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13 avril 2020 1 13 /04 /avril /2020 18:53

Tartarin, rentier, vit à Tarascon et se trouve être un peu la mascotte de la ville: dans la douceur locale, on accepte plutôt bien ce matamore, obsédé par la chasse aux fauves, sur laquelle il a lu, tout lu, et tout retenu, au point d'en faire des causeries à n'en plus finir. On accepte, jusqu'au jour où le soupçon qu'il se préparerait à partir pou de vrai commence à poindre. Tartarin, qui ne l'avait pas projeté, se retrouve obligé s'il ne veut pas entacher l'honneur de la commune, de partir chasser le lion en Afrique du Nord... Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est d'une part qu'il soit un imbécile, un beau, un gros. D'autre part, il n'avait pas prévu non plus que d'autres s'en soient aperçus bien avant lui, et ne cherchent à profiter de cette impressionnante naïveté. Pendant ce temps, tout Tarascon attend des nouvelles de son héros...

Côté pile, c'est un film pour changer, après des films muets flamboyants et totalement au-dessus de la mêlée (Le miracle des Loups - 1924, Le joueur d'échecs - 1926, Tarakanova - 1929), et trois films parlants dont deux sont particulièrement notés: Les croix de bois en 1932, et surtout l'impressionnant Les misérables de 1933, en trois parties. On passe donc de Dorgelès et Hugo, à la farce de Daudet... C'est vrai que ça change, mais si les dialogues, caution provençale oblige, sont de Marcel Pignol, le film est malgré tout soigné: on a du empêcher le dramaturge cinéphobe d'approcher le plateau, ouf! Tartarin, c'est Raimu, et ça lui va comme un gant. Il ne fait aucun concession à qui que ce soit et traverse le film à la hussarde, donc si vous n'aimez pas Raimu, vous détesterez Tartarin!

Raymond Bernard n'est sans doute pas allé vers ce film comme il avait fait ses Misérables, et c'est peut-être ce qui l'avait motivé, justement. Et il y trouve l'occasion de se placer dans un entre-deux intéressant: une comédie qui lui permet évidemment comme à Daudet de se moquer des sous-préfectures et de leur médiocrité (un thème plus que récurrent chez l'auteur du Sous-préfet aux champs), mais aussi de faire un portrait tendre d'un imbécile qui va bien finir par s'apercevoir qu'il n'est pas ce qu'il prétend. Tendre, oui: c'est qu'on l'aime bien, à Tarascon, ce bon Tartarin...

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Published by François Massarelli - dans Raymond Bernard Comédie Raimu
24 août 2016 3 24 /08 /août /2016 16:51

Adapté d'un roman de Roland Dorgelès, ce film de Raymond Bernard est le premier film parlant Français qui donne une vision probablement juste de la 1e guerre mondiale, vue à hauteur d'homme, et plus particulièrement de soldat. Ce n'est pas un hasard: quand il publie son roman en 1919, Dorgelès est un vétéran de a guerre mondiale... Le film est d'autant plus important que le conflit a, depuis l'exception J'accuse (Qui se vautre souvent dans les excès, mais ne se contente au moins pas de ça), uniquement généré en France des films réactionnaires ou patriotiques. ...Ce qui revient d'ailleurs souvent au même. Ici, on passera de l'idéalisme à l'eau de rose, volontiers mais tendrement moqué, des jeunes volontaires qui "voudraient tant combattre" de 1914, à la vie à la dure des poilus des tranchées.

1914: le jeune étudiant en droit Gilbert Demarchy (PIerre Blanchar), d'après ses nouveaux camarades, arriverait "après la bataille": en effet, les Allemands ayant été repoussés lors de l'offensive de la Marne, nombreux sont les soldats qui pensent que la victoire est pliée, et la guerre finie. Mais ils se trompent rudement, et ils vont apprendre à vivre avec la menace, se réjouir de se réveiller après une nuit incertaine, et voir partir les copains les uns à la suite des autres...

