Dans un futur très proche, Theodore (Joaquin Phoenix) travaille en tant qu'écrivain public dans une entreprise spécialisée: tous les employés y rédigent pour d'autres personnes des lettres, des simulacres de manuscrits, car les gens ne savent plus faire cette tâche... il est doué, et ses clients sont généralement très contents de son style. Il est en instance de divorce, et cette situation le déchire, car il aime encore Catherine (Rooney Mara), son épouse. Il retarde sans cesse la signature des papiers pour mettre fin à son mariage...
Quasiment dépressif, il passe beaucoup de temps à jouer à des jeux vidéos proches de la réalité virtuelle, et il s laisse convaincre par une nouvelle technologie, un système dexploitation personnalisé auquel il donne une voix féminine, et qui va devenir sa confidente, l'aider, et... finalement ils vont tomber amoureux. Elle s'appelle Samantha (Scarlett Johansson). Et comme Theodore ne peut pas faire les choses simplement, ce sera évidemment compliqué...
C'est donc de l'anticipation, mais Jonze, qui ne fait a priori rien comme tout le monde, a pris la décision de se passer d'effets spéciaux, jusqu'à un certain point, bien entendu. Il s'en sert pour montrer les jeux vidéos auxquels s'adonnent les protagonistes, Thodore bien sûr, mais aussi son amie Amy (Amy Adams), une voisine qui elle aussi a des difficultés sentimentales. Les deux personnages, sont vraiment les plus présents dans le film, et on y voit clairement la représentation d'un monde dans lequel la solitude naît d'un plus grand accès à la technologie avancée, notamment les intelligences artificielles.
Jonze prend d'ailleurs le pari de faire de Samantha un vrai personnage, ce qui est souvent troublant. Si beaucoup de personnes sont perturbés du fait que le principal personnage ait une relation amoureuse avec son ordinateur, il en est aussi pour l'accepter sans trop s'en soucier. La technologie nous est présentée ici comme quotidienne, indispensable. Non qu'elle ne soit invasive, c'est juste que cette invasion a déjà eu lieu... Une approche subtile, et qui permet au film de ne jamais être un pamphlet tout en lissant la porte ouverte à une interprétation critique...
Car principalement, Jonze ici nous parle de sentiments, de l'amour et de la solitude. De la communication amoureuse, aussi, avec ces gens qui souvent sont seuls... ensemble. Un beau, un très beau sujet même, qui n'est pas éloigné d'autres films sensibles et provocants, on pense, dans un mode évidemment différent, à l'un des chefs d'oeuvre du jeune 21e siècle, Eternal sunshine of the spotless mind, de Michel Gondry, qui lui aussi imaginait une technologie de pointe (assez farfelue en dépit de la gravité du sujet) pour parler de l'amour et de ses errements... Mais le monde du futur est impitoyable de ce point de vue, on y voit Theodore s'adonner au phone sex dans une scène à la fois hilarante et profondément choquante, et un rendez-vous tourne au fiasco: une jeune femme (Olivia Wilde) se rend à un rendez-vous avec lui, et brûle les étapes: complicité trop rapide, suivie de soucis de communication et de pressions trop fortes. Il n'y a pas que Theodore qui ne sache pas y faire...
Touchant ou perturbant, le film avane en douceur vers une conclusion vraiment amère, et montre un visage assez affolant des IA, même si je le répète, ce n'est pas le vrai sujet du film, juste un excellent prétexte... C'est aussi une performance toute en nuances et en subtilité de Joaquin Phoenix. Quant à Scarlett Johansson, dont la voix a été ajoutée après coup, elle est tout bonnement parfaitement crédible en intelligence artificielle amoureuse... mais de façon compliquée.
A une époque futuriste mais si proche de la nôtre, un scientifique (Robert Redford) a trouvé une solution pour répondre au plus troublant des mystères de l'humanité: y a-t-il une vie après la mort? Il a découvert que oui, sans aucun doute, et l'a prouvé. Il est donc à la fois fêté comme il se doit, mais aussi très critiqué, dans la mesure où la confirmation tant attendue a provoqué une vague de suicides qui ne semble pas pouvoir s'arrêter... Deux ans après ce qu'on a appelé "The discovery" (notez la majuscule), son fils Will (Jason Segel)le rejoint sur l'île où il s'est exilé, au secret, et rencontre une jeune femme mystérieuse, Isla (Rooney Mara), qu'il ne va pas tarder à sauver elle-même d'un suicide. Will, qui doute de la véracité de la Découverte, va se confronter aux recherches de son père et affronter les fantômes de son passé...
