Un jour du printemps 1917, deux soldats Anglais (George McKay, Dean-Charles Chapman) stationnés au front reçoivent une mission dangereuse: les Allemands se sont retirés, et une offensive Britannique se prépare. L'état-major a reçu la confirmation que c'est un piège et toutes les troupes qui sont prévues pour l'attaque vont se faire massacrer... Les communications étant coupées, il faut que les deux hommes aillent eux-mêmes porter le message...
Dès le départ, on a une méfiance inévitable: le choix de Mendes a été de traiter le film en faux plan-séquence, sur l'intégralité de ses presque deux heures. Depuis Hitchcock et Rope (1948) on se méfie de ce genre de petit caprice qui favorise la frime... Mais c'est réussi, une fois entré dans le dispositif, le spectateur a droit à quelques zones de respiration. Comment s'étonner, malgré tout, que le film soit une démonstration impressionnante de virtuosité?
Mais pas seulement: d'une part, on s'attache à ces deux soldats, puis un, qui découvrent la réalité du No man's land, cette zone dangereuse entre les deux camps, et arrivent dans une tranchée Allemande vidée de ses habitants, sauf les rats, et qui recèle quelques pièges... Puis on les suit dans leur aventure dans une campagne Française dévastée. L'intelligence du film est de nous faire attendre une hypothétique confrontation, mais elle tarde à venir et quand elle sera là on la prendra en pleine figure! Et Mendes a superbement capté le visage de la guerre sans la guerre, ces moments d'attente, de calme, qui recèlent finalement autant de possibilités que les moments de bataille.
Le metteur en scène enrichit avec son film la notion de point de vue, qui est essentielle au film puisque c'est une avancée dans l'inconnu, bulle en tête, la caméra à la remorque de ces deux jeunes hommes, qui nous est proposée. Le film est inspiré des récits que grand-père Mendes faisait à ses petits-enfants quand le metteur en scène était jeune, et une fois de plus, le cinéma a pu résoudre un paradoxe: cette première guerre mondiale, conflit titanesque, est de plus en plus clair dans l'objectif des cinéastes, au fur et à mesure qu'elle s'éloigne dans le passé.
Certes, il y a du flou dans cette improbable histoire de fausse retraite des "Boches", et on n'est en aucun cas devant un exposé historique de faits d'arme, mais ce n'est pas le sujet. Le sujet, comme dans Un long dimanche de fiançailles, Paths of glory, Sergent York ou The big parade chacun à leur façon, c'est le soldat, sa vie, sa survie, sa peur et ses éventuelles réussites, qu'il s'agisse d'une action d'éclat ou d'esquiver une balle, d'où qu'elle vienne. A l'heure où tous les poilus nous ont quitté, ce film est un nouvel appel, vibrant, au devoir de mémoire, et nous propose à nouveau une vision profondément humaine de la sale guerre.
Un chercheur qui vient de perdre son fils, engagé sur le front, s'efforce de trouver une formule de gaz qui puisse apporter une réponse musclée aux armes chimiques employées par l'ennemi. Pendant ce temps, des membres de sa famille intriguent pour le priver de son dernier héritier, son petit-fils...
Hautement mélodramatique, avec un recours constant aux retournements de situation et autres péripéties improbables, ce film de long métrage, l'un des premiers de son auteur, nous montre Gance faisant ses gammes. Il l'a souvent rappelé, les films de cinq bobines qu'il tournait à l'époque étaient généralement tournés par grappes de deux ou trois!
On sent bien, dans ce film, la volonté d'offrir au public des péripéties qui permettent de rapprocher le film du cinéma populaire, tout en étant aussi original que possible, d'où une intrigue à tiroirs qui fait intervenir une étrange ferme aux serpents au Mexique, une mystérieuse orpheline maintenue en esclavage avec de l'alcool, et autres rebondissements plus baroques les uns que les autres. Mais deux aspects du film annoncent le Gance "adulte": un recours au montage à la Griffith pour une dernière bobine marquée par le suspense, et montrant une catastrophe plus grande que nature, qui symbolise un très grand danger pour l'humanité. Et sinon, le metteur en scène, déjà, campe un génie à part, marqué par un amour trop grand pour ses proches... Une tendance qui ne le quittera jamais.