Aux côtés de Blanchar, on reconnaît entre autres Gabriel Gabrio (le soldat Sulphart, ouvrier dans le cvil et grande gueule en toutes circonstances), Charles Vanel (Le Caporal Bréval, un épicier dans le civil qui attend impatiemment une lettre de son épouse qui ne viendra jamais), ou encore Raymond Aimos, Antonin Artaud et Raymond Cordy. La plupart d'entre eux, Vanel et Blanchar en tête, ont participé à la première guerre mondiale et composent des poilus au caractère affirmé, dont les dialogues de Bernard et André Lang sont loin d'être édulcorés. C'est le quotidien du soldat qui s'affiche à l'écran, dans une mise en scène qui se refuse à embellir quoi que ce soit: les scènes tournées en studio sont souvent l'occasion pour le cinéaste de ses situer dans un cadre à la visibilité restreinte, que ce soit à cause du terrain, de la fumée, ou de la nuit. La bande-son, impressionnante pour 1932, recrée le chaos sonore des trachées, et la vie sur le fil du rasoir de ces hommes qui n'ont plus que leur camaraderie pour se raccrocher à la vie. Bernard qui a été l'un des plus importants cinéastes de la fin du muet, sait aussi quand cesser de s'intéresser au dialogue, et il utilise magistralement l'image et le montage, ce qui n'échappera pas à Darryl Zanuck... ce dernier fera acheter le film par la Fox, pas pour le montrer aux Etats-Unis, mais pour s'en servir comme source stock-shots, dont le principal bénéficiaire sera certainement The road to glory, de Hawks (1936). Y sera reprise, de plus, la scène de la mine, lorsque les soldats sont priés de rester en place pendant que les Allemands percent un tunnel sous leurs pieds afin de déposer une mine...

Mais quoi qu'il en soit, ce film majeur rejoint les autres grandes oeuvres tournées sur le conflit depuis 1925, et me semble à mettre dans le même panier que le célèbre All quiet on the Western Front de Lewis MIlestone. On y retrouve le même parcours, la même réalisation par les soldats de leur condition, les mêmes désillusions, et le même souci de ne jamais diaboliser l'ennemi. Après l'infecte propagande d'ultra-droite du Film du poilu, ça fait du bien...

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Published by François Massarelli - dans Raymond Bernard Première guerre mondiale
8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 17:22

L'histoire de Victor Hugo en était déjà à sa troisième adaptation rien qu'en France, sans compter les courts métrages variés qui ont émaillé la première décennie du 20e siècle: Capellani, Méliès, Zecca, et d'autres ont constamment référé au roman fleuve d'Hugo avant que Capellani ne franchisse le pas avec sa version de 1912, déjà énorme selon les standards de l'époque (environ deux heures et quarante-cinq minutes). C'est à Henri Fescourt qu'on doit la belle version de 1925, qui profitait de la vogue du feuilleton pour s'installer dans la durée. Mais cette première version parlante est un monument... Et pour commencer, comme tant d'autres avant lui (Renoir s'attaquant à Zola avec Nana, ou Feyder s'attaquant à Pierre Benoît avec L'Atlantide), Raymond Bernard s'est persuadé de rester fidèle à Hugo, de faire de son roman le plus célèbre une adaptation aussi proche que possible... Pourtant Les Misérables est un film, un vrai! Pas seulement une belle illustration... Mais il a su essentiellement capter l'esprit d'Hugo, et a rendu avec ce film important le message du romancier, aussi naïf soit-il, particulièrement clair: traversant un passage-clé du XIXe siècle, de 1815 à 1832, Jean Valjean concentre en lui tous les enjeux d'un passage de l'humanité à l'ère moderne. Ecrit en 1862, le roman porte en lui un bilan de toute l'agitation qui a secoué le pays depuis la fin de l'empire jusqu'à l'avènement de la république (Du moins le croyait-on avant que le deuxième Napoléon ne fasse exactement comme son petit ancêtre et ne vole la république afin d'installer une dictature molle), mais aussi un bilan des aspirations de tant de pauvres et d'idéalistes qui ont assisté à la désagrégation des idées révolutionnaires, puis à la restauration de la monarchie (Louis XVIII, Charles X, puis Louis-Philippe) sans que quoi que ce soit change fondamentalement pour eux: la pauvreté est une fatalité, la faim inévitable. Jean Valjean a certes commis un crime lors de la révolution Française, mais c'était de voler un pain. Ni plus, ni moins... Il est donc fort bien placé pour représenter toute la misère du monde.