Quelle salade! On aime les films de science-fiction à option mythologiques justement pour les clés qu'ils cherchent à explorer sur notre présent, pas dans un futur en carton-pâte, aussi glauque soit-il: Jason Segel, Robert Redford et Rooney Mara s'efforcent du début à la fin de ce film d'afficher autant d'émotions que Gai-Luron dans ses jours de déprime profonde... L'essentiel du tournage a eu lieu en Automne, et les rares tentatives d'humour ou de chaleur humaine sont ostensiblement vouées à l'échec. Le film tourne en rond, attaché à sa grande révélation finale, parfaitement inintéressante et au final, ce gâchis de talents (ce casting!!) n'est rien de plus qu'un film consommable UNE FOIS, bref, un pur produit Netflix.
Dernier film d'une trilogie, Song to song partage avec To the wonder et Knight of cups un style délibérément brouillé, hérité de Tree of life. Malick, après ce dernier film qui est souvent considéré comme son grand oeuvre, est en effet parti dans une direction risquée, déclinant les méditations philosophiques d'amants en crise, à travers un dédale chronologique. La partie mystico-abstraite (création du monde, évolution, etc) de Tree of life ayant donné de son côté le documentaire à la réputation compliquée Voyage of time...
Donc, nous sommes ici confrontés, après l'opus religieux To the wonder, le film autour du cinéma Knight of cups, au monde de la chanson, et si je fournis ensuite un résumé, c'est sur la bonne foi des sites que j'ai consultés, car je n'ai en effet pas pu recoller les morceaux d'une narration qui ne nous donne probablement que 25% des clés de l'intrigue. Par exemple, à moins de lire attentivement le générique final, on ne connaît pas les noms des protagonistes; les repères temporels sont d'autant plus compliqués à capter que le film a été improvisé dans de courtes sessions de tournage, au gré de la disponibilité des acteurs. Et ceux-ci, comme d'habitude, ont surtout eu à marcher dans l'eau devant la caméra en faisant des têtes d'enterrement, sans savoir ce que la voix off qui allait être placée sur les plans, dirait...
Faye (Rooney Mara) est une jeune rockeuse qui souhaite percer, et elle a une aventure avec Cook (Michael Fassbender), un producteur un peu trop charismatique et influent. Elle rencontre BV (Ryan Gosling), un chanteur inconnu, qui s'apprête à faire un album avec Cook, et a une liaison avec lui; mais celle-ci se finit mal, et Faye couche de nouveau avec Cook, qui lui promet un contrat d'exclusivité. Pendant ce temps, Cook se marie avec une jeune femme (Natalie Portman) qui est un peu trop Chrétienne pour accepter le comportement libre de son mari, et BV et Faye ont des relations avec d'autres: Amanda (Cate Blanchett) pour BV et Zoey (Bérénice Marlohe) pour Faye...
Quelle salade, a-t-on envie de dire! C'est vrai que comme toujours, le travail de l'image par Emmanuel Lubezki, les angles et lieux choisis, sont superbes, avec toutefois une réserve de poids: les lentilles privilégiées pour les prises de vue rock 'n roll (avec cuir, tatouages, et même une incursion des Red Hot Chili Peppers et de Patti Smith dans le film) alourdissent le film un peu plus... Les acteurs sont des gens qu'on a envie de suivre, bien entendu, notamment Rooney Mara, Natalie Portman, et Ryan Gosling.
Mais comment se départir d'un ricanement prolongé devant ces plans d'amants qui regardent par terre, les pieds dans l'eau, et ressemblent à s'y méprendre à des acteurs auquel un metteur en scène hors-champ, donne l'ordre d'avoir l'air maussade dans une inspiration de dernière minute? Et si ces trois films post-Tree of life, finalement, n'étaient qu'une expérience ridicule, prétentieuse, et inutile? Et si on attendait de Malick qu'il prenne de nouveau du temps pour réfléchir à un film, et qu'il ne s'adonne pas seulement à des tournages de pubs géantes sans produit à vendre, avec des acteurs qui sont plus des modèles qu'autre chose, avec gros plans sur les Louboutin toutes les trois minutes?