Produit par Pallas pictures, donc scénarisé et produit par Julia Crawford Ivers, ce film de cinq bobines est assez routinier. C'est pourtant, à sa façon, une rareté: un film d'espionnage, à l'époque où le genre était encore balbutiant...
Un inventeur Américain (Cecil Van Aucker) a créé une arme impressionnante, mais le gouvernement de son pays n'est pas intéressé. Le pays étant neutre, il se dit qu'il pourra sans doute sans aucun problème le placer en Europe, où les combats font rage. Ils trouvent des clients potentiels dans un pays jamais nommé dont les soldats ont des casques à pointe (et on y reconnait, quelques secondes, cette vieille fripouille Teutonne de Gustav Von Seyffertitz), et va faire affaire avec eux, mais il doit retourner au pays, accompagné du Baron Grogniart, dépêché par le pays acheteur, qui a pour mission de mettre la main sur l'invention, en l'achetant ou par tout autre moyen. Mais sur le bateau qui les amène aux Etats-Unis, se trouve aussi, déguisée en immigrante, l'espionne Sonya Varnli (Lenore Ulrich), chargée par un pays concurrent de faire tout ce qu'elle peut pour empêcher que l'arme tombe aux mains des affreux à casques à pointe...
On ne s'encombre pas trop de subtilité dans ce film fonctionnel, et sans un gramme de génie. Disons quand même qu'on y voit un Américain (le jeune premier en plus!) qui est prêt à vendre une invention vraiment effrayante (on l'essai sur un mouton, dans le film, et... c'est très efficace) à d'abominables Boches!! Mais bon, les USA étaient encore neutres. Et on notera que les casques à pointe sont plus ou moins des affreux, alors que les autres dépêchent une gentille espionne qui va, elle, tout faire pour que personne ne mette la main sur la chose! La morale est donc sauve...
Les acteurs font leur travail, la mise en scène est gentiment poussive, et curieusement l'intérêt du film monte d'un cran quand Lenore Ulrich adopte un déguisement d'immigrante pour faire son travail d'espionne... Et elle charge alors sa camériste, Florence Vidor, de jouer sa "doublure"...
Réalisé aux Etats-Unis lors de son escapade de la fin des années 10, ce film de Perret est une curieuse et attachante production qui mêle le ton habituel des comédies du metteur en scène, souvent situées dans le meilleur des mondes, et un esprit patriotique résolument affiché, dans le cadre de l'optimisme glorieux d'après la première guerre mondiale... Ce qui n'empêche nullement l'ironie. Mais ça permet aussi d'utiliser des images de propagande et d'actualité, une aide précieuse des cinéastes pour les années qui s'annonçaient. Car (et ce film le pressent de manière évidente) cette «Grande Guerre», le cinéma du monde entier, à l'aube des années 20, n'en était pas débarrassé...
Doris, ne jeune femme de la bonne société New-Yorkaise, délaisse les occupations mondaines, et ne s'intéresse absolument pas au prétendant (un capitaine Anglais en stage chez les Marines) que son père lui a quasiment élu d'office... En effet, elle dévoue le plus clair de son temps à écrire des lettres, et en recevoir, d'un soldat Américain solitaire, qui n'a personne d'autre qu'elle. Elle apprend un jour qu'il est très mal en point, et décide de faire la traversée: elle sollicite l'aide du capitaine éconduit, qui accepte. Mais les sous-marins rodent...
D'un côté, le film assume son côté propagandesque, dont la copie Française (probablement la seule disponible) accentue encore le délire (le titre français, Les Etoiles de la Gloire, en dit long), mais le réalisateur met un point d'honneur à décrire cette saleté de guerre sous un angle humain. Oui, les hommes (et les femmes, car Doris se dévoue et risque sa vie pour «son» soldat) sont des héros, mais ils vivent, souffrent, et parfois rient aussi. L'ironie que je mentionnai est surtout dans le fait qu'au début du film Perret nos montre les meilleures filles de la meilleure société, qui écrivent des lettres à des soldats comme on élève des cochons d'Inde. Seule Doris y consacre vraiment sa personne...
Et puis, Perret oblige, le film est truffé de scènes de la plus belle composition, aux lumières travaillées, à l'interprétation impeccable. Il nous sort un numéro qui n'est pas éloigné de The little American de DeMille, mais il en fait tellement moins... Et une partie du film, consacrée à la vie des soldats pour tromper l'ennui est l'occasion d'essayer des caches qui ont un effet plastique intéressant. Oui, décidément, Léonce Perret était un cinéaste majeur...