 

En 1815, le petit Napoléon vient de se rendre. Lors de la première scène du film, Valjean est un forçat, et il est occupé à redresser une statue qui menace de s'écrouler au frontispice d'une mairie. Il en gagnera la liberté, puisque cette action aura rendu service. On est bien peu de choses... Cette bonne action lui vaudra aussi d'être marqué à vie: il est l'homme trop costaud pour passer inaperçu, et le témoin Javert, le policier qui le suivra toute sa vie durant, le marquera à la culotte à partir de cette anecdote. Avec l'aide de Harry Baur (Valjean) et Charles Vanel (Javert), Bernard installe ses protagonistes de façon aussi frontale que possible, sans remettre quoi que ce soit en question: comme Hugo, il use avec bonheur de la grosse ficelle mélodramatique de la coïncidence, faisant de Javert la Nemesis de Valjean, qui ne peut être nommé qu'à proximité de son meilleur ennemi. La confrontation entre les deux monstres sacrés est impressionnante, mais on ne s'étonnera pas qu'elle tourne généralement à l'avantage de Vanel: il a beaucoup en jeu, il s'agit pour l'acteur de montrer de quelle façon l'humanité profonde de son personnage va percer sa carapace de fonctionnaire zélé, à l'insu de sa propre conscience. Harry Baur est un acteur extraordinaire, mais ici il doit incarner un homme minéral, statufié, insaisissable. Valjean est presque une idée, un idéal. Celui d'Hugo, bien sur, mais Bernard qui sait ce qui se trame en coulisses en ce début des années 30 n'est pas dupe, il sait à quel point la misère est éternelle...

Sous l'influence d'Hugo, cité en ouverture des trois parties du film, Bernard rappelle le double sens du mot "misérable" en axant sa deuxième partie autour des formidables Thénardier. Il n'a pas voulu le moindre angélisme, et c'est tant mieux, je pense qu'on tient avec ces brigands (Interprétés avec un génie particulièrement fier dans l'ignominie totale par Charles Dullin et Marguerite Moreno) le prototype même des salauds absolus, des gens qui ont compris que le monde est un ensemble de systèmes, et qu'il suffit finalement de trouver le sien, en volant ou exploitant ceux qui sont plus mal lotis... En contraste, la première partie du film confronte Jean Valjean à un "ange", un homme infiniment bon qui va lui permettre de se racheter toute sa vie, sur un coup de tête, quasiment: Monseigneur Myriel. Bernard a fait pour le bienfaiteur de Valjean un choix hautement symbolique, celui d'en confier le rôle à Henry Krauss, qui était Valjean dans la version de Capellani. L'anecdote des chandeliers, et la bonté de l'évèque trouvent un écho à la fin de la seconde partie avec un deuxième personnage religieux qui aide Valjean: une soeur va mentir à Javert pour couvrir la fuite de "Monsieur Madeleine". Elle clôt ainsi par une deuxième et dernière allusion à l'église la première partie du film. Hugo avait voulu montrer la religion comme une aide objective face à la misère, Bernard n'a pas souhaité le contredire, mais on n'y reviendra plus; le reste du film, soit deux parties (Les Thénardier, et Liberté, liberté chérie) est laïc, et tout y est affaire de choix: aider les pauvres, ou les dénoncer; profiter du système ou rester honnête; accepter la dictature ou la combattre et mourir... Hugo n'a jamais caché ses sympathies révolutionnaires dans l'intrigue, mais a choisi (On n'est jamais trop prudent...) une conclusion bien centriste: Valjean ne participe qu'à titre privé à la révolution, et uniquement parce qu'il est l'ange gardien de Marius, l'homme que s'est choisi sa fille adoptive Cosette. Néanmoins les images lyriques et frontales des barricades sont un des temps forts du film... Bernard y a en particulier montré l'importance de la révolte pour la jeunesse et réciproquement. Une façon de rappeler que la révolution est inhérente aussi bien au siècle qu'à l'être humain, d'où la mise en valeur d'Enjolras et sa fougue, ou de Gavroche et son langage fleuri...