...parce qu'il faut bien le dire, à part peut-être quand Rooney Mara tripote une Fender Jaguar, on s'en fout.
Una (Rooney Mara), une jeune femme qui vit seule avec sa mère en Ecosse, a une existence assez agitée: elle sort et couche avec des inconnus, rentre tôt le matin, au grand désespoir de sa mère. Elle a vécu une histoire compliquée, sordide et jamais totalement résolue quand elle avait treize ans... Un jour, elle apprend que l'homme avec lequel elle a eu une relation amoureuse (Ben Mendelsohn) durant trois mois, avec lequel elle avait failli fuir pour le continent, est revenu en ville. il avait été jugé, avait fait quatre années de prison.
Elle décide de le voir, mais s'agit-il pour elle de se confronter à un homme qui avait abusé d'elle quand elle était adolescente, ou de recoller les morceaux avec celui dont elle refuse de croire qu'il ne pouvait pas l'aimer? La confrontation sera intense, douloureuse, et... austère.
Rooney Mara fait partie de ces actrices qui prennent des risques, et peuvent passer sans dommage des univers distinctifs d'un Joe Wright (Pan) ou d'un David Fincher (The girl with the dragon tattoo) à ceux de Todd Haynes (Carol) ou de jeunes cinéastes indépendants (Ghost story) voire de Terence Malick (Song to song). Ici, elle incarne sans excès de texte (l'accent aurait sans doute un problème, j'imagine) un personnage qui n'a jamais réussi totalement à se sortir du choc vécu durant ses treize ans. Le metteur en scène choisit de tout miser sur le duo, filmé souvent en huis-clos, et dont les deux personnes doivent faire du sens et faire leur deuil de cette sordide histoire...
Et surtout, Mara qui n'a jamais été aussi éloignée de son image récurrente de femme-enfant (de la fée de Pan à la jeune adulte de Carol, en passant par les tenues de caméléon de Lisbeth Salander, c'est une constante dans ses films), joue du contraste entre ce qui se passe dans sa tête, et la sexualité provocante de cette jeune femme qui n'a jamais résolu son traumatisme. La façon dont Andrews passe de l'époque contemporaine à des flash-backs omniprésents, nous fait penser que pour une jeune femme qui a subi ce qu'elle a subi, finalement, le temps s'est arrêté. Le film est donc âpre, souvent volontairement déplaisant dans son portrait d'une intimité grinçante entre deux personnes qui n'auraient jamais du rester seuls l'un avec l'autre.
A l'heure du tout numérique, qui réinvente le fantastique afin de le parer de vraisemblance, ce qui est quand on y pense particulièrement vertigineux, David Lowery ose un film de fantôme... avec drap. Un bête drap, qui couvre tout le corps, avec deux trous béants pour les yeux. C'est une bonne idée.
C'est l'une des rares du film.
C (Casey Affleck) et M (Rooney Mara) sont deux jeunes mariés. Lui est musicien, et elle ne travaille pas; elle s'ennuie dans leur maison, qu'elle voudrait bien quitter, mais lui refuse cette discussion. Un jour, il a un accident de voiture, juste devant la maison. Il est mort, et à l'hôpital, après que M venue reconnaître le corps nous ait laissés seuls avec lui pour un très long plan de six ou sept minutes environ, il est revenu. Invité à "rejoindre la lumière", il a décliné, et puis a commencé à hanter la maison...
...Et nous aussi.
Il y a là-dedans d'autres bonnes idées, comme celle de tester les représentations du temps qui passe, ou la distance nette et immobile adoptée par la caméra. A ce propos, sauf pour de très rares plans du film (pourquoi? mystère), Lowery a décidé de tourner en 1:33.1, ce qui donne un cadre élégant... Mais la froideur imposée et l'arbitraire apparent, la pose artistique doublée d'une interdiction de rire, le gâchis de deux excellents acteurs (On souffre pour Mara d'avoir dû se gaver de tarte aux pommes, surveillée par un fantôme flou avant d'aller vomir au fond du champ, le tout pendant DIX MINUTES longues, longues, longues...), finissent par nous achever: on demande grâce.
Et du coup, le film qui interroge le temps qui passe et nous invitait çà une réflexion sur ce qu'on laisse derrière nous, tend plutôt à nous asséner ses conclusions à coups de pelle. Et j'aime pas les coups de pelle.