De grands films consacrés au premier conflit mondial sont sortis dès 1930...
Dans celui-ci, deux frères, Anglais (hum...), les Rutledge, sont en vacances avec leur ami Karl (James Darrow) chez lui, en Allemagne, quand l'un d'entre eux, le coureur Monte (Ben Lyon) a une aventure qui tourne mal: il est en plein rendez-vous amoureux avec l'épouse d'un général à monocle quand celui-ci débarque. Monte prend hâtivement la poudre d'escampette, et c'est son frère Roy (James Hall) le raisonnable, qui devra se battre en duel à sa place...
Quand ils reviennent à Oxford, pas de chance: la guerre est déclarée. Mais avant de partir, l'un par devoir, l'autre par désoeuvrement (je schématise), ils vont tous les deux tourner autour de la belle Helen (Jean Harlow), fille de la bonne société Britannique (Hum! Hum!): Roy va se croire son fiancé, mais cette fois c'est Monte qui va remplacer l'autre.
Puis ils font la guerre, les avions, tout ça... Gestes héroïques, prison, sacrifice, etc. A la fin les alliés gagnent.
Howard Hughes a commencé son film en 1927, après la sortie de Wings, ce qui n'a pourtant pas empêché l'ombrageux producteur d'attaquer Warner en justice quand ils ont sorti The dawn patrol. Le film a eu un nombre inquiétant de réalisateur crédités: Marshall Neilan, débarqué après quatre semaines, Luther Reed, dont je ne sais pas s'il a eu le temps de tourner quoi que ce soit avant d'être viré sous un prétexte quelconque, puis Edmund Goulding, mais c'est finalement Hughes qui a fini le film, trois années après le début du tournage, et des centaines de rejet de prises. James Whale était en charge de la direction des dialogues et de leur authenticité (mais pas de l'accent, manifestement, ni de l'intelligence des dialogues), et le film fait appel à des techniques qui sont remarquablement à cheval entre le muet et le parlant: certaines scènes tournées avant la décision de se doter de dialogues, ont été ensuite synchronisées de manière plus ou moins adroite, les scènes dialoguées en Allemand ont été dotées d'intertitres pour la traduction, et trois systèmes de couleurs ont été employés: des teintes comme au plus beau temps du muet, le procédé Multicolor (mais le film a été tiré sur support technicolor) pour une série de scènes bavardes situées vers le début, et le procédé Handshiegl pour les flammes dans des séquences de haute voltige.
Oui, parce que ce film qui est crétinissime de bout en bout n'existe que pour permettre l'existence de deux ou trois scènes tournées à grands frais, dans les airs, par des as de la grande guerre: il y a d'ailleurs eu des morts. Ces scènes sont à la fois techniquement spectaculaires et dramatiquement d'une affligeante platitude...
Car comme je le disais, il y a eu des films formidables dès 1930 pour parler de la première guerre mondiale. L'un d'entre eux était All quiet on the western front, de Lewis Milestone, et sinon il y a aussi eu Westfront 1918 de G.W. Pabst. Bref: celui-ci, de très loin, ne fait pas, mais alors pas du tout partie de la liste. Mieux vaut en rire...
Gance, parfois, ne mérite pas sa réputation. paradoxalement, il se mérite souvent pourtant, tel ce film indissociable et pourtant différent de la version de 1919, indissociable et pourtant indigne de son oeuvre. D'ailleurs, j'émets une hypothèse, n'ayant pas vu tous ses films parlants, mais ayant quasi systématiquement été déçu (oui, il y a à ce jour UNE exception): Gance a raté tous ses films après avoir été incapable de s'arrêter sur Napoléon. Et si les échecs successifs des années 30 l'ont poussé à se renier en faisant des films indignes, il n'en a pas pour autant été capable de réaliser des films qui échappaient au sentiment de gâchis, d'une oeuvre incapable de ne pas sombrer dans le délire obscène. A ce titre, celui-ci, qu'on ressort des placards pour le remettre au musée (DVD, restauration, blu-ray, coffret, publications patrimoniales, et tout et tout), est un cas d'école.