Justement, le langage d'Hugo a été critiqué en 1862, par des bien-pensants qui n'avaient pas encore eu à lire L'assommoir... Mais Bernard, qui a choisi de renvoyer au texte initial aussi souvent que possible, a semble-t-il pris un certain plaisir à demander à ses acteurs de se vautrer dans ce langage fleuri et qui fait souvent mouche... Il a aussi privilégié le plus grand nombre de personnages possibles durant ses quatre heures et quarante-huit minutes de film. Là ou des passages auraient été laissés de côté, des personnages refondus, on a l'essentiel des intentions d'Hugo, ce qui débouche sur un pari audacieux: la mise en oeuvre de la dimension romanesque, rendue possible au cinéma par la mise en route de ce triptyque. La lisibilité obtenue par Bernard, qui a bénéficié de superbes décors et d'extérieurs Provençaux exceptionnels, fait plus que de fédérer ses spectateurs aux trois films: il obtient une oeuvre irrésistible, superbement construite autour d'une narration fluide et d'enchaînements magistraux. Lui qui a tant voulu faire une lecture définitive du roman se rappelle aussi qu'il est un cinéaste, et l'un des plus doués du muet: il sait installer une ambiance par l'image, aidé ou non par Arthur Honegger et sa partition splendide (Qui fait parfois penser à du Max Steiner par son recours constant aux motifs folkloriques "locaux"): la scène de Cosette partie chercher de l'eau à la source, dans un univers hostile et nocturne (Les Thénardier), ou encore les scènes également nocturnes de barricades (Liberté, Liberté chérie), la déambulation de Valjean, Marius sur le dos, dans les égouts(Liberté, Liberté chérie)... Le film accumule les morceaux de bravoure. Le plus notable des épisodes du film est sans doute cette extraordinaire montée du suspense (Liberté, Liberté chérie) alors que l'enterrement du général Lamarque se déroule devant la foule Parisienne, et que les révolutionnaires d'un côté, et les policiers de l'autre, se préparent à l'affrontement. On pense à la magnifique ouverture du Joueur d'échecs (1927), puis on se rappelle avec les scènes impressionnantes de bataille qui émaillent toute cette dernière partie, des surprenantes flambées de violence du Miracle de Loups (1924)...

Bien sûr avec 4h48, il ne faut pas s'attendre à une perfection absolue! Il y a des défauts, essentiellement dans l'interprétation: Florelle est absolument atroce dans le rôle de Fantine, et Orane Demazis est, sans être aussi nulle que dans ses interprétations pour Marcel Pignol, horripilante. Elle réussit toutefois à rendre sa mort touchante, après le sacrifice d'Eponine pour Marius (Le galant de Cosette, pas le fils de César...). On regrette le choix du metteur en scène d'accentuer le coté noir du film par des angles de caméra systématiquement de guingois, une étrange manie du cinéma Français (La fête à Henriette, tournée pourtant 20 ans après par Duvivier, possède dans ses parties "noires" le même attribut embarrassant), mais on ne se plaindra pas plus avant, d'autant que le film est quasiment revenu à sa forme de 1933, en trois parties dont toutes les scènes sont à peu près intactes, y compris ce fameux vol des chandeliers qui s'est si longtemps fait attendre, y compris dans la version sortie il y a quelques années chez Criterion. Les misérables est un classique essentiellement populaire encore une fois en référence à Hugo qui ne s'adressait pas aux élites (Ce que retrouvera la meilleure des versions à venir, celle de Riccardo Freda). Et le film est de fait l'une des oeuvres essentielles des années 30, bien plus qu'une simple (Quoique...) adaptation réussie d'un classique, ce qui ne serait déjà pas si mal: Raymond Bernard a signé avec ce film son chef d'oeuvre, et hélas, l'histoire lui a donné raison. Quelques années plus tard, Raymond Bernard a du lui aussi prendre la fuite afin d'éviter un destin proche, sinon pire, que celui d'un Valjean.