Adapté d'un roman de Patricia Highsmith (The price of salt, publié en 1952 sous le pseudonyme de Claire Morgan), Carol n'est pas un film policier, ni un thriller... du moins un thriller criminel. Les émotions y sont fortes, avec l'impression de faire un tour dans les montagnes russes... Highsmith s'était pour sa part inspirée de certains épisodes de sa vie pour raconter une histoire d'amour choquante pour l'époque: la rencontre entre une bourgeoise mariée en instance de divorce, et une jeune vendeuse, qui débouchait sur une passion amoureuse intense mais compliquée. Et pour l'époque, la fin pouvait être considérée comme positive... une époque où l'homosexualité était non seulement un tabou, mais aussi un crime, répréhensible au niveau de la loi, et bien sûr en aucun cas accepté dans quelque milieu que ce soit. On peut se poser la question, bien entendu, à l'époque de l'accession des gays au mariage, de vouloir reprendre une telle histoire, mais d'une part, quelles que soient les lois, la notion de différence subsiste, la morale dominante et la morale humaine ne s'accordent toujours pas sur le degré d'acceptation de ceux qui ne sont pas comme vous, quand ils ne sont pas par principe jugés directement et condamnés en fonction de leur différence: immigrés, migrants, autres religions, autres nationalités, autres moeurs, etc... Il y a du boulot. Et puis, Carol, après tout, c'est une histoire d'amour. Qu'elle soit entre deux femmes, entre deux hommes, ou entre une femme et un homme, peu importe.
Et ici, c'est donc l'histoire d'amour entre deux femmes: Carol Aird (Cate Blanchett), une femme d'âge moyen, mariée et mère d'une petite fille, qui est en plein divorce d'avec un mari qui ne supporte d'autant pas la situation, qu'il divorce d'une femme qu'il ne cessera jamais d'aimer, mais qui s'avère lesbienne. Et Therese Belivet (Rooney Mara), une jeune femme qui évolue dans un groupe d'amis, seule fille parmi des garçons qui tous aimeraient bien en faire plus qu'une amie. Elle travaille dans un grand magasin, mais est probablement montée à New York avec des plans ambitieux: elle aimerait faire de sa passion de photographe un métier, et elle attend patiemment en vendant des jouets. Et comme c'est Noël, Carol vient au magasin pour acheter un jouet pour sa fille... Tout part d'une rencontre fortuite, d'un simple échange de regards, et d'une fascination. Mutuelle? le mystère reste longtemps entier, justement, car pour l'essentiel du film, c'est le point de vue de Therese qui primera; d'autant que la jeune femme possède un objet qui justifie cette notion de point de vue: un appareil photo... Mais elles vont s'aimer, ça oui, et souffrir bien sur...
Todd Haynes, qui nous avait déjà régalé en 2011 d'une superbe version de Mildred Pierce pour HBO, sous la forme d'une mini-série, sait à merveille s'immerger dans une période, et le fait ici en super 16 mm, ce qui donne un grain, une texture fabuleuse, qui rend l'expérience plus tactile encore. Et il rend son histoire située entre 1952/1953 et la fin de la décennie tangible par un sens du détail (Mode, accessoires, décors...) et une façon subtile de nous faire comprendre le passage des ans: Therese va en particulier être un repère intéressant: à peine sortie de l'adolescence au début du film, elle n'a pas les moyens, pas non plus l'habitude de toutes les petites choses qui séparent une femme de sa condition d'une bourgeoise comme Carol: coiffure, vêtements, maquillage, mais aussi appartement et habitudes (Carol écluse des Martinis, mais Therese consomme des bières à même la cannette), tout trahit la condition sociale de la jeune femme; à la fin du film, elle a changé, vieilli bien sûr mais aussi elle a mûri. Et sa coiffure et son maquillage (Audrey Hepburn est passée par là!) sont désormais étudiés.
