquer son épouse qui, disposant de nouvelles ressources intellectuelles, va à son tour revendiquer une sexualité épanouie!
Mais bien sûr, au-delà du portrait intime d'une communauté Juive orthodoxe d'Europe centrale, qui est assez rarement représentée au cinéma, hélas, le film est la revendication d'une féminité accomplie, d'un progrès dans le traitement des sexes, avec en prime des éléments de réflexion sur le genre qui sont passionnants, et qui ne nous avaient peut-être pas sauté aux yeux en 1983: maintenant, ils apparaissent clairement, et la réalisatrice avait décidément des révolutions à mener: elle joue sur l'ambiguité des sentiments dans l'étrange triangle qui se dessine sous nos yeux, et dans la très belle scène de confrontation durant laquelle Yentl avoue sa condition à Avigdor, les sentiments qui vont s'exprimer sont nombreux, et parfois contradictoire. Avigdor aime Yentl, mais il aime aussi Anshel. Il ne peut concilier les deux car Anshel étant un homme, est un intellectuel alors que Yentl à ses yeux va devoir arrêter d'étudier, étant découverte. Yentl aime Avigdor, passionnément, mais "Anshel" avoue aussi à Hadass qu'il l'aime, et dans l'intimité du couple encore bien. Est-ce pour se sauver ou pour sauver la jeune femme d'un rapprochement futur qu'elle croit inévitable, que Yentl met les pendules à l'heure, à la fin du film?
Les revendications féminines du film sont le principal thème, et donnent vraiment le ton du film (mi-chronique amusée, mi-drame). Dès le départ, Streisand met l'accent sur le destin des femmes, priées d'être de ravissantes idiotes et surtout de bonnes cuisinières, pour leurs maris. Un bouquiniste vend des livres (philosophiques et religieux) pour les hommes et de jolis livres illustrés pour les femmes, et Yentl doit mentir pour s'acheter des ouvrages. Cette position inférieure et attentiste de la femme est répétée du début à la fin du film, et au vu de la dernière scène avec Avigdor, n'est pas résolue pour autant! Mais dans le bateau qui la conduit vers les Etats-Unis, Yentl croise beaucoup de monde, de toutes origines probablement, et l'une des petites filles qu'on nous montre est en train d'étudier des textes en hébreux...
Pour finir, ça a beau être le premier film d'une actrice-chanteuse, on sent ici une maîtrise, à côté sans doute de maladresses occasionnelles, qui force le respect. Car elle a voulu le faire son film, c'est évident! du choix des lieux où planter l'action (comme souvent, c'est dans ce qu'on appelait à l'époque la Tchécoslovaquie que Streisand a choisi ses décors), des costumes et de la recherche de ce qu'était sans doute vraiment l'environnement de cette communauté orthodoxe, en passant par le choix des acteurs et des figurants, tout fonctionne à merveille. Il y a un plaisir esthétique évident, qui passe aussi par une envie de faire des plans qui aillent bien au-delà du fonctionnel: certes, le plan de la pluie sur les vitres est un cliché avec des heures de vol, mais la façon constante dont elle place ses personnages dans les décors, dont elle recrée la vie d'un petit marché ou d'un restaurant, ou de l'université... C'est en plus une grosse production, à plus forte raison pour un premier film. Ajoutons à cela la bande-son de ce qui est, aussi un "musical", et pas une comédie musicale, la nuance est importante. Streisand, unique chanteuse du film, a intégré les chansons comme autant de monologues intérieurs, et à une exception près ne donne jamais au chant une fonction qui déteint sur les autres personnages. A la fin, elle se rappelle de sa belle carrière et sur le bateau qui la mène aux Etats-Unis, Barbra Streisand donne sa version d'une séquence célèbre du Funny girl de William Wyler (dont elle était l'héroïne), en la complexifiant avec, mais oui, virtuosité... Bref: une surprise venue de nulle part, un petit chef d'oeuvre.
Gloria (Mary Eaton), une jeune femme qui travaille chez un éditeur de musique se fait remarquer par un artiste de music-hall (Dan Healy) alors qu'elle danse lors d'un rassemblement public. Le dilemme initial (danser sur scène, ou rester à la maison et se marier avec le fiancé, Buddy, interprété par Edward Crandall) va vite pencher en faveur du music-hall, d'autant que la maman de Barbara (Sarah Edwards) est facilement ambitieuse pour deux... Elle part donc pour monter sur les planches, dans des théâtres de plus en plus grands, et sera même repérée par un talent scout de chez Ziegfeld. Pendant ce temps, non seulement le partenaire insiste de façon un peu trop leste pour que Gloria manifeste sa reconnaissance, mais en prime Barbara, une jeune collègue, va tout faire pour la remplacer auprès de Buddy...
C'est un cas d'école, presque: à l'instar de The Broadway Melody et Applause produits la même année, ce musical installe le terreau sur lequel tout le genre sera construit durant les années 30. Il le fait avec les moyens du bord, mais on peut constater assez vite que la production, chapeautée par Monta Bell, fait tout ce qui est possible pour éviter les écueils du cinéma en boîte qui était quand même le style en vogue cette année là, et pour cause: boudant le cinéma muet, le public était prêt à prendre n'importe quoi du moment que ça parle... Ici, pourtant, le montage est adroit, des scènes ont été filmées en extérieur, la diction n'est pas trop marquée "1929"... Et les trente dernières minutes, qui nous montrent le spectacle Ziegfeld (le grand impresario est d'ailleurs crédité à la production du film) est truffé de scènes en Technicolor 2 bandes, qui ont été restaurées pour les besoins de la version en HD: les trois segments sont des parties essentiellement dansées. Comme toujours avec cette étape du Technicolor, les personnes qui cherchent un peu de vraisemblance dans la couleur, en seront pour leurs frais, et les teintes présentes sont d'une inventivité étonnante (à rapprocher du film Universal The King of Jazz, de 1930, qui lui sera intégralement en couleurs).
Et contrairement à ce qui ne tardera pas à devenir la règle, le film comme les deux exemples cités plus haut conclut à la présence importante du sacrifice dans le monde du spectacle: tout n'est pas rose pour cette jeune danseuse effectivement talentueuse, qui va devoir tout lisser derrière elle, et termine le film adulée mais seule, condamnée au succès en raison d'un contrat indigne, et qui sait que dans le parterre de spectateurs, il y a son ex-fiancé qui vient de se marier... Un ton délibérément pessimiste, qui ne tardera pas à disparaître, ou alors restera en sous-texte dans des films comme 42nd street ou même The bandwagon.
Cela ne signifie pas que tout le film soit fascinant, bien sûr: même mis en scène avec adresse et monté afin d'éviter un plan unique et fixe de 10 minutes, le sketch d'Eddie Cantor est interminable... Le personnage de danseur sans scrupules, qui prend son statut de vétéran du show business comme un ticket pour la promotion canapé, est déjà un cliché à cette époque! Mais le film explose dans ses excès colorés, et assume bien l'extravagance de ses éléments qui viennent en droite ligne du mauvais goût à la Ziegfeld: le recours systématique à la "nudité virtuelle", les amoncellements de chorus girls qui deviennent les meubles et le décor, les tableaux vivants, la présence hallucinante d'Adam et Eve (à propos, le bellâtre ne crie pas, ne dira rien, mais on le reconnaîtra facilement derrière sa feuille de vigne)... Ca, on ne va pas l'oublier. A voir dans une copie restaurée avec ses couleurs et en HD, sinon, ça ne marchera pas...