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Published by François Massarelli - dans Raymond Bernard
10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 16:15

Sorti en 1930, ce film a bénéficié d'une bande-son, mais pas de dialogue. ce qui fait que s'il a bien été un échec, ce n'est pas en raison de la déception qu'il cause, mais tout simplement parce qu'il était muet, ce qui n'était pas de très bon augure à cette époque du tout-parlant, tout-chantant... Quittant la société des films historiques, il emportait avec lui son héroïne du Joueur d'échecs, Edith Jehanne, et reprenait avec son nouveau film la formule du film d'aventures baigné d'histoire, en restant dans une intrigue liée à la Russie. Mais le film fait reposer beaucoup de son argument sur une histoire d'amour, qui nécessitait des acteurs à la hauteur...

 

La Grande Catherine est devenue l'impératrice redoutée de toute la Russie, mais une poignée de fidèles de l'ancien régime rêvent de faire revenir à la vie politique la fille de l'impératrice Elizabeth, qui est entrée au couvent. celle-ci refuse, mais le comte Chouvalov va rencontrer son sosie Tarakanova, une jeune tzigane à la naissance mystérieuse, qu'il va aisément convaincre qu'elle est la fille cachée de l'impératrice. Catherine envoie pour enlever la jeune femme, qui lui fait de l'ombre en prétendant au trône, le comte Orloff. celui-ci, justement, a déja croisé la route de la jeune Tzigane, et ne s'en est pas remis.

 

Les interprètes témoignent d'une volonté de Bernard d'ouvrir son cinéma à toute l'Europe: Olaf Fjord est le comte Orloff, et le comte Chouvanov est interprété par le grand Rudolf Klein-Rogge, nettement plus nuancé ici que chez Fritz Lang. Edith Jehanne joue le rôle double de Tarakanova et de la jeune Elizabeth, et on voit aussi Antonin Artaud en jeune gitan épris de l'héroïne. La Grande Catherine, déja présente dans Le Joueur d'échecs sous les traits de Marcelle Dullin, est ici interprétée par Paule Andrale.

Après l'intrigue musclée et fougueuse de son film précédent, Bernard fait ici respirer le spectateur en concentrant son film sur les personnages d'Orloff et Tarakanova, une fois de plus des amoureux de deux groupes ennemis, comme dans Le Miracle des Loups. Il soigne sa mise en scène, en particulier ses mouvements d'appareils, et sait décidément s'entourer: Jean Perrier aux décors, et Boris Bilinsky, artiste protéïforme, à la création des costumes, font un très beau travail... Mais on peine à s'intéresser autant à cette histoire, romancée mais à la base authentique, qu'au joueur d'échecs... Si la lente agonie de Tarakanova réfugiée au couvent de son "double" est l'occasion pour Raymond Bernard de nous montrer la délicatesse dont il savait faire preuve, on n'est pas aussi enthousiaste devant cette histoire d'amour, dont les personnages n'arrivent pas à nous entrainer derrière eux. C'est dommage, tant on apprécie les efforts de ce metteur en scène pour faire un cinéma différent (A l'instar d'un Gance ou des films Albatros), ce qu'il parvient ici à accomplir par moments.