Et justement, Carol est bien plus l'histoire de Therese, que celle du personnage pourtant nommé par le titre! Tout part du reste d'un flash-back, qui est déclenché par une rencontre entre les deux femmes, au tout début du film. Un homme entre dans un bar extrêmement chic, et voit une jeune femme en pleine conversation avec une dame élégante et un peu plus âgée. Il les interrompt, car il connait Therese, mais il ne voit pas qu'il les dérange... Pire encore, quand il parle à Therese d'une soirée à laquelle ils doivent se rendre, Carol part précipitamment, mais avant elle pose sa main sur l'épaule de Therese. Le geste est tout sauf anodin, et l'émotion qui se lit dans toute la gestuelle de Therese à ce moment est intense... Comment ne pas penser à Brief encounter, de David Lean, et à ces adieux dans la gare qui ne seront jamais totalement effectués parce qu'un trouble-fête s'est invité en dernière minute à la table des amants déchirés? Alors après, oui, on a un flash-back de Therese, qui revient sur son histoire d'amour avec Carol, et qui à ce moment n'a finalement que des regrets. On revisite la première rencontre, les tentatives de se retrouver, les retrouvailles maladroites (C'est souvent à l'initiative de Carol, qui domine assez clairement la relation) puis leur escapade, qui va mal se terminer, car le mari de Carol est en embuscade.
Et le film nous rappelle que même si c'est une histoire d'amour, elle n'est pas si éloignée que ça du domaine de prédilection de Patricia Highsmith: il y a des manigances, des calculs, de la planification chez ces deux femmes. Et il y a des risques, des dangers à vous donner des sueurs froides. Les choix de Carol sont pour une bonne part déjà faits même si tout n'est pas rose, loin de là, dans sa vie, mais pour Therese (Qui court en permanence le risque d'être jugée par ses amis, à plus forte raison parce que plusieurs garçons veulent coucher avec elle), le choix est généralement une prise de décision très grave, qui va la précipiter dans une situation ou une autre... Et l'emprise de Carol sur elle est troublante, qui va de pair avec la perte progressive des droits de celle-ci sur sa fille Rindy. Quand, après une escapade avec Therese, Carol retrouve enfin sa fille, celle-ci est coiffée également comme Therese. Ce n'est évidemment pas un hasard.
C'est pourquoi je me pose la question, du reste, du véritable sens à attribuer à la fin de ce film, que je ne raconterai du reste pas ici, puisque je vous en laisse témoins et juges. Mais le fait est que si elle lui a beaucoup apporté, Therese sait aussi que Carol a pu avoir une certaine influence destructrice. Si désormais (C'est très clair dans le film) Therese n'ira plus vers les garçons, la place de son premier amour dans sa vie pourrait bien laisser des traces. Pas parce que c'est une femme, on n'est plus en 1950 ou 1960 (à une époque durant laquelle on pouvait représenter des homos dans un film, à condition qu'ils soient punis, malheureux, ou qu'ils découvrent les joies de l'hétérosexualité!)...
J'ai déjà parlé de la photographie de Edward Lachman,qui a d'ailleurs reçu un prix du cercle des critiques New Yorkais pour ce film, et du sens exceptionnel de la période qui est donné par Haynes, mais je m'en voudrais de ne pas mentionner sa mise en scène qui s'efface constamment devant ses actrices, le rythme du montage, d'une lenteur calculée, un je ne sais quoi ni trop lent, ni trop rapide... Et bien sûr, les deux actrices sont formidables. Maintenant, je serais étonné qu'on puisse imaginer quelqu'un d'autre que Cate Blanchett dans le rôle de Carol: c'est tellement elle en roue libre, jouant de sa présence, du mystère de ses yeux, et de son talent pour jouer les bourgeoises éthérées, qu'on pourrait presque dire qu'elle est un peu en mode de pilotage automatique. Pas Rooney Mara: on l'a découverte chez Fincher, en étoile inaccessible brièvement aperçue (The social Network) puis en détective cyberpunk hallucinante (The girl with the dragon tattoo). Elle a interprété un personnage des plus ambigus avec son rôle dans Side effects de Soderbergh. Ici, elle irradie l'écran. C'est rare que je parle des hochets que reçoivent nos acteurs et metteurs en scène, mais le prix d'interprétation à Cannes? Totalement d'accord.
Joe Wright déclarait, mi-embarrassé, mi-amusé, sur le commentaire audio de son long métrage Atonement (2007), à propos d'une scène spectaculaire tournée en un plan séquence qui devait sans doute représenter à elle seule la moitié du budget: "J'adore frimer"... On retrouve ce trait de caractère absolument essentiel dans sa discipline, avec son dernier film en date. Tentative de donner un contexte plausible à Peter Pan, en même temps que réappropriation et dépoussiérage du mythe créé par James Barrie, le film s'imposait-il?