Rappelons d'abord les faits: bouleversé par une guerre à laquelle il a participé, contrairement à ce que prétendait ce salaud de Lucien Rebatet, écrivain d'extrême droite et ci-devant critique dans les années 30, Gance avait arrêté au 11 novembre 1918 tout ce qu'il était en train de faire, dont un film (Ecce Homo), pour se consacrer à une oeuvre visionnaire qui pourrait, du moins l'imaginait-il, mettre fin à tous les conflits. Prenant exemple sur Zola; le nom s'imposait à l'auteur: J'accuse. Qui accusait-il? ...C'était moins simple, car si le film avait selon son metteur en scène la prétention d'être un appel à la paix universelle, on s'y battait contre les Allemands, et il était inutile de chercher à choisir son camp: ce travail-là était déjà mâché... Mais le film était malgré tout génial par bien des points, notamment le fait que Gance imaginait d'y confronter les vivants et survivants de la guerre, qui reprenaient leur vie comme si de rien n'était, aux morts, à tous les morts qui tout à coup sortaient de leur trou pour demander des comptes... Séquence sublime, ou ridicule, je l'accorde, mais unique en son genre. Comme on le sait, les efforts pour arrêter la guerre, en 1937, étaient lettre morte, et tout le monde savait bien que ça allait recommencer...
Le deuxième J'accuse a un prédécesseur, comme la première version qui venait après cette tentation de film dont j'ai parlé plus haut: de façon intéressante, les deux oeuvres (Ecce Homo de 1918, et La fin du monde de 1930) avaient plus d'un point commun, à commencer par le nom du personnage principal, Jean Novalic... Dans son nouveau J'accuse, dont il entend une fois de plus faire un cri de rage contre la guerre, Gance a beaucoup recyclé de sa Fin du monde, le film maudit situé entre parlant et muet, entre génie et sales manies.
Le film est en trois parties, et une part du film, dans le premier acte, repose sur le script du premier J'accuse, avec son drame privé: Jean Diaz (Victor Francen) et François Laurin (Marcel Delaître) sont deux poilus qui se connaissent bien, et pour cause: ils viennent tous deux de St Paul de Vence, et aiment la même femme, Edith (Line Noro). François l'a épousée, mais Jean n'a jamais cessé de l'aimer, et Edith le lui rend bien. Pourtant, le mari sait qu'ils ne l'ont pas trahi, et se réconcilie au début du film avec Jean. D'ailleurs, ce dernier, un ancien officier qui a été démobilisé, a rempilé en simple soldat afin de prouver sa loyauté à Laurin. Mais le 10 novembre, les deux hommes font partie d'une mission suicide, dont seul Jean Diaz réchappera, un bout de métal coincé dans le crâne...
La deuxième partie raconte le retour de Jean à la vie civile, et son retrait de plus en plus évident de la société, puis sa folie: confronté à l'impossibilité pour lui de se laisser aller au bonheur avec Edith parce que ce serait trahir son pacte avec François, confronté aussi à la beauté d'Hélène (Renée Devillers), la fille de François, mais surtout devenu un employé d'un ancien officier dont il sait que c'est le responsable direct de la mort de ses onze camarades, Jean perd la raison. au point d'entendre ses camarades qui l'appellent depuis leur tombe à Douaumont...
Puis Jean "revient" à la vie, à la veille d'un nouveau conflit, et va être témoin et partie d'une terrifiante expérience: il entendait les morts, et ceux-ci reviennent pour empêcher les vivants de refaire la même bêtise. Et cette fois, Gance n'oublie pas de nous montrer Francen à la manoeuvre, qui en appelle à tous les morts, y compris les Allemands...
Gance étant Gance, il ne fait aucune différence entre les idées géniales et le ridicule le plus total... Du coup, le deuxième acte est l'un des pires moments de son oeuvre, gâché par des dialogues et des situations totalement insipides, autour ds amours contrariées de Francen et Noro, qui pour ne rien arranger ne sont ni l'un ni l'autre de la toute première fraîcheur! La première partie, surtout dans sa peinture de la vie quotidienne des poilus, atteint la grandeur à plusieurs reprises, notamment grâce au naturel trouvé par l'auteur et les acteurs: le premier mot du film, après tout, est "merde!", et beaucoup des dialogues semblent vécus par les acteurs, dont Jean Brochard et d'autres, trouvent les accents de la vérité dans ce qui ressemble à une heureuse improvisation. Bien plus heureuse en tout cas que les dialogues entre Jean et François: pendant que les bombes pleuvent, ils échangent d'infectes platitudes sur leur amour commun pour Edith, qui ne doit pas gâcher leur amitié retrouvée... passons. Si dans cette première partie Gance s'égare un peu en donnant l'impression que certes, les officiers envoient leurs soldats au casse-pipe, mais que les Allemands sont quand même, je cite, les "vaches" et les "salauds", il garde toujours un oeil certain pour réussir à nous mettre le nez dans ce bourbier, sans jamais nous montrer une bataille...