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Published by François Massarelli - dans Muet Raymond Bernard 1929 *
9 novembre 2012 5 09 /11 /novembre /2012 17:15

A nouveau produit par la Société des Films Historiques, Le joueur d'échecs fait donc suite dans la carrière de Raymond Bernard au Miracle des loups, et on se réjouit de voir un film habité par la fougue et l'ingéniosité, ainsi qu'un scénario superbement construit, à nouveau par Bernard et Jean-José Frappa. Les interprètes en sont excellents, et on ne regrette pas de passer deux heures et quart en compagnie de ce film, qui dès son introduction, se passe sur un plan dynamique plutôt que didactique (En lieu et place donc des leçons d'histoire un tantinet nationalistes du Miracle des Loups): En pleine occupation Russe de la Pologne, des soldats Russes passent, la nuit dans une ville aux rues désertes de Lithuanie, et une femme qui était seule dehors se fait tuer par l'un des soldats. Pendant ce temps, dans une résidence cossue, les partisans de l'indépendance se retrouvent et chantent ensemble des hymnes, jusqu'à ce que l'une d'entre eux donne l'alarme, en entendant les bruits des sabots des chevaux Russes. Une brillante exposition qui paradoxalement met l'accent sur le son (chants, bruits de sabots), tout en utilisant montage alterné avec assurance, et reste éminemment visuelle: un tour de force.

On apprend ainsi à connaître un grand nombre de personnages dans une intrigue qui a été installée avec clarté dans un pays occupé, dont l'enjeu sera bien sur la résistance des uns face aux autres. Les résistants sont en particulier Boleslas Vorowski (Pierre Blanchar), son amie Sophie Novinska (Edith Jehanne), symbole même de la résistance, mais dont les origines mystérieuses vont apporter un petit plus à la deuxième partie. Moins impliqué en raison de son âge, le baron Kempelen (Charles Dullin), qui fabrique des automates, est l'un des rares à connaître le secret de Sophie. Du coté Russe, on fera la connaissance de l'impératrice Catherine, pas moins (Marcelle Dullin), mais aussi de Serge Oblomoff (Pierre Batcheff), meilleur ami de Boleslas en dépit de leurs différences, et son ordonnance Roubenko (Armand Bernard), qui fournit un peu de comédie, et enfin le major Nicolaieff, véritable méchant de l'intrigue joué par Camille Bert.

Les aventures de Boleslas et de ses amis, qui le dissimuleront dans un automate afin de le faire passer la frontière, mais seront retenus bien malgré eux à la cour de Russie, sont parsemées de moments de bravoure, dans lesquels un nationalisme relativement léger s'installe: la scène au cours de laquelle Sophie vit à distance une bataille malheureuse pour son camp, et tente de conjurer le désespoir en chantant à tue-tête au piano un air martial, imaginant aussitôt la victoire comme devant un écran en cinémascope, a été souvent relevée par Kevin Brownlow comme l'un des meilleurs exemples de ce que les Français pouvaient avoir de fougue cinématographique communicative. Une autre scène formidable nous montre  la fin de l'automate joueur d'échecs, qui donne son titre au film, fusillé sur ordre de Catherine, et dont on n'est pas sur qu'il n'y ait personne de dissimulé à l'intérieur, une séquence haute en couleurs, elle-même alternée avec une scène lugubre qui voit Nicolaieff s'introduire chez Kempelen, et déclencher pour son malheur des pièges imaginés par l'étrange Baron...

Bref, c'est un grand film d'aventures, qui réussit à maintenir le spectateur en haleine pendant plus de deux heures sans faillir. une réussite qui en appelait d'autres, mais à la fin du muet les prétentions du cinéma français allaient se voir drastiquement réduites hélas. Raison de plus pour se pencher sur ce réjouissant spectacle.