Non, bien sur, même s'il ne mérite pas totalement les critiques sauvages dont il a été victime aux Etats-Unis (Où il a été un four gigantesque). A l'heure où Disney revisite ses classiques en les rendant, ahem, "réalistes", pourquoi ne pas les laisser se salir les mains? Pourquoi donner à voir un film dans lequel des enfants travaillent à la mine en chantant du Nirvana et les Ramones? Et pourquoi confier à des acteurs de talents des rôles qui ne leur permettront de briller que quelques secondes, comme ici Amanda Seyfried et Rooney Mara? Wright avait avec un certain talent osé s'attaquer à Tolstoï en donnant à Anna Karenina un traitement à la Marie-Antoinette, pourquoi pas? Mais la façon de le rendre en théâtre filmé, avec changement de décors apparents et chorégraphie jouait vraiment en la faveur du projet, qui donnait malgré tout la part belle aux acteurs. Ici, ce sont les effets spéciaux qui l'emportent, et une animation 3D... laide, comme d'habitude. Donc on regardera, on baillera de temps à autre, on lèvera un peu les yeux au ciel, et puis... on oubliera, fatalement.
Depuis fort longtemps, Soderbergh s'est surtout consacré à trois domaines: les stratégies humaines, qu'elles soient légales, illégales, inter-personnelles, émotionnelles ou que sais-je encore, d'une part. Ainsi George Clooney dans Out of sight est-il un malfrat qui va sciemment multiplier les contacts avec la femme qu'il a rencontrée, qui travaille pour la police, et celle-ci de son côté va choisir les moments officiels, et les moments "off" entre eux... Soderbergh s'intéresse aussi, bien sûr, à la mise en scène, la stratégie calculée en grand, afin de manipuler ou perdre quelqu'un, et d'amener les protagonistes d'un film, les spectateurs du même film, d'un point A à un point B. Les films dans lesquels il a poussé cette thématique à son comble, sont les trois films Ocean's 11, 12 et 13: il y est en permanence question de faire bouger les choses, de façon imperceptible, dans l'optique d'un résultat qui sera bon pour la collectivité. La mise en scène, pour le réalisateur Soderbergh, est aussi interne à un script, n'est pas que l'affaire de ceux qui font le film! Avec Side Effects enfin, comme avant lui avec Erin Brockovich, Traffic, The informant et Haywire, le metteur en scène s'attaque à un troisième domaine, celui de la corporation, vécue de l'intérieur. Il y a des précédents magnifiques, notamment Hawks, qui aimait tant filmer les hommes au travail... Ici, on retrouve cette curiosité pour les stratégies complexes de manipulation, liées à un environnement professionnel particulièrement inattendu, et même deux: la psychiatrie et la médecine d'une part, et la spéculation pharmaceutique d'autre part...
Martin Taylor (Channing Tatum) sort de prison, où il a été enfermé pour un délit d'initiés. Il retrouve son épouse Emily (Rooney Mara) qui l'a patiemment attendu, mais les retrouvailles tournent bien vite à une constatation affligeante: Emily va mal, et a du mal à s'adapter à une nouvelle vie. Elle entre en dépression, et sous les conseils de son psychiatre, le sémillant Dr Banks (Jude Law) elle va commencer à prendre des médicaments, en particulier un anti-dépresseur en vue, conseillé par le Dr Siebert (Catherine Zeta-Jones) une ancienne psychiatre d'Emily que Banks a contactée. Les épisodes de comportement erratiques se multiplient, et la jeune femme finit par poignarder son mari dans une crise de somnambulisme...
Avec son mélange toujours aussi excitant de jeu d'acteurs intense et aussi naturel que possible (On le sait, Soderbergh n'est pas du genre à multiplier les prises, gardant une certaine fraîcheur à la performance), et de mise en scène dans l'instant, avec caméra au poing, Soderbergh nous dévoile l'information au compte-goutte, dans un montage trompeur, qui fait ressortir le plaisir lié au genre qu'il explore. Side effects n'est donc pas un film à message, mais une plongée dans un univers cohérent, dont Rooney Mara et Jude Law font un formidable dédale de manipulations, dont au final nous pourrons retirer les conclusions qui nous arrangeront le plus: Soderbergh fait-il le procès de l'industrie pharmaceutique, celui de la médecine, celui de la spéculation? Réponse à la fin de ce film qui se plait à nous manipuler dans tous les sens, et comme d'habitude montre de quelle façon l'humain avance: en trichant. Le film pourrait n'être qu'anecdotique, mais on s'accroche à son fauteuil.
