Beaucoup des films du jeune Spielberg s'intéressent d'une façon ou d'une autre à l'âme Américaine, que ce soit en créant du suspense à partir du mythe de la route (Duel), ou de l'univers des stations balnéaires (Jaws), en racontant un folk tale qui dépoussiérerait presque les légendes de l'Ouest Américain tout en révélant de façon poussée le dangereux culte des armes au Texas (The Sugarland Express), ou en s'intéressant à la famille sous l'angle inattendu... de la science fiction (Close encounters of the third kind, E.T.). Spielberg a aussi, dans cette première décennie, exploré le passé glorieux du cinéma d'aventures en participant comme chacun sait à la création en compagnie de George Lucas d'un personnage doté désormais d'un univers solide, et si éminemment Américain (Raiders of the lost ark)... Donc 1941 ne ressemble pas tant à un accident de parcours qu'on a bien voulu le dire depuis sa sortie qui avait comme on s'en rappelle débouché sur un flop, et engendré un désamour persistant de la critique voire d'une partie du public, désamour facile à motiver: le film est raté.
En décembre 1941, la Californie vit dans une certaine psychose bien compréhensible: Pearl Harbor attaqué par les Japonais, tout porte à croire que l'état richissime est le suivant sur la liste. On s'y prépare donc. La défense civile anti-aérienne, l'aviation, la marine, toute l'armée est sur le pied de guerre, et les civils s'attendent au pire. Le risque de sombrer dans la folie paranoïaque sera-t-il franchi? ...Oui. D'autant qu'un sous-marin Japonais croise justement au large de Santa Monica, et que bien des militaires, rendus fous par l'attaque inattendue et spectaculaire du 7 décembre, sont au-delà de leurs esprits dans des proportions inédites...
L'alliance entre Spielberg et le duo Zemeckis-Gale était inévitable: Spielberg, jeune producteur, appréciait leur esprit, tel qu'il s'était déchaîné en particulier dans le film I wanna hold your hand, qui contait le chaos qui régnait dans les coulisses d'une visite des Beatles aux Etats-Unis. En gros, 1941, c'est le même film, mais cette fois dans les coulisses de l'après Pearl Harbor. Sans doute Spielberg qui savait quel était son enviable statut en tant que principal des jeunes loups qui s'étaient établis dans les années 70 (aux côtés de Scorsese, Lucas, Cimino, ou le plus âgé Coppola), et souhaitait devenir un chef de clan, en produisant et mettant le pied à l'étrier des plus jeunes. Peut-être avait-il jugé que Zemeckis était trop peu aguerri pour mettre lui-même le film en scène, ou peut-être la stature de Spielberg permettait-elle d'accumuler les grands noms: après tout, on peut voir ici, rien moins que Robert Stack, Slim Pickens, Christopher Lee, ou Toshiro Mifune. Les jeunes vedettes qui montaient à l'époque, Dan Aykroyd ou John Belushi, y côtoient des acteurs qui s'étaient illustrés dans le film de Zemeckis: Bobby Di Cicco, Nancy Allen ou l'insupportable Wendy Jo Sperber, dont l'énergie en apparence inépuisable finit par devenir lassante... après deux secondes. Parce que le problème du film, c'est que l'excès pour l'excès, ça ne marche pas. Aucun dosage, aucun répit, tout part en vrille dès le départ. Parfois, c'est drôle: Belushi en aviateur fou arriverait à nous faire rire plus facilement, si par exemple tout ce qui l'entoure n'était pas plongé dans le chaos. Robert Stack, en général ému par Dumbo aux larmes, est splendide, et le duo incarné par Mifune et Lee, en général Japonais et en saleté de Nazi SS respectivement, est mémorable, mais le film peut parfois nous arracher un sourire grâce à ses allusions au cinéma: de Spieberg d'abord (une scène de Duel est rejouée par la même actrice, avec un avion en lieu et place de camion), de Ford ensuite (une bagarre se déroule au son de la même musique folklorique Irlandaise que l'homérique rencontre entre John Wayne et Victor McLaglen dans The Quiet Man).
Peut-être que Kubrick, qui avait expérimenté (Dr Strangelove) le même type d'exploration du chaos avec tellement plus de réussite que Spielberg, estimait que ce genre de film ne devait surtout pas être vendu comme une comédie, afin que le décalage fonctionne. Il avait sans doute raison, ais il faut ajouter que dans ce film dont les cinq premières minutes sont le sommet du film (En particulier si on a vu l'ouverture de Jaws), on surtout la preuve éclatante que Spielberg est certes un génie, mais qu'il ne sait pas tout faire, loin de là. L'intention de montrer l'Amérique profonde, et la Californie en particulier, en proie au chaos était bonne, mais ces deux heures (Et 25 minutes dans la version intégrale) sont souvent dures à passer.