La troisième partie est boueuse elle aussi, mais ce qui compte, ce sont les vingt dernières minutes du film: cette idée saugrenue de voir se relever les morts du film, qui est l'occasion pour Gance de donner libre cours à son génie: son sens si profond et si unique du cinéma. Sans sauver le film (ce serait difficile), elles permettent au moins de nous rappeler l'importance de l'auteur de Napoléon. Qui a pourtant été fort discret sur son utilisation des effets dans tout le film. Son montage, tout en restant pertinent, s'est assagi. Quelques idées malgré tout son notables, comme ces inserts de canons (des images d'archives, bien sûr) qui tirent furieusement, pendant qu'une cafetière chante une chanson à des soldats; des réemplois de rushes des scènes de panique de La fin du monde rythment la fin du film, et bien sûr les plans de morts, utilisant à la fois maquillage, postiches et authentiques "gueules cassées", alliées aux plans hallucinés de Francen en pleine folie, et à l'utilisation fantomatique de l'image de l'ossuaire de Douaumont, resteront dans les mémoires...
Ce qui revient à rappeler le paradoxe de Gance: on râle souvent quand il en fait trop, on pouffe de rire devant le ridicule occasionnel, on s'insurge contre sa prétention (il était vraiment persuadé que le monde entier allait voir son film et cesser de vouloir faire la guerre), on peste contre tel ou tel acteur (à ce titre, Francen est ici dans son pire rôle, et Noro ne vaut guère mieux) et... on se souviendra toute sa vie de la puissance de ses images. Avec ou sans Edwige Feuillère.
Le grand déclencheur, ça a été The big parade: le film de King Vidor a changé pour toujours la façon dont le cinéma Américain allait désormais voir la guerre. Avant, c'était Hearts of the world, The four horsemen of the apocalypse ou Shoulder arms: la tragédie, l'opéra même, voire la comédie, mais quelque soit la teneur dramatique, il y avait toujours un "nous" et un "eux"... Avec The big parade, on a découvert, enfin, que la guerre est une souffrance partagée, un gouffre dans lequel l'homme perd son humanité. ce qui ne l'empêche pas de rester, occasionnellement, un héros. Après le film de Vidor, d'autres sont venus s'ajouter et confirmer cette nouvelle façon de voir. Dans cette période qui va de 1925 à la fin du muet, on peut évidemment compter Wings (1927) de William Wellman, et le magnifique film All quiet on the western front (1930) de Lewis Milestone. De façon moins flagrante, Seventh heaven (1927) et Lucky Star (1929) de Frank Borzage, et Four sons (1928) de John Ford, s'ajoutent par certaines séquences à la liste. Enfin, ce film de Walsh, l'un des rares à avoir survécu, est l'un des plus gros succès de la période...
Deux Marines, le capitaine Flagg (Victor McLaglen) et le sergent Quirt (Edmund Lowe) sont d'éternels rivaux, depuis toujours: à chaque fois que Flagg fait une conquête féminine, Quirt se débrouille pour la lui piquer... Mais c'est la guerre, et Flagg est le che d'un bataillon au repos sur l'arrière, dans un petit village: il est très bien, du reste, car le cafetier local a une jolie fille, Charmaine (Dolores Del Rio), dont Flagg est vaguement amoureux. Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si d'une part Quirt ne venait relever le capitaine de son commandement, le temps d'une permission à Bar-Le-Duc, et bien sûr, s'il ne fallait pas de temps à autre aller chatouiller les Allemands...
L'impression qui domine, est celle d'une fuite en avant. Flagg et Quirt n'ont pas d'attache, semble-t-il, ils vivent tout entiers pour leur mission... Mais ça ne les empêche pas d'avoir une vraie lucidité sur les hommes qui les entourent. Flagg en particulier est une vraie mère poule, du moins par derrière... Et Walsh divise son film en deux sortes d'épisodes: ceux consacrés à la vie qui continue, à l'arrière, malgré la menace permanente, et ceux-là sont de la comédie pure et dure. Les autres parties du film sont bien sûr les scènes de guerre, et elles tranchent sur les autres par leur dureté et leur réalisme...