Pourquoi faire un remake d'un film récent? On peut se poser la question, mais chacun sait que c'est une tendance effectivement, afin de rendre disponibles au public Américain des intrigues qu'ils auront manqué s'ils détestent les films étrangers. Avant de s'en plaindre, rappelons que le doublage est encore pire, et de toute façon il ne s'agit ici nullement de faire le procès de Fincher à ce sujet. En effet, le film Américain a sur son prédécesseur, le film de Niels Arden Oplev, une série d'avantages non négligeables. Et de plus, je ne suis pas sûr que Fincher l'ait vu, ayant d'abord et avant tout réalisé l'adaptation d'un livre. ...Dont il ne sera ici plus question. Il ne sera plus question ici non plus du très médiocre film Suédois, qui ne m'a laissé aucun autre souvenir que celui d'une profonde irritation, et l'impression d'assister à un téléfilm Allemand pour Arte, mais en Suédois, bourré de révolte en carton.
Lisbeth Salander est une "hackeuse" Suédoise, en rébellion depuis sa plus tendre enfance, période durant laquelle, pupille de la nation elle a eu à subir des violences de la part de nombreux tuteurs. Elle est employée de façon plus ou moins officielle par une agence de détective, et elle est douée, très douée... Elle a en particulier enquêté sur une particulier, le journaliste Mikael Blomkvist, dont une famille souhaite louer les services afin qu'il résolve un vieux mystère. Blomkvist, journaliste rigoureux, est en effet dans une tourmente judiciaire suite à une série d'articles qui lui ont valu un procès, qu'il a perdu, contre un conglomérat mafieux. Le mystère en question concerne la disparition, et probablement la mort, d'une jeune femme en 1966, et va amener les deux héros à travailler ensemble...
D'une part, Fincher a comme d'habitude fait un travail époustouflant de localisation, s'aménageant l'espace comme il l'avait fait en particulier pour Zodiac. Les deux films possèdent d'ailleurs un trait commun, à travers les obsessions d'un certain nombre de personnages, à commencer par Blomkvist (Daniel Craig). Quoi q'il en soit, la Suède devient ici un véritable paysage de film noir, sans rien perdre en couleur locale, ce qui était, on le verra, important. D'autre part, il a bien évidemment fait comme d'habitude, et on peut lui faire confiance pour cela: là ou bien des remakes Américains de films Européens sont aseptisés, celui-ci est plus dur, plus violent, par le recours à un point de vue aussi peu nihiliste que possible. contrairement à ce qu'on pourrait croire, la colère permanente de Salander est motivée par des sentiments, et le metteur en scène touche au plus près de la violence: criminelle (L'insupportable anecdote du chat), sexuelle (le viol répugnant, filmé par sa victime), et politique (Nostalgie bien implantée du Nazisme). Cela repose sur une caractérisation fantastique de Rooney Mara, qui a énormément donné pour ce film, et sur une réappropriation impressionnante du personnage par le metteur en scène.
Et puis, il y a le thème numéro un de David Fincher, présent sinon dans tous, en tout cas dans un nombre significatif de ses films: le mal, sa présence, comment lutter contre lui, et ses ramifications. il s'agit moins ici d'une enquête que d'étudier l'enracinement d'une idéologie sous diverses formes, dont les Nazis et Collabos de la famille Vanger ne sont finalement qu'une incarnation, qui trouve une résonance autrement plus vivace dans les agissements infects d'un certain nombre de vieux cochons qui ont profité de la jeunesse d'une femme, du flou qui entoure son statut, et de leur impression d'impunité, pour lui faire subir les pires turpitudes... et Fincher, dans sa mise en scène, met finalement tout sur un pied d'égalité: viol de Salander, agression de Blomkvist, disparition d'Harriet, Meurtres de jeunes femmes selon un rituel où transparaît l'antisémitisme, détournements mafieux, tout est finalement lié, et le film tout en se situant dans le paysage authentique de la Suède d'aujourd'hui conte les étapes de cette lutte baroque et morale, avec rigueur et maestria. Du sang sur la neige, l'image est forte, mais dit bien que ce paradis pour acheteurs de meubles cache en vérité une histoire compliquée et ô combien compromise... Après, qu'on soit ou non sensible au fait qu'il s'agit d'une relecture importe peu: c'est un film de David Fincher de A jusqu'à Z.