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Published by François Massarelli - dans Muet Raymond Bernard 1926 *
9 novembre 2012 5 09 /11 /novembre /2012 16:57

La réalisation du miracle des Loups était motivée par une volonté de confectionner des films historiques de qualité, parce que selon la production, aucun studio au monde ne le faisait vraiment... ce qui sera bien sûr démenti par toute personne qui voit ce film après avoir vu des films contemporains Américains, en passant; mais c'est assez typique de l'époque, durant laquelle chaque cinématographie semblait céder à une aveuglement nationaliste aussi inévitable que stupide. Et de toutes façons, Le Miracle des Loups n'est pas sans qualités, et si le film souffre de ne pas être tout à fait à la hauteur de ses ambitions, certaines scènes-clés démontrent la faculté de Raymond Bernard à s'investir dans un projet de mise en scène épique et audacieuse.

Le film raconte la rivalité entre Louis XI (Charles Dullin), héritier du trône de France à la mort de Charles VII, et son cousin Charles de Bourgogne dit "le téméraire" (Jean-Emile Vanni-Marcoux), prétendant au trône lui aussi, et que ses amis cherchent à imposer par la force. Au milieu de ce conflit, se situent deux personnages d'amoureux, Jeanne Fouquet (Yvonne Sergyl) qui fait partie d'une famille légitimiste, et Robert Cottereau (Romuald Joubé), un partisan de Charles le Téméraire. Les deux amoureux vont-ils pouvoir se retrouver et se marier, et le pays trouver la stabilité?

Le héros de ce film? Difficile à décréter... D'une certaine façon, Bernard suit la méthode Griffith des Deux orphelines, qui choisit de traiter de l'Histoire en racontant des éléments de fiction. Par moments, le personnage principal est donc Jeanne Fouquet (Dite 'Hachette', un personnage héroïque souvent cité dans l'histoire, mais dont on n'est pas sur qu'elle ne soit pas une invention des légendes populaires), par moment le Louis XI de Charles Dullin prend toute la place, mais le personnage de Charles est aussi intéressant, pas aussi unidimensionnel qu'on aurait pu le craindre...

Le film souffre d'une première partie d'exposition un peu longuette, mais l'intrigue prend vie durant les scènes de bataille particulièrement impressionnantes, filmées au coeur même de l'action, et bien sûr durant l'épisode du 'miracle' proprement dit, qui utilise avec un certain savoir-faire le montage parallèle: Louis XI est prisonnier de Charles, qui attend un document que doivent lui apporter Jeanne et son père. ceux-ci sont rejoints par des sbires qui assassinent le père, mais Jeanne est sauvée par une meute de loups qui se jettent sur les Bourguignons (là encore, le réalisme sanglant de la scène est à noter). et puis le siège de Beauvais est l'occasion d'admirer les remparts de... Carcassonne.

La deuxième heure achève de consacrer le film, et on sent que Bernard, qui venait rappelons-le de la comédie, s'est trouvé en chemin une vocation de metteur en scène de spectacles épiques. Et son sens pictural est impressionnant, sans parler de sa facilité apparente à triompher d'une scène aussi riche et chargée en éléments que celle d'une fête au cours de laquelle les destins de tous les personnages se scellent: on y suit Louis XI qui a invité son ennemi préféré, et on y assiste à un spectacle (un "mystère") qui reconstitue un épisode fantastique de la Bible, on y voit aussi le public, incarné par Armand Bernard (aucun rapport avec Raymond, si ce n'est qu'ils ont souvent travaillé ensemble) , qui est complètement transporté par le théâtre; enfin, on y assiste aussi aux tractations et autres manigances de Charles le téméraire et de Monsieur de Chateauneuf, son sbire (Gaston Modot), pendant que Romuald Joubé et Yvonne Sergyl roucoulent: le tout fonctionne et tient la route sans aucun problème!

A des années-lumière, aussi bien des drames bourgeois ampoulés qui formaient le tout-venant de la production cinématographique Française, que des extravagances joyeuses des Russes de l'Albatros, Ivan Mosjoukine en tête, ce film mérite donc bien qu'on s'y attarde, avant de passer au grandiose film qui a suivi, l'excellent Joueur d'échecs.

Edith Jehanne dans un tout petit rôle: c'est elle qui sera la vedette des deux films suivants de Raymond Bernard...

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Published by François Massarelli - dans Muet Raymond Bernard 1924 *