Le propos de Walsh est de montrer que l'homme a besoin en temps de guerre d'une sorte d'espace neutre, et Charmaine est cette garantie pour les deux hommes... Pas que pour eux, car Charmaine, qui clame haut et fort qu'elle ne vendra pas son coeur, devient chez le sentimental Raoul Walsh une mère poule pour tous les soldats qui peuvent mourir un jour où l'autre. Elle agit même en mère de substitution pour un jeune artiste-peintre dont Flagg pense qu'il n'a rien à faire dans cette guerre.
Mais rien à faire: le côté bourru des hommes entre eux en attendant la bataille, le "repos du guerrier" incarné par une fille pas farouche, tout ça est daté, et pas vraiment concluant... Trop de picaresque finit par rendre le film un peu suspect, et puis on n'oublie pas qu'il y a une pièce à succès, justement. Walsh a mieux dépeint la guerre dans Objective to Burma, par exemple... Reste qu'on aimerait au moins voir ce classique jamais édité en DVD dans de bonnes conditions!
Une dernière chose: je ne le trouve certes pas convaincant, mais ce What price glory? de Raoul Walsh, a au moins un avantage pour lui: il n'est pas l'immonde remake de 1952, l'un des films les plus atroces de John Ford.
A Paris pendant la guerre, la vie continue... la comédie aussi. C'est le thème de ce film de moyen métrage réalisé par Henri Diamant-Berger (son premier ou deuxième, on ne sait pas exactement) qui vient d'entrer dans son métier de cinéaste, à 20 ans: mobilisé, blessé, décoré, le jeune passionné de théâtre se découvre instantanément une vocation...
...ce qui fait qu'on aura d'autant plus d'indulgence pour ce film bricolé un peu à la va-vite, et sans doute pour soutenir l'effort de guerre. Le metteur en scène le passe sous silence dans ses souvenirs, même s'il mentionne le fait que le plus aguerri André Heuzé, par ailleurs scénariste de ce film, lui a mis le pied à l'étrier. Ici, des sketchs sans grand lien les uns aux autres s'enchaînent sur le thème de la vie à l'arrière, et c'est uniquement la comédie qui règne: on n'a pas encore connu les horreurs de l'hiver et du début du printemps 1916: le pire est donc à venir...
Albert Maillard, arrêté au Maroc, est cuisiné par deux policiers Français: il raconte comment, depuis le 09 novembre 1918, il est passé à l'escroquerie pure et simple en compagnie de son meilleur ami, défiguré par un obus en lui sauvant la vie, et auquel il a permis de disparaître officiellement en intervertissant quelques papiers. Désormais, Edouard Péricourt, fils de bonne famille mais artiste en révolte, est très officiellement mort pour la France. Albert Maillard et lui vont monter une petite entreprise d'escroquerie, qui va tourner bizarrement, surtout quand deux facteurs de destin bizarre vont s'en mêler:
D'une part, la famille d'Edouard ne se contente pas de l'annonce de la mort, il leur faut plus: visiter la sépulture, et surtout inviter le bon copain a partager des souvenirs: pas facile, quand on s'appelle Albert Maillard et qu'on est un modeste comptable, de dîner avec ces gens de la haute, surtout quand il s'agit d'inventer la mort de son meilleur copain...
D'autre part, le salaud qui est responsable de la «mort» d'Edouard et surtout de son absence de mâchoire, est lui bien vivant: le lieutenant Pradelle, salaud d'officier et salaud de profiteur de guerre, va même se marier avec la sœur d'Edouard et devenir en prime un salaud de mari... Et celui-là, Albert ne l'aime pas, mais alors pas du tout, depuis que le galonné ridicule (je sais, je sais, c'est un pléonasme. Puisque c'est vous qui le dites, je ne vous en empêcherai pas) a sciemment, pour son plaisir, provoqué une bataille qui a tourné au massacre: à deux jours d'un armistice qui poussait les camps en présence à se foutre, enfin, la paix, ce planqué (parce qu'évidemment, étant galonné, vous ne croyez quand même pas qu'il allait charger avec ses hommes, non?) a dû trouver que ça ne sentait plus assez souvent la poudre...