De même qu'un film de guerre ne parle jamais de guerre et de guerre seulement, ce film n'est en rien la biographie de Mark Zuckerberg, ou une quelconque histoire ou dénonciation de Facebook. C'est un thriller, ce qui ne nous surprendra pas si on examine la filmographie de Fincher, son talentueux réalisateur, mais un thriller par la forme d'abord: si le film commence par un "crime social" (un ado attardé se venge par internet interposé de sa copine qui l'a largué), il se poursuit en jonglant avec la chronologie de façon experte. On passe du passé et de son évocation chronologique, de l'étincelle de départ jusqu'à l'irrésistible ascension du réseau dont il est question, à un double présent en forme de constat: deux affaires de justice dans lesquelles Zuckerberg est impliqué, et dont les tenants et aboutissants nous sont exposés au fur et à mesure; on sait donc dès le départ du film qu'il y a deux actions en justice, mais on apprend plus tard pourquoi exactement, et ce qui est en jeu... Comme Zodiac, qui mélangeait la chronologie, Seven qui la reconstituait ou Benjamin Button qui reposait sur un paradoxe temporel, The social network confirme la capacité de Fincher à se jouer des contraintes de la narration temporelle, faisant mentir Howard Hawks, qui aimait tant dire qu'un flashback ne faisait qu'un mauvais film...
A ce jeu brillant sur le temps, il ajoute une capacité à démultiplier les points de vue et la perception des personnages qui va de la spectaculaire interprétation par le même acteur de deux jumeaux, qui ne sont pas si semblables que cela et sont constamment ensemble dans la plupart de leurs scènes, à la différence notable de perception de deux personnages: Mark Zuckerberg ne sera pas le même... Geek fragile et pitoyable dans les premières scènes, il apparaît un insupportable gosse capricieux dans certaines scènes liées aux négociations en justice, sans rien perdre de sa cohérence. Sean Parker, le wonder-boy Californien qui va aider Zuckerberg à passer à la vitesse supérieure, est au moins triple: vu comme un sympathique séducteur qui se réveille auprès d'une inconnue, il va devenir un modèle envié pour Zuckerberg et au contraire un insupportable frimeur vide pour l'associé de ce dernier, Eduardo Saverin... Au contraire, le personnage de Saverin est le seul qui ne varie jamais d'une scène à l'autre, fidèle à lui-même en toute circonstance. C'est aussi le dindon de la farce...
Comme dans Zodiac et The strange case of Benjamin Button, ses deux oeuvres les plus accomplies, Fincher met en scène l'Histoire, et sa perception. Mais il est bien un film contemporain, se jouant avec dextérité des codes et modes de fonctionnement actuels, et de fait la progression repose énormément sur le dialogue, surtout quand il est vache et rapide. Un paradoxe de plus pour un film dont on attend que sa substantifique moelle se situe sur des écrans d'ordinateur... Mais le travail des acteurs est essentiel, débouchant sur des scènes de comédie méchante et réjouissante, la palme revenant selon moi à une entrevue surréaliste entre un doyen de Harvard et deux fils à papa surs de leur supériorité.
Ce sont précisément ces luttes de classe qui structurent toute la première partie, entre les nantis et les zéros, et qui sont l'une des clés du véritable enjeu du film, à savoir le fait de parler d'un monde dans lequel tout change; les deux jumeaux de la haute bourgeoisie sont les garants d'un monde de privilèges, qui ne conçoivent parler à quelqu'un comme Zuckerberg que pour s'en servir, et qui n'apprécient en rien de se faire doubler par celui qu'ils considéraient comme un valet. Mais le monde tel que les Zuckerberg ou Gates le refaçonnent n'a que faire des clubs sélect et des règles nobles d'Harvard. Il n'est pas pour autant forcément meilleur, et le fait est que le parcours de Zuckerberg, dans ce qui est un peu sa biographie, nous démontre qu'il passe de rien (pas d'amis) à pas grand chose. A la fin, il... Mais non, voyez le film.