C'est d'un roman de Pierre Lemaître, prix Goncourt en 2013, que Dupontel a tiré le scénario de son sixième long métrage. C'est aussi une grande, très grande réussite, qui confirme l'importance du trublion, qui a souvent montré comment il pouvait doser sa méchanceté et la rendre plus percutante encore, après deux premiers films (un court métrage, Désiré, et un long, Bernie) en forme de gros coups de poing dans la figure... Ici, il apporte à lui tout seul un vent de renouveau du cinéma Français, dans sa veine poétique, doublé d'un talent technique indiscutable qui rompt de façon très notable avec le tout-venant de notre cinématographie nationââââle.
Pour commencer, Dupontel a le bon goût de mêler avec un talent visuel fou, l'évocation historique (costumes, décors, cache et effets informatiques, combinés avec un œil de maniaque) et une certaine atmosphère fantastique, qui passe notamment par les fabuleux masques portés par l'acteur Nahuel Perez Biscayart (Edouard Péricourt). Il fait d'ailleurs de ce dernier, qui ne peut «parler» que par des borborygmes, un «Créateur», pour reprendre le titre de son deuxième long métrage, un artiste cette fois, mais qui est l'âme de l'escroquerie. Mais une escroquerie à trois: Albert, Edouard, et une petite orpheline qu'ils ont recueillie, Louise (Héloïse Balster). Dans cette pas si sainte trinité, elle est la voix d'Edouard, dont elle comprend et traduit les bruits, en mots clairs comme de l'eau de roche.
Ce que n'aurait pas pu faire Albert Maillard, lui qui est quand même un peu limité dans son imagination. Un homme simple, qui a une morale, de celles qui vous poussent à regretter le fait de ne pas pouvoir faire que le bien. Il s'en confesse d'ailleurs aux deux policiers qui l'interrogent, avec une candeur impressionnante... Mais il est pour toujours décalé dans ce monde dont les autres êtres, sont souvent en avance sur lui sur bien des points: à noter que la famille d'Edouard, représentée par Emilie Dequenne, la sœur, et Niels Arestrup, le père, n'est jamais diabolisée. Non, ils n'en ont pas besoin, il y a Pradelle (Laurent Lafitte). Dans la première apparition de son méchant, Dupontel s'amuse et fait du cinéma: le planqué est dans l'ombre, et il fume, composant une silhouette inquiétante...
Dans son film qui lui permet de dévoiler un cœur gros comme ça (je le disais pour 9 mois ferme, je le redis ici: Dupontel aime ses personnages, vraiment.), il « fait du cinéma ». Et quel ! L'ombre de Feuillade, cinéaste contemporain de l'action qui a laissé une empreinte visuelle vivace sur le cinéma Français, est souvent là sous nos yeux. Celle de Buster Keaton, cité à travers un costume porté par Dupontel : un chapeau, et un costume qui le rapetisse, et l'illusion est presque parfaite. Surtout, il utilise beaucoup les objets, mais pas comme le fait Jeunet : Jeunet accorde finalement autant d'importance aux objets et à leur mise en marche, qu'à ses personnages. Chez Dupontel, l'acteur prime sur l'objet, qui reste un accessoire... Ce qui ne l'empêche évidemment pas d'être pertinent.
On parlait de Jeunet, Dupontel, qui a joué un rôle émouvant dans son adaptation de Japrisot Un long dimanche de fiançailles, y a peut-être vu naître une envie furieuse, à son tour, de montrer la première guerre mondiale. Sans chercher à renouveler la narration des champs de bataille (je pense que Spielberg a pour l'instant la palme du récit définitif à ce sujet, et Jeunet lui emboîtait magnifiquement le pas), Dupontel botte en touche et excelle non pas à la mise au point historique, mais bien au ressenti gonflé d'amertume, d'injustice et de révolte, de ce qu'était probablement un champ de bataille. Et c'est, plus que jamais, nécessaire...
Et tout ça, c'est beaucoup, beaucoup, beaucoup, pour un film très, très, très enthousiasmant. Majeur.
Non seulement ce film de Hawks est pour Gary Cooper l'occasion de gagner un Oscar du meilleur acteur, ce qu'il méritait amplement, mais c'est aussi, en 1941, un film paradoxal: interventionniste à l'heure de l'indécision, ce film de prestige a été mis en chantier d'abord comme la célébration d'un héros qui ne voulait absolument pas qu'on parle de ses exploits militaires, et devait justement ne parler que de sa vie pacifiste afin de persuader les Etats-Unis... de ne pas participer au conflit!
Alvin York (Gary Cooper) est un jeune homme du Tennessee, beaucoup plus intéressé par la vie facile, la rigolade et la boisson, que par l'austérité d'une vie paysanne et les congrégations religieuses. Pourtant, le pasteur local (Walter Brennan), sa mère, sa famille et surtout la petite Gracie (Joan Leslie) vont finir par le remettre dans le droit chemin. Revenu à la vie en tant que chrétien rigoriste, York se destine à une vie de fermier, tranquille et sans histoires. Mais on est en 1917, et il lui faut répondre à l'appel massif de la conscription. Ses demandes d'exemption en tant qu'objecteur de conscience resteront lettre morte, la congrégation à laquelle il appartient n'étant pas reconnue. York devra se battre...
Mais lors de sa préparation militaire le jeune soldat quasi inculte étonne tous ses camarades et ses sous-officiers par son exceptionnel talent de tireur... On lui propose alors de devenir caporal instructeur afin de ne pas perdre son talent; Après réflexion, York accepte; peu de temps après, il est envoyé en France...
Alvin York (1887 - 1964) est en effet ce héros malgré lui, un objecteur de conscience qui est parti en France en 1918 et lors d'une action d'éclat totalement improvisée, s'est retrouvé à faire prisonniers plus de 130 soldat Allemands. L'épisode est dans le film, et fait partie des moments les plus franchement réjouissants du film, Hawks et Cooper ayant inversé la situation habituelle en montrant York en débrouillard totalement inconscient de l'extraordinaire exploit qu'il accomplit. Sa motivation est claire dès le départ: en tuant quinze à vingt hommes (Quand York tire, il fait mouche, c'est très clair), il empêchera la mort de centaines d'autres. Comme il le dit dans le film, "je voulais arrêter les armes de tirer"... Le film est réussi justement parce que nous assistons essentiellement à un travail à faire, une action d'éclat qui est d'abord et avant tout affaire de compétences: le savoir-faire, le travail, la valeur d'un homme, bref la thématique essentielle d'un film de Howard Hawks...
Bien sûr, étant à la fois une quasi-oeuvre de propagande (Des mois avant Pearl Harbor, la Warner poussait clairement avec ce film vers l'interventionnisme des Etats-Unis) et un film de prestige qui célèbre un héros Américain, Sergeant York est très long: deux heures et quatorze minutes, c'est encore assez exceptionnel. Pourtant il ne me semble pas trop long, et la première partie de plus d'une heure qui installe personnage et nous donne à voir sa lente transformation de bon à rien en un brave homme rigoriste et à l'avenir tout tracé, est un concentré de film rural Américain, pas trop éloigné des oeuvres de Capra! Il y a du Deeds et du Willoughby (Meet John Doe) dans ce grand gaillard gauche mais sûr de ses convictions qui peut plier à sa volonté plusieurs bataillons armés jusqu'aux dents... Et qui a besoin qu'on l'amène par la main à prendre la bonne décision, parce que le patriotisme aveugle n'explique pas tout. Le film, en réalité, est superbement construit, et ne nous amène pas jusqu'à l'acte d'héroïsme pour qu'on finisse sur des flonflons et des médailles en chocolat: Alvin York n'accomplit son destin que lorsqu'on l'accompagne jusque chez lui après la guerre et les honneurs, pour qu'enfin sa vie commence.
Et justement, Jesse Lasky a mis environ 20 ans à obtenir l'accord de York pour faire un film! Et encore, il a fallu batailler ferme pour qu'il accepte qu'on y parle de son action d'éclat et de son temps de guerre (Qui a été relativement court, environ un mois). Mais reconnaissons que so on avait suivi l'idée du héros, qui était de montrer sa vie après la guerre uniquement, à des fins didactiques, ça aurait probablement été un film d'une aberrante nullité. Tel qu'il est, il a tout: la ferveur, le mouvement chronologique typique des films de Hawks, ce mélange de savoir-faire et de simplicité dans la mise en scène et ce mélange de modestie et d'héroïsme, plus une musique de Max Steiner et un casting premier choix. Et Hawks dirige en expert des scènes de bataille particulièrement impressionnantes.
...Et cette fois, Walter Brennan a le droit de garder ses dents.